CHIRURGIE DE L’URÈTRE
Cas clinique
Auteur(s) : Matthieu Leblanc*, Paul Hermans**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire du Vernois
39270 Orgelet
**Cabinet vétérinaire de Lurcy-Lévis
03320 Lurcy-Lévis
Éviter la perte totale en pratique bovine et ne pas perdre d’argent dans la saisie, c’est aussi une façon pour l’éleveur d’en gagner.
En pratique rurale, il est impossible de demander un abattage d’urgence lors de rupture urétrale, car l’œdème dû à l’urine qui s’écoule dans le tissu sous-cutané (SC) entraîne inévitablement la saisie totale de la carcasse. Entre l’équarrissage et l’urétrostomie, le choix est donc rapide.
Un éleveur sollicite un vétérinaire, un matin, parce que le fourreau d’un de ses taurillons est gonflé. L’animal était prêt à partir à l’abattoir. L’exploitation, de type naisseur-engraisseur, est située au nord de l’Allier. Outre l’atelier d’engraissement de 50 à 60 places, elle comporte aussi 30 mères charolaises et 175 ha de terres (dont 100 ha de terres cultivées et 75 ha de prés).
La consultation est réalisée chez l’éleveur dans la matinée qui suit l’appel. Le taurillon charolais est présenté dans une case individuelle, isolé de ses congénères. Il pèse 480 kg (pesée de la veille) et fait partie d’un lot d’animaux de même stade prévus pour partir à l’abattoir dans les jours qui suivent. À l’examen à distance, le fourreau est gonflé de façon assez importante : il atteint le diamètre d’un ballon de handball, à partir de la verge jusqu’aux cuisses. Selon l’éleveur, l’animal urine toujours, mais par gouttes et non par miction continue.
L’animal est placé dans une cage de contention. L’examen clinique révèle une température rectale normale (T = 38,5 °C), des bruits ruminaux diminués, et des auscultations cardiaque et pulmonaire normales. Devant l’absence d’autres signes cliniques, l’hypothèse d’un hématome en formation à la suite d’un choc avec ses congénères est émise. L’animal est traité avec une association de diurétiques et de corticoïde faiblement dosé (hydrochlorothiazide-dexaméthasone) : Diurizone®, à la dose de 10 ml par voie intramusculaire (IM), pendant 3 jours. Le temps d’attente viande est de 3 jours pour ce médicament.
Le soir même, l’éleveur rappelle le cabinet vétérinaire pour signaler que le fourreau a triplé de volume par rapport à l’examen du matin. En raison de la dégradation clinique en dépit du traitement diurétique prescrit, une rupture urétrale due à une urolithiase est suspectée. Une seconde visite est donc planifiée aussitôt. Lors de l’examen clinique pratiqué dans la soirée, le taurillon présente des signes d’abattement beaucoup plus importants que le matin : il a plus de difficultés à se déplacer. Le fourreau a effectivement pris une taille encore plus imposante, désormais englobé dans une masse faisant continuité avec l’abdomen. À la palpation transrectale, la vessie est de taille très augmentée et sa paroi est tendue.
Un diagnostic de rupture urétrale est posé. Il est supposé qu’un calcul s’est logé dans le S pénien de l’urètre [1]. Dans ce cas, l’œdème du fourreau est dû à l’urine qui s’écoule de manière diffuse dans le plan SC abdominal ventral.
Après discussion entre le vétérinaire et l’éleveur, il apparaît clairement qu’un certificat vétérinaire d’information pour un abattage en urgence ne peut être établi : même si la rupture date de moins de 48 heures, la carcasse sera entièrement saisie après abattage, à la simple observation de l’œdème du fourreau. Il est décidé de recourir à la chirurgie et de pratiquer immédiatement une urétrostomie.
L’intervention chirurgicale est ici réalisée par deux vétérinaires (cela n’est pas indispensable si le chirurgien en charge de l’acte maîtrise parfaitement sa technique opératoire). Le taurillon est placé dans la cage de contention de l’éleveur. Il est sanglé pour parer à tout risque de décubitus pendant la procédure. La tête est maintenue au pince-nez et une barre de fouille est placée à l’arrière de l’animal. Une anesthésie par voie épidurale est réalisée, à base de lidocaïne à la dose de 8 ml (Lurocaïne®(1)). La queue est attachée vers l’avant. Une zone allant du rectum jusqu’au bas des cuisses est rasée, puis savonnée, rincée et aspergée d’antiseptique (povidone iodée : Vétédine® savon, puis solution).
→ Une incision de 25 cm de long débutant 15 cm en dessous du rectum sur la ligne médiale du périnée est réalisée [2].
→ Le fascia entre les deux muscles semi-tendineux est disséqué manuellement et à l’aide du bistouri jusqu’à atteindre le corps spongieux du pénis dans sa partie proximale (c’est-à-dire celle qui est située avant le S pénien).
→ Le corps spongieux est disséqué aux doigts, sur une longueur de 40 à 50 cm en bas et en haut de l’incision. Il est ensuite sectionné le plus distalement possible et sa partie supérieure est extériorisée.
→ L’artère supérieure du pénis est ligaturée (fil tressé résorbable déc. 5, utilisé pour la totalité des sutures de cette chirurgie). Le corps du pénis est abouché à l’extérieur par deux points simples d’ancrage destinés à maintenir le pénis au milieu de la zone d’incision périnéale initiale. Pendant cette phase, il convient de travailler avec précaution pour éviter de ligaturer l’urètre dans le même temps (figure).
→ Un plan de suture SC est réalisé (à base de points simples). Le reste de l’incision cutanée est refermé à l’aide d’un surjet à points passés.
Une injection d’anti-inflammatoires est réalisée (méloxicam à la dose de 15 ml par voie SC toutes les 72 heures, deux fois : Metacam® 20 mg/ml, temps d’attente viande et abats de 15 jours chez le bovin, mais pour une administration unique ; il convient donc d’avoir recours à la cascade et au temps d’attente forfaitaire de 15 jours après la dernière injection), complétée par des antibiotiques (association d’amoxicilline-acide clavulanique à la dose de 60 ml IM toutes les 48 heures pendant 1 semaine : Duphamox LA®, temps d’attente viande de 21 jours pour seulement deux administrations à 48 heures).
L’œdème du fourreau s’est complètement résorbé dans les quelques jours qui ont suivi la chirurgie. L’état général de l’animal est rapidement revenu à la normale. La partie amputée du muscle spongieux a subi une dessiccation sans pour autant que l’urètre ne se collabe. La miction a repris dès le lendemain de l’opération, par jets réguliers (observés à chaque contraction vésicale).
L’animal a, certes, perdu 40 kg lors de sa convalescence, mais il a pu être vendu pour la viande 1 mois après l’intervention, sans saisie (photos 1a et 1b).
Un examen clinique complet et rigoureux est indispensable, quelle que soit l’affection abordée en médecine vétérinaire rurale. Cela est particulièrement vrai pour le diagnostic d’urolithiase avant rupture urétrale. Quelques symptômes, dont certains présents dans ce cas, sont évocateurs :
- la miction en gouttes, voire interrompue ;
- des signes non spécifiques de douleur abdominale (auto-auscultation, tachycardie, etc.) ;
- et surtout une vessie hyperdilatée à la palpation transrectale ;
- le plus souvent en l’absence d’hyperthermie.
Les signes de douleur abdominale sont restés frustes dans ce cas, comme c’est souvent la règle dans l’espèce bovine. Cela nous a induits à ne pas privilégier l’hypothèse d’urolithiase pour ce taurillon lors de la première visite. Une fois confronté dans sa carrière à la discrétion des signes avant-coureurs de rupture urétrale dans cette espèce, tout praticien aura tendance, pour le reste de sa carrière, à évoquer cette hypothèse beaucoup plus précocement. Lorsque l’urètre n’est pas encore perforé, le diagnostic est encore plus difficile à établir. En pratique, les symptômes de coliques sont traités avec des antispasmodiques (par exemple du métamisol seul ou en association avec la scopalamine).
En pratique rurale, l’objectif est invariablement de sauver l’animal, l’envoi d’un bovin malade à l’abattoir étant impossible et l’œdème du fourreau conduisant systématiquement à la saisie totale de la carcasse. Tenter l’intervention chirurgicale est dans ce cas la seule solution alternative à l’euthanasie.
Diverses techniques chirurgicales sont proposées, qui varient en fonction de la position du calcul et de l’expérience du chirurgien. Nous avons privilégié “la plus simple”, indiquée lors de rupture urétrale par un calcul souvent coincé au niveau du S pénien, car c’est la présentation la plus fréquente et celle qui coïncidait avec les symptômes (écoulement d’urine sous la peau de l’abdomen [3, 5]).
Cette intervention chirurgicale reste “relativement” simple et rapide d’exécution lorsqu’elle est maîtrisée et la facturation faite à l’éleveur peut rester raisonnable. Dans ce cas précis, l’intervention a été facturée au même prix qu’une césarienne, tandis que le taurillon en question a été vendu environ 1 700 € à l’abattoir.
La préparation du site opératoire et l’anesthésie ne présentent ici pas de difficulté si l’éleveur dispose d’une cage de contention. Le recours au pince-nez et au travail ont suffi pour ce taurillon assez calme et abattu. La lidocaïne a été utilisée ici hors résumé des caractéristiques du produit, par préférence des associés de la clinique (délai d’action plus rapide et durée d’action plus longue). Notons qu’il existe une seule spécialité approuvée en pratique bovine dans cet usage en Europe et son équivalence a été étudiée (Procamidor®; il convient d’injecter 10 ml) [4].
Bien qu’il engraisse des bovins depuis plusieurs années avec la même ration, l’éleveur n’a jamais été confronté à ce cas. Par le caractère exceptionnel et sporadique de celui-ci, en l’absence de demande de l’exploitant et par manque de recul théorique de la part du vétérinaire, aucun conseil de changement alimentaire n’a été formulé à l’éleveur pour sa ration d’engraissement (encadré). Des facteurs de risque alimentaires sont évoqués dans les publications, mais la ration parfaite n’existe pas vis-à-vis de cette affection. Les bovins à l’engraissement intensif sont le plus souvent sujets à des calculs de phosphate, tandis que ceux élevés à l’herbe ou au foin sont enclins à des calculs de silicate [5].
Le calcul (de phosphate ?) à l’origine de l’obstruction n’a pas été mis en évidence dans notre cas, comme c’est la règle lorsque l’intervention se déroule après rupture urétrale.
Des cas d’urolithiase en engraissement ne sont observés qu’une fois tous les 2 ans dans la clientèle vétérinaire où ce taurillon a été soigné (sur 15 000 bovins recensés en prophylaxie et avec une tradition d’engraissement encore bien ancrée dans ce secteur). Lors du recours à la chirurgie, les praticiens de cette clientèle témoignent d’environ 50 % de réussites opératoires. Les causes d’échec sont la déhiscence de la plaie et l’obstruction de l’urètre lors de la dessiccation du pénis, en phase cicatricielle. L’œdème du fourreau se résorbe parfois très lentement. L’urine qui s’est écoulée sous la peau provoque dans de rares cas une nécrose cutanée, susceptible de retarder la cicatrisation, donc la vente de l’animal.
Aucun.
→ Il convient de ligaturer l’artère supérieure du pénis en fin d’intervention d’urétrostomie.
→ Le corps spongieux est sectionné le plus distalement possible et sa partie supérieure est extériorisée.
→ La miction reprend par la plaie d’urétrostomie périnéale, par jets réguliers (à chaque contraction vésicale).
→ Farine à volonté composée de céréales à 65 % (plus précisément, un mélange de blé à 50 % et d’orge à 50 %).
→ Complément azoté à 35 % (taux de matière azotée totale [MAT] = 24 %).
→ Paille à volonté.
→ Bicarbonate de sodium par cures épisodiques.
→ “Hépato-protecteurs” tous les 2 mois, par cures de 3 à 4 jours (composition non communiquée).