CHIRURGIE EN PRATIQUE COURANTE
Avis d’expert
Auteur(s) : Xavier Quentin
Fonctions : Clinique vétérinaire des Estuaires
Parc d’activités de la Croix-Vincent
50240 Saint-James
Le reflux cranial d’urine dans le vagin peut être corrigé précocement en routine après le vêlage à partir du degré 2.
Lors de l’examen génital à la faveur du suivi de reproduction en élevage bovin laitier, une anomalie est assez souvent observée, mais trop rarement prise en charge : le reflux vésico-vaginal, ou urovagin [2]. Le méat urinaire prend une position plus basse que le plancher du vagin. L’anomalie est assez fréquemment rencontrée en pratique laitière courante, même si les chiffres de prévalence varient selon les études (de moins de 10 % à plus de 25 %(1)).
L’urovagin peut entraîner de mauvaises performances de reproduction. Lors de la miction, l’urine reflue cranialement, au lieu d’être expulsée. Sa stagnation locale est délétère et pénalisante pour la fertilité ultérieure.
Différentes techniques correctrices sont possibles, qui sont rappelées et commentées dans cet article du point de vue d’un praticien qui les a “ toutes essayées ”.
Selon notre expérience, l’urovagin fait suite à des mises bas avec un excès de volume (“ gros veau ”). Un phénomène d’écrasement local (musculaire et nerveux) perturbe les structures qui assurent la tonicité du vagin après le vêlage. L’anomalie se rencontre chez des vaches aussi bien maigres que grasses. L’urovagin se distingue parfaitement du pneumovagin : il y a stagnation d’urine dans un cas et accumulation d’air dans l’autre. Les deux entités trouvent leur origine au moment du vêlage, mais n’ont rien en commun.
Le traitement chirurgical de l’urovagin doit être envisagé lorsque le volume d’urine présent dans le vagin est supérieur à 100 ml, c’est-à-dire « même dans les cas modérés » [5]. Pour noter l’ampleur de l’urovagin, une note de 1 à 3 a été proposée (encadré). Dès le degré 2, une intervention chirurgicale est justifiée.
Dans le cadre d’un abord objectif et systématique de cette affection, il est possible de consigner la présence de l’urovagin et de noter son ampleur à la faveur du suivi de reproduction. Une détection et un traitement précoces après vêlage sont essentiels car l’objectif est d’améliorer la fertilité afin de produire une gestation au vêlage suivant. Certaines études chirurgicales ont proposé une intervention assez tardive, paradoxalement, mais cela correspond à des situations d’échec de reproduction, (trop) tardivement reliées à un urovagin.
Parmi les solutions chirurgicales préconisées, certaines ne donnent pas de résultats satisfaisants selon notre expérience et celle d’auteurs qui ont décrit d’autres techniques depuis lors [4]. Par exemple, Hudson a proposé dans les années 1970 de créer par suture, cranialement par rapport au méat, un repli transversal de la muqueuse(2). Ce procédé a été recommandé en France jusque dans les années 1990 [6, 7]. Il présente deux inconvénients : il n’évite pas le trop-plein d’urine et, de plus, il ne résiste pas à l’extraction d’un veau au vêlage suivant… Il n’est donc plus vraiment d’actualité de le proposer.
Pour cette deuxième technique possible, décrite par Bouisset dans les années 2000, un canal étanche est constitué à l’aide de la muqueuse du plancher du vagin pour que l’urine pénètre dans ce dernier “ plus près de la sortie ” [1]. Le tunnel constitué s’étend du méat urinaire jusqu’au vestibule. Pour cela, les parois du vagin sont incisées de part et d’autre du méat, les deux incisions confluant à 1 cm au-dessus du méat. Les deux bords muqueux internes de part et d’autre du méat sont suturés entre eux, tandis que les bords muqueux externes sont destinés à cicatriser par seconde intention sur le plancher vaginal(3). Cette méthode a pour but d’amener l’urine presque jusqu’aux lèvres de la vulve, en limitant la possibilité qu’elle s’accumule dans le vagin.
Il convient d’assurer une bonne étanchéité en disposant les points suffisamment serrés, mais une inflammation cicatricielle réactionnelle est aussi à redouter (sur le plancher du vagin). Il existe un risque de sténose du tunnel ainsi formé. Le choix du fil de suture est important : un fil monofilament couramment utilisé en chirurgie rurale est privilégié. Dans les années 1990, le cas d’une vache opérée avec cette technique a été publié. Cette laitière présentait non seulement un urovagin, mais aussi une endométrite nécrotique. Une parésie temporaire de la vessie a été constatée après intervention. La vache a été gestante par la suite, mais les anomalies vaginales ont récidivé au vêlage suivant [3].
Avec cette technique, l’inclinaison cranio-ventrale du plancher du vagin et le manque de tonicité musculaire persistent, contrairement au procédé le plus récent de cure de l’urovagin [4].
J’ai une préférence pour le cerclage vaginal interne décrit par Hanzen, de l’université de Liège (Belgique), en 2012 en France. La technique est simple : tout praticien de pratique rurale est familier avec le cerclage. Au lieu d’être placé à l’extérieur des lèvres de la vulve, comme après un renversement de matrice (suture de Buhner), le cerclage(4) est positionné à l’intérieur du vagin, en passant par trois points “ cardinaux ” situés à 4 heures, 8 heures et 12 heures sur le cadran d’une horloge fictive qui figurerait la circonférence du vagin. L’intervention chirurgicale requiert seulement 15 minutes (photos 1a et 1b).
Pour cette technique, Hanzen conseille l’utilisation d’une aiguille de Deschamps modifiée par Gonzalez-Martin (photos 2a et 2b) [4, 5]. Selon notre expérience, le recours à ce dispositif n’est pas indispensable. Cette aiguille comporte un porte-aiguille intégré : elle est complètement perpendiculaire à ce manche auquel elle est reliée par une tige de prolongation qui mesure 15 cm, alors qu’une aiguille de Deschamps “ classique ” est implantée à 45° par rapport à son manche. Ce dispositif est difficile à se procurer. Une simple aiguille à section triangulaire (paroi musculaire abdominale) convient, manœuvrée à la main.
Hanzen conseille d’utiliser un fil monofilament résorbable de polydioxanone (PDS II 5 Metric) pour le cerclage. Il s’agit d’un très bon choix de fil, en raison de sa résorption lente, de son caractère peu irritant, etc. (temps de résistance à la tension : 98 jours ; résorption : 180 à 210 jours ; glisse optimale, positionnement et serrage des nœuds faciles). J’emploie un fil monofilament non résorbable en nylon (Supramid®) de gros calibre qui est expulsé spontanément au bout de quelques semaines ou quelques mois par rejet, ou bien qui est coupé au moment du vêlage.
Une insémination artificielle est possible dès le lendemain de l’intervention. En revanche, la saillie par un taureau doit être différée de 2 à 3 mois, le temps que le fil de suture se résorbe. Le cerclage doit être coupé au moment du vélage en cas d’utilisation de fil irrésobable, s’il n’a pas été expulsé avant. Mais la cure chirurgicale peut être réalisée précocement à la faveur des suivis de reproduction. Le cerclage de la jonction vestibulo-vaginale constitue un traitement intéressant parce qu’il permet une récupération fonctionnelle du muscle constricteur du vestibule. L’effet sur l’amélioration de la fertilité a été validé avec cette technique [4].
La préparation du site est extrêmement simple, donc rapide. Pendant le délai de latence de l’anesthésie, le rectum est vidé de ses matières fécales et un nettoyage et une désinfection externes de la région vulvo-périnéale sont effectués. Aucune antibiothérapie n’est à prévoir.
L’animal est de préférence placé dans un couloir de contention, mais ces procédures sont aussi réalisables au cornadis, si le bovin n’est pas trop rétif. La vache reste debout, pour le plus grand confort de l’opérateur, et cela permet aussi de conserver la symétrie des repères (cadran). Une anesthésie locorégionale suffit(4).
Le matériel chirurgical est composé d’une trousse de chirurgie classique en pratique rurale : bistouri, aiguille triangulaire et monofilament (photo 3). Pour la technique de cerclage, simple et rapide, le prix facturé reste modique (de 50 à 80 € par exemple, pendant un suivi de reproduction). Cet acte peut être proposé d’une manière systématique à partir d’un degré 2 d’urovagin, étant donné les gains en fertilité constatés dans les publications.
La correction chirurgicale de l’urovagin est peu courante, mais c’est un acte à forte valeur ajoutée pour l’image du vétérinaire. Cette intervention chirurgicale requiert peu d’investissements et peut être d’un rapport immédiat pour l’éleveur et la vache en termes de fertilité. Notre expérience des différentes techniques possibles de traitement chirurgical de l’urovagin nous conduit à conseiller la troisième technique(5). C’est une technique simple ne nécessitant pas d’investissement : elle peut être proposée facilement. Ce traitement peut se faire à l’échelle d’un troupeau, le suivi de reproduction servant à recruter les candidates potentielles, dès le contrôle d’involution utérine.
(1) Voir L’article « L’urovagin : origines et conséquences » de b. bouquet, dans ce numéro.
(2) Voir La Figure 1 De La Fiche « Techniques de correction chirurgicale de l’urovagin » de X. Quentin et coll., dans ce numéro.
(3) Voir la figure 2 de la fiche « Techniques de correction chirurgicale de l’urovagin » de X. Quentin et coll., dans ce numéro.
(4) Voir la figure 3 de la fiche « Techniques de correction chirurgicale de l’urovagin » de X. Quentin et coll. dans ce numéro.
(4) Hanzen recommandait l’injection par voie épidurale de 0,04 mg/kg de xylazine à 2 % associée à 4 ml de lidocaïne à 2 %, mais il existe désormais des protocoles validés avec la proocaïne (Procamidor®), qui dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans l’espèce bovine, à condition d’augmenter le volume.
(5) NDLR : l’ensemble des techniques sont décrites graphiquement dans la fiche « Techniques de correction chirurgicale de l’urovagin » de X. Quentin et coll., dans ce numéro.
Aucun.
La notation doit se dérouler en dehors de la miction.
Le degré 1 se traduit par une légère accumulation d’urine sur le plancher du vagin (10 à 100 ml).
Dans le degré 2, l’accumulation devient plus importante (100 à 500 ml) : l’urine peut recouvrir la moitié inférieure du col utérin.
Dans le degré 3, l’urine s’accumule davantage encore (> 500 ml) et recouvre plus de la moitié de l’ouverture vaginale du col utérin, augmentant le risque que ce liquide s’introduise dans la cavité utérine lors d’ouverture cervicale.
→ L’intervention de correction peut être réalisée précocement après vêlage, dès le degré 2, qui correspond à la stagnation d’au moins 100 ml d’urine.
→ La notation doit être pratiquée en dehors de la miction.
→ Le fil dans la technique de cerclage doit être ôté avant le vêlage suivant s’il n’a pas été rejeté.
À Christian Hanzen pour sa contribution.