CHIRURGIE ORL
Dossier
Auteur(s) : Yann Chotar-Vasseur*, Quentin Cabon**, Didier Fau***
Fonctions :
*Clinique vétérinaire des Ducs de Bourgogne
11 ter, rue Paul-Langevin
21300 Chenôve
**Clinique vétérinaire Olliolis
414 A, chemin des Canniers
Quartier Lagoubran, 83190 Ollioules
***Campus vétérinaire de Lyon, VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon, 1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile
Une masse sous l’œil d’un chien évoque immédiatement un abcès, mais il peut s’agir d’une sialocèle dont le traitement chirurgical est bien plus délicat.
La mucocèle salivaire, ou sialocèle, est une affection canalaire de l’appareil salivaire, bien connue chez le chien et le chat, conduisant à une accumulation de salive dans les tissus mous périglandulaires [5]. La cause de ce type d’affection est inconnue dans la majorité des cas. Néanmoins, plusieurs origines ont été avancées : traumatisme, lithiases salivaires, réponse à une inflammation ou à une infection locale, migration aberrante de parasites (Dirofilaria immitis), corps étranger (épillet) ou tumeur. Cinq types de mucocèle salivaire ont été décrits chez le chien : les mucocèles cervicale (grenouillette), sublinguale (ranula), parotidienne, pharyngée et zygomatique. Les sialocèles cervicale (grenouillette), sublinguale (ranula) et pharyngienne impliquent les glandes mandibulaire et sublinguale. La mucocèle zygomatique affecte la glande zygomatique et la mucocèle parotidienne, la glande parotidienne. Les formes cervicales et sublinguales sont les plus fréquentes [5]. En revanche, Les mucocèles parotidienne et zygomatique sont plus rares et, de ce fait, leurs diagnostics et leurs traitements sont parfois plus délicats [2-4]. Selon leur localisation, elles induisent différents types de troubles cliniques. La mucocèle cervicale ne provoque généralement pas de trouble fonctionnel. La forme sublinguale peut s’accompagner d’un ptyalisme exagéré, de la présence de sang dans la salive, quelquefois d’une dysphagie. La forme parotidienne évoque un abcès en face externe de la portion verticale du conduit auditif externe. La forme pharyngienne est souvent découverte quand une dyspnée inspiratoire d’apparition progressive se fait jour. Enfin, la forme zygomatique est le plus souvent associée à une présentation de maladie oculaire, avec déviation du globe. L’objectif de ce cas est de décrire la présentation clinique, le diagnostic et le traitement d’une mucocèle zygomatique chez un chien.
Un jack russell terrier mâle non stérilisé de 5 ans est référé en consultation de chirurgie pour une masse sousorbitaire droite évoluant depuis 6 mois. L’animal présente depuis 4 ans une conjonctivite unilatérale droite, sans déformation de la face, réfractaire à tous les traitements entrepris. Lors de l’apparition de la masse 6 mois auparavant, une ponction a été réalisée, mettant en évidence un liquide séro-hémorragique, dont la culture pour analyse bactériologique s’est révélée stérile. Une corticothérapie (Dermipred®, prednisolone, 0,5 mg/kg deux fois par jour) mise en place pendant 1 mois a permis une amélioration transitoire. Une récidive a été constatée à l’arrêt du traitement et le chien a ensuite été référé.
L’animal présente une exophtalmie légère, une procidence de la membrane nictitante, une conjonctivite marquée et un épiphora unilatéral de l’œil droit, sans aucune autre atteinte oculaire ni répercussion sur l’état général (photo 1). Le reste de l’examen clinique est normal.
L’examen de la face révèle une masse dépressible en région sous-orbitaire droite sans déformation de l’arcade zygomatique. L’examen de la cavité buccale ne révèle aucune anomalie.
Une mucocèle salivaire de la glande zygomatique est envisagée en priorité. Un abcès, associé ou non à la présence d’un corps étranger, est également compatible avec l’anamnèse et la synthèse clinique. Une masse d’origine tumorale ne peut être exclue.
Afin de préciser le diagnostic, une échographie de la masse sous-orbitaire droite est réalisée. Elle met en évidence une masse circulaire de 3 × 3 cm bien délimitée par une capsule hyperéchogène renfermant un contenu liquidien hypoéchogène. Une structure sphérique hétérogène de 1,2 × 0,9 cm est également observée en région profonde (photo 2). Les images sont compatibles avec une mucocèle zygomatique associée à un abcès, à un hématome ou à un granulome inflammatoire. Un prélèvement du liquide est réalisé sous contrôle échographique. Macroscopiquement, ce liquide est séro-hémorragique et visqueux. Son analyse cytologique par un pathologiste spécialiste est en faveur d’une nature salivaire (présence de rares cellules inflammatoires et épithéliales sur un fond muqueux), confirmant ainsi la suspicion clinique.
L’examen échographique et l’analyse cytologique du liquide ponctionné sont en faveur d’une mucocèle zygomatique, dont l’origine reste toutefois inconnue. Un traitement chirurgical est décidé, avec pour objectifs le retrait de la glande zygomatique et le débridement de la mucocèle.
L’intervention chirurgicale est réalisée sous anesthésie générale. L’animal est prémédiqué avec de la dexmédétomidine à la dose de 3 µg/kg par voie intraveineuse (IV) (Dexdomitor®), induit au propofol à 4 mg/kg par voie IV (Propovet®), puis un relais gazeux à l’isoflurane dans 100 % d’oxygène est instauré après une intubation trachéale. Une analgésie peropératoire à base de morphine à 0,1 mg/kg par voie IV est mise en place. Une blépharorraphie de l’œil droit est réalisée, puis le site chirurgical est préparé à l’aide de Bétadine® savon puis solution (Vétédine®). Une incision cutanée en regard de l’arcade zygomatique droite est effectuée sur 6 cm. Le fascia musculaire est incisé sur l’arcade zygomatique dans le plan longitudinal. Celle-ci est visualisée, puis le périoste est élevé. Le muscle masséter est récliné ventralement et le ligament transverse est respecté dorsalement. Avant de réaliser l’ostectomie temporaire, des forages osseux de part et d’autre des traits virtuels d’ostéotomie sont pratiqués à l’aide d’une mèche de 1 mm afin de faciliter la reconstruction future. Une double ostéotomie de l’arcade zygomatique est ensuite mise en œuvre à la scie oscillante, puis l’arcade zygomatique est réclinée dorsalement pour accéder à la glande zygomatique (photo 3). Celle-ci est alors individualisée par dissection mousse des tissus sous-orbitaires (photo 4). Une hémostase soignée est réalisée. La glande salivaire est ensuite extraite après ligature du canal zygomatique majeur au monofilament résorbable décimale 2 (PDS II®, polydioxanone, Ethicon) et envoyée pour analyse histologique. Un tissu inflammatoire, formant une coque cranialement à la glande zygomatique, associé à un hématome en cours de formation, est observé en position infra-orbitaire. Il est alors réséqué le plus largement possible, sans pour autant pouvoir en extraire l’intégralité. En effet, une dissection de l’ensemble du tissu inflammatoire pourrait engendrer des lésions importantes des tissus sous-jacents et n’est pas primordiale dès lors que l’exérèse de la glande est complète. Un prélèvement du contenu (hématome) et de la paroi est envoyé en culture pour analyse bactériologique. Un rinçage abondant du site opératoire est réalisé. L’arcade zygomatique est remise en place, puis stabilisée cranialement et caudalement par deux sutures osseuses au fil d’acier de 0,7 mm placées dans les trous de forage préalablement pratiqués dans l’arcade zygomatique à l’aide d’une mèche de 1,1 mm de diamètre (photo 5). Les différents plans sont suturés de façon classique par des surjets à l’aide d’un monofilament résorbable décimale 2 (PDS II®, polydioxanone, Ethicon) pour le fascia musculaire et le plan sous-cutané, et d’un monofilament non résorbable décimale 1,5 (Dafilon®, polyamide, B. Braun) pour les points cutanés. Une antibioprophylaxie peropératoire, relayée par une antibiothérapie per os jusqu’aux résultats de l’antibiogramme (Synulox®, amoxicilline-acide clavulanique, Pfizer, 12,5 mg/kg deux fois par jour per os), est instaurée. Un traitement anti-inflammatoire est également mis en place pendant 7 jours (Métacam®, méloxicam, Boerhinger Ingelheim, 0,1 mg/kg une fois par jour per os), associé à un repos strict pendant 3 semaines.
Les résultats des analyses bactériologiques ont révélé un prélèvement stérile et le traitement antibiotique est arrêté après 1 semaine. L’analyse histologique a montré une inflammation majeure de la glande salivaire, confirmant l’hypothèse clinique de mucocèle zygomatique.
Une régression de l’exophtalmie est constatée en phase postopératoire immédiate. L’excellent état clinique du chien permet son retour chez ses propriétaires dès le lendemain de l’intervention chirurgicale.
Un premier contrôle à 15 jours postopératoires pour le retrait des sutures montre une évolution clinique très satisfaisante. L’examen de la face révèle une bonne cicatrisation de la plaie chirurgicale, l’absence d’œdème, une position normale du globe oculaire et un examen ophtalmologique dans les normes.
Un contrôle à 1 mois postopératoire est réalisé. Une excellente évolution clinique est constatée (photo 6). Six mois après l’intervention chirurgicale, un contrôle téléphonique auprès des propriétaires confirme l’absence de récidive des symptômes initiaux.
Le pronostic de ce type de chirurgie est bon, avec une régression des symptômes cliniques dans les semaines qui suivent l’intervention chirurgicale. L’une des complications possibles de cette opération est une récidive en cas d’exérèse partielle de la glande zygomatique.
Les présentations cliniques peu spécifiques des mucocèles zygomatiques, ainsi que leur rareté en font des affections difficiles à diagnostiquer et à traiter.
Comme dans ce cas, la cause de la maladie n’est généralement pas connue. Les animaux atteints de mucocèle zygomatique présentent habituellement des signes cliniques compatibles avec une affection rétrobulbaire rarement associée à une répercussion systémique, à la différence des abcès ou des tumeurs de l’orbite qui sont les principales lésions du diagnostic différentiel [4]. Ce jack russell, en plus d’un gonflement sous-orbitaire associé à une exophtalmie et à un épiphora ipsilatéral, présentait une conjonctivite chronique évoluant depuis plusieurs années. Une hypothèse traumatique est à considérer dans les causes potentielles de l’apparition de la mucocèle dans le cas rapporté, tandis que les lithiases salivaires et les origines néoplasique et infectieuse ont pu être écartées. L’inflammation locale chronique pourrait être un facteur qui favorise l’inflammation canalaire de la glande zygomatique, l’inflammation de la glande et l’apparition secondaire de la mucocèle zygomatique étant la conséquence de l’épanchement salivaire.
Le moyen diagnostique le plus fréquemment utilisé pour confirmer une mucocèle est la ponction à l’aiguille fine de la masse afin de mettre en évidence un liquide inflammatoire dont la viscosité soit compatible avec celle de la salive (viscosité parfois plus faible pour les mucocèles parotidienne et zygomatique que pour les mucocèles mandibulaire et sublinguale). L’analyse cytologique du liquide prélevé permet également de confirmer sa nature salivaire et ainsi de corroborer la suspicion clinique. Un dosage d’amylase aurait pu être réalisé car il est plus spécifique que la cytologie. Dans une étude récente, le diagnostic de mucocèle zygomatique a été établi chez 13 des 14 chiens par mise en évidence de la salive lors de la ponction [2]. L’échographie peut être indiquée pour visualiser la glande salivaire et la mucocèle associée, et permettre une ponction plus aisée du liquide. Néanmoins, la meilleure visualisation des glandes salivaires et des tissus adjacents est obtenue par la tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique [3, 4]. Ces techniques d’imagerie peuvent être particulièrement indiquées en cas de localisation anatomique difficile d’accès ou d’envahissement majeur des tissus périglandulaires afin de distinguer un caractère pseudo-kystique de la collection liquidienne, et de différencier cette lésion d’un abcès ou d’une tumeur. Dans le cas présent, l’échographie et l’analyse cytologique du liquide ont suffi à la confirmation du diagnostic, d’où la décision de ne pas réaliser ce type d’examen complémentaire.
Le traitement chirurgical des mucocèles consiste en un retrait complet de la ou des glandes salivaires responsables. Ainsi, les sialocèles cervicale, sublinguale ou pharyngienne exigent une excision complète du couple glande mandibulaire-glande sublinguale homolatérale. Les sialocèles parotidienne et zygomatique exigent uniquement l’excision de la glande salivaire en cause. La localisation anatomique de la glande zygomatique rend son abord chirurgical peu aisé et nécessite la réalisation d’une ostéotomie de l’arcade zygomatique. Cet abord offre une très bonne visualisation de la région sous-orbitaire afin de permettre la dissection de la glande zygomatique ainsi que l’exploration de la mucocèle [1]. Un drainage n’a pas été nécessaire dans le cas décrit. Néanmoins, en cas d’espace mort trop important ou d’atteinte septique, un drain peut être mis en place.
Dans le cas présenté ici, l’exérèse de l’intégralité de la paroi de la mucocèle a été impossible sans risquer de provoquer des lésions majeures sur les tissus sous-jacents. La paroi de la mucocèle étant purement inflammatoire et n’ayant aucun rôle sécréteur, son retrait partiel ne doit pas faire craindre une récidive. La prévention du risque de récidive passe par le retrait total de la glande zygomatique associée à la mucocèle. L’analyse histopathologique du prélèvement effectué a montré une inflammation de la glande salivaire retirée. Dans une étude sur 14 chiens présentant une mucocèle, l’analyse histologique a mis en évidence, dans 12 cas, une inflammation marquée de la glande sans pour autant pouvoir en déterminer l’origine exacte (cette inflammation est dans la majorité des cas secondaire à une affection du canal excréteur) [2]. Les hypothèses de mucocèle idiopathique ou traumatique restent donc les plus probables dans le cas présenté ici.
La mucocèle zygomatique est une affection peu courante en médecine vétérinaire. Elle est principalement rencontrée chez le chien, plus rarement chez le chat bien qu’également décrite. Elle fait partie du diagnostic différentiel des affections orbitaires et péri-orbitaires chez le chien. Sa présentation clinique peu spécifique en fait une affection difficile à diagnostiquer et à traiter. La ponction à l’aiguille fine, l’analyse cytologique du liquide prélevé et les examens d’imagerie, la tomodensitométrie en tête, sont primordiaux pour le diagnostic. Le traitement chirurgical, qui passe par l’exérèse totale de la glande zygomatique affectée, est généralement curatif avec un faible taux de récidive [2].
Aucun.
→ Les mucocèles zygomatiques sont rares et les signes cliniques, peu spécifiques.
→ Le diagnostic est parfois difficile à établir et nécessite des examens complémentaires.
→ La localisation anatomique rend l’abord chirurgical délicat.
→ Le traitement chirurgical par orbitotomie latérale et exérèse de la glande salivaire zygomatique donne de bons résultats avec une absence de récidive.
Bernardé A. Chirurgie des glandes salivaires. EMC Vétérinaire. 2015;12:1-10.
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