Un cas de tumeur vénérienne transmissible canine chez un jeune chien - Le Point Vétérinaire n° 377 du 01/07/2017
Le Point Vétérinaire n° 377 du 01/07/2017

REPRODUCTION

Cas clinique

Auteur(s) : Élise Fonclara*, Pierre Goullet**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire Néovet La Croix Bleue
Zone Tecnosud 2, Mas Delfau
136, avenue Éole
66100 Perpignan
e.fonclara@gmail.com
**3, allée de la Méditerranée
66250 Saint-Laurent-de-la-Salanque

Le sarcome de sticker est une tumeur transmissible sexuellement, de rémission complète dans 90 à 95 % des cas traités par chimiothérapie.

Un croisé teckel mâle castré et âgé de 2 ans est présenté pour une hématurie permictionnelle et intermictionnelle.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs et anamnèse

Le chien a récemment été adopté en Roumanie, par l’intermédiaire d’une association. Il est correctement vacciné et vermifugé, et a été castré lors de son arrivée en France. Il vit dans une maison avec jardin, en compagnie de 2 autres chiens, et reçoit une alimentation sèche de supermarché. Il a perdu la vision de l’œil gauche, à la suite de coups reçus avant son adoption.

Depuis son adoption, il présente une hématurie permictionnelle et intermictionnelle qui se traduit par la perte de sang dans la maison. Cette hématurie n’est pas associée à d’autres troubles de la miction. Aucune atteinte de l’état général de l’animal n’est notée.

2. Examen clinique

Le chien est alerte en consultation. Une absence de clignement à la menace est notée sur l’œil gauche. Aucune anomalie cardio-respiratoire n’est observée. L’abdomen est souple, non douloureux à la palpation. Le toucher rectal est normal. Il est normotherme.

Des pertes séro-hémorragiques sont constatées en regard du fourreau. Un examen de la base du pénis, après extériorisation, révèle la présence d’une prolifération tissulaire au niveau des bulbes érectiles. La prolifération en “chou-fleur” est fortement vascularisée et légèrement ulcérée (photos 1a et 1b). Le fourreau et le reste du pénis ne présentent pas d’anomalies.

À l’examen attentif des nœuds lymphatiques iliaques, aucune adénomégalie n’est retrouvée.

3. Hypothèses diagnostiques

L’origine du chien et la présentation clinique font suspecter une maladie vénérienne transmissible (sarcome de Sticker) en première hypothèse.

Une balanoposthite d’origine infectieuse est néanmoins possible.

4. Investigations complémentaires et diagnostic

Des biopsies sont réalisées sous anesthésie générale. Le diagnostic histologique est en faveur d’un sarcome de Sticker, tumeur vénérienne sexuellement transmissible (TVT).

5. Bilan sanguin avant traitement

La mise en place d’une chimiothérapie à base de vincristine est décidée.

Un bilan hémato-biochimique est tout d’abord effectué, ne révélant aucune anomalie. Le chien ne manifeste aucun autre symptôme pouvant laisser suspecter l’évolution d’une maladie sous-jacente, à l’origine d’une baisse de l’immunité. Néanmoins, avant de commencer la chimiothérapie, une recherche de leishmaniose, parfois associée aux TVT, est mise en œuvre à l’aide d’un snap test leishmaniose, qui est négatif.

6. Plan thérapeutique

Le protocole mis en place, après avoir obtenu le consentement éclairé du propriétaire, consiste en l’administration de vincristine par voie intraveineuse à la dose de 0,7 mg/m2, à l’aide d’un système clos (Tevadaptor®, Teva) dans les conditions conformes à la réglementation.

La fréquence d’administration est de une fois par semaine, jusqu’à la disparition des lésions.

Avant chaque séance de chimiothérapie, un examen clinique et un hémogramme sont réalisés afin de vérifier la bonne tolérance du traitement. Le chien ne présente aucun effet secondaire durant le protocole. Après la première séance, les saignements s’interrompent. Cinq séances sont néanmoins nécessaires avant que les lésions disparaissent complètement (photos 2a à 2e). Une zone légèrement enflammée persiste lors des deux dernières séances, associée à une cicatrice.

7. Suivi

La propriétaire de l’animal est avertie d’une possible récidive. Lors du premier suivi, 1 mois après la dernière séance de chimiothérapie, aucune nouvelle lésion n’est notée (photo 3a). La zone cicatricielle est toujours présente, mais n’a pas évolué. Trois mois après la dernière séance de chimiothérapie, aucune rechute n’est apparue (photo 3b). Il est conseillé à la propriétaire de poursuivre les contrôles en les espaçant progressivement, environ tous les 3 mois. Un an après le traitement, aucune lésion n’est observée.

DISCUSSION

1. Épidémiologie

Le sarcome de Sticker, ou tumeur vénérienne transmissible canine, est l’un des rares cancers transmissibles par un virus oncogène chez les mammifères terrestres, avec la tumeur faciale du diable de Tasmanie et du hamster de Syrie [4]. Cette affection est peu décrite en France, où il s’agit essentiellement de cas d’animaux importés, comme pour ce chien. Elle est présente sur plusieurs continents, principalement dans les zones tropicales ou subtropicales (Afrique, Amérique du Sud et centrale, Europe de l’Est), mais inhabituellement évoquée en Europe du Nord, en Europe centrale et en Amérique du Nord, grâce aux campagnes de contrôle des populations [4, 7]. Sa première description en Europe date de 1820 [4].

2. Présentation clinique

La tumeur se présente habituellement sous forme de masses qui sont friables, pédiculées, ulcérées et localisées en regard des organes génitaux externes.

Chez la femelle, les masses sont retrouvées au niveau du vestibule du vagin et de la vulve, chez le mâle, à la base du pénis, en regard des bulbes érectiles [7]. Un examen attentif des organes génitaux est nécessaire, lequel doit permettre de déterminer l’origine des écoulements séro-hémorragiques, fréquemment observés, afin qu’ils ne soient pas confondus avec une hématurie. Dans le cas rapporté, la description des saignements faite par la propriétaire a laissé suspecter une hématurie dans un premier temps.

Certaines formes de la maladie sont plus délicates à diagnostiquer en raison de leur localisation inhabituelle, qui est également extragénitale : tumeurs intranasales, oculaires, avec un jetage, une épistaxis, des déformations de la face ou des masses conjonctivales, etc. [5-7].

3. Transmission

Il convient d’avertir les propriétaires du risque de contagiosité pour leurs autres chiens et des précautions à prendre. En effet, la transmission principale a lieu lors du coït, mais les animaux peuvent aussi se contaminer par simple contact avec la muqueuse lésée lors du reniflement, du léchage, du grattage ou de morsures [4].

4. Facteurs favorisants

Cette affection est souvent associée à des maladies dysimmunitaires, notamment lors de leishmaniose, d’ehrlichiose ou d’anaplasmose [4-7]. Le chien dont le cas est rapporté ne présentait pas d’anomalies cliniques ni hématobiochimiques. Néanmoins, une recherche de leishmaniose a été effectuée à l’aide d’un snap test avant d’instaurer la chimiothérapie. La sensibilité de ce test est bonne (98 %), mais ne permet pas de détecter un animal en phase de séroconversion ou les rares faux négatifs. Une recherche sérologique par immunofluorescence indirecte ou par polymerase chain reaction (PCR) aurait pu être intéressante si la suspicion clinique avait été forte.

5. Diagnostic et métastases

Le diagnostic des formes extragénitales est aisé à établir, et repose sur l’anamnèse et la réalisation d’une cytologie ou d’une histologie [2]. Le pronostic est bon, et la rémission est complète dans 90 à 95 % des cas traités par chimiothérapie [1]. Les métastases sont rares, environ dans 5 % des cas [4]. Elles se trouvent dans les nœuds lymphatiques de drainage (inguinaux, iliaque externe). Des infiltrations à distance (reins, foie, yeux, amygdales, poumons, peau, nœuds lymphatiques mésentériques, etc.) sont extrêmement rares [4]. Leur diagnostic passe par un examen complet. Les nœuds lymphatiques palpables et les masses cutanées sont cytoponctionnés [7]. Dans le cas décrit, aucune adénomégalie ni aucune masse cutanée n’a été observée.

6. Traitement à base de vincristine

La tumeur peut régresser spontanément chez les chiens adultes dont l’immunité est bonne [4].

Dans le cas de ce chien, la mise en place d’une chimiothérapie a été proposée à la propriétaire car elle offre de très bons résultats, avec une rémission complète [1, 2, 7]. Le protocole de chimiothérapie utilisé en première intention est l’administration de vincristine, par voie intraveineuse, à la dose de 0,5 à 0,7 mg/m2, une fois par semaine. Trois à 6 administrations sont nécessaires, selon l’amélioration obtenue [2,7]. Lorsque les lésions sont infiltrantes ou que des métastases sont présentes, il s’agit du traitement à privilégier. Généralement, les lésions commencent à se résoudre dès la deuxième administration [2]. Cinq séances ont été requises ici pour obtenir une disparition complète de la tumeur. Les effets secondaires, pour la plupart digestifs, restent rares (dysorexie dans moins de 20 % des cas, leucopénie dans moins de 2 %) [4].

7. Autres traitements possibles

Certaines formes sont réfractaires à la vincristine. Il semblerait que la chimiothérapie soit moins efficace sur de larges tumeurs, quand le chien est âgé, ou lorsque le traitement est administré pendant les saisons pluvieuses et humides [8]. Plusieurs solutions alternatives existent, avec l’utilisation d’autres molécules de chimiothérapie, notamment la doxorubicine. Une dose de 25 à 30 mg/m2 de doxorubicine est administrée par voie intraveineuse, toutes les 3 semaines, avec trois séances au total [1, 2].

La radiothérapie est aussi très efficace. Elle est mise en œuvre selon sa disponibilité en première intention, ou lors de récidive postopératoire ou de résistance à la chimiothérapie [1, 2, 7].

De nouvelles perspectives consistent en l’administration locale de vincristine (0,5 à 0,7 mg/m2), associée à une interleukine 2 (2 x 106 unités). Cela semble donner de bons résultats, la tumeur se trouvant progressivement remplacée par du tissu cicatriciel [3].

Un suivi reste indispensable afin de détecter d’éventuelles récidives.

Conclusion

L’importation de chiens, en provenance des régions tropicales ou subtropicales, doit passer par un examen clinique approfondi afin de dépister au mieux la présence d’une tumeur vénérienne transmissible canine et d’en prévenir la propagation. Les chiens importés sont fréquemment castrés, ce qui permet d’éviter la diffusion de la maladie lors du coït. Néanmoins, la contamination par contact des muqueuses reste un vecteur possible de progression de la maladie. Il est donc important que les vétérinaires, en charge du contrôle d’animaux importés, avant adoption, informent les futurs propriétaires de la contagiosité de cette affection pour les autres chiens et de l’excellente réponse thérapeutique, la prise en charge restant malgré tout onéreuse.

Références

  • 1. Boyé P, Benoit J. Les tumeurs vénériennes transmissibles canines. Point Vét. 2016;364:60-65.
  • 2. Chun R, Garrett LD. Urogenital and mammary gland tumors. In: Ettinger SJ, Feldman EC. Textbook of veterinary internal medicine. 7th ed. Saint Louis, Saunders. 2010;332:2210.
  • 3. Den Otter W, Hack M, Jacobs JL et coll. Effective treatment of transmissible venereal tumours in dogs with vincristine and IL-2. Anticancer Res. 2015;35:3385-3392.
  • 4. Ganguly B, Das U, Das AK. Canine transmissible venereal tumour: a review. Vet. Comp. Oncol. 2013;14 (1):1-12.
  • 5. Komnenou AT, Thomas ALN, Kyriasis AP et coll. Ocular manifestations of canine transmissible venereal tumour: a retrospective study of 25 cases in Greece. Vet. Rec. 2015;176(20):523.
  • 6. Milo J, Snead E. A case of ocular canine transmissible venereal tumor. Can. Vet. J. 2014;55:1245-1249.
  • 7. Rogers KS, Walker MA, Dillon HB. Transmissible venereal tumor: a retrospective study of 29 cases. J. Am. Hosp. Assoc. 1998;34:463-470.
  • 8. Scarpelli KC, Valladao ML, Metze K. Predictive factors for the regression of canine transmissible venereal tumor during vincristine therapy. Vet. J. 2010;183:362-363.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le sarcome de Sticker (tumeur vénérienne transmissible canine) est une maladie sexuellement transmissible, rarement décrite en Europe occidentale.

→ L’importation de chiens, en provenance des régions tropicales ou subtropicales, doit faire l’objet d’un examen clinique approfondi afin de dépister au mieux la maladie.

→ La tumeur se traduit généralement par la présence de masses extragénitales associées à des écoulements séro-hémorragiques.

→ Le pronostic est bon, et la rémission est complète dans 90 à 95 % des cas traités par chimiothérapie.

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