Transmission de la paratuberculose de veau à veau : du nouveau - Le Point Vétérinaire expert rural n° 377 du 01/07/2017
Le Point Vétérinaire expert rural n° 377 du 01/07/2017

MYCOBACTERIUM AVIUM SUBSP. PARATUBERCULOSIS

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : BP 20008
80230 Saint-Valery-sur-Somme
beatrice.bouquet@wanadoo.fr

Séparer les veaux de leur mère infectée pourrait ne pas suffire. La transmission entre veaux a été reproduite expérimentalement.

Les plans de contrôle de la paratuberculose sont actuellement axés sur la réduction de la transmission de Mycobacterium avium subsp. Paratuberculosis (MAP) de la vache à son veau. Ils occultent la possibilité de transmission entre veaux. Ils visent, en théorie, un objectif large de limiter l’introduction dans les cheptels négatifs et la transmission intratroupeau. La principale voie d’infection est la voie fécale-orale, par ingestion de lait, d’aliment ou d’eau contaminés par la bactérie issue d’animaux infectés. Aux stades cliniques (diarrhée sévère), la maladie s’accompagne d’un intense relargage de bactéries dans l’environnement, mais d’autres bovins du troupeau, plus “discrets”, infectés subcliniques, contribuent à disséminer l’infection dans l’élevage. Ils sont aussi à prendre en compte pour les pertes économiques engendrées par la maladie (baisse de production laitière, accroissement du risque de réforme, dépréciation des carcasses à l’abattoir). Si des bovins adultes sont suspectés, mais difficiles à détecter en routine, les jeunes font l’objet de suspicions de plus en plus concrètes quant à leur rôle épidémiologique comme individus infectés subcliniques : pas si innocents ? (encadré, photo).

UNE ÉTUDE PLURIELLE

L’objectif de l’étude récente de reproduction expérimentale en Alberta (Canada) est d’évaluer la possibilité de transmission de MAP entre veaux dans le jeune âge(1).

1. Schéma de l’étude

Le schéma de l’étude est le suivant : 32 veaux holsteins-frisons ont été allotés en sept groupes expérimentaux de 4, dans lesquels 2 animaux ont été inoculés et 2 “exposés”. Dans l’une des cases, aucun animal n’a été inoculé (témoins). Les veaux sont restés ainsi regroupés pendant 3 mois, avec une collecte fécale trois fois par semaine, et une prise d’échantillons de sang et dans l’environnement hebdomadaire. À la fin de l’étude, un prélèvement tissulaire a été effectué. Les veaux contact (non inoculés mais exposés), ainsi que les témoins ont été gardés dans l’étude 3 mois supplémentaires. Tous ces veaux étaient issus de treize fermes laitières indemnes de paratuberculose, c’est-à-dire :

– participant au plan de contrôle local de la maladie ;

– testées négatives pour la paratuberculose pendant au moins 4 ans, sur la base de six échantillons environnementaux, et d’une culture bactériologique sur mélange de soixante échantillons de fèces individuels (regroupés par pool de cinq) ou d’un test Elisa sur lait ou sur sérum individuel ou de l’ensemble du troupeau.

2. Inoculation

L’inoculation a été effectuée avec une souche locale à l’âge de 2 semaines, répétée deux fois à 1 jour d’intervalle, et la litière a été changée 2 semaines après l’infection expérimentale. Les 2 veaux contact de chaque case entraient dans la case expérimentale en même temps que les 2 veaux inoculés. Ces animaux ont été séparés de leur mère dès la naissance. Ils ont reçu du colostrum de troupeaux indemnes et ont été logés dans des unités de niveau de biosécurité 2.

3. Collecte de fèces

La collecte de fèces quotidienne pour coproculture visait d’abord à vérifier la viabilité de l’inoculum et à suivre l’excrétion chez les veaux inoculés (culture avec TREK para-JEM®, puis qPCR spécifique de F57 déclarée positive si CT < 40(2)). Au 14e jour, l’excrétion est devenue le signe d’une infection active, et la collecte de fèces s’est alors espacée à trois fois, puis une fois par semaine en fin d’étude, quand il ne restait plus que les veaux exposés, logés en cases individuelles.

4. Prélèvements environnementaux

Les prélèvements environnementaux étaient un mélange issu d’un ramassage de surface effectué dans cinq zones différentes de chaque case (en évitant les déjections isolées).

5. À l’autopsie

À l’autopsie, réalisée immédiatement après l’euthanasie à l’âge de 3 mois (pour les veaux inoculés) ou de 6 mois (veaux exposés), treize prélèvements tissulaires ont été effectués pour chaque animal : deux dans le duodénum, dans l’iléum dont la valvule iléo-cæcale, trois dans le jéjunum et la rate, ainsi que sur tous les nœuds lymphatiques (NL) associés à une section de tractus digestif correspondante et les NL inguinaux. Des précautions pour prévenir les transcontaminations ont été prises à ces étapes (nouveaux instruments pour chaque prélèvement, rinçage du contenu intestinal).

6. Prélèvements de sang

Les prélèvements de sang ont été effectués quotidiennement à la jugulaire, puis analysés avec une technique Elisa sandwich Bovigam® (Prionics). Pour l’interféron γ (IFN-γ), des critères d’inclusion et d’interprétation ont été respectés (douze échantillons exclus).

UN PORTAGE FÉCAL INTERMITTENT

Les fèces de l’ensemble des veaux étudiés (hors témoins) ont été positives pendant toute la période d’élevage en commun, ce qui confirme l’exposition et le risque infectieux indéniable pour tous les veaux contact (tableaux 1 et 2). Les auteurs nuancent néanmoins cette thèse : cela peut aussi être un “simple” portage passif issu d’une contamination environnementale, non lié à une infection au sens strict (tableau 3). D’autant que les coproscopies positives ont cessé dès que les veaux ont été réallotés individuellement, sans veaux inoculés (avec changement de litière). Toutefois, à cette période de l’étude, l’échantillonnage s’est espacé. Or le portage fécal peut être intermittent (à partir de l’âge de 4 mois, voire dès 2 mois). Donc les résultats des analyses ont pu être biaisés. L’intermittence du portage fécal chez tous les veaux de cette étude est manifeste et ce phénomène est largement dépendant de la fréquence de prélèvement. Dans cette étude en Alberta (Canada), l’intervalle de temps avant de retrouver une positivation des fèces lorsqu’elles sont négatives va de 2 jours à 5 semaines. Cela ne va pas faciliter, en pratique, une éventuelle surveillance des veaux en élevage (ils excrètent parfois seulement une journée avant plusieurs semaines d’arrêt).

UN EFFET DOSE ?

Les veaux inoculés l’ont été avec une dose dite faible à modérée pour mimer l’infection naturelle (selon les données publiées). En revanche, les veaux contact se sont contaminés avec une dose et selon des modalités impossibles à déterminer (par contact direct ? via l’environnement ?).

Il est établi qu’une plus forte dose entraîne des infections tissulaires plus massives, et c’est bien ce qui a été constaté dans cette étude : davantage de tissus sont positifs pour MAP chez les veaux inoculés.

Les coproscopies positives résulteraient d’un processus d’excrétion tissulaire de MAP vers la lumière intestinale. Or, dans cette étude, la plupart des tissus associés au jéjunum ou à l’iléon étaient négatifs chez les veaux contact, et ces derniers ont cessé d’excréter après séparation d’avec leurs congénères inoculés. Les veaux contact avaient beaucoup moins de tissus positifs que les veaux inoculés. Au vu de ces éléments, l’infection se serait moins étendue chez les premiers que chez les seconds, d’où une excrétion fécale moindre.

DIAGNOSTIC IMMUN : PRUDENCE

L’évaluation de la réaction immune est une autre façon de diagnostiquer l’infection par MAP. Elle a ses limites malgré les progrès récents.

1. Sérologie

En sérologie, l’ensemble des veaux de cette étude sont restés négatifs en Elisa pendant toute la durée de l’étude, ce qui n’est pas surprenant car cette technique est incapable de détecter la maladie aux premiers stades d’infection (le taux d’anticorps est corrélé à la sévérité de l’atteinte). Des inoculats comparables n’ont donné de résultats détectables en sérologie qu’au bout de 4 mois au minimum dans d’autres publications.

2. Test à l’IFN-γ

Le test à l’IFN-γ est généralement plus sensible. D’importantes variations individuelles sont toutefois observées et l’interprétation est délicate. Chez les veaux inoculés ici, des résultats positifs sont observés à partir de 43 jours (moyenne de 55 jours), qui le restent jusqu’à l’abattage. Curieusement, les veaux contact ont obtenu un résultat positif à ce test plus précocement que les veaux inoculés : dès 33 jours après regroupement, voire avant. Cette accélération de la réponse cellulaire pourrait être associée au contact répété avec de petits inoculats (contrairement aux veaux inoculés massivement).

PETITS BÉMOLS : DES TÉMOINS QUI POSITIVENT

Non inoculés et théoriquement sans contact avec des veaux infectés, les 4 veaux témoins dans cette étude ont présenté aussi des coprocultures positives (à partir de J21). Un veau témoin est même redevenu positif à J56. Deux autres ont obtenu des tests à l’IFN-γ positifs. Pareils individus non infectés “positifs” ont déjà été observés dans des essais.

Ces témoins sont restés négatifs en culture sur tissus et leur environnement aussi. Les CT pour la polymerase chain reaction (PCR) ont été volontairement choisis élevés dans cette étude (pour une forte spécificité en culture à identifier les vrais négatifs). Or les témoins ont des fèces avec un CT bien en dessous du seuil à J21. Les auteurs ne peuvent exclure un portage passif lié à une contamination par un objet ou l’air (à partir d’une case infectée) ou bien l’échantillon a été contaminé le jour de la prise (malgré les mesures de biosécurité). Ils incriminent plutôt une erreur du laboratoire, puisque les témoins étaient quasi tous positifs le même jour (un seul redevient positif ensuite).

Autre observation curieuse, deux échantillons recueillis avant inoculation (veaux 15 et 16) ont été testés ponctuellement positifs, ce qui a été relié au colostrum.

Conclusion

Pour lire à travers les lignes de ce type d’étude, il ne faut pas oublier que l’étendue de l’infection par MAP, les formes subcliniques ou l’aptitude à supprimer ou à détecter une infection dépendent de la dose inoculée, des capacité immunes, de la fréquence d’échantillonnage ou encore de variations individuelles. Ainsi, les choses sont complexes. Il reste des inconnues sur la pathogénie et la progression de la maladie, et les possibilités de guérison chez les veaux infectés par des congénères. Il n’est pas facile de continuer à faire avancer les connaissances opérationnelles sur la paratuberculose quand les études se heurtent aussi aux limites relatives des différents moyens diagnostiques et doivent les cumuler, tout en se confrontant à une absence de corrélations entre les résultats. Restent des avancées qui incitent à mettre encore davantage de biosécurité au cœur des plans de lutte contre MAP, les mesures simplistes de séparation mère-veau ayant montré leurs limites.

  • (1) L’intégralité des analyses statistiques effectuées, des résultats chiffrés, et de la liste des références n’est pas reproduite ici, pour simplifier la lecture [1].

  • (2) CT : nombre de cycles d’amplification.

Références

  • 1. Corbett CS, De Buck J, Orsel K et coll. (université de Calgary, Canada). Fecal shedding and tissue infections demonstrate transmission of Mycobacterium avium subsp. Paratuberculosis in group-housed dairy calves. Vet. Res. 2017;48:27. DOI: 10.1186/s13567-017-0431-8, article sous license http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
  • 2. Marce C, Ezanno P, Seegers H et coll. Predicting fadeout versus persistence of Paratuberculosis in a dairy cattle herd for management and control purposes: a modelling study. Vet. Res. 2011;42:36.
  • 3. Mitchell RM, Medley GF, Collins MT et coll. A meta-analysis of the effect of dose and age at exposure on shedding of Mycobacterium avium subsp. Paratuberculosis (MAP) in experimentally infected calves and cows. Epidemiol. Infect. 2012;140:231-246.
  • 4. Santema WJ, Poot J, Segers RP et coll. Early infection dynamics after experimental challenge with Mycobacterium avium subsp. Paratuberculosis in calves reveal limited calf-to-calf transmission and no impact of Hsp70 vaccination. Vaccine. 2012;30:7032-7039.
  • 5. Van Roermund HJ, Bakker D, Willemsen PT et coll. Horizontal transmission of Mycobacterium avium subsp. Paratuberculosis in cattle in an experimental setting: calves can transmit the infection to other calves. Vet. Microbiol. 2007;122:270-279.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Situation scientifique de cette étude

Il était jusqu’alors établi que les vaches sont contaminantes et que les veaux sont sensibles mais n’excrètent que tardivement. Dès lors les plans de contrôle visaient principalement (et avec une certaine efficacité) à éviter le contact direct ou indirect du jeune veau avec des fèces contaminantes (de vaches). Il apparaît que les veaux peuvent commencer à excréter MAP dès 1 mois après inoculation. Ils sont réceptifs à l’infection au moins jusqu’à l’âge de 12 mois et une forte proportion d’entre eux peuvent excréter. Or, malgré les précautions de séparation veau-vache dès la naissance, une contamination est possible au moment du vêlage et même in utero. D’autres études récentes ont montré qu’après inoculation de jeunes veaux les lésions tissulaires sont relativement sévères et que l’excrétion est associée à une infection tissulaire étendue. Les différentes possibilités qu’ont les veaux d’infecter leurs congénères ou d’être infectés avaient déjà conduit à échafauder des modèles hypothétiques de transmission, y compris en France. L’importance épidémiologique de cette voie “veaux” n’est toujours pas tranchée [2-5].

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