Le secret professionnel : ce que renferment les textes de loi pour les vétérinaires - Le Point Vétérinaire n° 377 du 01/07/2017
Le Point Vétérinaire n° 377 du 01/07/2017

DÉONTOLOGIE

Éthique

Auteur(s) : Denise Remy

Fonctions : VetAgro Sup, Campus
vétérinaire de Lyon,
1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-l’Étoile

Pour les vétérinaires, le secret professionnel est presque absolu. Seules quelques dérogations sont obligatoires (assistance à personne en péril, déclarations de santé publique vétérinaire), les autres sont facultatives.

Dans le premier article consacré au secret professionnel, nous avons étudié ses fondements éthiques et précisé que l’atteinte au secret par un professionnel qui y est soumis l’expose à des sanctions d’ordre civil (paiement de dommages et intérêts) pour non-respect de la vie privée d’autrui, d’ordre pénal (la sanction maximale encourue étant 1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende) et d’ordre ordinal (en raison de l’atteinte à l’ensemble du corps professionnel dont la crédibilité est remise en cause). Les principaux textes de loi qui se rapportent au secret professionnel font partie du Code pénal. Des dispositions particulières aux vétérinaires figurent dans le Code rural et de la pêche maritime. Rares sont les confrères qui connaissent la teneur exacte de ces textes, lesquels sont épars (articles 226-13 et 14, 434-1 et 3, 223-6, 122-7, 40, 60-1 du Code pénal, articles L. 201-1, L. 203-6, L. 211-14 du Code rural et de la pêche maritime), parfois discordants (cas de l’article 40 du Code pénal) et difficiles à interpréter. Nous en proposons, dans ce second volet, une synthèse.

Secret absolu ou relatif ?

L’analyse des textes de loi met en exergue le fait que le secret professionnel est presque absolu.

Le Code pénal précise un certain nombre de situations (délictuelles, criminelles ou dangereuses du fait d’une personne) dans lesquelles le professionnel soumis au secret sera exempté de la peine prévue s’il rompt le secret. La loi donne ainsi au professionnel l’autorisation de révéler certaines informations bien spécifiées sans pour autant l’obliger à le faire. Le professionnel reste libre de signaler les faits ou de ne pas le faire. Il doit ainsi, dans ces cas, peser les bénéfices et les risques d’un signalement, et prendre une décision éthique dont lui seul assume la responsabilité. Il est un seul et unique cas dans lequel le professionnel doit s’affranchir du secret, c’est le cas appelé communément “non-assistance à personne en danger”, qui, comme nous le verrons plus loin, est très restrictif.

Le Code rural et de la pêche maritime présente, pour les vétérinaires, un certain nombre de dérogations obligatoires au secret professionnel, au même titre que le Code de la santé publique le fait pour les médecins. Ces dérogations obligatoires relèvent de la santé publique.

Dérogations facultatives au secret professionnel (Code pénal)

Qu’impose la loi à tout citoyen ?

La loi impose à tout citoyen d’informer les autorités judiciaires (procureur de la République) ou administratives (institutions d’action sociale et médico-sociale, comme les agences régionales de santé [ARS], qui remplacent les directions départementales de l’action sanitaire et sociale [DDASS] depuis 2010)(1) ou la police ou la gendarmerie (qui assurent à la fois une mission administrative et judiciaire) dans deux situations :

– lorsqu’il a connaissance de cas de maltraitance ou d’abus sexuel chez un mineur de moins de 15 ans ou chez une personne vulnérable « qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse » (article 434-3) ;

– lorsqu’il a connaissance d’un crime « dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés » (article 434-1). Dans ce cas, les parents, frères et sœurs et/ou conjoint du ou des criminels ne sont pas tenus par la loi au signalement, sauf si le crime est commis sur un mineur de moins de 15 ans.

En l’absence de signalement, la sanction maximale est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Comment le professionnel soumis au secret se positionne-t-il par rapport au simple citoyen ?

Il existe, pour les personnes soumises au secret professionnel, une exception à toute obligation de signalement pour toutes ces situations (maltraitance ou abus sexuel d’un mineur de moins de 15 ans ou d’une personne vulnérable, crime « dont il est encore possible de limiter les effets », même lorsqu’il concerne un mineur de moins de 15 ans, articles 434-1 et 3 précités). Les personnes soumises au secret professionnel ont donc davantage de dérogations que les plus proches membres de la famille d’un criminel. Pour autant, la révélation n’est pas interdite par la loi. C’est au professionnel d’évaluer ce qu’il convient de faire. L’article 226-14 du Code pénal stipule la possibilité de signaler ces crimes, lorsqu’ils correspondent à des « privations, sévices, atteintes ou mutilations sexuelles » chez des mineurs de moins de 15 ans ou chez des personnes vulnérables (photo 1). Les sévices mentionnés peuvent résulter de violences physiques ou psychiques. Lorsque la maltraitance ou les abus sexuels concernent un mineur de 15 ans ou plus ou une personne capable de se défendre, l’accord de la victime est nécessaire avant tout signalement par le professionnel tenu au secret. Ce dernier doit, dans tous les cas, agir de bonne foi.

Autre dérogation facultative du professionnel soumis au secret

La dernière dérogation facultative au secret concerne un cas de figure particulier, rarement utilisé car il est peu applicable en pratique, mais qui peut concerner les vétérinaires. Les professionnels de santé ou de l’action sociale ont en effet l’autorisation d’informer le préfet, et, à Paris, le préfet de police « du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une ». Or l’utilisation d’un chien est assimilée à l’usage d’une arme (article 132-75 du Code pénal) (photo 2). Cette dérogation est difficilement applicable car, sauf exception, et sauf cas du professionnel psychiatre, il est compliqué pour un professionnel de santé d’évaluer la dangerosité d’un patient. Or signaler toute inquiétude conduirait à une multitude de “signalements-parapluies” (des armes blanches sont présentes dans toutes les cuisines) qui, selon toute vraisemblance, ne donneraient lieu à aucune suite.

Dérogations obligatoires au secret professionnel

Cas de la “non-assistance à personne en danger” (Code pénal)

Ce cas est le seul dans lequel le Code pénal prévoit pour le professionnel soumis au secret la même sanction que pour un citoyen ordinaire. L’expression « non-assistance à personne en danger » sous laquelle l’article 223-6 du Code pénal est connu est trompeuse. Il serait plus exact de parler de “non-assistance à personne en péril” (“péril” est le terme utilisé dans l’article de loi). Or, en droit pénal, le péril est un niveau particulier de danger, qui suppose l’existence simultanée de trois conditions :

– la gravité : le risque encouru est vital ou susceptible de créer des atteintes physiques graves ; des atteintes psychologiques graves ne rentrent pas dans la définition du péril, ainsi qu’en atteste la jurisprudence, sauf en présence d’un risque de passage à l’acte suicidaire ;

– l’imminence : le risque de lésion grave va se produire dans un temps bref ;

– le caractère certain : il ne s’agit pas d’un hypothétique danger.

Ainsi, la non-assistance à personne en péril concerne les cas particuliers dans lesquels une personne est en péril et dans lesquels un citoyen, quel qu’il soit, a connaissance de ce péril et peut intervenir sans risque pour lui ou pour les tiers. En pareil cas, le fait pour le citoyen de ne pas agir, soit directement en intervenant lui-même, soit indirectement en appelant les secours (police ou gendarmerie, service d’aide médicale urgente, sapeurs-pompiers), est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Autant dire que, devant une personne en péril, aucune hésitation ni aucune notion de secret professionnel ne doit retarder le déclenchement d’actions de secours. Le professionnel soumis au secret qui choisit d’appeler les secours communiquera des informations claires, strictement limitées à ce qui relève de la situation de péril et aux moyens de la faire cesser.

Nous décrirons, dans le prochain volet, des situations concrètes afin d’illustrer ce que recouvre le concept de péril. De tels cas sont, dans l’exercice de la profession vétérinaire, rarissimes.

Il peut être bien difficile pour un professionnel, dans une situation de danger, d’en apprécier la gravité, l’imminence et le caractère certain. La peur, bien naturelle, peut conduire à considérer comme un péril une situation qui ne répond pas à ces critères. Il nous semble à la fois légitime et éthique, dans un tel cas, lorsqu’il n’est pas possible d’intervenir directement, de ne pas hésiter à déclencher un secours. Nous sommes convaincue que le risque de condamnation pour violation du secret professionnel, en pareil cas, est virtuel. Benoît Bruyère, après étude de la jurisprudence, parvient à la même conclusion : la jurisprudence tend de plus en plus vers une interprétation au sens large du péril et reproche plus facilement aux professionnels une non-assistance à une personne dont la situation apparaît caractérisable de “péril” qu’une violation du secret professionnel [1]. Les sanctions encourues sont également bien différentes (5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour non-assistance contre 1 an et 15 000 € pour non-respect du secret professionnel).

Mesures de santé publique (Code rural et de la pêche maritime)

Au même titre que le médecin est tenu de déclarer les naissances, les décès, les maladies contagieuses, les accidents du travail et les maladies professionnelles, le vétérinaire doit :

– déclarer à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) les dangers sanitaires de première catégorie (cas les plus graves, justifiant une action publique réglementée pour l’intérêt général) et certains dangers sanitaires de deuxième catégorie (situations où une mobilisation collective permet d’améliorer la situation sanitaire), conformément à l’arrêté du 22 mars 2017 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et deuxième catégories pour les espèces animales (article L. 201-1 du Code rural) ;

– déclarer à la DDPP « les manquements » qu’il observe « à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire », manquements « qui pourraient gravement mettre en danger les personnes ou les animaux » (article 203-6 du Code rural). Cet article rappelle le principe juridique de “non-assistance à personne en péril” (il s’agit d’un danger qualifié de “grave”), sans le critère d’imminence ni de caractère certain. Il conviendrait de parler d’assistance à personne ou animal en danger grave du fait d’un manquement aux règles de la santé publique vétérinaire. La protection animale fait, depuis 2011, partie intégrante de la santé publique vétérinaire (photo 3) ;

Le non-respect de ces obligations d’information expose le vétérinaire à une procédure de sanction administrative par le préfet du département dans lequel il exerce. Le préfet peut mettre en demeure le vétérinaire de renoncer à une partie de ses activités, suspendre tout ou partie de son habilitation sanitaire pour une durée maximale de 1 an, ou retirer tout ou partie de l’habilitation, avec possibilité de rétablissement après instruction d’une nouvelle demande. Le vétérinaire peut également faire l’objet de poursuites pénales à la suite d’un dépôt de plainte du directeur de la DDPP auprès du procureur de la République. Il risque une contravention de cinquième classe (1 500 € d’amende).

Le vétérinaire est également tenu de déclarer les morsures canines concernant des personnes au maire du domicile du propriétaire ou du détenteur du chien (articles 211-12 et 14 du Code rural et de la pêche maritime) :

– d’enregistrer par voie informatique dans le “Fichier national d’identification des carnivores domestiques” le motif de l’évaluation, la catégorie du chien concerné, son niveau de dangerosité ;

– de transmettre directement au maire une copie de leur compte rendu d’évaluation comportementale lorsque cette dernière a été réalisée à sa demande (en cas de chien mordeur, ou de chien dit “de catégorie” pour lequel l’évaluation comportementale est la condition pour obtenir un permis de détention, le compte rendu est remis directement au propriétaire ou au détenteur, lequel le transmettra au maire).

Conclusion

En France, le secret professionnel est presque absolu. Il ne connaît que quelques dérogations obligatoires relatives à la santé publique vétérinaire et une seule dérogation obligatoire d’ordre général, qui correspond au devoir d’assistance à une personne en péril. Les autres dérogations sont uniquement facultatives, limitées à des situations de maltraitance, à des situations criminelles sans caractère d’urgence, ou à des situations liées à des individus dangereux possédant une arme ou ayant l’intention d’en acquérir une. Dans ces cas-là, il n’est pas interdit au professionnel de saisir les autorités, mais il a le choix de ne pas le faire. Il devra effectuer une délibération éthique.

Dans le troisième volet consacré au secret professionnel, nous compléterons cette synthèse avec l’exposé de quelques particularités et l’illustrerons au moyen de cas concrets.

  • (1) Voir le Code de l’action sociale et des familles.

Références

  • 1. Bruyère B. Les psychologues et le secret professionnel. Éd. Armand Colin. 2011:144.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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