Dermatite ulcérative mammaire : lignes de conduite thérapeutique - Le Point Vétérinaire expert rural n° 376 du 01/06/2017
Le Point Vétérinaire expert rural n° 376 du 01/06/2017

AFFECTIONS DERMATOLOGIQUES CHEZ LES BOVINS

Conduite à tenir

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : BP 20008
80230 Saint-Valery-sur-Somme
Beatrice.bouquet@wanadoo.fr

Les grands principes qui ressortent des publications sur cette affection dermatologique persistante ne demandent qu’à être confirmés et précisés à l’avenir.

La dermatite ulcérative mammaire (DUM) interroge les vétérinaires, surtout au Nord de l’Europe [1, 4-8]. En France, elle est assez négligée. Souvent la motivation des éleveurs à traiter procède de l’odeur incommodante dégagée par les lésions pendant la traite. La DUM est également source d’inconfort global pour la vache, donc de baisse de production. Elle trouve une de ses sources dans l’environnement, en plus des facteurs individuels. Il s’agit d’une maladie de l’élevage intensif, qui réclame un abord global. Au vu des prévalences élevées qu’elle peut atteindre, de sa longue persistance et des conséquences mortelles qu’elle peut avoir, elle n’est pas à prendre à la légère [2].

Des suggestions thérapeutiques sont proposées ici comme pistes de réflexions, découlant de la lecture des différentes publications récentes sur le sujet. Elles ne demandent qu’à être avérées et complétées dans un proche avenir.

ÉTAPE 1 RAISONNER L’ANTIBIOTHÉRAPIE

Dans les cas récemment décrits au Royaume-Uni, Trueperella pyogenes (ex-Arcanobacterium) a été mise en évidence (une bactérie Gram+) ainsi que Fusobacterium necrophorum (Gram-). Pour les spirochètes, plus difficiles à mettre en évidence en l’absence de recours à la PCR (polymerase chain reaction), leur mise en cause est plus sujette à caution [2].

L’usage des antibiotiques est en tous cas à raisonner dans le contexte actuel. Le risque de résidus dans le lait est également à prendre en considération.

Les auteurs britanniques qui ont décrit sept cas de DUM avec une complication d’embolie pulmonaire recommandent un traitement précoce et agressif quel que soit le cas : nettoyage approfondi des plaies, débridement. Selon eux, les antibiotiques topiques ou les antiseptiques peroxydés peuvent être recommandés. La voie parentérale est à réserver aux seuls cas sévères. Cela rappelle les recommandations françaises lors de dermatite digitée (DD), à l’étiologie tout aussi polyfactorielle. L’équipe d’Oniris, à la suite de travaux menés sous l’impulsion d’Anne Relun, tend aussi à privilégier l’approche topique pour la maladie de Mortellaro sauf dans les cas sévères [2].

Au stade de complication embolique, n’est-il pas trop tard pour les antibiotiques ? Les sept cas de DUM autopsiés au Royaume-Uni ont été traités avec des associations d’amoxicilline et d’acide clavulanique (+ anti-inflammatoires non stéroïdiens), voire avec des fluoroquinolones, mais sans succès [5]. Le recours aux antibiotiques critiques ne se justifie pas.

Lors d’abcès, le débridement prime sur le recours aux antibiotiques.

Des chercheurs néerlandais recommandent globalement de garder la plaie sèche et propre, et de la protéger des contaminants pathogènes. Selon eux, les antibiotiques topiques n’ont pas prouvé leur intérêt (photo 1a et 1b). Les diurétiques peuvent être pertinents vis-à-vis de l’œdème pour réduire la pression cutanée [7].

ÉTAPE 2 TOPIQUES COMMERCIAUX : PENSER COÛT/ BÉNÉFICE

Transposer les approches

L’abord thérapeutique de la DUM est le même que celui de la DD et des plaies chroniques, en général. Le rapport coût/bénéfice et la facilité d’observance (allongement du temps de traite, risque de coups de pied) sont à réfléchir, par rapport au traitement des plaies dans les autres espèces et les autres localisations, en particulier pour des prévalences élevées.

Certains praticiens recommandent des pommades cicatrisantes destinées aux chiens ou aux chevaux, par exemple Dermaflon®, hors résumé des caractéristiques du produit. En raison du temps de cicatrisation et de l’étendue de certaines lésions, cette pratique peut se révéler coûteuse voire dangereuse en l’absence d’indication. Inventorier les cas et les produits utilisés pendant un an peut permettre une prise de conscience de l’éleveur comme du vétérinaire.

Gel d’alginate enzymatique : une étude scientifique

Au Congrès mondial de buiatrie, qui s’est déroulé à Dublin (Irlande), une équipe néerlandaise rapporte l’existence d’un traitement efficace pas encore commercialisé. Il s’agit d’un gel d’alginate enzymatique qui s’applique sur les lésions tous les jours après la traite (Bo Top®) [7]. Dans les cas sévères, les lésions régressent beaucoup plus fréquemment que chez les témoins non traités (34 % contre 5 %, la différence étant plus marquée lors de lésions initiales inférieures à 5 cm). Toutefois, la guérison n’est pas systématiquement obtenue, après 12 semaines de traitement quotidien (18 % contre 12 % sans traitement pour les lésions sévères).

Plus précisément, si la lésion est peu étendue, la guérison est obtenue dans 28 % des cas, contre 13,6 % pour les témoins. En revanche, si elle est étendue, seulement 2 % des cas guérissent, avec ou sans traitement. Détecter précocement les cas pour espérer aboutir rapidement à la guérison s’impose donc.

Pour les lésions peu sévères, une lingette savonneuse (Cavulon®) a été préconisée dans cette étude néerlandaise, au lieu du spray d’alginate enzymatique. À la fin de l’étude, il s’est avéré que cette option n’avait apporté aucun bénéfice : le dispositif était trop petit pour couvrir toute la lésion.

Autres topiques : manque de données

Il existe aussi sur le marché européen des chélates de cuivre (antimicrobien, favorisant l’angiogenèse) et de zinc (cytoprotecteur, cofacteur enzymatique). Il s’agit ici de sprays adaptés à une utilisation cutanée (par exemple : Repiderma®). Dans les documents commerciaux, une guérison est annoncée après 2 mois d’utilisation biquotidienne (photo 2) [8].

Il convient de prendre garde aux produits similaires dans leur composition, mais indiqués lors de DD. Destinés à un tissu kératinisé, ils sont déconseillés sur le tissu cutané périmammaire, très fragile, en raison des excipients.

Divers autres topiques cicatrisants sont vantés sur Internet pour leur intérêt lors de DUM, par exemple Vetgold®, à base de sels minéraux de la mer Morte et commercialisé par une firme israélienne (photo 3). Il est difficile de trouver des études scientifiques d’efficacité, voire des informations sur la composition précise de ces produits.

ÉTAPE 3 APITHÉRAPIE : UNE POSSIBILITÉ DE TRAITEMENTS ALTERNATIFS

Le miel favorise la cicatrisation des plaies sur la peau des mammifères et des oiseaux. Son utilisation est décrite dans la thèse vétérinaire d’Émeline Chopin, pour un cas de dermatite des plis de l’aine (DPA) [3]. Cette affection diffère par sa localisation et son épidémiologie de la DUM, en revanche, elle a en commun sa longue persistance, le risque de contaminants environnementaux (d’où l’odeur) et la gêne occasionnée par les lésions. La guérison est lente avec le miel lors de DPA, mais aucun antibiotique n’est utilisé (donc pas de résidus, ni de perte de production), ni aucune protection contre les mouches, ni aucun antidouleur. « Le miel n’est peut-être pas le traitement idéal étant donné la durée de cicatrisation observée (supérieure à 52 jours), mais le traitement adéquat n’a pas encore été trouvé pour cette affection », conclut l’auteur. Ces observations sur le pli de l’aine peuvent probablement être transposées en cas de DUM (photo 4).

ÉTAPE 4 OUBLIER LES ACARICIDES SYSTÉMATIQUES

En réaction aux sept cas mortels de DUM autopsiés au Royaume-Uni, un praticien britannique a écrit au Veterinary Record tout récemment [4, 5]. En pratique courante, Neil Howie explique qu’il persiste à associer la gale et la DUM, parce que l’administration d’un endectocide (visant les chorioptes) lui est apparue efficace dans de nombreux cas de DUM (photo 5). L’équipe d’universitaires anglais (Bristol et Liverpool), auteurs de la courte publication sur les sept cas mortels, lui rappelle, en retour, qu’aucun lien entre gale (s) et DUM n’a pu être établi. En particulier, les signes de gale ne sont pas associés à la DUM dans l’étude suédoise de Persson et coll. [6]. En outre, une association éventuelle entre DUM et gale (sarcoptique) a été étudiée à Cornell, aux États-Unis [9]. Les 1 597 bovins de race holstein d’un troupeau affecté ont été examinés visuellement : 18 % des vaches présentaient initialement des lésions de DUM et 87,5 % des signes de gale. Chez 77 % des 56 vaches soumises au raclage, la présence de sarcoptes a été confirmée. Après traitement à l’éprinomectine (contre la gale), la prévalence des lésions (de gale sur le corps) est descendue à 2,8 % l’année suivante (n = 506 vaches examinées). En revanche, la prévalence de la DUM n’a que peu diminué, pour atteindre 12 % (les lésions de DUM durent moins de 1 an, il ne s’agit donc pas de non-guérison). DUM et gale ne sont donc pas superposables même si elles peuvent coexister. Traiter contre la gale ne suffit jamais à enrayer une série de cas de DUM.

Conclusion

Des recommandations d’abord diagnostique et thérapeutique de la DUM se dessinent au final (encadré). Au-delà du traitement, qu’en est-il de la prévention ? Aucune mesure préventive n’est actuellement définie vis-à-vis de la DUM selon des équipes de chercheurs britanniques [4, 5]. Une sélection de vaches sur leur conformation mammaire serait néanmoins une mesure pertinente au vu des travaux récents en Suède : rechercher un angle plus ouvert entre mamelle et abdomen, donc éliminer les pis “décrochés” (photo 6). Sans oublier que la DUM est associée aux très hautes productions, comme d’autres troubles sanitaires bovins des temps modernes [2].

Références

  • 1. Bouma A, Nielen M, van Soest S et coll. Longitudinal study of udder cleft dermatitis in 5 Dutch dairy cattle herds. J. Dairy Sci. 2016;99(6):4487-4495.
  • 2. Bouquet B. Dermatite ulcérative mammaire : à risque de dissémination. Point Vét. 2017;376:50-54.
  • 3. Chopin E. Apithérapie : utilisation du miel lors du traitement des plaies (18 cas cliniques). Thèse pour l’obtention du grade de docteur vétérinaire, Nantes, Oniris. 2014:137p.
  • 4. Howie N. Mange and udder cleft dermatitis in cattle. Vet. Rec. 2017;180(10):258. doi: 10.1136/vr.j1142.
  • 5. Millar M, Foster A, Bradshaw J et coll. Embolic pneumonia in adult dairy cattle associated with udder cleft dermatitis. Vet. Rec. 2017;180:205-206.
  • 6. Persson Waller K, Bengtsson M, Nyman AK. Prevalence and risk factors for udder cleft dermatitis in dairy cattle. J. Dairy Sci. 2014;97(1):310-318.
  • 7. Van Werven T, Wilmink J, Sietsma S et coll. Efficacy of topical treatment of udder cleft dermatitis. Oral presentation. 29th World Buiatrics Congress, Dublin 3-8 juillet 2016. 2016:245.
  • 8. Vulders C, Vogels H, Vis K. Treatment of udder cleft dermatitis with Repiderma:https://fr.scribd.com/document/201643670/Treatment-of-Udder-Cleft-Dermatitis-With-Repiderma-16-04-2013
  • 9. Warnick LD, Nydam D, Maciel A et coll. Udder cleft dermatitis and sarcoptic mange in a dairy herd. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002;221(2):273-276.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Recommandations face à une dermatite ulcérative mammaire

→ Examiner soigneusement tout cas suspect. Les complications (emboliques) sont possibles et peuvent se répéter dans un même élevage [5]. La vigilance s’impose.

→ Ausculter attentivement les poumons est impératif, ainsi que le cœur, au vu du risque d’endocardite associé. À l’inverse, une consultation pour des signes respiratoires peut inciter à rechercher une origine dermique périmammaire.

→ Inspecter les veines mammaires est justifié en raison des risques infectieux et de phlébite ou de thrombose [5]. Pour les mammites, en l’absence de certitude sur un éventuel lien, la vigilance s’impose lorsqu’un cas s’est déclaré.

→ Explorer la possibilité d’un abcès en profondeur semble pertinent (nécessité de parage et de détersion dans ce cas). Une échographie est envisageable, ou bien l’évaluation du fibrinogène (test au glutaraldéhyde). Le parenchyme mammaire était atteint dans certains cas emboliques autopsiés au Royaume-Uni [10].

→ Faire l’inventaire des cas en dressant un diagramme du nombre de cas et de leur expression clinique au fil du temps dans un élevage affecté. Le coût de cette maladie n’a pas été évalué mais de ce travail d’inventaire peut naître une prise de conscience.

→ Faire détecter et traiter dès les stades précoces (intertrigo). La guérison est trois fois plus probable pour les cas modérés que pour les formes graves [1].

→ Revoir les modalités de sélection des vaches sur les index de production ou de conformation mammaire (il s’agit de facteurs de risque avérés [6]).

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