VIROSES ABORTIVES CHEZ LES RUMINANTS
Étude
Auteur(s) : François Claine*, Laetitia Wiggers**, Nathalie Kirschvink***
Fonctions :
*Association régionale de santé et
d’identification animales (ARSIA),
Allée des Artisans 2,
5590 Ciney, Belgique
**Département de médecine vétérinaire,
Université de Namur,
Rue de Bruxelles 61,
000 Namur, Belgique
***Département de médecine vétérinaire,
Université de Namur,
Rue de Bruxelles 61,
000 Namur, Belgique
Modéliser l’évolution de la séroprévalence revient à trouver les outils pour évaluer la sensibilité d’un troupeau sans recourir à une analyse sérologique de masse.
Découvert en 2011 en Allemagne, le virus de Schmallenberg (SBV) du genre Orthobunyavirus et de la famille Bunyaviridae s’est rapidement illustré par son implication clinique au sein du cheptel européen de ruminants (c’est-à-dire les bovins, les ovins et, dans une moindre mesure, les caprins). Si l’infection de l’animal adulte est caractérisée par des signes assez frustres telles l’hyperthermie, la diarrhée ou encore la chute de production laitière, les répercussions sur le fœtus en cas de gestation sont d’une autre ampleur : il induit de la mortinatalité, fréquemment associée au syndrome arthrogrypose-hydranencéphalie [4, 6]. Transmis par un diptère hématophage du genre Culicoides, comme le virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO), le SBV s’est largement disséminé sur l’ensemble du continent européen [9]. Depuis son apparition en 2011, deux épisodes de réémergence virale ont été clairement décrits : l’un en 2012 (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Royaume-Uni) et l’autre en 2014 (Allemagne, Pays-Bas) [8]. Comment appréhender ce risque de réémergence à l’échelle d’un élevage en voie de séronégativation ? Un modèle a été imaginé sur la base d’un troupeau “universitaire”.
L’objectif de cette étude a été de modéliser l’évolution de la séroprévalence du SBV au sein d’un troupeau ovin ayant connu deux épisodes de circulation virale. Il s’agissait d’évaluer la sensibilité du cheptel sans recourir à une analyse sérologique de masse.
Les durées d’immunités (colostrale chez l’agneau et active chez l’adulte) ont dû être évaluées pour ce faire.
Le troupeau ovin de l’université de Namur (région wallonne, Belgique) a servi de support (et a été le déclencheur) de l’étude, ayant été infecté par le SBV au mois d’août 2011 (photo 1). Il était composé d’environ 400 brebis produisant près de 700 agneaux par an. La séroprévalence atteignait alors 98,8 % (soit 417 ovins séropositifs sur 422). Des signes caractéristiques d’infection transplacentaire ont été observés lors des agnelages de janvier à mars 2012 (photo 2). La même année, un diagnostic sérologique et virologique de réémergence virale a pu être établi dès juillet [1]. Depuis lors, le suivi sérologique effectué au sein du troupeau n’a pas permis de mettre en évidence un nouvel épisode de circulation virale. Cet élément épidémiologique majeur, associé au renouvellement des reproductrices, contribue annuellement à l’augmentation du nombre d’animaux séronégatifs aussitôt que disparaissent les anticorps colostraux chez l’agneau. La sensibilité de ce cheptel est ainsi suspectée aller croissant, au même titre que le risque de réémergence du SBV [7].
L’établissement du modèle d’évolution de la séroprévalence intratroupeau suppose la connaissance du pourcentage initial d’animaux séropositifs (en janvier 2013, 749 ovins présents ont été prélevés). Le nombre et l’âge des ovins présents dans l’exploitation sont consultables à tout moment via le logiciel de troupeau (OviTrace(r)). Une fois établi, ce modèle doit être vérifié par l’évaluation, en fin d’étude, du pourcentage réel d’animaux séropositifs (en décembre 2015, 547 ovins présents et prélevés).
L’estimation de la durée de protection colostrale a été réalisée chez un groupe de 30 agneaux nés de mère séropositive, dont le sang a été prélevé du 2e au 150e jour de vie. La persistance de l’immunité active a été évaluée chez un groupe de 50 brebis ayant été infectées naturellement par le SBV en 2011 et dont le sang a été prélevé annuellement de début 2013 à la fin 2015.
Le sérum issu des prélèvements a été analysé par un test de séroneutralisation afin d’évaluer les taux d’anticorps sériques dirigés spécifiquement contre le SBV.
L’évaluation de la décroissance des anticorps colostraux dirigés contre le SBV au sein du groupe de 30 agneaux montre que le temps médian auquel la valeur seuil de séropositivité est atteinte équivaut à 122 jours (minimum 74 jours — maximum 144 jours) (figure 1).
Un agneau né de mère séropositive peut donc être considéré comme protégé par l’immunité colostrale jusqu’à l’âge de 4 mois.
Les 50 brebis naturellement infectées par le SBV en 2012 et prélevées annuellement de début 2013 à la fin 2015 demeurent séropositives à tous les temps de mesure (figure 2). Un animal adulte infecté par le virus peut donc être considéré comme séropositif pour une durée d’au moins 3 ans.
Le modèle doit permettre de définir à tout moment le pourcentage d’individus séropositifs au sein du cheptel sans recourir à une analyse sérologique. Il est fondamentalement lié aux éléments cités ci-dessus.
Au début de l’étude (janvier 2013), la séroprévalence intratroupeau a été évaluée au moyen d’un test de séroneutralisation. Elle était de 89,9 % (673/749). De manière mensuelle, le pourcentage d’individus séropositifs (agneaux et adultes) est alors estimé jusqu’en décembre 2015 sur la base d’un arbre décisionnel (figure 3).
Tout animal de plus de 4 mois infecté en 2011 et/ou en 2012 est considéré comme séropositif. Sa descendance l’est également tant que persiste l’immunité colostrale. Dans tous les autres cas, l’individu est considéré comme séronégatif.
L’évolution de la séroprévalence vis-à-vis du SBV a ainsi été estimée tant chez les agneaux que chez les ovins adultes jusqu’à la fin de la période d’étude (figure 4). Il apparaît clairement que le pourcentage d’individus séronégatifs augmente considérablement au sein du cheptel. Sur la base du modèle établi, le taux de séroprévalence atteint théoriquement 33,8 % en décembre 2015 (185/547).
Pour vérifier l’exactitude du modèle établi, en fin d’étude, les taux d’anticorps spécifiquement dirigés contre le SBV ont été réévalués sur l’ensemble du cheptel au moyen du test de séroneutralisation. Le résultat estimé par le modèle a été confronté, animal par animal, à celui obtenu au laboratoire d’analyses, 99 % des résultats estimés au travers du modèle ont été confirmés (photo 3).
L’infection naturelle par le SBV subie par le troupeau ovin de l’université de Namur en 2011 et suivie par une phase de réémergence virale l’année suivante s’est traduite par un taux de séroprévalence intratroupeau élevé [1]. Ainsi, 90 % des ovins présents en janvier 2013 au sein de l’exploitation étaient séropositifs. De telles valeurs de séropositivité (taux de séroprévalence supérieur à 90 %) ont été relevées à la même période en Belgique au sein du cheptel bovin (plus de 11 000 animaux testés) [5].
Une fois l’immunité acquise chez l’ovin adulte, la persistance des anticorps dirigés contre le SBV est durable, tandis que chez l’agneau, la durée de protection colostrale est estimée à 4 mois. Ce résultat est relativement comparable à celui observé dans l’espèce bovine : l’immunité passive se perd vers l’âge de 5 ou 6 mois chez le veau [3]. En l’absence de circulation virale et en raison du renouvellement du cheptel de reproductrices, le nombre d’individus séronégatifs augmente annuellement au sein d’un troupeau [7]. Le modèle établi dans le contexte de cet essai le montre clairement. Poursuivi au-delà de la période d’étude, ce modèle prévoit un retour à une sensibilité totale du cheptel (séroprévalence au SBV = 0 %) 50 mois après la dernière période d’infection virale connue, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016, concernant le troupeau de l’université de Namur. Cette prévision ne peut se révéler exacte que si le taux de renouvellement, égal à 24 % dans ce troupeau, est maintenu équivalent d’une année à l’autre. L’hypothèse suivante peut être avancée : plus élevé sera le taux de renouvellement, plus grand sera le nombre d’individus séronégatifs gardés pour l’élevage. Par conséquent, plus court sera le temps d’atteinte d’un niveau de sensibilité maximale. Un élément récent tend à valider cette hypothèse : la détection d’un fœtus bovin positif en analyse PCR (polymerase chain reaction) vis-à-vis du SBV au début de l’année 2016 suggère une infection des femelles en gestation durant l’automne 2015 [2]. Cette recirculation virale précocement observée au sein du cheptel bovin pourrait s’expliquer par des taux de renouvellement plus élevés que prévus.
Un point clé reste cependant à établir : à partir de quel taux de séroprévalence intratroupeau une réémergence virale est-elle à craindre C’est le suivi sérologique d’animaux sentinelles qui va permettre de répondre à cette question.
En outre, le suivi de la dynamique des populations vectorielles reste un élément non négligeable dans la compréhension de la succession des phases de circulation virale (photo 4). Cela est plus complexe à fixer mathématiquement que certains paramètres zootechniques.
Aucune étude sérologique d’une telle envergure n’ayant jusqu’alors été menée, cette étude constitue à notre connaissance une première. Prédire l’évolution du taux de séroprévalence du SBV au sein d’un troupeau ovin après infection naturelle est possible. Le modèle défini permet d’évaluer à tout moment la sensibilité du cheptel. Cette évolution tient compte de trois paramètres : la durée de protection colostrale (4 mois chez l’agneau), la persistance de l’immunité active chez l’adulte (au moins 3 ans) et le taux de renouvellement spécifique à chaque élevage. Plus ce taux est important, plus la sensibilité du troupeau augmente.
Depuis que l’étude présentée ici a été réalisée, le suivi sérologique d’animaux sentinelles au sein du troupeau ovin de l’université de Namur a permis de mettre en évidence une nouvelle phase de circulation du SBV (en août 2016), comme le modèle permettait de s’y attendre. À cette période, le taux de séroprévalence était inférieur à 10 %. Ces résultats qui prolongent ceux présentés ici seront prochainement publiés.
Aucun.
→ Plus élevé serait le taux de renouvellement plus court serait le temps d’atteinte d’un niveau de sensibilité maximale. Cette hypothèse semble se vérifier selon une observation chez les bovins.
→ Le suivi sérologique d’animaux sentinelles permettra de déterminer à partir de quel niveau de séroprévalence une réémergence serait à craindre.
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