PSYCHIATRIE ET MALTRAITANCE ANIMALE
Éthique
Auteur(s) : Pauline Desormière*, Denise Remy**
Fonctions :
*VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
La relation dysfonctionnelle entre l’homme et l’animal dans le syndrome d’accumulation d’animaux prend son origine dans l’enfance.
Le premier article sur l’animal hoarding a été consacré à la définition de ce syndrome, à la description de son épidémiologie et à la présentation des trois types théoriques d’animal hoarders que les recherches récentes ont permis de mettre en évidence et qui sont : le soignant dépassé, le sauveur et l’exploiteur(1). Ce deuxième article s’intéresse à la relation qui lie l’homme à l’animal et aux hypothèses concernant l’origine de la relation dysfonctionnelle rencontrée dans les cas d’animal hoarding.
→ L’attachement intense qui lie l’homme aux animaux, en particulier à ceux communément appelés animaux de compagnie, a longtemps été perçu comme étrange et souvent comme le signe d’une incapacité à créer des liens sains avec d’autres individus de notre espèce. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que des recherches ont commencé sur le concept de lien homme-animal, afin d’en déterminer une base théorique [6]. Depuis, de nombreuses études ont montré que la majorité des personnes concernées par l’attachement à un animal n’est pas inadaptée socialement et présente même une importante capacité à ressentir de l’empathie et de la compassion pour les autres êtres humains [6]. Plusieurs hypothèses sont émises pour expliquer le lien homme-animal, dont la théorie de la relation et la théorie de l’attachement [1-3, 17, 18, 20].
→ Même si, désormais, le lien homme-animal est un concept accepté par toutes les disciplines, les théories qui l’expliquent ne font pas l’unanimité, et de nombreux points restent encore à approfondir et à éclaircir. Dans le cas de l’animal hoarding, il semble important de s’attarder sur une période particulière, l’enfance, ainsi que sur le rôle de l’animal pendant celle-ci.
Il a été suggéré que l’animal hoarding est le résultat d’une réponse émotionnelle liée à des événements survenus dans la petite enfance. Par exemple, une relation parentale dysfonctionnelle ou absente et la façon dont l’enfant y répond joueraient un rôle important dans le comportement futur envers les animaux [13, 19]. Par conséquent, la compréhension du rôle spécifique des animaux pendant le développement de l’enfant est essentielle pour appréhender ce syndrome.
→ L’apport de l’animal dans le développement cognitif et psychosocial de l’enfant a été démontré [11, 12]. Ainsi, l’animal stimule le développement affectif et relationnel de l’enfant en installant une sécurité affective. Il permet également de développer les capacités d’empathie, d’augmenter l’estime de soi et de favoriser la participation à des activités sociales et sportives, ainsi que d’améliorer l’humeur de l’enfant [10]. Par sa présence et son activité, l’animal sollicite aussi les différents sens de l’enfant et stimule sa motricité (photo). Il a été montré que les enfants grandissant en compagnie de chiens et de chats comprennent mieux les signaux de communication non verbale [11].
→ L’animal de compagnie ne juge pas, ne trahit pas et utilise un registre de comportements interprétés comme des signes d’adhésion. Les enfants peuvent, en présence de leur animal de compagnie, exprimer ce qu’ils ressentent, perçoivent et pensent. Par son attitude d’écoute apparente, l’animal familier a le pouvoir d’apaiser et de rassurer l’enfant qui lui parle et le regarde, de lui donner ou redonner confiance, et de lui permettre de dépasser ou de relativiser ses peurs. Les relations avec les animaux de compagnie permettent à l’enfant de libérer sans retenue toute la gamme de ses émotions (joie, peur, colère, tristesse, surprise, dégoût) et de ses autres états affectifs (amitié, jalousie, etc.). Ces relations avec un animal familier jouent un rôle essentiel dans le renforcement de la sécurité affective de l’enfant, la régulation de ses comportements et de ses conduites sociales, et ses processus de socialisation.
L’attachement à la mère dans la petite enfance est un facteur essentiel pour le développement et la régulation émotionnels de l’enfant [7, 9]. Cet attachement à la mère, ou, en l’absence de cette dernière, à la toute première personne qui prend soin de l’enfant, est tellement essentiel que, lorsqu’il échoue, l’alternative est de développer une autre relation avec une figure d’attachement secondaire [7].
→ Dès la fin des années 1970, un auteur a suggéré que les enfants de familles dysfonctionnelles pouvaient utiliser l’animal comme un objet d’amour et de soins, comme un moyen d’évasion et comme un substitut aux relations humaines [16]. Il était également évoqué qu’un tel lien pouvait devenir problématique, car il se concentre sur une figure animale dont l’éventail de réponses est trop étroit par rapport à celui d’un adulte mature [13, 16]. Le recours à des animaux de compagnie, comme figures d’attachement de substitution dans des situations de développement problématique, est rapporté par de nombreux patients atteints du syndrome de Noé [9, 13]. Pour les enfants confrontés à des situations stressantes, chaotiques ou traumatiques, les animaux, grâce à leur capacité à fournir intérêt et sécurité, semblent jouer un rôle majeur et peuvent devenir des figures alternatives d’attachement [13].
Lorsqu’il n’existe pas de figure d’attachement sécuritaire et stable pour l’enfant, le risque est qu’il développe un attachement dit “désorganisé” avec une estime de soi lésée. L’enfant imagine alors être une personne indigne d’être aimée, ses relations sont marquées par le souci permanent d’être rejeté, il peut aussi développer une peur de l’intimité [4]. Cet attachement désorganisé peut prédisposer un individu aux troubles de la personnalité [7]. La capacité de compensation par un animal d’une figure d’attachement pendant l’enfance est reconnue, mais cette compensation semble, d’après les différents auteurs, être rarement totale et, ainsi, ne pas être en mesure d’empêcher systématiquement la prédisposition aux troubles de la personnalité et à d’autres affections telles que l’animal hoarding [4, 9, 13].
→ En 1999, il était rapporté qu’au moins un quart des animal hoarders placés sous tutelle ou dans des établissements spécialisés manifestaient par la suite de la démence ou d’autres troubles psychiatriques [15].
Lorsque le syndrome a commencé à être étudié, il a été catégorisé avec des groupes de maladies mentales variées. De nombreux modèles ont été proposés comme celui de la démence, de l’addiction, des troubles de l’attachement ou de neurodégénérescence [8, 13, 15].
→ Les individus qui souffrent de ce syndrome sont persuadés qu’ils sauvent les animaux qu’ils recueillent (« Je suis le seul à pouvoir les aider »), et sont incapables de prendre conscience des conditions dans lesquelles ils vivent [14]. L’animal hoarding est une maladie individuelle chronique grave, et les symptômes identifiés semblent être communs aux troubles dissociatifs dans les cas observés [13].
→ Ainsi, il n’existe toujours pas, actuellement, de consensus sur l’étiopathogénie de ce syndrome, qui est considéré comme un sous-type des troubles de la thésaurisation(1) [14]. Cependant, des différences suffisamment importantes entre la thésaurisation d’objets (object hoarding) et celle d’animaux justifient une prise en charge et des critères diagnostiques adaptés [5]. Davantage de recherches sont nécessaires pour déterminer le lien exact avec l’animal dans ces relations dysfonctionnelles et pour améliorer leur prise en charge.
→ Notre prochain et dernier article de cette série présentera une approche pratique et concrète de la prise en charge des “animal hoarders” et surtout le rôle que le vétérinaire peut et doit jouer dans la gestion des cas d’animal hoarding.
(1) Voir l’article “L’animal hoarding, ou accumulation d’animaux : définition, épidémiologie et classification” des mêmes auteurs, dans le Point Vétérinaire n° 373:8-9.
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