L’animal hoarding, ou accumulation d’animaux : définition, épidémiologie et classification - Le Point Vétérinaire n° 373 du 01/03/2017
Le Point Vétérinaire n° 373 du 01/03/2017

PSYCHIATRIE ET MALTRAITANCE ANIMALE

Éthique

Auteur(s) : Denise Remy*, Pauline Desormière**

Fonctions :
*VetAgro Sup
Campus vétérinaire de Lyon
1, avenue Bourgelat
69280 Marcy-L’Étoile
**34, rue des Gravouses
63100 Clermont-Ferrand

La thésaurisation animale est une affection complexe, qui reste mal connue, dont la prise en charge soulève bien des questions éthiques, au cœur de laquelle le vétérinaire a un rôle important à jouer.

La première description de cas d’animal hoarding (anglicisme couramment utilisé en français) dans les publications médicales date de 1981 [19]. Il s’agit d’une analyse de 36?cas dans la ville de New York, aux États-Unis. Le premier article d’analyse scientifique sur ce syndrome a été rédigé par Gary Patronek en 1999 [15]. Ainsi, l’animal hoarding, appelé aussi accumulation, collection ou thésaurisation d’animaux, ou encore syndrome de Noé, n’est l’objet de recherches que depuis peu, essentiellement dans les pays anglo-saxons. Pourtant, le syndrome survient sporadiquement partout dans le monde. Il est connu du grand public grâce aux couvertures médiatiques des cas mis au jour. Ces couvertures qui font grandement appel à l’émotion sont présentées sur un mode sensationnel, et sont loin de révéler la complexité de l’affection ou d’aider à sa compréhension (encadré 1) [2].

Des formations commencent à être dispensées sur ce syndrome complexe. Ainsi, un cours en ligne a été créé en Angleterre pour les personnes travaillant dans des associations ou des centres de protection animale (20 heures de formation continue) [1]. Pour les vétérinaires, à notre connaissance, seule l’université de Floride, aux États-Unis, propose actuellement un cours facultatif, reposant essentiellement sur du travail personnel, pour les étudiants des trois cycles [6]. Des enseignants de l’université d’Uppsala, en Suède, sont en train de mettre en place une formation sur le sujet [9].

L’objectif de cet article, premier volet d’une série, est de réaliser une synthèse des connaissances actuelles pour les praticiens afin de les aider à mieux appréhender ce qu’est l’animal hoarding et à être plus à même d’intervenir, soit pour identifier les cas, soit pour participer à leur prise en charge, voire à l’orchestrer. Celle-ci soulève de nombreuses questions éthiques.

Dans cette première partie, nous évoquerons successivement la définition, l’épidémiologie et la classification du syndrome.

Définition

Notre confrère Gary Patronek, épidémiologiste à l’École vétérinaire de l’université de Tufts, Massachusetts, a fondé en 1997 un groupe d’étude pluridisciplinaire, le HARC (Hoarding of Animals Research Consortium). Ce groupe a travaillé jusqu’en 2006 et a défini le syndrome comme l’association :

– de tentatives obsessionnelles pour constituer ou maintenir une « collection » d’animaux malgré la détérioration progressive des conditions de vie ;

– d’une incapacité à fournir les normes minimales sanitaires, nutritionnelles, médicales et de bien-être liées à l’espère ;

– d’une incapacité à reconnaître cette détérioration des conditions de vie, la dégradation de l’environnement, le mal-être des animaux et de tous les êtres humains présents dans le foyer.

Dans cette définition, nous indiquons « collection » entre guillemets, car ce n’est pas le nombre d’animaux détenus qui permet de porter le diagnostic de hoarding, mais l’incapacité à s’en occuper, à leur fournir les conditions minimales de bien-être. Un cas nous a été rapporté dans lequel les animaux étaient représentés par seulement 1 chien et 3 perroquets [Walsh E., communication personnelle]. Ainsi, le syndrome de Noé va de pair avec un habitat dégradé et une comorbidité animale et humaine pouvant aller jusqu’à la mort. Les animaux sont parasités, sales, souvent malades, l’habitat est encombré, les issues ne sont parfois plus accessibles, des excréments sont présents, parfois jusqu’à recouvrir le sol, l’air est irrespirable (concentrations en ammoniac très supérieures à la norme) (photo 1). Il n’est pas exceptionnel que des cadavres d’animaux soient retrouvés dans les lieux. Les êtres humains vivent dans ces conditions sanitaires déplorables, dans l’incurie. Lorsque des enfants ou des personnes âgées sont présents au domicile des collectionneurs d’animaux, ils vivent dans le dénuement et l’insalubrité les plus totaux. Le collectionneur n’a pas conscience de cette situation.

Épidémiologie

Incidence

Il n’existe pas d’étude à large échelle qui permette d’appréhender la prévalence du syndrome. L’incidence a été estimée aux États-Unis par extrapolation à partir des cas recensés par les refuges ou à partir des plaintes du voisinage [7, 15].

Il apparaîtrait ainsi entre 700 et 2 500 nouveaux cas chaque année aux États-Unis. 250 000 animaux seraient concernés.

Caractéristiques des patients

Trois études s’accordent sur le fait que la majorité des hoarders (73 à 83 %) sont des femmes [2, 4, 15]. L’âge médian lors des interventions est de 55 ans chez les femmes et de 53 ans chez les hommes [15]. Les trois quarts des cas sont représentés par des personnes célibataires, divorcées ou veuves [15, 18]. Plus de la moitié (55 %) des hoarders sont sans emploi ou retraités. Chez les autres, toutes les professions sont représentées (ouvriers, cadres supérieurs, enseignants, commerciaux, agents immobiliers, médecins, infirmiers, vétérinaires, etc.) [2, 15]. Des enfants sont présents dans le foyer dans 5,6 % des cas. Dans 21 % des cas, des personnes âgées dépendantes ou des personnes handicapées vivent avec le hoarder [2].

Caractéristiques des animaux

Les animaux les plus souvent impliqués sont le chat et le chien, puis, par ordre de fréquence décroissante, les oiseaux, les chevaux, les petits mammifères, les chèvres, les reptiles, des espèces exotiques (photo 2) [15, 18]. N’importe quelle espèce peut être l’objet de hoarding. Une seule espèce peut être présente (35 % des cas étudiés par Patronek) [15]. Deux espèces peuvent cohabiter (31 % des cas de son étude), et, dans 11 % des cas, plus de quatre espèces sont retrouvées. Il semble que les femmes préfèrent s’entourer de chats et les hommes de chiens [2]. Le nombre moyen d’animaux est compris entre 30 et 40, mais il est très variable. Certaines personnes peuvent avoir plusieurs centaines d’animaux chez elles [5]. Jusqu’à 918 animaux ont été retrouvés chez un même propriétaire [2].

Classification

Ce n’est que depuis 2013 que la thésaurisation (d’objets et d’animaux) est reconnue en médecine psychiatrique comme une entité psychopathologique à part entière [3]. Auparavant, elle était considérée comme un symptôme des troubles obsessionnels compulsifs. Pourtant, elle n’est un symptôme majeur de ces troubles que dans une minorité de cas [17]. Ainsi, des études récentes, menées entre 2009 et 2011 essentiellement, ont conduit à l’inclusion d’un nouveau chapitre dans la cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM-V (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux), l’ouvrage de référence publié par l’American Psychiatric Association, dans lequel les troubles psychiatriques sont décrits et classifiés [11, 12, 16].

Il reste à déterminer si les personnes qui souffrent de thésaurisation animale répondent aux mêmes critères diagnostiques que celles qui thésaurisent des objets et si la prise en charge peut être comparable [8].

Une typologie des animal hoarders a été élaborée à titre indicatif à partir des premières études [13]. Comme toute classification, elle n’est pas absolue. Elle offre à considérer trois types de collectionneurs d’animaux : le soignant dépassé, le sauveur et l’exploiteur (encadré 2). Certains hoarders présentent des caractéristiques mixtes, qui correspondent à des types différents.

Cette catégorisation va évoluer au fur et à mesure que les connaissances se raffineront. Elle est cependant utile pour la prise en charge des patients.

Les prochains articles nous conduiront à étudier l’étiopathogénie du syndrome, ainsi que la prise en charge des patients et des animaux. Nous nous pencherons plus particulièrement sur le rôle du vétérinaire.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Exemples de cas

→ L’auteur qui a le plus publié sur le sujet, Gary Patronek, relate par exemple le cas de deux femmes d’une cinquantaine d’années qui vivaient avec leur mère âgée de 73 ans, chez lesquelles ont été découverts 82 chats vivants et 108 cadavres de chats [14]. Poursuivies en justice pour maltraitance animale, elles se sont sauvées, abandonnant les animaux, et ont loué un autre appartement. Deux jours plus tard, elles avaient 7 chats et 1 chien.

→ Un autre cas typique est celui d’une femme, Vickie Kittles, qui vivait dans un bus avec 115 chiens. Elle est passée par la Floride, le Mississipi, le Colorado, l’État de Washington et l’Oregon [10].

→ Ces deux exemples permettent d’appréhender le fait que l’animal hoarding est une vraie question de santé publique, où maltraitance animale et maltraitance humaine sont associées, et où le collectionneur d’animaux, le hoarder, vit dans un habitat très dégradé, insalubre.

ENCADRÉ 2
Typologie des animal hoarders

→ Le soignant dépassé

Le soignant dépassé a en général été victime d’un changement important dans sa vie (maladie, perte d’un conjoint, perte d’emploi) et se retrouve isolé. Il est rapidement submergé, incapable de prodiguer des soins satisfaisants aux animaux. Il est plus conscient de la réalité que les autres types, plus enclin à respecter la loi. Le soignant dépassé est le hoarder le plus facile à traiter.

→ SAUVEUR

Le sauveur est investi d’une mission et estime qu’il est le seul à pouvoir la remplir. Il est entouré d’un réseau de connaissances qui l’aident à acquérir les animaux. Il est indifférent à la souffrance des animaux et de ses semblables. Il est effrayé par la mort. Il est très hostile aux autorités et aux différentes interventions. Il est très difficile à soigner, les taux de récidive sont extrêmement élevés.

→ EXPLOITEUR

Le dernier type, l’exploiteur, est le plus problématique, le plus difficile à comprendre. Il est presque impossible de le soigner (ce type d’individu se suicide souvent en hôpital psychiatrique). Il n’exprime aucune empathie, que ce soit à l’encontre des animaux ou des êtres humains. Il se considère comme un expert, a besoin de tout contrôler, est manipulateur, rusé, narcissique et très charismatique. Souvent très éloquent, il élabore facilement des excuses et des explications sur la situation. Il est dans le déni total, n’éprouve aucune culpabilité, aucun remord. Il rejette toute forme d’autorité. Il est prêt à mentir, à voler, à utiliser des personnes crédules pour parvenir à contourner la loi, à disperser les animaux avant l’arrivée des autorités.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient deux confrères psychiatres lyonnais, le professeur Emmanuel Poulet et le docteur Rémy Bation, pour leur avoir fait part de leur expérience.

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