Diagnostic ante-mortem chez deux chats - Le Point Vétérinaire n° 373 du 01/03/2017
Le Point Vétérinaire n° 373 du 01/03/2017

PÉRITONITE INFECTIEUSE FÉLINE

Dossier

Auteur(s) : Édouard Martin*, Benjamin De Pauw**

Fonctions :
*Département des sciences cliniques
Centre hospitalier universitaire vétérinaire
Faculté de médecine vétérinaire
Université de Montréal, Québec, Canada,
3200, rue Sicotte, J2S 7C6
Saint-Hyacinthe, Québec, Canada
edouard.martin25@gmail.com
**CHV Massilia
121, avenue de Saint-Julien, 13012 Marseille
b.depauw@animedis.com

La péritonite infectieuse féline est une maladie fréquente dont l’évolution est fulgurante et l’issue, fatale. Sa présentation protéiforme et le manque de tests spécifiques rendent son diagnostic ante-mortem difficile à établir.

Considérant l’origine et la présentation clinique peu spécifique de la maladie, le diagnostic ante-mortem de la péritonite infectieuse féline (PIF) est souvent difficile à établir et représente un véritable défi pour le clinicien. Il repose principalement sur une anamnèse complète, un examen clinique détaillé, des tests diagnostiques appropriés et correctement interprétés. Malgré la mise en place d’un traitement, cette affection connaît toujours une issue fatale [2]. Ce pronostic sombre est difficile à accepter pour le propriétaire d’un jeune chat ou d’un chaton, d’autant que les répercussions cliniques pour l’animal peuvent être encore limitées lors du diagnostic. L’article présente deux cas cliniques classiques. Les différents examens pouvant orienter le diagnostic lors de PIF sont abordés dans le troisième article de ce dossier(1).

1 Premier cas clinique

Anamnèse

Un chat domestique mâle castré de 6 mois est présenté en consultation pour un abattement, une dysorexie et une polyuro-polydipsie évoluant depuis 1 semaine.

Ce jeune chat a été adopté dans un refuge à l’âge de 5 mois. Il est correctement vacciné et vermifugé, et son statut vis-à-vis des virus de la leucose féline (FeLV) et de l’immunodéficience féline (FIV) au moment de son adoption était négatif (Test Snap combo plus® FIV/FeLV, technique Elisa). Lors de sa castration et de son onyxectomie (intervention chirurgicale interdite en France) à l’âge de 4 mois, l’examen clinique n’a révélé aucune anomalie.

Examen clinique

Le chat est abattu mais alerte, son état d’embonpoint est évalué à 1/5 et il n’a pas pris de poids depuis sa castration réalisée il y a 2 mois. Sa température rectale est de 39,1 °C. Il présente une déshydratation estimée à 8 % (pli de peau persistant et muqueuses buccales sèches) et sa conjonctive bulbaire est légèrement ictérique. La palpation abdominale révèle une néphromégalie bilatérale.

Hypothèses diagnostiques

Considérant l’anamnèse, les signes cliniques et la présence d’une néphromégalie bilatérale, une PIF est principalement suspectée. Cependant, d’autres atteintes telles qu’un lymphome rénal, une pyélonéphrite, une malformation congénitale (pseudo-kystes périrénaux, maladie polykystique rénale, etc.), une hydronéphrose, voire une anomalie porto-vasculaire, ne peuvent être exclues. Ces hypothèses conduisent dans un premier temps à réaliser des analyses sanguines et urinaires, ainsi qu’une échographie abdominale.

Examens complémentaires

ANALYSES SANGUINES

L’analyse hématologique met en évidence une anémie normochrome, normocytaire et arégénérative couplée à une neutrophilie avec la présence de neutrophiles toxiques, une éosinopénie et une lymphopénie (tableau 1). Ces modifications témoignent probablement d’un processus inflammatoire/infectieux potentiellement chronique. L’analyse biochimique montre une légère augmentation de l’urémie, sans augmentation de la créatininémie, possiblement d’origine prérénale au vu de la déshydratation, mais pouvant aussi témoigner de saignements digestifs ou d’un début d’insuffisance rénale (tableau 2). Une hyperbilirubinémie est également présente, pouvant être secondaire à une hémolyse ou à une atteinte hépatique/cholangio-hépatique. Une hyperprotéinémie importante, caractérisée par une hyperglobulinémie et une hypoalbuminémie, est observée. Cette hyperglobulinémie marquée est observée lors de processus néoplasique (lymphome, myélome multiple, etc.), infectieux (PIF, FIV, etc.), voire dans les maladies inflammatoires chroniques. L’hypocalcémie est probablement secondaire à l’hypoalbuminémie. L’hyperphosphatémie s’explique par le fait qu’il s’agisse d’un chaton en croissance.

ANALYSE URINAIRE

Une légère diminution de la densité urinaire (densité urinaire : 1,024) est notée malgré l’état de déshydratation observé, ce qui confirme la polyuro-polydipsie rapportée. L’analyse met également en évidence une protéinurie (protéines : 5 g/l ; valeur usuelle : protéinurie < 0,5 g/l) d’origine indéterminée et une bilirubinurie (bilirubine à la bandelette : 3 +) compatible avec la bilirubinémie observée à l’analyse biochimique.

ÉCHOGRAPHIE ABDOMINALE

L’échographie abdominale confirme la néphromégalie bilatérale (rein gauche : 5 cm de longueur ; rein droit : 5,7 cm de longueur ; valeurs usuelles entre 3 et 4,3 cm) avec une perte de distinction cortico-médullaire et une légère dilatation des deux bassinets rénaux (photo 1) [3]. Une stéatite péritonéale marquée et un épanchement péritonéal modéré à sévère sont également observés (photo 2).

À la suite de l’échographie abdominale, une PIF ou un lymphome rénal sont principalement suspectés. Une ponction de l’épanchement péritonéal et des cytoponctions à l’aiguille fine des reins sont réalisées.

CYTOPONCTIONS RÉNALES

L’analyse cytologique des cytoponctions rénales met en évidence une inflammation neutrophilique, en l’absence de micro-organismes ou de cellules tumorales. Un processus néoplasique semble donc peu probable.

ANALYSE DU LIQUIDE D’ÉPANCHEMENT

Le liquide d’épanchement est macroscopiquement orangé et légèrement turbide. Son analyse permet de le classifier comme un transsudat modifié : il contient 37 g/l de protéines, est très peu cellulaire (1 cellule nucléée/ml), et de rares macrophages peu réactionnels et quelques neutrophiles d’apparence normale sont présents. De plus, le test de Rivalta sur le liquide d’épanchement est négatif. Aucune cellule tumorale n’est mise en évidence dans le liquide d’épanchement, ce qui rend cette hypothèse encore moins probable.

AUTRES TESTS

Considérant le tableau clinique et l’ensemble des résultats, une PIF est principalement suspectée. Afin de conforter cette suspicion clinique, une RT-PCR (retro-transcriptase-polymerase chain reaction) en temps réel coronavirus sur le liquide d’épanchement et un dosage sérique des anticorps anticoronavirus sont réalisés. La PCR coronavirus est négative. En revanche, le titre en anticorps anticoronavirus est élevé (1 280 pour un résultat considéré comme positif au-delà de 40), ce qui ne permet pas de confirmer une PIF, mais conforte la suspicion, étant donné l’ensemble du tableau clinique.

Traitements mis en place et évolution

Le chaton est hospitalisé 24 heures sous fluidothérapie (Plasma-Lyte A® complémenté à 20 mÉq de KCl à une fois et demie la dose de maintien, soit 9 ml/h ou 3,5 ml/kg/h). Un traitement immunosuppresseur à base de prednisolone (2 mg/kg une fois par jour) est administré, associé à un antiacide (famotidine(2) à 1 mg/kg une fois par jour) afin de prévenir les ulcérations digestives liées à une corticothérapie chez un animal dysorexique. À la suite d’une amélioration de son état général, le chat est rendu à ses propriétaires avec un traitement de prednisolone (2 mg/kg une fois par jour pendant 10 jours, 1 mg/kg une fois par jour pendant 10 jours, puis 1 mg/kg tous les 2 jours pendant 10 jours) et de famotidine(2) (1 mg/kg une fois par jour, pendant la durée du traitement aux corticoïdes).

Un mois plus tard, le chaton est revu en consultation à la suite d’une dégradation importante : il est dyspnéique, ses muqueuses sont très ictériques et il présente une ataxie importante des quatre membres. Au vu de l’évolution et du pronostic, et de la forte suspicion de PIF, le chaton est euthanasié et une autopsie est réalisée.

Autopsie

L’autopsie met en évidence un ictère sous-cutané important, et des épanchements pleuraux et péritonéaux abondants, jaunes, mucoïdes et gélatineux, avec la présence de fibrine. Les poumons et les reins montrent à leurs surfaces de nombreuses irrégularités blanchâtres de 2 à 4 mm de diamètre (photos 3 et 4). L’analyse histologique conclut à une infiltration pyogranulomateuse de nombreux organes (reins, poumons, foie, yeux), permettant de confirmer le diagnostic de la forme effusive de PIF (photo 5).

2 Second cas clinique

Anamnèse

Un chat de race highland lynx âgé de 1 an est présenté au service de neurologie, pour l’investigation d’une ataxie progressive des membres pelviens.

Ce chat a été adopté dans un élevage à l’âge de 3 mois. Il est correctement vacciné et vermifugé. Lors de sa castration à l’âge de 6 mois, l’examen clinique n’a révélé aucune anomalie.

Un mois avant la consultation dans notre structure, l’animal a présenté de façon progressive une difficulté à se lever et des pertes d’équilibre. Cette démarche titubante a motivé ses propriétaires à consulter leur vétérinaire. Lors de cette consultation, l’examen clinique a révélé des muqueuses pâles et une légère tachycardie. Un examen neurologique a mis en évidence une ataxie modérée à sévère des membres pelviens et une douleur thoraco-lombaire. Des radiographies de la colonne n’ont montré aucune anomalie, un traitement symptomatique a donc été prescrit (prednisolone, 1 mg/kg une fois par jour). Deux jours après cette consultation, l’animal se déplaçait de moins en moins et semblait de plus en plus amorphe. Un bilan sanguin complet a été réalisé. Il a mis en évidence une anémie normochrome, normocytaire, arégénérative, ainsi qu’une hyperprotéinémie (120 g/l), avec un ratio albumine/globuline très faible (0,16). Un test de dépistage rapide FIV et FeLV a également été pratiqué, qui était négatif (Test Snap combo plus® FIV/FeLV, technique Elisa). Ces résultats suggérant une PIF, un traitement immunosuppresseur à base de prednisolone a été instauré (2 mg/kg une fois par jour).

Deux semaines après le début du traitement par le vétérinaire référent, l’animal est présenté au service de neurologie.

Examen clinique

Le chat est alerte et actif. Il présente un score corporel de 4/9, une légère amyotrophie des membres pelviens et une température rectale de 38,4 °C. Le reste de l’examen est dans la limite de la normale.

Examen neurologique

L’examen neurologique met en évidence un animal difficilement ambulatoire, présentant une ataxie modérée à sévère des membres pelviens associée à une paraparésie sévère. L’examen du fond d’œil met en évidence une choriorétinite chronique bilatérale (photos 6a à 6c). La proprioception est diminuée à absente sur les membres pelviens et un inconfort thoraco-lombaire est noté. Le reste de l’examen est considéré comme normal.

Hypothèses diagnostiques

La description clinique, l’historique et les anomalies des bilans sanguins sont fortement évocateurs d’une PIF. Néanmoins, un processus néoplasique tel qu’un lymphome ne peut être complètement exclu. Bien que le pronostic soit sombre dans les deux cas, des examens complémentaires sont effectués afin d’obtenir un diagnostic plus précis et de répondre à la demande du propriétaire.

Examens complémentaires

Une ponction du liquide céphalo-rachidien (LCR) par voie cisternale (haute) est réalisée sous anesthésie générale. L’analyse du liquide révèle un comptage leucocytaire à 1,33 × 109/l (soit 1 197 leucocytes par chambre d’hémacymètre), un comptage des hématies inférieur à 0,004 × 109/l et une protéinorachie à 985,5 mg/dl. Ces valeurs sont excessivement élevées, surtout au vu de l’absence de contamination sanguine du prélèvement et du traitement à base de prednisolone à dose immunosuppressive depuis 15?jours. Considérant l’historique, seule la PIF peut amener de tels changements, le chat est donc euthanasié et une nécropsie est réalisée.

Le chat présentant des signes neurologiques, une RT-PCR en temps réel aurait pu être réalisée, afin de prouver la présence d’ARN du coronavirus félin dans le LCR. Mais cet examen a été décliné par les propriétaires pour des raisons financières.

Autopsie

À la demande des propriétaires, une autopsie est réalisée. Aucune lésion macroscopique n’est visible. Des prélèvements de moelle épinière, de plèvre, de péricarde, de poumon, de rein, de foie et de rate sont toutefois recueillis. Leur analyse histologique met en évidence une inflammation lymphoplasmocytaire à pyogranulomateuse modérée à sévère de la plèvre, des néphrons, du péricarde, de la moelle épinière thoraco-lombaire, du foie et de la rate. Cette inflammation pyogranulomateuse ne se limite donc pas au système nerveux central, comme l’expression clinique le laissait présager. Elle est généralisée, et ce malgré l’absence de signes cliniques systémiques.

Conclusion

La PIF est une infection mortelle due au virus de la péritonite infectieuse féline, une forme très virulente de coronavirus félin. Elle se caractérise par une vascularite pyogranulomateuse à médiation immune.

La PIF est traditionnellement subdivisée en deux formes : la forme effusive (humide) et la forme non effusive (sèche).

Comme ces cas cliniques l’illustrent, ces formes “théoriques” sont deux présentations extrêmes d’une même entité pathologique [1]. La troisième partie du dossier montre comment ces deux formes peuvent coexister ou se succéder(1).

  • (1) Voir l’article “Examens complémentaires et traitement” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

  • (2) Médicament humain.

Références

  • 1. Addie DD, Belák S, Boucraut-Baralon C et coll. Feline infectious peritonitis. ABCD guidelines on prevention and management. J. Feline Med. Surg. 2009;11 (7):594-604.
  • 2. Chang HW, Egberink HF, Halpin R et?coll. Spike protein fusion peptide and feline coronavirus virulence. Emerg. Infect. Dis. 2012;18 (7):1089-1095.
  • 3. Ritz S, Egberink H, Hartmann K. Effect of feline interferon-omega on the survival time and quality of life of cats with feline infectious peritonitis. J. Vet. Intern. Med. 2007;21 (6):1193-1197.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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