Utilisation de l’épiploon en chirurgie - Le Point Vétérinaire n° 372 du 01/01/2017
Le Point Vétérinaire n° 372 du 01/01/2017

CHIRURGIE

Article de synthèse

Auteur(s) : Fabrizio di Virgilio*, Jawad Miles**, Johan Caraty***, Aymeric Deneuche****

Fonctions :
*Service de chirurgie, VetTeam,
10, rue Sopers, 4030 Grivegnée, Belgique
**Service de chirurgie, CHV Vet 24,
994, avenue de la République,
59700 Marcq-en-Barœul
***Service de chirurgie, CHV Vet 24,
994, avenue de la République,
59700 Marcq-en-Barœul
****Service de chirurgie, VetTeam,
10, rue Sopers, 4030 Grivegnée, Belgique
*****Service de chirurgie, CHV Vet 24,
994, avenue de la République,
59700 Marcq-en-Barœul
******Service de chirurgie, CHV Vet 24,
994, avenue de la République,
59700 Marcq-en-Barœul

Grâce à ses propriétés spécifiques, l’épiploon peut être d’une grande aide lors de la réalisation de certains actes chirurgicaux.

L’omentum, appelé également épiploon, est un organe fondamental de la cavité abdominale. Peu ou insuffisamment utilisé en chirurgie vétérinaire, ses propriétés anatomiques et physiologiques sont une invitation à un nombre croissant d’indications chirurgicales.

RAPPELS À PROPOS DE L’ÉPIPLOON

1. Anatomie

L’épiploon est une portion du péritoine recouvrant les organes abdominaux et se présentant sous la forme d’une vaste membrane mince chez les carnivores (photos 1 et 2). Il est composé d’un réseau complexe de vaisseaux sanguins et lymphatiques, ainsi que de tissu conjonctif trabéculaire. Il est organisé en deux portions : le grand et le petit omentum [5].

Le grand omentum est composé de trois parties. Chacune d’elles correspond à un double feuillet péritonéal dérivant du mésogastre dorsal de l’embryon. La partie principale qu’il délimite est la bourse omentale. Le grand omentum s’insère cranio-ventralement en regard de la grande courbure de l’estomac. Il s’étend caudo-ventralement vers les intestins, jusqu’à la vessie où il se replie sur lui-même, formant ainsi une paroi superficielle et une paroi profonde. Cette dernière s’attache au niveau du hiatus œsophagien, du pilier gauche du diaphragme et du lobe gauche du pancréas, englobant ventralement et latéralement les intestins [3, 4, 7]. La bourse omentale correspond à l’espace virtuel entre ces deux parois (photo 3).

Les deux autres portions du grand omentum ont moins d’importance en chirurgie. La portion splénique s’étend de la grande courbure de l’estomac jusqu’à la queue de la rate, pour former le ligament gastrosplénique, et la dernière portion contient le lobe gauche du pancréas (photo 4) [4].

Le petit omentum est plus petit et moins complexe. Il s’insère sur la petite courbure de l’estomac et rejoint la porte du foie. Il entre en continuité avec le mésoduodénum (photo 5).

Certaines parties de l’omentum donnent naissance aux ligaments hépato-duodénal et hépato-gastrique [4].

La vascularisation artérielle de l’omentum dérive des artères gastro-épiploïques droite et gauche et de l’artère splénique provenant du tronc cœliaque. Les artères omentales ainsi formées s’étendent cranio-caudalement et communiquent entre elles par de nombreuses anastomoses, aboutissant à la formation d’un véritable réseau vasculaire. Les veines gastro-épiploïques droite et gauche drainent le sang arrivant par le réseau veineux omental vers la veine porte, à travers les veines gastro-duodénales et spléniques [7].

2. Histologie

L’omentum est constitué d’une séreuse. Celle-ci est tapissée d’une couche de cellules mésothéliales, reposant sur une membrane basale et dont la surface apicale est couverte de microvillosités. Son aspect microscopique montre une architecture de fibres en collagène et d’élastine formant une sorte de filet enduit de cellules adipeuses lui donnant sa caractéristique de “feuillet adipeux”. Il est parfois possible d’apercevoir quelques agrégats de cellules lymphoïdes, appelées taches laiteuses. Celles-ci jouent un rôle important dans les mécanismes de défense du péritoine [4]. Les vaisseaux lymphatiques satellites des veines et les artères omentales prennent naissance sur ces agrégats lymphoïdes et drainent la lymphe vers les nœuds lymphatiques spléniques efférents et cœliaques, puis se rejoignent dans le conduit thoracique [7].

3. Propriétés de l’omentum

Au fil des années, les connaissances sur l’épiploon se sont développées et son utilisation a fait ses preuves. Il a ainsi trouvé de multiples applications en chirurgie par sa faculté à être utilisé comme lambeau libre ou pédiculé, ainsi que pour ses différentes qualités.

L’omentum dispose de propriétés lui conférant un rôle protecteur dans la cavité abdominale. Il est considéré comme “le gardien” de cette dernière [7].

Stockage de triglycérides

L’omentum assure le stockage de triglycérides au niveau des cellules adipeuses.

Angiogenèse

La richesse vasculaire du grand épiploon lui offre un potentiel angiogénique apprécié en chirurgie. Les facteurs angiogéniques libérés par l’omentum ont un rôle dans la néovascularisation et dans l’activation des fonctions macrophagiques, mastocytaires et lymphocytaires des tissus.

Le principal facteur angiogénique est le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF), produit par les adipocytes et exprimé en grande quantité en milieu hypoxique. D’autres facteurs tels que le facteur omental lipidique angiogénique (OAF) ou le facteur de croissance des fibroblastes des cellules endothéliales microvasculaires (bFGF) participent aux propriétés angiogéniques de l’omentum [2, 5, 6, 9].

Fonctions immunes

Le type de cellules présentes dans les agrégats lymphoïdes serait à l’origine des propriétés immunitaires de l’omentum. Le fluide produit physiologiquement par le péritoine possède une capacité antibactérienne, par l’action de la fibronectine, la présence de macrophages, de lymphocytes et de cellules mésothéliales, et l’activité du complément (C3a et C5a) qui stimule l’activation chimique des neutrophiles et la dégranulation des mastocytes et des basophiles. La différenciation et l’activation des macrophages dépendent du facteur stimulant des macrophages (MSF), sécrété par les agrégats lymphoïdes, en présence de bactéries.

L’omentum contient une grande quantité de granulocytes. L’absorption de bactéries phagocytées par les neutrophiles et les macrophages et l’activité des lymphocytes T cytotoxiques résidents contribuent aussi à la protection du péritoine [4]. Son rôle dans l’activité immunitaire humorale est encore controversé. Certains auteurs affirment que ces agrégats lymphoïdes se comportent comme des nœuds lymphatiques et d’autres que les lymphocytes T ne sont pas produits à cet endroit [7]. Quoi qu’il en soit, la présence de ces types cellulaires permet, jusqu’à un certain point, l’accélération de la cicatrisation et la prévention des infections. La grande superficie de l’omentum aide aussi au drainage lymphatique et à l’absorption de bactéries et d’autres particules.

Fibrinogenèse

La richesse en facteurs cellulaires permet que l’omentum remplisse aussi des fonctions hémostatiques, en accélérant l’activation de la prothrombine et la transformation de fibrinogène en fibrine [7].

L’omentum possède des propriétés fibrinogéniques dont le rôle est actif dans la limitation de la contamination péritonéale. Il permet la formation d’adhérences dans les endroits où existe de l’exsudat fibrineux. Enfin, il aide à isoler et à circonscrire les foyers infectieux et favorise le comblement des espaces morts créés lors de la perte de tissus [4, 7]. Les propriétés immunitaires et d’absorption sont liées aux cellules présentes dans les agrégats lymphoïdes : les macrophages et leurs précurseurs cellulaires, les mastocytes et les lymphocytes.

APPLICATIONS CHIRURGICALES DE L’OMENTUM

1. Étanchéité

L’utilisation de l’omentum en chirurgie date de 1963. Ses applications dans le renforcement des sutures permettent d’améliorer leur étanchéité, et de prévenir les contaminations bactériennes et la formation d’adhérences sur d’autres organes [7].

L’une des utilisations les plus fréquentes du grand omentum en chirurgie reste la couverture des sites d’anastomose de tissus fragiles (vaisseaux, intestins, trachée, bronches, etc.) ou des sutures en bourse lors de la pose de sondes (cystostomie, duodéno- ou jéjunostomie, gastrostomie, etc.) [4, 7]. L’omentum agit comme couche supplémentaire, améliorant ainsi l’étanchéité du site de suture.

En raison de sa configuration et de son réseau vasculaire, il est possible d’augmenter la taille du grand omentum au moyen d’une technique d’allongement. Décrite par Ross, celle-ci comporte deux étapes successives permettant d’obtenir deux longueurs d’omentum différentes (encadré). Cette méthode permet l’utilisation du grand omentum dans des procédés chirurgicaux intéressant n’importe quelle partie du corps chez le chat, et presque tout le corps chez le chien [5].

L’omentum peut aussi être employé lors de reconstruction des parois thoracique et abdominale et de certaines structures comme le diaphragme (photos 6a à 6d) [5].

2. Drainage

Les applications de l’omentum comme drain physiologique sont nombreuses en raison de ses propriétés d’absorption et de sa capacité à remplir les espaces morts [5, 7-9]. Il peut être utilisé dans le drainage :

– des abcès intra-abdominaux (prostatiques, hépatiques ou de la paroi abdominale) ;

– des abcès extra-abdominaux (pulmonaires, empyème ou médiastinite) ;

– des kystes (prostatiques), des pseudo-kystes et des chylothorax.

Le drainage épiploïque s’accompagne d’une réaction inflammatoire très faible par rapport à celle qui est constatée avec les drains synthétiques [7, 8].

3. Apport vasculaire

L’omentum peut être appliqué dans des zones ischémiées [7]. Une greffe omentale peut être notamment utilisée dans le traitement de plaies réfractaires dont la vascularisation est compromise. La technique consiste en une greffe omentale tunnellisée par voie sous-cutanée et suturée au site de la lésion (photos 7a à 7f).

Les propriétés angiogéniques de l’omentum peuvent être mises en œuvre aussi pour favoriser la revascularisation des organes qui ont souffert d’ischémie et lors d’une autotransplantation splénique [7].

4. Hémostase

Les propriétés hémostatiques de l’omentum sont particulièrement efficaces pour contrôler les hémorragies lors de biopsies ou les résections partielles dans les organes friables, comme le foie ou la rate [7].

5. Complications

Les complications à la suite d’une omentalisation sont rares et le plus souvent sans grande conséquence. Une nécrose partielle de l’omentum, généralement due à l’excès de tension ou à un écrasement de ce dernier, reste possible. Cet organe doit être manipulé délicatement et irrigué régulièrement afin de prévenir sa dessiccation. L’omentalisation des sutures intestinales doit être fine et régulière de façon à limiter le risque d’obstruction, de torsion ou d’étranglement intestinal [1].

Conclusion

L’épiploon est une structure péritonéale unique dont les propriétés multiples se révèlent très intéressantes en chirurgie. Son usage est recommandé dans les situations chirurgicales suivantes : nécessité d’un apport vasculaire, amélioration de l’étanchéité d’une suture ou drainage biologique. Dans la majorité des indications abdominales, la technique chirurgicale est relativement simple. Il suffit d’amener l’épiploon et de le placer sur la portion ciblée. En revanche, les utilisations extra-abdominales requièrent un certain niveau de connaissances pratiques et reposent souvent sur des techniques d’allongement visant à diminuer la tension sur le site receveur.

  • (1)

Références

  • 1. Anderson E, Tobias KM. Key gastrointestinal surgeries: Omentalization. Vet. Med. 2006: article available on: http://veterinarymedicine.dvm360.com/vetmed/Medicine/ArticleStandard/Article/detail/318535
  • 2. Bikfalvi A, Alterio J, Inyang AL, Dupuy E. Basic fibroblast growth factor expression in human omental microvascular endothelial cells and the effect of phorbol ester. J. Cell Physiol. 1990;144(1):151-158.
  • 3. Dyce KM, Sack WO, Wensing CJG. Omenta. In: Textbook of veterinary anatomy. 3th ed. Saunders, Philadelphia. 2002:683-691.
  • 4. Kirby BM. Peritoneum and peritoneal cavity. In: Slatter D. Textbook of small animal surgery. 3th ed. Saunders, Philadelphia. 2003:414-445.
  • 5. Lascelles BD. Omentum: The abdominal policemen and your friend: how to use it. Proceedings of the North American Veterinary Conference, Orlando, Florida. 2006;20:1415-1416.
  • 6. Levy Y, Miko I, Hauck M. Effect of omental angiogenic lipid factor on revascularization of autotransplanted spleen in dogs. Eur. Surg. Res. 1998;30(2):138-143.
  • 7. Valat B, Moisonnier P. The omentum: the surgeon’s friend. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 2001;36:91-102.
  • 8. Williams JM, Niles JD. Use of omentum as a physiologic drain for treatment of chylothorax in a dog. Vet. Surg. 1999;28(1):61-65.
  • 9. Zhang QX, Magovern CJ, Mack CA. Vascular endothelial growth factor is the major angiogenic factor in omentum: mechanism of the omentum-mediated angiogenesis J. Surg. Res. 1997;67(2):147-154.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ L’épiploon présente des propriétés immunitaires, angiogéniques, hémostatiques, d’absorption et de drainage.

→ L’omentalisation est souvent un geste complémentaire visant à parfaire les résultats d’une technique chirurgicale.

→ L’épiploon fait l’objet de nombreuses applications en chirurgies gastro-intestinale, hépatique, splénique, pancréatique, thoracique, uro-génitale et reconstructrice.

→ Une augmentation de la taille de l’épiploon au moyen d’une technique d’allongement permet son utilisation sur la quasi-totalité du corps.

→ Les complications postopératoires de l’omentalisation sont rares et le plus souvent sans conséquence majeure.

ENCADRÉ
Technique d’allongement

→ La première étape de la technique d’allongement consiste à dédoubler l’omentum en libérant son feuillet dorsal de ses attaches pancréatiques et gastriques. L’ensemble des artères et veines épiploïques est ligaturé, et l’extrémité du feuillet dorsal est ensuite basculée ventralement. Cette première étape permet le plus souvent de libérer suffisamment l’omentum pour assurer la majorité des procédures thoracique et abdominale (épiploïsation thoracique pour traiter un chylothorax, épiploïsation d’une anse intestinale à la suite d’une entérotomie/entérectomie, épiploïsation de la paroi thoracique ou abdominale après la résection d’une masse, etc.). Toutefois, si la longueur du lambeau se révèle insuffisante, une seconde étape peut être mise en œuvre.

→ La seconde étape débute par la ligature d’une partie des vaisseaux omentaux proches de l’estomac. Les ligatures sont posées progressivement du côté caudal vers le côté cranial jusqu’à la moitié de la largeur du feuillet ventral. Le lambeau est achevé par une incision en “L inversé” partant caudalement au ligament gastrosplénique, puis qui reste parallèle aux vaisseaux omentaux [1, 5].

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient le docteur Francesco Collivignarelli de la Clinique vétérinaire Malpensa, Milano, et le docteur Henry L’Eplattenier, dipl. ECVS, VRCC Veterinary Refferals, Essex, pour une partie du matériel photographique fourni, et la disponibilité et le soutien pendant la rédaction de l’article.

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