INFECTIONS NOSOCOMIALES
Dossier
Auteur(s) : Nicolas Keck*, Fabrice Bernard**, Michael Treilles***, Antoine Dunié-Mérigot****, Jean-Yves Madec*****, Marisa Haenni******
Fonctions :
*Laboratoire départemental vétérinaire
de l’Hérault, 306, rue Croix-de-Las-Cazes, CS 69013,
34967 Montpellier Cedex 02
**Centre hospitalier vétérinaire Saint-Martin,
275, route Impériale, 74370 Saint-Martin-Bellevue
***Laboratoire d’analyses Sèvres Atlantique,
210, avenue de la Venise-Verte, 79000 Niort
**** Clinique vétérinaire Languedocia,
395, rue Maurice-Béjart, 34080 Montpellier
*****Anses, Unité antibiorésistance et virulence bactériennes, 31, avenue Tony-Garnier, 69364 Lyon Cedex 07
******Anses, Unité antibiorésistance et virulence bactériennes, 31, avenue Tony-Garnier, 69364 Lyon Cedex 07
Une bonne connaissance des agents pathogènes et des paramètres environnementaux à maîtriser est un préalable indispensable pour prévenir les infections nosocomiales.
Alors que le niveau des soins, la taille et l’organisation des établissements évoluent progressivement, les praticiens se doivent d’être de plus en plus attentifs aux infections nosocomiales en médecine vétérinaire. Outre leurs conséquences en santé animale et en santé publique, elles véhiculent une image négative auprès du grand public et des propriétaires en particulier.
Chez l’homme, elles touchent environ 5 % des patients hospitalisés, avec des variations selon les sites anatomiques infectés [7]. En médecine vétérinaire, leur incidence est mal connue, mais les données disponibles évoquent des taux proches de ceux de la médecine humaine, avec parfois des épizooties significatives [17, 19, 24, 26, 28, 38]. De plus, plusieurs études ont démontré une association significative entre une hospitalisation et le portage de bactéries multirésistantes chez l’animal [16, 20, 33]. En effet, la pression de sélection dans les structures de soin induit une fréquence plus élevée de multirésistance des bactéries responsables d’infections nosocomiales [52]. Par ailleurs, les bactéries multirésistantes peuvent être plus facilement repérées, donc identifiées comme à l’origine d’une infection nosocomiale [18, 19].
L’épidémiologie de ces infections en médecine humaine et vétérinaire présente de nombreux points communs, notamment des facteurs de risques liés à la durée d’hospitalisation et à certaines pratiques, comme les soins intensifs (encadré 1). D’autres paramètres liés à la présence d’animaux (contact des poils avec les surfaces, production d’aérosols, hygiène des animaux, hospitalisation en chenils, etc.) apparaissent comme des facteurs de risque spécifiques au milieu vétérinaire. La réalité des infections nosocomiales en médecine vétérinaire est donc probablement sous-estimée [31], l’environnement des établissements vétérinaires étant un réservoir potentiel de micro-organismes (encadré 2). Cet article présente les principaux risques infectieux liés à l’environnement (air, eau, surfaces, tenues) des établissements vétérinaires. Bien qu’ils puissent être considérés comme une composante de l’environnement, les risques liés aux équipements ne sont pas traités.
Le rôle de réservoir d’un environnement dépend de la capacité des micro-organismes à y survivre ou à s’y multiplier. Celle-ci est variable selon les micro-organismes, mais dans tous les cas les matières organiques peuvent prolonger leur survie dans l’environnement de façon significative. L’environnement des structures de soins est donc contaminé par des micro-organismes d’origine animale, humaine ou environnementale [44, 47]. Cette contamination peut varier qualitativement et quantitativement dans le temps, d’un établissement à un autre et au sein d’un même établissement [45]. Ces micro-organismes sont extrêmement variés et peuvent être pathogènes ou opportunistes, ne causant dans ce cas d’infection que chez des animaux dont les défenses immunitaires sont affaiblies [3].
Les bactéries retrouvées dans l’environnement des établissements vétérinaires peuvent être d’origine :
- animale ou humaine, comme les entérobactéries (notamment Escherichia coli), les entérocoques ou les staphylocoques. Certaines sont multirésistantes aux antibiotiques, comme les staphylocoques (pseudintermedius ou aureus) résistants à la méticilline ou les entérobactéries productrices de ß-lactamases à spectre étendu [42, 52] ;
- environnementale, notamment des espèces naturellement résistantes à certains antibiotiques comme Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter baumannii, Stenotrophomonas maltophilia ou Burkholderia cepacia. Certaines de ces espèces bactériennes comme Pseudomonas aeruginosa sont naturellement résistantes à un grand nombre d’antibiotiques, mais peuvent également acquérir des gènes de résistance en cas de pression de sélection dans les établissements de soin. Ainsi, l’émergence de certains clones multirésistants d’Acinetobacter baumannii chez les animaux de compagnie en France est préoccupante [30].
L’environnement immédiat des animaux colonisés et surtout infectés est en général fortement contaminé par ces micro-organismes [45]. La survie des bactéries est favorisée par la formation de biofilms au niveau des surfaces, qui varie selon les bactéries et la nature des surfaces contaminées [42]. Ainsi, la capacité de Staphylococcus pseudintermedius à former des biofilms pourrait expliquer son émergence rapide au sein des cliniques vétérinaires et le succès de certains clones par rapport à d’autres [35]. Les conditions d’humidité et la présence de matières organiques jouent également un rôle déterminant [22].
Les espèces parmi les plus persistantes sont les staphylocoques et Acinetobacter baumannii, qui peuvent survivre plusieurs semaines sur des surfaces sèches, devant les entérocoques et les streptocoques [23, 27, 34, 50, 51]. La survie de S. aureus peut atteindre 6 mois, avec des différences entre les souches ayant causé des infections épidémiques et sporadiques en milieu médical [46]. Des cas d’infections nosocomiales épidémiques sur des périodes aussi longues ont été rapportés en médecine vétérinaire [26]. Pour certaines espèces comme Clostridium difficile, la capacité de sporuler leur confère une longue persistance dans l’environnement [48]. Des bactéries à Gram négatif comme Pseudomonas aeruginosa ou certaines entérobactéries (Serratia marcescens, par exemple) peuvent également survivre plusieurs semaines [9, 27].
Bien que les préoccupations liées aux infections nosocomiales portent essentiellement sur les bactéries multirésistantes en médecine humaine comme vétérinaire, le risque lié aux autres agents infectieux ne doit pas être sous-estimé, en particulier le risque viral. Ainsi, les principaux agents pathogènes viraux susceptibles d’être à l’origine d’infections nosocomiales en médecine vétérinaire des animaux de compagnie sont l’adénovirus canin, le calicivirus félin, le morbillivirus de la maladie de Carré, l’herpèsvirus félin, les virus influenza et parainfluenza, les parvovirus et le coronavirus respiratoire canin [40].
La contamination par les virus s’effectue le plus souvent à partir des animaux qui fréquentent l’établissement. Les virus non enveloppés persistent longtemps dans l’environnement, comme le calicivirus, qui reste infectieux environ une semaine dans le milieu extérieur [43] et peut causer des infections nosocomiales [12]. Des épizooties dues à des herpèsvirus et au virus parainfluenza ont également été décrites [25, 49]. La survie des virus dans l’environnement est favorisée par les basses températures, mais l’effet de l’humidité est controversé [27].
Certains protozoaires comme Cryptosporidium sp. et Giardia sp. peuvent contaminer une grande variété d’hôtes. Les animaux parasités diffusent les formes infectantes en très grande quantité dans l’environnement. La résistance de ces parasites dans le milieu extérieur est marquée. Leur rôle dans les diarrhées nosocomiales est probablement sous-évalué, en milieu vétérinaire comme médical [1].
L’air peut représenter un vecteur de contamination pour des individus à risque ou à l’occasion de procédures invasives, comme les interventions chirurgicales. Les agents le plus souvent impliqués sont des bactéries d’origine cutanée ou muqueuse, notamment les staphylocoques [21]. Le nombre de micro-organismes présents dans l’air d’une pièce dépend du nombre d’animaux et de personnes qui l’occupent, du degré d’activité dans la pièce et du taux de renouvellement de l’air [14, 36].
La transmission aérienne peut provenir de particules mises en suspension lors de la manipulation des animaux ou de la mobilisation de surfaces contaminées. Elles sont véhiculées par les turbulences d’air et déposées directement ou indirectement dans la plaie lors de l’intervention chirurgicale. La contamination des instruments peut en effet être la source d’infections. Dalstrom et coll. ont démontré que 30 % des plateaux étaient contaminés après 4 heures de présence en salle opératoire [11]. Le risque lié aux instruments peut cependant également être en lien avec de mauvaises pratiques de stérilisation [12]. Au final, le risque d’infection du site opératoire est très dépendant du type d’intervention (durée, largeur d’incision, mouvements de l’équipe, contamination du site, etc.), et la quantification de la part liée à la contamination de l’air est difficile.
En milieu médical, les principales infections acquises clairement documentées comme liées à la contamination par l’air sont les mycoses invasives et certaines infections du site opératoire [10]. En chirurgie orthopédique prothétique humaine, le niveau de contamination de la plaie opératoire ainsi que le taux d’infection postopératoire ont été démontrés comme liés au niveau de contamination de l’air du bloc opératoire [29]. Des cas d’infections du site opératoire dont la source était l’air contaminé par l’équipe chirurgicale ont également été décrits [13, 15].
De nombreux micro-organismes pathogènes sont capables de persister pendant des durées prolongées sur les surfaces sèches ou humides. La contamination des mains lors de contacts avec des surfaces a été démontrée expérimentalement pour plusieurs agents pathogènes, notamment les staphylocoques et les entérocoques [2, 4]. De plus, la mise en suspension d’agents pathogènes à partir de surfaces contaminées peut induire une contamination de l’air ambiant.
Il est donc nécessaire d’assurer un bionettoyage des surfaces pour maîtriser les contaminations croisées et maintenir la qualité de l’air au sein des blocs. Toutefois, dans une salle opératoire, les germes issus des surfaces correspondaient à moins de 15 % de la totalité des micro-organismes aériens (photo 1) [6].
L’eau joue un rôle de réservoir ou de vecteur de nombreux micro-organismes tels que Pseudomonas aeruginosa, Stenotrophomonas maltophilia, Burkholderia cepacia, Serratia marcescens ou Enterobacter cloacae [5, 10].
Ils se multiplient dans les réseaux lorsque les conditions de stockage ou de circulation sont limitées (siphons) ou défectueuses (bras morts, entartrage, etc.). De plus, les éléments de robinetterie sont soumis à un risque de contamination rétrograde par des bactéries colonisant ou infectant les individus (éclaboussures lors de l’élimination de produits biologiques, du lavage des mains, des instruments ou des champs chirurgicaux après des actes en milieu contaminé, comme le parage d’un abcès). Les bactéries peuvent persister plusieurs mois sur les parois des réseaux de distribution d’eau sous forme de biofilms.
Le dépôt de tartre rend les surfaces des joints, des siphons et de tous les éléments autour des points d’eau plus irrégulières (photo 2). Cela peut favoriser l’accumulation de micro-organismes. La corrosion provoque également l’altération des canalisations et des appareils. Elle entraîne un enrichissement de l’eau en éléments chimiques indésirables et une prolifération de micro-organismes dans les dépôts qui se forment à l’intérieur des canalisations. Ce phénomène est favorisé pour des eaux faiblement minéralisées et/ou concentrées en gaz carbonique dissous ou en chlore.
La transmission des infections dues à des bactéries véhiculées depuis les zones contaminées par les turbulences de la masse d’eau peut provenir de la contamination des mains du personnel soignant ou des équipements lors de l’utilisation de réseaux contaminés [5].
La contamination du linge ou des tenues survient dès les premières heures de leur utilisation [32]. Pour les tenues, elle est plus marquée au niveau des poignets et des poches [39]. Le linge sale peut contaminer les mains, les tenues ou l’environnement et participer à la transmission croisée des micro-organismes ou contaminer le personnel.
Une zone à risque de biocontamination est un lieu géographiquement défini et délimité dans lequel des individus, des produits ou des matériaux (ou une combinaison quelconque de l’ensemble ci-dessus) sont particulièrement vulnérables à la biocontamination (norme internationale ISO/DIS 14698-1 concernant la maîtrise de la biocontamination dans les salles propres et les environnements maîtrisés apparentés).
En pratique, le risque global peut être considéré comme une combinaison :
- de l’exposition de l’animal ou de vecteurs inanimés à la contamination (durée, fréquence de passage) ;
- de la probabilité de présence de micro-organismes pathogènes ;
- de risques complémentaires (gestes invasifs, affaiblissement de l’animal, prise de certains médicaments, notamment immunosuppresseurs).
L’analyse de ces paramètres permet de quantifier le niveau de risque pour les différentes pièces d’un établissement vétérinaire (tableau).
Les résultats de cette classification sont cohérents avec ceux d’une étude récente modélisant le risque d’infection nosocomiale dans les différents locaux d’un hôpital vétérinaire et identifiant la pièce des soins intensifs, la pièce des examens complémentaires et le chenil comme les lieux les plus à risque [41].
Cette proposition d’analyse de risque doit être adaptée à la situation de chaque établissement, en prenant en compte certains aspects de la circulation dans les locaux ou certaines pratiques, comme les autopsies. Ces dernières doivent être exécutées dans des locaux conformes à l’arrêté du 16 juillet 2007 fixant les mesures techniques de prévention, notamment de confinement, à mettre en œuvre dans les salles d’autopsie où les travailleurs sont susceptibles d’être exposés à des agents biologiques pathogènes.
Cette classification peut servir de base pour l’analyse des risques liés aux flux (personnes, animaux, équipements, etc.) dans l’établissement vétérinaire(1).
En parallèle de cette classification, il est possible d’appliquer celle de Spaulding [8], conçue en trois catégories :
- critiques : toutes les surfaces en contact avec les tissus stériles ou le système vasculaire (par exemple, table de chirurgie) ;
- semi-critiques : toutes les surfaces pouvant se trouver en contact avec les muqueuses ou une peau lésée (par exemple, table de consultation ou de soins) ;
- non critiques : toutes les surfaces entrant en contact avec une peau intacte (par exemple, porte). La peau est alors considérée comme une barrière suffisante vis-à-vis des micro-organismes.
Cette classification peut servir de base pour l’analyse des risques liés à la contamination des surfaces et définir des protocoles de nettoyage/désinfection adaptés(1).
Les risques infectieux liés à l’environnement des établissements vétérinaires apparaissent donc très variés, liés à différentes catégories de micro-organismes et à des réservoirs multiples. L’analyse de ces risques au sein de l’établissement permet de déterminer les points critiques et de mettre en œuvre des mesures de lutte adaptées, notamment l’aménagement des locaux et des mesures d’hygiène. Ces dernières s’avèrent indispensables pour lutter contre les infections nosocomiales, notamment d’origine exogène, dues à des micro-organismes à résistance élevée dans l’environnement. Elles doivent être complétées par de bonnes pratiques de soin, qui seront détaillées dans un article ultérieur.
(1) Voir l’article “Principes pour la prévention des risques d’infections nosocomiales liées à l’environnement” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Le déclenchement d’une infection est la conséquence de la contamination d’un site anatomique donné par des micro-organismes, puis de leur multiplication qui aboutit à la colonisation du site. C’est un phénomène multifactoriel, qui dépend de l’inoculum infectieux, de la pathogénicité du micro-organisme, de la réceptivité de l’animal et de la rupture des barrières cutanéo-muqueuses à l’occasion de traumatismes ou de procédures invasives. Les relations entre infections nosocomiales et environnement des établissements vétérinaires s’évaluent pour différents micro-organismes impliqués dans les infections nosocomiales et plusieurs paramètres environnementaux.
En milieu hospitalier, la place de la transmission directe interhumaine est considérée comme prépondérante par rapport à la transmission liée à l’environnement. Les épizooties d’infections nosocomiales sont presque toujours associées à une transmission interhumaine, ou à la contamination de dispositifs médicaux ou d’un liquide normalement stérile [37]. En médecine vétérinaire, certaines études ont prouvé que des souches de Staphylococcus pseudintermedius isolées des animaux, du personnel et de l’environnement d’une clinique vétérinaire possédaient un lien épidémiologique, suggérant un rôle de l’environnement et des pratiques vétérinaires dans la dissémination des Staphylococcus pseudintermedius résistants à la méticilline [45]. La preuve de l’implication du réservoir environnemental est fondée sur la capacité de survie du micro-organisme dans cet environnement, l’absence d’autres sources de transmission, la démonstration d’une association entre l’exposition à la contamination environnementale et l’infection et l’observation d’une réduction du nombre de cas par l’élimination ou la réduction du réservoir environnemental. Ainsi, lors d’épizooties, le micro-organisme responsable peut être retrouvé dans l’environnement, mais cela n’est pas une condition suffisante pour le considérer comme une source unique de l’infection.
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