“Clapier collé” : un cas original de péritonite chez une montbéliarde en France - Le Point Vétérinaire expert rural n° 372 du 01/01/2017
Le Point Vétérinaire expert rural n° 372 du 01/01/2017

CHIRURGIE EN PRATIQUE BOVINE

Cas clinique

Auteur(s) : Pauline Bourdette*, Sandra Mirbach**, Séverine Druart***, Mathilde Hoolbecq****, Vincent Plassard*****, Sarah El-Bay******, Yves Millemann*******

Fonctions :
*Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
**Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
***18, rue du Docteur-Farny, 77510 Rebais
****Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
*****Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
******Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
*******Hospitalisations grands animaux,
ENV d’Alfort, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex

La péritonite aseptique fibrineuse pariétale est une complication peu fréquente de laparotomie chez les bovins, d’origine inconnue. Elle a été décrite en Belgique.

En chirurgie abdominale, les bovins sont connus pour leur capacité à produire de la fibrine, laquelle permet de circonscrire une infection péritonéale, qu’elle provienne de la migration d’un corps étranger ou d’une contamination iatrogène. Lorsque le vétérinaire intervient pour une péritonite dans cette espèce, il peut avoir davantage à lutter contre la fibrine et l’épanchement qui s’ensuit que contre l’infection elle-même. Aussi les praticiens ont-ils imaginé diverses astuces pour vidanger et libérer les abdomens les plus envahis [6].

Toutefois, certaines présentations de péritonite fibrineuse peuvent les désemparer, comme celle décrite dans ce cas, qui est aseptique, sèche, circonscrite, organisée et collée loin de la paroi.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse et commémoratifs

Une vache laitière primipare de race montbéliarde est examinée par un vétérinaire dans un petit élevage biologique. Elle présente un amaigrissement, une dysurie, une difficulté à déféquer et une volumineuse masse abdominale, perceptible à l’exploration transrectale. Elle a subi une césarienne par le flanc gauche 2 mois auparavant (le 23 mars), sans difficulté particulière au cours de l’intervention. Un gros veau mort-né a été extrait. En phase postopératoire, la vache a reçu une association de pénicilline et de dihydrostreptomycine (Shotapen®, 60 ml, par voie intrapéritonéale, hors résumé des caractéristiques du produit [RCP]) couplée à un traitement anti-inflammatoire à base de flunixine (Finadyne transdermal®). Elle a été revue le surlendemain, bien délivrée, avec une belle plaie chirurgicale, et a reçu le même jour une seconde injection de Shotapen®, par voie intramusculaire (IM) (délai de réinjection hors RCP). Ensuite, la vache est entrée normalement en production sans autre anomalie notée par l’éleveur, malgré une surveillance particulière à la suite de la césarienne.

Lors de la première visite, la vache reçoit un traitement antibiotique (oxytétracycline, Ténaline®, 50 ml IM) et anti-inflammatoire (dexaméthasone, Dexamedium®, 15 ml IM, et méloxicam, Inflacam®, 13 ml par voie sous-cutanée [SC]). Elle est référée au service d’hospitalisation des grands animaux de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) au vu du pronostic sombre émis par le vétérinaire qui l’a revue et n’a noté aucune amélioration, et afin d’explorer la nature et l’origine de cette masse.

2. Examen clinique d’entrée à l’ENVA

À l’arrivée de la vache à l’ENVA, un examen clinique est pratiqué. L’animal est maigre et se voit attribuer une note d’état corporel de 2/5. Il est normotherme (38 °C) et présente une dysurie. Du sang en nature est observé au début de la miction, mais les urines redeviennent macroscopiquement normales par la suite. Aucune anomalie n’est décelée après l’analyse standard d’un prélèvement de fin de miction à l’aide d’une bandelette et d’un réfractomètre.

À la palpation transrectale, une masse de 20 cm sur 70 cm est perceptible sur le plafond du bassin, du rectum jusqu’au milieu de l’abdomen, légèrement décalée dans la zone paramédiane droite. Sa consistance est ferme en première approche, mais elle est dépressible et fluctuante à la pression. Elle comprime ventralement à la fois le rectum et le trajet de l’urètre. La vessie, de grande taille, est basculée intégralement dans l’abdomen.

3. Hypothèses diagnostiques de première intention

À ce stade, au regard de la présentation clinique et des affections décrites en France dans ce contexte, sont suspectés :

– un abcès péritonéal ;

– un abcès rétropéritonéal ;

– une tumeur ;

– un hématome.

4. Examens complémentaires

En plus des examens urinaires précédemment exposés, une échographie transrectale est réalisée avec une sonde linéaire de fréquence 7,5 MHz sur un échographe MyLab®. L’aspect de la masse est hypoéchogène, avec une organisation multiloculaire. Sa paroi est hyper­échogène et contient de multiples structures hyperéchogènes immobiles d’aspect filamenteux (photo 1 et vidéos complémentaires 1 et 2 sur lepointveterinaire.fr). Les images obtenues peuvent évoquer un abcès, mais aussi une péritonite aseptique fibrineuse pariétale. La position de la masse empêche d’accéder aux autres structures anatomiques couramment explorées par cette voie, en particulier la vessie et l’utérus.

5. Évolution au cours de l’hospitalisation

En raison de l’anurie constatée quotidiennement, l’animal est sondé deux fois par jour à partir du lendemain de son hospitalisation, afin d’obtenir une vidange de la vessie. Son état général reste stable (température rectale entre 37,4 et 38,2 °C pendant toute l’hospitalisation). L’appétit est conservé.

6. Exploration étiologique

Une laparotomie exploratrice est réalisée le même jour (lendemain de son entrée), par le flanc droit, avec l’objectif de marsupialiser la masse, si possible.

Une volumineuse masse abdominale est mise en évidence, cranialement au bassin. Cette formation imposante décale les viscères intestinaux vers le bas. Des adhérences fibreuses entre le foie et le péritoine sont également identifiées manuellement.

Une corne utérine apparaît collée à cette masse. La vessie, de grande taille, est basculée dans l’abdomen.

La masse évoque un abcès péritonéal, non adhérent au rumen à gauche ni à la paroi musculaire à droite. Aucune possibilité de la marsupialiser n’est trouvée.

La laparotomie reste donc au stade observationnel et ne débouche pas sur une correction chirurgicale, comme cela était espéré initialement.

Pour compléter l’exploration du cas, une prise de sang pour une numération et une formule sanguines (NFS) est effectuée, dont le résultat est reçu 2 jours plus tard. Elle ne révèle aucune anomalie (tableau).

7. Décision d’euthanasie

Le lendemain de l’exploration chirurgicale, la plaie est saine, mais la vache présente des signes d’inconfort abdominal : elle se tient avec le dos légèrement voussé, piétine, et son appétit est diminué.

Devant le pronostic sombre à court terme, la vache est euthanasiée après quelques jours.

8. Examen nécropsique

Pratiquée immédiatement après la mort, l’autopsie permet d’extraire la masse dès l’ouverture de la cavité abdominale. Elle est fluctuante : une ligne de niveau en son sein est visible par transparence. Ses dimensions mesurées lors de la laparotomie sont confirmées (20 cm sur 70 cm). Son extension est précisée : elle envahit la cavité abdominale, du rectum jusqu’au milieu de l’abdomen, avec de multiples plages d’adhérences fibreuses disséminées (photo 2).

À la coupe, environ 15 l d’un liquide jaune séreux s’écoulent. Il était réparti au sein d’une organisation lamellaire interne de fibrine, entourée d’une coque conjonctive épaisse de 2 à 3 cm (photo 3).

L’utérus est adhérent à cette masse, en surface au niveau de la corne droite, mais sans trace de fils résiduels (issus de la césarienne). La vessie est distendue et repoussée cranio-ventralement, mais elle n’est nulle part adhérente. Des lésions de cystite modérée sont identifiées.

Cette masse est compatible avec une péritonite aseptique fibrineuse pariétale (PAFP), également baptisée “clapier péritonéal” en Belgique, où elle est majoritairement décrite.

DISCUSSION

1. Péritonite aseptique fibrineuse ou abcès classique

Les présentations cliniques lors de péritonite aseptique fibrineuse ou d’abcès classique sont extrêmement similaires : amaigrissement, baisse de production, hyper­thermie, palpation transrectale anormale. Un recours aux examens complémentaires est nécessaire pour le diagnostic différentiel.

Une modification de la NFS est attendue dans le cas d’un abcès, avec notamment une neutrophilie (avec des neutrophiles toxiques), éventuellement associée à une lymphopénie [7].

Lors d’une péritonite aseptique, d’éventuelles modifications hématologiques ne sont pas connues, pour le moment, chez les bovins. Cette forme pourrait être rapprochée de la péritonite aseptique encapsulante décrite chez l’homme ou de la péritonite sclérosante chez le chien, pour lesquelles aucune modification de la NFS n’est mise en évidence, comme dans ce cas [2].

L’échographie semble être l’examen de choix afin de différencier un abcès d’une PAFP. L’aspect loculaire, une cavité anéchogène associée à des septa échogènes, est typiquement évocateur. Les abcès ont, quant à eux, un aspect cavitaire, au contenu échogène ou hétérogène (anéchogène avec des éléments échogènes en suspension) [1, 4]. La capsule a le même aspect dans les deux cas.

2. Épidémiologie de la PAFP

→ La localisation de la masse péritonéale chez cette vache semble peu fréquente. Dans les publications belges qui la décrivent, cette entité concerne généralement le péritoine pariétal. Elle est retrouvée le long du flanc, adhérente à la paroi musculaire [3].

L’aspect est néanmoins classique dans le cas décrit, avec une capsule fibreuse épaisse de quelques centimètres (1 à 5 cm dans les données publiées), un contenu liquidien jaune (25 +/- 17 l) et de la fibrine organisée en lamelles (6 +/- 4 kg) [5].

Le clapier décrit chez cette vache peut sembler important. Néanmoins, pareilles masses s’étendant du diaphragme à l’entrée du bassin ont été décrites. Le temps d’évolution est de plusieurs semaines. À Liège, le délai moyen observé entre la césarienne et l’hospitalisation avec exploration d’un clapier péritonéal était de 33 +/- 22 jours [5].

→ D’après les résultats d’une enquête menée en Wallonie, la PAFP affecterait 0,7 % des animaux qui ont subi une laparotomie. Elle serait associée à un taux de mortalité de 13 % [5]. L’élément déclenchant semble être la laparotomie, puisque tous les bovins atteints l’ont subie au préalable.

La cause exacte demeure encore inconnue. Un agent pathogène non pyogène pourrait provoquer une inflammation exsudative bien encapsulée. Il pourrait s’agir du fil de suture du péritoine, comme de l’antibiotique déposé directement par voie intra-abdominale, ou bien encore du désinfectant dilué qui sert à l’asepsie ou bien de l’anesthésique local.

D’après une partie de l’enquête menée en Wallonie sur la base d’une centaine de questionnaires distribués aux praticiens, avec analyse des 25 réponses, il semble que la technique chirurgicale, l’expérience du chirurgien ou la localisation de la ferme n’aient pas d’incidence sur le développement ou non de cette péritonite [5].

→ Pour le traitement, dans les données publiées, il est conseillé de drainer la cavité, après avoir ouvert le flanc en partie déclive. Il convient de répéter la manœuvre quotidiennement pendant 3?semaines, tout en prenant soin de décoller la fibrine. Une cicatrisation peut être obtenue en 1 à 2 mois [3]. Ce traitement chirurgical nécessite que la masse soit localisée avec un accès externe aisé, ce qui n’était pas le cas pour cette vache montbéliarde.

Conclusion

Ainsi, les pratiques du quotidien en obstétrique bovine peuvent donner lieu à diverses complications peu fréquentes, dont la PAFP. Elles sont d’autant plus difficiles à expliquer aux éleveurs sur le terrain que leur origine reste indéterminée.

La poursuite des travaux de consensus sur la césarienne, tels qu’initiés à Lille par des praticiens au sein des groupements techniques vétérinaires en 2010, serait un bon point de départ pour avancer dans ce domaine. Les fabricants de fils, les acteurs de la commercialisation des antibiotiques ou des anesthésiques, voire les assurances, pourraient aider à constituer un observatoire des complications postcésariennes, dans un souci de pharmaco­vigilance et d’expertise. Il s’agirait de déterminer sur un grand nombre de cas (puissance statistique) dans quelle mesure ces derniers ont à voir avec la technique mise en œuvre (fils utilisés : monofilament ou tressé, conservation ; mode d’administration de l’antibiotique : suspension intrapéritonéale ?). Le contexte est à la promotion du bien-être animal et des bonnes pratiques d’antibiothérapie, et il convient de ne plus laisser les péritonites postchirurgicales non élucidées, et les praticiens seuls avec leur responsabilité civile.

Références

  • 1. Abdelaal AM, Floeck M, El?Maghawry S et coll. Clinical and ultrasonographic differences between cattle and buffaloes with various sequelae of traumatic reticuloperitonitis. Vet. Med. (Praha). 2009;54(9):399-406.
  • 2. De Pati A, Mukhopadhyay S, Nandi A et coll. Sclerosing peritonitis with unilateral ovarian luteinized thecoma in a post-menopausal woman: a case report [Internet]. [cité 25 ct. 2016]. Disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4264285/
  • 3. Hanzen C. Obstétrique : les?complications obstétricales chez les ruminants [Internet]. [cité 24 juin 2016]. Disponible sur : http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/70640
  • 4. Kumar A, Mohindroo J, Sangwan V et coll. Ultrasonographic evaluation of massive abdominal wall swellings in cattle and buffaloes. Turk J. Vet. Anim. Sci. 2014;38:100-103.
  • 5. Lamain G, Touati K, Rollin F. La?péritonite fibrineuse pariétale : une complication de la césarienne dans l’espèce bovine. Proc. J. Natl. GTV. 2012;1:237-240.
  • 6. Nicol JM, Billerey M. Drainage d’un abcès péritonéal en pratique. Point Vét. 2008;282:73-77.
  • 7. Smith B. Large animal internal medicine. 5e?éd. Elsevier. 2015:1712p.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La technique ou le niveau d’expérience du chirurgien ne semblent pas être des facteurs favorisants d’apparition d’une péritonite aseptique fibrineuse pariétale.

→ Un traitement de la péritonite aseptique fibrineuse pariétale peut être envisagé par drainage de la cavité, quand les lésions sont localisées classiquement le long du flanc de l’animal.

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