MAMMITES DES VACHES LAITIÈRES
Article de synthèse
Auteur(s) : Yves Le Loir*, Sergine Even**
Fonctions :
*UMR 1253 STLO Inra Agrocampus Ouest
65, rue de Saint-Brieuc, CS84215
35042 Rennes Cedex
Comme le rumen et le vagin, l’utérus et la mamelle hébergent des micro-organismes qui suscitent un intérêt croissant avec des perspectives thérapeutiques à la clé.
Le microbiote désigne l’ensemble des micro-organismes (bactéries, levures, champignons, virus) vivant dans un environnement spécifique. Celui de l’intestin était autrefois appelé “flore intestinale”. L’existence d’un microbiote a été démontrée depuis lors pour d’autres niches écologiques corporelles : le vagin, la peau (axillaire, du nombril, etc.) et, plus récemment, la mamelle.
Le microbiote d’un écosystème humain ou animal est une population mixte de micro-organismes vivant dans une certaine harmonie avec son hôte. Ce partenariat peut être positif, neutre ou négatif, selon la composition et l’abondance des populations microbiennes présentes. Ces écosystèmes présentent une forte biodiversité. La liste des espèces microbiennes les constituant s’est largement allongée avec l’avènement des techniques de séquençage haut débit et les approches de type métagénomique.
Ces écosystèmes naturels nécessitent un certain équilibre, tant en composition qu’en abondance, pour exercer leur rôle positif, par exemple un effet barrière. Une perturbation tant dans leur composition que dans leur abondance est appelée “dysbiose”. Elle entraîne souvent une fréquence accrue de contaminations et/ou d’infections par des espèces délétères ou pathogènes [19]. La composition du microbiote semble avoir des répercussions étendues dans le maintien de la santé, mais aussi sur le développement de l’hôte (travaux récents en médecine humaine) [1, 31].
Les études actuelles portent principalement sur les populations de bactéries des microbiotes, plus rarement sur les levures. Les virus et les champignons sont moins bien documentés pour des raisons scientifiques (sousdominance) et techniques (difficultés d’isolement, d’extraction, de séquençage et/ou d’analyse des séquences).
Les micro-organismes de la panse sont essentiels aux productions de ruminants. Le microbiote du rumen est intensément étudié à l’aide de techniques de séquençage de nouvelle génération (ngs, pour New Generation Sequencing) chez les bovins, mais aussi chez les caprins et les ovins [22, 33]. il paraît bien plus complexe et diversifié que celui du cæcum humain, d’après les premiers résultats [28].
Le microbiote ruminal évolue considérablement entre les stades précoces de la vie et l’âge adulte (photo 1). sa dynamique a récemment été étudiée par une technique de séquençage et une analyse d’ARN 16S. il s’est agi de déterminer des “unités taxonomiques opérationnelles” (OTU en anglais, pour Operational Taxonomic Unit) à cinq périodes différentes entre le premier jour de vie et l’âge de 2 ans. il apparaît, par exemple, que les firmicutes (embranchement auquel appartiennent les streptocoques) abondent pendant les 3 premiers jours de vie. les genres aérobie et anaérobie facultatif sont ensuite vite remplacés par des genres anaérobies stricts [15].
Les bactéries lactiques (BL) présentent une grande innocuité sanitaire (à ce titre, le législateur leur a donné un statut GRAS [Generaliy Recognized As Safe] ou QPS (Qualified Presumption of Safety)(1). Leur présence dans de nombreux écosystèmes naturels et leurs propriétés probiotiques ont été démontrées dans divers contextes (y compris chez l’homme). de ce fait, elles sont souvent ciblées et recherchées dans les nouvelles études.
Toutefois, dans le tractus digestif du ruminant, elles sont peu abondantes. Leur présence n’est que rarement évoquée (au-delà de l’abondance de streptocoques). Elles ne seraient donc pas les candidates les plus pertinentes pour le développement de solutions probiotiques. Les méthodes d’investigation étaient néanmoins peu discriminantes jusqu’à récemment. Les espèces de BL n’étaient pas précisément identifiées, les résultats étant limités au mieux au genre.
La présence de BL n’a pas non plus été démontrée dans le microbiote ruminal de veaux au stade préruminant [23].
Le rumen étant essentiel pour la digestion, beaucoup d’investigations portent sur le lien entre la composition du microbiote ruminal et certains paramètres tels que l’alimentation, le développement du rumen, l’efficacité de la fermentation et la production de gaz à effet de serre (CO2, méthane), ainsi que les performances de croissance de l’animal [12, 17, 21, 24-26, 29, 36, 39, 41]. De même, une relation a pu être établie entre un certain profil (par exemple, le ratio entre firmicutes et bacteroidetes) et la composition du lait (teneur en matière grasse) [16]. Une meilleure connaissance de ce microbiote complexe donnera certainement les leviers permettant des productions bovines en viande ou en lait plus efficaces et moins polluantes [27]. En cas de déséquilibre, le recours aux probiotiques constituerait, ici aussi, une partie de la solution.
L’utérus, le vagin ou encore la mamelle sont la cible d’affections en péripartum aux répercussions considérables (métrites, vaginites, mammites). Le microbiote endogène pourrait y jouer un rôle de barrière contre la colonisation et l’infection par des agents pathogènes. Il pourrait aussi participer à l’immunomodulation [30].
Contrairement au microbiote vaginal humain, dominé par les lactobacilles, la composition du microbiote vaginal bovin est très variable et inclut des genres tels que Enterococcus, Staphylococcus, Bacillus, des bactéries lactiques ou encore Escherichia coli. En d’autres termes, le microbiote vaginal bovin est constitué de contaminants de l’environnement (Bacillus sp.), de la peau de l’animal (Staphylococcus sp.) ou des fèces (E. coli, bactéries lactiques), plutôt que d’espèces endogènes stables. L’absence d’espèces commensales stables pouvant entrer en compétition avec les agents pathogènes contribue probablement à la sensibilité des vaches laitières aux infections du post-partum. bien qu’elles ne soient pas dominantes, de nombreuses bactéries lactiques sont également présentes dans l’écosystème vaginal des vaches saines. elles appartiennent aux espèces Streptococcus spp., Lactobacillus spp., Pediococcus spp., Leuconostoc spp. et Weissella spp. [34, 40].
Certaines ont été isolées et testées sur leur capacité à contrer des infections urogénitales [34, 40]. plusieurs souches de Streptococcus sp. et de Lactobacillus sp. ont d’abord été isolées de la sphère vaginale de vaches saines. In fine, certaines souches de Lactobacillus gasseri peuvent inhiber la croissance de Staphylococcus aureus in vitro [35].
Le microbiote utérin a récemment été étudié. Il présente une forte diversité chez les vaches saines, comparées à celles atteintes de métrite ou d’endométrite. indépendamment du statut sanitaire, il est surtout composé d’espèces membres des phylums Bacteroidetes, Fusobacteria, Firmicutes, Proteobacteria et Tenericutes [37].
Précurseur dans la littérature scientifique sur le sujet, le professeur gorini identifie dès 1902 « une microflore mammaire qui existe dans des conditions normales » et qui « participe à la maturation des fromages ». Quatre ans plus tard, il montre que la modification de cette flore normale, sous l’action d’une mauvaise traite ou de la contamination de la mamelle, conduit à l’apparition d’une microflore anormale et persistante pouvant être corrélée à une affection mammaire [10].
Le microbiote mammaire a, depuis lors, été largement exploré par des approches culturales ou moléculaires ciblant différents sites tels que la peau et le canal du trayon, ou bien le lait (tableau). Le microbiote du trayon présente une diversité plus importante que ce que les approches culturales le laissaient supposer. Il est dominé par les firmicutes, et contient également des actinobactéries et des protéobactéries. Parmi les genres dominants du microbiote mammaire bovin chez les animaux sains se trouvent Staphylococcus sp., Streptococcus sp., Propionibacterium sp., Aeribacillus sp., Faecalibacterium, Bacteroides sp. et Anaerococcus sp. bien que, là encore, elles ne soient pas dominantes, les BL sont présentes dans l’écosystème mammaire bovin et certains travaux explorent leur capacité à exercer un rôle barrière vis-à-vis des infections mammaires bovines [3, 18, 21].
Les travaux les plus récents ont révélé la forte diversité du microbiote mammaire (photos 2a et 2b) [4, 5].
En lactation, Lactococcus sp., Bifidobacterium sp. et Propionibacterium sp. ont tout d’abord été identifiés, mais pas le genre Lactobacillus sp. [4].
Plus récemment, la présence de Lactobacilli a été révélée, mais à faible niveau (dans du lait bovin de premiers jets collectés sur des quartiers sains, avec séquençage de l’ARN 16S : espèces L. acidophilus, L. reuterii et L. johnsonii).
L’amélioration des connaissances sur le microbiote mammaire, notamment par les nouvelles technologies de séquençage à haut débit, va permettre d’identifier des bactéries bénéfiques ou délétères appartenant au microbiote de la mamelle (encadré 1, figure 1).
Comme dans les écosystèmes vaginaux et intestinaux, certaines composantes de la flore bactérienne du trayon pourraient agir en compétition contre les bactéries pathogènes et faire partie intégrante des mécanismes de défense locaux [8]. Parmi ces souches à effet positif sur l’hôte, certaines pourraient être utilisées comme probiotique mammaire [6, 30]. Des études in vivo sur des modèles bovins s’imposent, pour étudier l’impact réel de la présence et de la composition de ce microbiote sur la réponse immunitaire et son rôle barrière.
Certaines bactéries du microbiote mammaire sont des agents pathogènes opportunistes. Ainsi, les staphylocoques à coagulase négative ou positive (SCN et SCP) sont très fréquemment retrouvés dans le trayon. Ils sont bien connus pour leur implication dans les mammites [9].
L’impact réel du microbiote du trayon et de la mamelle dans l’équilibre sanitaire de la glande mammaire demande encore à être exploré. nos propres travaux ouvrent, toutefois, la voie à une définition de microbiote “sain et équilibré”, par opposition à un autre, “en dysbiose” (encadré 2, figure 2).
Des mesures peuvent d’ores et déjà être envisagées en prévention, en traitement ou en post-traitement antibiotique, pour maintenir ou rétablir l’équilibre du microbiote mammaire. Ces interventions sont envisageables sous la forme de probiotiques, voire de transplantation de microbiote(1).
(1) Voir l’article “Probiotiques et prévention sanitaire” des mêmes auteurs, à paraître dans le prochain numéro.
Aucun.
→ Des souches de lactobacilles isolées du vagin de vaches peuvent inhiber la croissance de Staphylococcus aureus in vitro.
→ Certaines bactéries du microbiote mammaire sont opportunistes, dont les staphylocoques à coagulase négative et S. aureus.
→ Des bactéries de la flore du trayon pourraient agir en compétition contre les bactéries pathogènes, donc être utilisées comme un probiotique mammaire.
→ Jusqu’à récemment, l’identification de la biodiversité des différents écosystèmes, notamment mammaire, reposait sur des approches culturales (isolement sur divers milieux de laboratoire) ou moléculaires (clonage et séquençage du gène codant pour l’ARN ribosomique 16S). D’où une vision partielle de l’écosystème, dans la mesure où seules les espèces majoritaires étaient sélectionnées, et uniquement celles susceptibles d’être cultivées.
→ Les premières études sur l’identification des micro-organismes présents au niveau du trayon chez des vaches laitières ont été réalisées à l’aide d’isolements sur milieu de culture ou via l’utilisation de galeries API [38, 42]. les espèces/genres/familles ainsi identifiés sont principalement des staphylocoques, et notamment ceux à coagulase négative tels que S. xylosus et S.chromogenes, et des souches du genre Acinetobacter, Bacillus et Corynebacterium [11, 38, 42, 43].
→ Plus récemment, le séquençage de l’ARNr 16S À partir d’échantillons prélevés dans le canal du trayon de vaches laitières a permis d’identifier 45 unités taxonomiques opérationnelles dont une large gamme de Clostridia, d’Actinobacteria et de Proteobacteria [9]. les bl suscitent un intérêt particulier dans ce contexte, en raison de leur utilisation comme probiotiques ou, simplement, en fermentation laitière. une centaine de souches de bl ont pu être isolées à partir d’échantillons de lait et de prélèvements au niveau du trayon de vaches (notamment Streptococcus bovis, Weissella paramesenteroides, Lactococcus lactis subsp. lactis).
→ L’arrivée d’une nouvelle génération de méthodes de séquençage à haut débit ouvre la voie à des investigations inédites. l’approche métagénomique est largement mise en œuvre, notamment depuis les projets de caractérisation du microbiote humain(1). Il y a 5 ans, un pyroséquençage appliqué à des amplicons d’ARNr 16S a permis de caractériser le microbiote du lait de la femme [13]. le rumen et le lait de la vache l’ont été par la suite [14, 32].
→ Notre équipe a récemment exploré la composition du microbiote mammaire (lait de premier jet et écouvillonnage de l’apex du trayon) selon l’historique sanitaire des quartiers chez les vaches laitières.
→ Deux groupes ont été étudiés :
– le premier composé de quartiers qui ont présenté un ou plusieurs épisodes de mammite lors des lactations précédant celle en cours ;
– le second constitué de quartiers qui n’ont jamais été atteints d’inflammation (mammites cliniques et subcliniques).
Les quartiers inclus étaient exempts de toute infection mammaire au moment des échantillonnages. L’ADN total a été extrait des culots de bactéries obtenus à partir de chaque échantillon. Une portion d’ADN (correspondant au gène de l’ARN ribosomique 16S, présent dans toutes les bactéries, quelle que soit l’espèce) a été amplifiée par PCR (polymerase chain reaction) et séquencée. L’information contenue dans ces séquences a ensuite été traitée pour identifier les groupes bactériens présents.
→ Les microbiotes mammaires de quartiers sains présentent une biodiversité supérieure à celle des microbiotes des vaches sensibles aux mammites. De nombreuses espèces bactériennes sont communes aux deux groupes, mais les microbiotes de chaque groupe (sain et sensible) ont des spécificités [7].
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