NUTRITION FÉLINE
Dossier
Auteur(s) : Chiara Calandra*, Yassine Mallem**
Fonctions :
*Unité de nutrition et d’encrinologie
**Unité de pharmacologie et toxicologie
Oniris, École nationale vétérinaire
agroalimentaire et de l’alimentation,
Nantes Atlantique, La Chantrerie,
BP 40706 44307 Nantes Cedex 3
La régulation de la prise alimentaire chez le chat dépend à la fois de facteurs physiologiques et de facteurs environnementaux.
L’anorexie est un des motifs de consultation les plus fréquents en médecine féline. Les mécanismes responsables de son apparition sont complexes et restent incomplètement définis à ce jour. Chez le chat, le comportement alimentaire regroupe un ensemble d’attitudes innées et acquises vis-à-vis de la consommation d’aliments. Son principal rôle comme chez la majorité des espèces est de fournir l’ensemble de substrats permettant d’assurer l’homéostasie énergétique de l’organisme. Sa régulation implique des facteurs métaboliques, endocriniens et nerveux, qui contrôlent l’état de faim et de satiété et permettent d’adapter, avec une très grande précision, les apports aux besoins. Mais elle est aussi modulée de manière complexe par des stimuli externes tels que le régime alimentaire et les interactions sociales. La connaissance et la compréhension de l’ensemble de ces facteurs permettent de mieux répondre aux exigences nutritionnelles du chat, et sont aussi déterminantes pour expliquer les états d’hyporexie et/ou d’anorexie et mettre en place le meilleur traitement orexigène (diététique, comportemental et médical) pour l’animal [4, 6].
À la différence des canidés qui chassent en meute, le chat est un prédateur qui vit et chasse seul. Il capture de petites proies qu’il consomme en dix à vingt repas, de jour comme de nuit. Contrairement au chien, il n’est pas soumis aux règles hiérarchiques et le repas ne semble donc pas être une valeur sociale (photo 1) [5].
Le comportement alimentaire du chat est variable. Il résulte de stratégies d’adaptation à l’environnement et de son passé alimentaire. Ce passé joue un rôle très important dans l’installation des préférences nutritionnelles de l’animal. Lors d’un repas, en effet, le chat fait appel à des considérations purement sensorielles, mais il consomme l’aliment aussi en fonction de ses expériences [8].
La néophilie et la néophobie sont des comportements innés, aussi bien chez le chat que chez le chien. Elles représentent des stratégies évolutives de sélection qui amènent l’animal à choisir l’aliment le plus équilibré disponible dans son milieu de vie.
La néophilie est la préférence pour un nouvel aliment qui n’a jamais été, du moins pas récemment, consommé, et qui permet à l’animal de diversifier et d’équilibrer son régime alimentaire.
La néophobie est moins répandue que la néophilie chez le carnivore. Il s’agit d’une moindre préférence pour un nouvel aliment par rapport à la denrée habituelle. Ce phénomène permet à l’animal de rester sur un régime équilibré, sans prendre le risque d’essayer un aliment inconnu [5, 8].
Chez le chat, les préférences alimentaires sont déterminées par des expériences acquises à partir du plus jeune âge. Elles se produisent 6 à 8 semaines après la naissance, lors du sevrage, alors que la mère assume un rôle fondamental dans l’acceptation de l’aliment par le chaton. En effet, pour son premier aliment solide, le jeune choisit celui que sa mère consomme, et non le plus appétant selon des critères innés [8]. Des études ont aussi réalisé des expériences sur le conditionnement alimentaire chez les chatons, selon lesquelles une exposition pré- et postnatale influencerait leurs préférences alimentaires néonatales et au moment du sevrage [2].
Le choix final de l’aliment s’appuie soit sur des modèles comportementaux innés, soit sur les expériences acquises. Le passé alimentaire oriente le chat vers un comportement néophile ou néophobe (comportements innés), mais en relation avec le mode de vie ou le type de régime de l’animal, et en fonction de la disponibilité dans l’environnement d’un aliment plus équilibré. L’aversion vis-à-vis d’un certain aliment, comportement inné (très répandu chez le chat et surtout au cours d’une maladie), est également l’expression d’un mécanisme évolutif de conservation, tout en gardant le contact avec le passé alimentaire : l’objectif est l’évitement de la prise d’une nourriture potentiellement dangereuse.
Pour que l’aliment soit accepté, il est essentiel que le chat se sente en sécurité. S’il vit à l’intérieur, son propriétaire doit lui permettre d’exprimer son éthogramme : manger, dormir, jouer et se cacher (photos 2 à 4). Différents facteurs de stress, comme le changement d’habitation, l’arrivée d’étrangers, des bruits soudains ou l’hospitalisation, peuvent affecter la prise alimentaire.
Des événements particuliers peuvent même favoriser l’apparition d’une aversion alimentaire, par exemple lorsqu’un aliment est offert à l’animal avant ou après l’administration d’un médicament qui entraîne des nausées ou des vomissements [7].
Le propriétaire interprète souvent les vocalises et les frottements de l’animal comme un comportement visant à réclamer de la nourriture (photo 5). La réponse à ces manifestations favorise un cercle vicieux où le chat associe l’attitude de son maître à une récompense pour sa recherche d’attention.
Les caractéristiques d’un aliment sont susceptibles d’influencer le comportement du chat. Si la denrée est très attrayante, l’animal peut avoir tendance à la consommer, même s’il n’a pas faim, en dépassant les signaux physiologiques qui gouvernent l’appétit. Il est important de comprendre quels aspects de l’aliment influencent sa palatabilité, son acceptation et les préférences des chats.
Le choix de l’aliment comporte différentes étapes successives. Tout d’abord, l’animal évalue l’odeur et la température de celui-ci. L’odorat est très important chez le chat et joue un rôle majeur dans la sélection alimentaire. La température est une autre caractéristique essentielle. Les chats préfèrent les aliments proches de la température corporelle (celle des proies en nature) ou ambiante, mais un léger réchauffement facilite la volatilisation des composés aromatiques et peut favoriser la prise alimentaire chez certains félins.
Les autres étapes telles que la préhension et la texture de l’aliment, mais également son goût sont déterminantes dans la prise alimentaire. Des études ont, par exemple, montré que le chat répond positivement à des aliments contenant certains acides aminés, peptides et nucléotides dont la saveur est acide et amère [6, 8].
La régulation de la prise alimentaire met en jeu une interaction complexe de facteurs internes et externes (gastro-intestinaux, nerveux et environnementaux) qui affectent l’appétit, la sensation de faim et celle de satiété (tableau).
Lors d’un repas, l’ingestion de l’aliment et la conséquente distension de l’estomac stimulent la sensation de satiété au niveau du SNC via l’activation du nerf vague et la libération d’hormones gastro-intestinales (cholécystokinine [CCK], glucagon-like peptide 1 [GLP-1] et peptide YY [PYY]).
La CCK est produite en réponse à la présence de protéines ou de graisses dans l’intestin proximal. Elle est libérée par les cellules entérochromaffines, dites “I-cell”, situées dans le duodénum ou le jéjunum. Elle favorise la sécrétion d’acide gastrique, la vidange gastrique, la contraction de la vésicule biliaire et la sécrétion d’enzymes pancréatiques.
Le GLP-1 et le PYY sont délivrés par les cellules L de l’iléon et du côlon, et déterminent une sensation de satiété en réponse à la présence de glucides et de graisses non absorbés. Ces cellules agissent comme capteurs des éléments nutritifs, et, quand elles sont stimulées, principalement par des acides gras, elles produisent à la fois du GLP-1 et du PYY. Le GLP-1 stimule la sécrétion d’insuline et réduit celle d’enzymes pancréatiques. Il agit également en inhibant la sécrétion d’acide gastrique et en diminuant la vitesse de la vidange gastrique et de la motilité intestinale [1, 3, 5].
→ La leptine est une hormone synthétisée par le tissu adipeux et en quantité proportionnelle à ce dernier. La production de leptine ne change pas par rapport au repas, mais sa présence signale la disponibilité de dépôts énergétiques et, lorsque sa concentration augmente, elle réduit la prise alimentaire.
→ L’insuline représente un important indice du statut nutritionnel. Elle n’agit pas seulement sur les tissus cibles les plus connus, comme le tissu musculaire, le tissu adipeux et le foie, mais aussi au niveau hypothalamique où elle a un rôle pivot en tant que signal de satiété.
Toutes les hormones mentionnées ci-dessus sont anorexigènes. La seule hormone orexigène est la ghréline. Celle-ci est libérée par les cellules neuroendocrines dans le fundus de l’estomac. Elle stimule la faim grâce à l’excitation des neurones neuropeptide Y/agouti-related peptide (NPY-AgRP) [1, 3, 5] (figure).
Le noyau arqué joue un rôle central dans la médiation des signaux de réserves énergétiques et des besoins. Deux groupes de neurones du noyau arqué gèrent le comportement alimentaire : le propriomelanocortin/cocaine- and amphetamine-regulated transcripts (POMC/CART) et le NPY-AgRP. Lorsque les neurones du groupe POMC/CART sont stimulés, ils activent les centres hypothalamiques (dorso-médial, latéral et paraventriculaire) via la production d’orexines et de mélanocortines en provoquant la réduction de l’appétit. Les mêmes centres sont stimulés par les neurones du groupe NPY-AgRP pour favoriser la prise alimentaire.
Ces voies sont stimulées par les hormones du tractus gastro-intestinal, comme la CCK, ou par la pause vagale de la faim après un repas. De plus, une montée de l’insuline se produit après l’ingestion d’un repas, qui affecte également le noyau arqué en stimulant les neurones POMC-CART et en ralentissant l’activation des neurones NPY-AgRP pour diminuer l’appétit.
Quand le GLP-1 est libéré dans la circulation sanguine, il entraîne la stimulation des neurones POMC-CART du noyau arqué, ainsi que l’inhibition réciproque des neurones NPY-AgRP, brisant la faim. Le GLP-1 a également des effets insulino-sensibilisateurs.
Il existe donc des mécanismes qui contrôlent la prise alimentaire en fonction des réserves et des besoins énergétiques, mais aussi des régulations hédoniques. Celles-ci sont provoquées par l’action des opioïdes endogènes et cannabinoïdes, en l’absence d’un déficit énergétique, et fondées sur l’attrait et l’aspect de l’aliment ou sur tout autre facteur externe de la prise de nourriture [1, 3, 5].
La régulation de la prise alimentaire chez le chat repose sur une interaction complexe entre des facteurs physiologiques et des facteurs environnementaux. Les mécanismes neuroendocriniens déterminent les sensations de faim et de satiété, alors que les facteurs externes comme les expériences passées, l’environnement et les caractéristiques organoleptiques de l’aliment jouent un rôle important dans l’acceptation de celui-ci, qui dépasse les propres signaux physiologiques de l’animal.
Aucun.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire