APPROCHE GLOBALE EN ÉLEVAGE BOVIN
Étude
Auteur(s) : Matthieu Leblanc*, Yves Millemann**
Fonctions :
*Clinique vétérinaire de Lurcy-Lévis,
Route de Pouzy, 03320 Lurcy-Lévis
**Pathologie des animaux de production,
EnvA, 7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex
Cent cinquante et un praticiens ruraux du nord et de l’est de la France décrivent les visites d’élevage et la médecine de troupeau qu’ils proposent, et celles dont les éleveurs disposent.
Alors qu’ils ont pour objectif commun d’améliorer la rentabilité et le statut sanitaire de l’exploitation, vétérinaires et éleveurs semblent en désaccord sur la façon de procéder.
Une “fracture” entre offre et demande de service à l’échelle du troupeau en pratique rurale est ainsi ressentie par de nombreux praticiens. Elle a probablement plusieurs causes, souvent évoquées ces 10 dernières années : concurrence des organisations professionnelles agricoles (OPA), situation économique actuelle de l’élevage français, etc. [1, 3]. De plus, certains éleveurs renâclent à investir sur le long terme. Côté vétérinaire, un manque de communication et de temps est souvent déploré. Difficile de s’y retrouver. Les freins au développement de la médecine de groupe en élevage bovin sont donc multiples en apparence.
Une enquête en deux volets a été réalisée pour progresser dans l’analyse du décalage entre offre et demande de service en pratique rurale. Le ressenti des praticiens a d’abord été étudié, concernant leurs propres prestations de services. Celui des éleveurs sera traité séparément [5, 6].
Un questionnaire Google Forms® a été réalisé à destination des praticiens ruraux, support facilement diffusable, aisé à remplir, la plupart des vétérinaires ruraux étant désormais informatisés. La conception des questions pour l’enquête a été le fruit d’une réflexion personnelle à partir d’une recherche bibliographique et des discussions avec les différents acteurs du monde rural (éleveurs, praticiens ruraux, maîtres de stage et directeur de thèse) [4].
Le questionnaire vétérinaire était constitué d’une vingtaine de questions portant sur la structure, le type de clientèle, les prestations de services proposées à l’échelle du troupeau et l’organisation du travail vis-à-vis de cette offre. Les perspectives d’avenir concernant le métier de praticien rural étaient aussi interrogées. Des questions de plusieurs types ont été posées : fermées, choix dans une liste, ou encore choix multiple.
Sa diffusion a été permise par la société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), via sa base de données d’adresses mail des adhérents : 1 094 au total sur 2 521 vétérinaires ruraux ou mixtes à dominance rurale au total en France en 2016 [8]. L’envoi a été effectué à deux reprises à 1 mois d’intervalle pendant l’été 2015.
À la clôture, soit un mois et demi après la dernière relance (absence de réponses enregistrées depuis plus de 1 semaine), 163 réponses ont été enregistrées. Après élimination des doublons (certains vétérinaires ayant répondu aux deux envois de mail), 151 réponses étaient comptabilisées, soit un taux de participation final de 13,8 %.
Les vétérinaires interrogés appartiennent à des structures à dominante rurale ou mixte (figures 1 et 2). Près de la moitié sont des cliniques comportant entre 2 et 5 vétérinaires, avec pour activité principale la filière rurale laitière ou allaitante. Aucun type de production ne dominait. La pratique canine, bien que non majoritaire, reste présente dans ces structures. Les petites structures restent anecdotiques (11 % des réponses) tandis que les très grosses sont bien représentées : 18 % des praticiens interrogés appartiennent à des structures à plus de sept équivalents temps-plein. L’ensemble des réponses enregistrées provient de zones rurales. Le Nord et le Sud-Ouest sont sous-représentés alors qu’ils constituent d’importants bassins laitiers et allaitants.
Les trois activités de services à l’échelle du cheptel les plus citées par les répondants sont dans l’ordre décroissant : le suivi de reproduction, la visite diarrhée des veaux, et la visite mammites/qualité du lait. Presque 100 vétérinaires les mentionnent, tandis que les autres activités proposées sont en dessous de 60 réponses. Le vétérinaire pouvait aussi cocher un item “autre” si l’une de ses offres de services ne figurait pas dans la liste (tableau). Pour les vétérinaires interrogés, la prestation la plus demandée par les éleveurs, donc la plus réalisée, est le suivi de reproduction (46 %). Assez loin derrière, les trois propositions suivantes récoltent seulement entre 9 et 11 % des réponses (14 à 17 réponses sur 151) : la visite diarrhée des veaux, la visite mammites/qualité du lait et le parage fonctionnel (figure 3).
Plus difficiles à vendre ? Les visites parasitologie, alimentation, bâtiment, contrôle salle de traite et audit complet attirent plus difficilement l’attention des éleveurs selon les vétérinaires (elles sont souvent citées comme proposées, mais pas en tête des visites demandées).
Environ 9 % des sondés ne proposent aucune de ces prestations.
L’offre de services de troupeau au sein des cabinets vétérinaires ruraux apparaît dans cette étude comme une activité en développement, de création relativement récente, née la plupart du temps d’une initiative interne unilatérale (un des vétérinaires de la clinique) (figure 4). Paradoxalement, seuls 19 % des praticiens interrogés disent avoir créé ce type d’offre à la suite de la demande d’éleveurs.
La transmission orale à la faveur des visites quotidiennes est un moyen de promulgation de l’offre pour 87 % des praticiens interrogés. Les formations éleveurs sont un bon moyen de promotion pour un quart des vétérinaires. L’informatique, en plein essor sociétal, reste un outil de communication anecdotique : seuls 4 % des praticiens interrogés ont envoyé des mails sur leur offre de service.
L’activité est en plein essor mais encore peu implantée. Les visites de service ne représentent généralement que le temps de travail d’un demi-équivalent temps-plein. Pour 62 % des praticiens sondés, moins de 25 % de leur temps de travail est consacré à l’activité de service.
Les moyens de tarification sont multiples, mais le forfait est largement plus utilisé que le tarif horaire (figure 5). Autres propositions parmi les réponses libres : tarifs à l’animal, à l’acte, ou à l’acte multiplié par le nombre d’animaux, au forfait ajusté au temps passé à la visite, selon un tarif calqué sur la visite individuelle (déplacement + visite + médicaments), ou encore via un contrat.
Les outils à la disposition du vétérinaire sont multiples (figure 6). Certains vétérinaires disposent de cuves à insémination artificielle, d’électro-éjaculateurs, d’outils de mesure de la qualité du lait et du colostrum, de kits de contrôle dynamique de traite. Les outils “informatiques” sont également cités spontanément par quelques praticiens (dans la rubrique “autres”, sans précision, mais a priori : PC et imprimantes portables, logiciels classiques ou spécialisés). Les aspects “équipements de service” seront abordés plus en détail dans un autre article [7].
Pour deux tiers des praticiens sondés, proposer des prestations de services est une évolution logique du métier de vétérinaire rural. Pour un peu plus de la moitié des répondants, il s’agit d’une activité intellectuellement stimulante. À peine 40 % des vétérinaires disent offrir une réponse à la demande des éleveurs. De même, seulement 36 % y voient une source de revenus supplémentaires, ce qui pose la question de la rentabilité de ce genre de visites. Les vétérinaires interrogés font également ressortir spontanément l’idée d’une relation de confiance à long terme avec l’éleveur, importante pour la pérennité du métier et notamment dans l’optique de la restriction à la vente d’antibiotiques.
Côté difficultés, les praticiens ruraux déclarent essentiellement manquer de temps et de demande de la part des éleveurs (figure 7). Pour la moitié des praticiens sondés, moins de 25 % des éleveurs de leur clientèle ont souscrit à leur offre de service. La concurrence avec les OPA apparaît comme un obstacle pour 7 % des vétérinaires, alors que cet item n’était pas proposé dans le questionnaire (réponse libre).
Plus largement, l’évolution de l’activité globale de la structure et des filières rurale et canine a aussi été étudiée dans cette enquête “vétérinaires”. Les opinions sont partagées : développement, stabilité ou baisse ?
La plupart des personnes interrogées adhèrent à deux idées (proposées dans le questionnaire) :
– le développement global de leur structure d’ici à 5 ans passera par l’activité canine ;
– l’évolution de l’activité rurale nécessitera la mise en place et/ou le développement de l’offre de services, au travers du conseil, de la prévention et de la médecine (de groupe) (figure 8).
L’envoi d’un questionnaire présente certains avantages et inconvénients. Cette démarche amène souvent une surreprésentation des réponses extrêmes, des répondants les plus concernés, les grosses cliniques, qui sont aussi souvent celles proposant le plus de prestations de services. Autre biais de sélection : les vétérinaires adhérents aux GTV dont nous avions les adresses sont susceptibles d’être les plus concernés par l’évolution du monde rural. À l’inverse, les vétérinaires plus “conservateurs” (exerçant une médecine plutôt individuelle et traditionnelle) ou les mixtes ayant peu de pratique rurale dans leur quotidien ont pu être sous-représentés.
Le suivi de reproduction est de loin la prestation de service la plus diffusible et répétable (photo). La présence régulière du vétérinaire dans l’élevage, le peu de moyens nécessaires et la visibilité rapide des bénéfices constituent des clés de cette réussite. Certaines autres visites globales, telles celles consacrées à la diarrhée des veaux, aux mammites et à la qualité du lait et au parage fonctionnel sont aussi assez largement proposées. Les maladies visées sont récurrentes pour de nombreuses exploitations bovines. A contrario, le bâtiment ou l’alimentation font rarement l’objet d’offre de service dans notre échantillon. De fait, pour de nombreux éleveurs, les compétences du vétérinaire dans ce domaine sont mal connues. La faible rentabilité pourrait également être un frein à la réalisation de ce type de visites.
L’amplitude potentielle des services en médecine de population est large. En dehors des visites les plus documentées et courantes citées dans les publications, les vétérinaires interrogés proposent pas moins de treize autres prestations : le testage du taureau, la visite d’élevage des génisses, la visite consacrée aux vaches taries, l’aide à la décision et l’appui technico-économique, l’insémination artificielle, l’audit de traite robotisé, etc., sans parler des visites réglementairement obligatoires, telles que le bilan sanitaire d’élevage ou la visite sanitaire bovine. Celles-ci font, pour certains praticiens, partie intégrante de l’offre de service. En particulier, le bilan sanitaire d’élevage pourrait constituer une porte d’entrée directe pour la mise en place d’autres prestations de service chez l’éleveur [2]. Il fournit au praticien l’occasion de travailler avec l’éleveur sur les coûts directs et indirects des maladies subcliniques identifiées dans son élevage. Un premier contact de sensibilisation à l’offre de service peut alors s’opérer pour l’éleveur.
D’après cette enquête réalisée en 2015 auprès de plus de 150 vétérinaires, “l’offre de service” renvoie à une activité réalisée à la demande pour un client particulier ayant des besoins spécifiques. La multitude de services proposés, de façons de procéder et de développer ce type de prestations prouve que celles-ci sont adaptables au cas-par-cas. L’important pour promouvoir une offre de service au sein d’une clientèle est de bien comprendre les besoins de l’éleveur. Il s’agit d’ajuster l’offre à la demande et de susciter la demande. Un marketing plus élaboré pourrait être développé. Une prestation adaptée, un service formalisé appuyé sur un devis argumentaire et technique sont autant de points décisifs à maîtriser absolument pour le vétérinaire [3]. Cette évolution du métier est cruciale pour maintenir un volume d’activité nécessaire et suffisant dans le secteur rural, mais aussi pour créer ou développer un lien fort avec la clientèle, au quotidien. Dans le cursus d’un vétérinaire rural, la formation en marketing est peu développée, comparée à celle des professionnels avec qui il peut entrer en concurrence dans ce domaine (employés par les firmes d’alimentation, etc.). Le point de vue des praticiens ruraux exposé dans cet article a pu être confronté à celui des éleveurs, par le biais de l’autre volet de cette enquête [6].
Aucun.
Aux vétérinaires qui ont pris le temps de répondre au questionnaire et pour leurs échanges.
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