Incidence de la torsion utérine et devenir des vaches affectées en clientèle (Suisse) - Le Point Vétérinaire expert rural n° 368 du 01/09/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 368 du 01/09/2016

TROUBLES DE LA REPRODUCTION

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : BVet
BP 20008
80230 Saint-Valéry-sur-Somme

Une étude du type cas-témoin a été réalisée dans des élevages alpins suisses à forte typicité qui recourent à la race locale.

La torsion utérine survient généralement à la fin de la première ou au début de la deuxième phase de la parturition. Des cas précoces pendant la gestation sont décrits, mais ils sont rares. L’instabilité de l’utérus est probablement la cause prédisposante majeure de cette affection. En 2012, dans un travail de thèse bibliographique et expérimentale en France, Thomas Jacob a exprimé le « sentiment que la fréquence de cette maladie diffère entre les races », mais en ne mettant en évidence qu’une simple tendance des races laitières à en présenter davantage que les races allaitantes. La faible incidence de cette affection ne lui a pas permis d’étayer la suspicion souvent avancée de prédispositions raciales, même si d’autres observations intéressantes sont ressorties de son travail de questionnaires en clientèle (encadré) [2]. En 2001, Noakes et coll. ont affirmé, quant à eux, l’absence de prédisposition raciale [4].

UNE ÉTUDE VISANT EXCLUSIVEMENT LA BRUNE SUISSE

En Suisse, la brune est pointée du doigt comme une race à risque plus élevé de torsion utérine : les interventions de détorsion utérine semblent fréquentes dans les élevages où cette race est utilisée [3]. Ce motif de visite survient, par exemple, en moyenne un jour sur deux dans une importante clientèle de l’Appenzell. S’agit-il d’un effet de race, de condition d’élevage, ou d’autre chose ? Pour avancer sur cette problématique, une étude a été réalisée à l’université de Berne sur la torsion utérine. Les vaches y sont toutes de race brune suisse (dans sa version “originale” ou non, pure ou croisée), donc le risque racial ne peut pas être évalué. Il s’est agi de déterminer l’incidence avant de chercher à comparer. D’autres facteurs de risque et les conséquences ont aussi été appréciés d’une façon descriptive : quelles vaches sont les plus à risque et existet- il une différence entre les primipares et les autres ? Quel est le retentissement de la torsion sur l’avenir reproducteur de la vache et sa carrière en production ? Ces volets plus zootechniques présentent un intérêt qui dépasse le contexte de suspicion de prédisposition raciale de la brune suisse, etc. [3].

La récente étude suisse est exhaustive, de type cas-témoin. Ont été recrutés tous les cas de torsion supérieure ou égale à 180° (les plus fréquents) d’une clientèle donnée (celle de A. Mittelholzer et de ses associés) pendant 2 années complètes, soit 550 entités. Les cas issus d’éleveurs qui n’ont pas souhaité participer (il s’agissait pour eux de remplir un questionnaire), ou pour lesquels des données manquent ont été exclus. Au final, 391 cas issus de 181 fermes ont été retenus. Les données du livre de la race brune suisse ont servi de témoins. Par souci de simplification de la lecture pour le praticien francophone, les données sont présentées ici d’une manière simplifiée, alors que l’étude est extrêmement précise, scientifique et rigoureuse, telle que publiée en anglais dans le Veterinary Record (quartiles de 25 et 75 %, intervalles de confiance, etc.) [3].

UNE INCIDENCE RELATIVEMENT ÉLEVÉE

Dans ce travail, la torsion utérine représente 30 à 50 % des causes de dystocie. Et 3 à 3,6 % des vêlages correspondent à des torsions, soit trois à quatre fois plus que dans les publications sur le sujet.

Les élevages sont globalement de petite taille (23 vaches), majoritairement en stabulation entravée (150/181) (photo). La torsion ne semble pas saisonnière.

Les primipares ne sont pas épargnées, contrairement à ce qui a été observé dans des études antérieures. L’âge moyen des vaches affectées de torsion dans la clientèle suisse est de 4 ans. Le rang moyen de lactation est de 2 (les vaches vêlent en moyenne à 31 mois). Les vaches en première et en deuxième lactation dominent l’échantillon (respectivement 101 et 108 cas). Les “cas” concernent environ un quart de primipares pour trois quarts de multipares.

La torsion survient chez des vaches à terme. La durée de la gestation des bovins affectés est ici en moyenne de 291 jours, plus longue chez les multipares touchées que chez les primipares d’environ 3 jours.

96,2 % des torsions se sont effectuées dans le sens inverse de celui des aiguilles d’une montre. Dans tous les cas, une manœuvre obstétricale a été tentée pour détordre l’utérus : impulsion manuelle dans 80,2 % des cas, roulage de la vache à l’aide d’une planche dans les autres.

Que la détorsion ait été obtenue ou non, une césarienne a été pratiquée pour extraire le veau dans seulement 3,1 % des cas (n = 12). Une assistance vétérinaire pour le vêlage s’est imposée dans un peu plus du tiers des cas.

CONSÉQUENCES POUR LE VEAU ET LA VACHE

Dix pour cent des veaux issus de torsion sont morts au vêlage et 4,2 % dans la phase néonatale, soit des chiffres satisfaisants par rapport à d’autres études, sans torsion ou avec torsion, mais dans des cliniques de référés. Les jumeaux sont possibles lors de torsion (16 naissances).

Des troubles du post-partum ont été observés dans environ 30 % des cas : une vingtaine de cas d’hypocalcémie, de non-délivrance, de métrite, auxquels s’ajoute une poignée de cas de mammite, de cétose, de prolapsus utérin et de phlegmon vulvaire. Ils n’ont pas été plus fréquents comparativement à d’autres études.

Plus d’un tiers des vaches ont quitté leur élevage après torsion, surtout pour cause d’infertilité : 10 % des motifs, soit un peu plus que les chiffres obtenus en dehors de cette étude sur la torsion (7 %). La fertilité d’un peu plus des deux tiers des vaches affectées a pu être analysée. Les intervalles vêlage-insémination fécondante sont augmentés chez les vaches restées dans le troupeau après torsion (122 jours versus 115 jours en moyenne, mais, pour la médiane, les chiffres sont curieusement plus favorables). Les éleveurs se rendent compte aussi du délai de retour à la cyclicité : l’intervalle vêlage-première insémination artificielle est à 83 jours versus 78 jours sans torsion.

Ce pourrait être le groupe des primipares qui “dégrade” les données de reproduction après torsion et les troubles du post-partum constitueraient une alerte possible. Par exemple, le nombre d’inséminations par vache obtenue gestante est plus élevé chez les primipares qui ont présenté des complications que celui de tous les autres groupes de vaches qui ont développé une torsion, avec ou sans complications.

L’état de l’animal au vêlage expliquerait-il pour partie les complications ? L’âge moyen au premier vêlage est plus élevé de 2 mois dans le groupe des primipares affectées qui présentent des complications après torsion. Or, avec l’âge, vient l’excès d’engraissement. Selon les auteurs de cette étude, les autres causes possibles à explorer pour les troubles de la fertilité observés chez les primipares affectées de torsion utérine sont l’introduction tardive dans le troupeau en lactation, les problèmes hiérarchiques et le retentissement important d’une dystocie chez un animal jeune. Indépendamment de la torsion utérine, ces aspects doivent être particulièrement soignés en élevage laitier, en Suisse comme ailleurs.

Les auteurs prévoient logiquement de transposer ce type d’étude dans d’autres cantons et pour d’autres races, afin d’approfondir les facteurs de risque "topographie" et “race”.

Conclusion

Ainsi, de jeunes cliniciens supervisés par les enseignantschercheurs Adrian Steiner et Gabriella Hisbruner, avec l’appui d’un statisticien, ont commencé à explorer une problématique qui interroge au quotidien les praticiens et les responsables locaux d’une race.

En France, l’étude de Thomas Jacob citée en introduction n’a pas encore trouvé de prolongements (l’auteur les suggérait pourtant).

Les causes et les facteurs de risque de torsion utérine restent globalement peu étudiés, alors qu’il s’agit d’une dominante pathologique en pratique bovine.

Références

  • 1. Aubry P, Warnick LD, Descoteaux L et coll. A study of 55 field cases of uterine torsion in dairy cattle. Can. Vet. J. 2008;49:366-372.
  • 2. Jacob Th. La vache, un animal prédisposé à la torsion de l’utérus : étude de 145 cas. Thèse, ENV d’Alfort. 2012:96 p.
  • 3. Mock T, Hehenberger E, Steiner A et coll. Uterine torsion in Brown Swiss cattle: retrospective analysis from an alpine practice in Switzerland. Vet. Rec. 2015;177:152.
  • 4. Noakes DE, Parkinson TJ, England GCW. Arthur’s veterinary reproduction and obstetrics. 8th vol. Ed. WB Saunders. 2001:868 p.
  • 5. Schmitt D. Les dystocies d’origines maternelles chez les bovins. Thèse, ENV de Lyon. 2005:095.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Une enquête en France en 2012

La vache est prédisposée à la torsion utérine en raison de son anatomie et de ses changements d’attitude, selon les données collectées dans les publications par Thomas Jacob dans le cadre d’une thèse encadrée par Dominique Remy (École national vétérinaire d’Alfort) [2]. Ce qui n’exclut pas d’autres facteurs prédisposants, comme l’alimentation, le poids du veau, mais aussi la race et la génétique. Aucun consensus n’est établi sur ce sujet, ni sur la part respective de ces éléments. De plus, une augmentation de l’incidence des cas de torsion serait constatée depuis 2000 en France. Une enquête a donc été réalisée auprès de treize clientèles vétérinaires, réparties sur l’ensemble du territoire français, en élevages laitier comme allaitant. Avec “seulement” 145 torsions étudiées dans des contextes très variés, le nombre de cas est resté insuffisant pour obtenir des corrélations exactes et établir des facteurs de risque. Des questions sur la conduite d’élevage (alimentation, bâtiment, conduite de la période péripartum) et les circonstances d’apparition de la maladie (site, sens et degré de la torsion, poids du veau, sexe, viabilité, etc.) ont été posées pour cerner au mieux chaque situation. Les cas sont sévères dans 78,6 % des interventions. Les différents traitements mis en place par les praticiens ont été restitués pour un usage pratique. Une césarienne a été réalisée dans plus du tiers des situations de torsion, soit bien davantage que dans l’étude suisse commentée ici [3]. Dans 75 % des cas, la réduction manuelle est fructueuse, mais le col n’est pas suffisamment dilaté pour permettre l’extraction du veau, même en différant l’intervention. Un veau en présentation postérieure, une torsion horaire ou en arrière du col pénalisent la détorsion (la rendent plus longue), selon les résultats de l’enquête en France.

Points forts

→ L’incidence est élevée et la détorsion manuelle, dans cette étude, est plutôt un succès.

→ L’intervalle vêlage-première insémination est augmenté après torsion.

→ L’état corporel des génisses au vêlage est à étudier pour tenter d’expliquer les difficultés rencontrées en reproduction, dans ce groupe, après torsion.

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