Rachianesthésie lombosacrée chez le veau : quel protocole anesthésique ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 365 du 01/05/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 365 du 01/05/2016

ANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE

Fiche

Auteur(s) : Jeanne Milon*, Gwenola Touzot-Jourde**

Fonctions :
*Oniris, École vétérinaire, agroalimentaire
et de l’alimentation Nantes-Atlantique,
site de la Chantrerie, route de Gachet,
44300 Nantes
**Oniris, École vétérinaire, agroalimentaire
et de l’alimentation Nantes-Atlantique,
site de la Chantrerie, route de Gachet,
44300 Nantes

La rachianesthésie lombosacrée procure une analgésie de qualité à l’animal et un confort de travail au chirurgien. Cet article présente les protocoles possibles lors d’intervention chez le jeune veau.

Les affections de l’ombilic font partie des dominantes pathologiques rencontrées chez le veau nouveau-né. Le recours à une intervention chirurgicale comme option thérapeutique est fréquente. La rachianesthésie lombosacrée constitue une technique anesthésique efficace, peu coûteuse et avantageuse sur des animaux immatures et présentant potentiellement une instabilité cardiovasculaire.

Indications

La rachianesthésie lombosacrée consiste en l’injection sous-arachnoïdienne, au niveau de la citerne lombosacrée, d’un anesthésique local souvent associé à un analgésique. Elle induit un bloc segmentaire rapide des racines motrices et sensitives de la moelle épinière. L’étendue du bloc sensitif et moteur dépend des molécules utilisées et de leur concentration (anesthésiques locaux et/ou α2-agoniste comme la xylazine), ainsi que du volume injecté. Cette technique apporte un confort chirurgical pour le veau et l’opérateur comparable à celui obtenu lors d’une anesthésie générale. Ce type d’anesthésie permet notamment de réaliser des chirurgies abdominales (hernie ombilicale, omphalite, entérectomie), des chirurgies des membres postérieurs (réduction de fractures, affections musculo-tendineuses), ou encore de traiter des maladies génito-urinaires (atrésie anale, fistule rectale, urétrostomie, etc.). L’intensité et la durée de l’anesthésie obtenue sont fonction de l’association des molécules utilisées et de leurs doses respectives. La méthode est majoritairement mise en œuvre chez de jeunes veaux de moins de 3 mois, mais, dans l’absolu, elle est utilisable quel que soit l’âge du bovin. Toutefois, la petite taille du veau permet une ponction facilement réalisable avec une aiguille de longueur standard. Chez les bovins plus âgés, une aiguille, de préférence spinale, de 8 à 15 cm est requise. La paralysie de l’arrière-main est aussi plus compliquée à gérer.

Molécules utilisables

Actuellement, aucune spécialité vétérinaire ne dispose d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la réalisation d’une rachianesthésie chez les bovins. Deux grandes classes de molécules sont principalement utilisées : les anesthésiques locaux (lidocaïne et procaïne essentiellement) et les sédatifs ou analgésiques de la famille des α2-agonistes (xylazine majoritairement). Les produits pharmaceutiques des protocoles cités (xylazine, détomidine, procaïne et lidocaïne par voie rachidienne, butorphanol par voies intraveineuse et rachidienne) sont ainsi utilisables hors AMM via le principe de la cascade avec un temps d’attente forfaitaire (de 28 jours pour la viande et de 7 jours pour le lait). Il est toutefois préférable d’employer des solutions avec voie péridurale et/ou sous-arachnoïdienne dans l’AMM, afin d’éviter la présence d’un conservateur ou d’un excipient possédant un potentiel neurotoxique. L’administration de diazépam est interdite chez les animaux destinés à la consommation humaine (liste des substances essentielles chez les équidés).

Protocoles anesthésiques

Différents protocoles anesthésiques et leurs effets pharmacodynamiques ont été testés lors d’études sur la rachianesthésie lombosacrée chez le veau de 30 à 80 kg (tableaux 1 et 2). Tous ne l’ont pas été en conditions réelles (lors d’une chirurgie) [1, 2, 6].

Il est courant d’associer la rachianesthésie à une sédation systémique (xylazine à la dose de 0,02 à 0,1 mg/kg par voie intraveineuse [IV] ou de 0,05 à 0,2 mg/kg par voie intramusculaire [IM], en association ou non avec du butorphanol, 0,05 à 0,2 mg/kg IV ou IM, ou encore une benzodiazépine chez les veaux les plus débilités, du brotizolam, 0,006 à 0,01 mg/kgIV). Une injection sous-cutanée de 0,5 à 1 ml (jusqu’à 2 ml) d’anesthésique local (procaïne 2 % ou lidocaïne 2 %) est souvent réalisée pour minimiser les réactions du veau au moment de la ponction cutanée avec l’aiguille de rachianesthésie et faciliter le bon placement de celle-ci dans des conditions de propreté et de sécurité optimales.

Protocoles les plus utilisés en pratique

Les mélanges les plus fréquemment employés en pratique pour réaliser une rachianesthésie lombosacrée associent un α2-agoniste et un anesthésique local. Les protocoles décrits ci-dessous permettent d’obtenir à la fois un confort chirurgical et une sécurité d’emploi. L’un des plus courants se compose de 0,2 mg/kg de xylazine 2 %, soit 0,1 ml pour 10 kg de poids vif, et de 2 mg/kg de lidocaïne 2 %, soit 1 ml pour 10 kg de poids vif. Ce protocole a été testé dans des conditions expérimentales et de terrain lors d’omphalectomie [4, 5]. Si aucune sédation intraveineuse ou intramusculaire n’est préalablement réalisée, la sédation s’installe rapidement en raison d’une résorption systémique qui ne prend que quelques minutes, avec un pic à 10?minutes postinjection, et elle est considérée comme profonde durant environ 30 minutes, tandis que la zone péri-ombilicale reste insensibilisée pendant 60 à 120 minutes. Les veaux sont aptes à se relever en 3 heures en moyenne (160 à 210 minutes).

À son arrivée sur le marché, la procaïne a été évaluée dans le cadre de la rachianesthésie du veau. La posologie équivalente au protocole précédent comprend 0,2 mg/kg de xylazine 2 %, soit 0,1 ml pour 10 kg de poids vif, et 4 mg/kg de procaïne 2 %, soit 2 ml pour 10 kg de poids vif (tableau 3). La sédation s’installe de façon similaire en quelques minutes et semble suffisante pour un temps opératoire variant de 30 à 60 minutes. Les veaux sont aptes à se relever en un peu moins de 2 heures (80 à 150 minutes) [6].

Les résultats préliminaires d’une étude entreprise en aveugle à Oniris sur 40 veaux anesthésiés pour une exérèse des structures ombilicales ont confirmé l’équivalence des proctocoles à base de lidocaïne et de procaïne associés à de la xylazine aux doses citées ci-dessus. Les animaux ont tous reçus initialement une sédation IM de xylazine à la dose de 0,1 mg/kg. La rachianesthésie avec de la lidocaïne ou de la procaïne associée à de la xylazine a apporté un confort adéquat pour la chirurgie d’exerèse, sauf chez les veaux atteints d’une péritonite et pour les opérations qui ont duré plus de 60 minutes (résultats préliminaires, communication personnelle).

Risques

Pour prévenir le risque de surdosage, il convient de peser le veau, plutôt que d’estimer son poids. Hormis les effets secondaires propres au protocole choisi, il est important de garder à l’esprit que la rachianesthésie est réalisée le plus souvent chez des animaux pédiatriques.

En raison de leur immaturité cardiovasculaire et de la présence d’une maladie potentiellement à répercussion systémique (infection ombilicale, septicémie, pneumonie, etc.), les risques de dépression cardio­vasculaire sont plus importants chez le veau nouveau-né que chez l’animal adulte ou en bonne santé. Il convient donc de réaliser un examen clinique initial approfondi, en particulier pour déterminer la stabilité des systèmes cardiovasculaire et respiratoire. Il est aussi préconisé d’adapter la sédation à l’état général du veau et de réaliser une réanimation fluidique par une perfusion intraveineuse lorsque des signes d’atteinte systémique et de déshydratation sont présents.

La survenue d’une hypothermie et/ou d’une hypo­glycémie ne doit pas non plus être négligée. Le veau peut être placé sur un matériau isolant et chaud (et non directement sur une table de chirurgie en inox), plutôt sur un tapis chauffant si disponible. Pour limiter l’hypoglycémie, la diète doit être la plus courte possible (2 à 3 heures) et une perfusion intraveineuse doit être administrée avec un soluté supplémenté en glucose, surtout lors d’interventions longues ou chez des veaux affaiblis [1].

Enfin, pour limiter le risque de dépression respiratoire, il convient de toujours injecter lentement la solution anesthésique dans le canal rachidien (20 à 40?secondes selon le volume), de placer le veau en décubitus dorsal sur une surface plane et d’éviter les conditions de décubitus pendant l’intervention chirurgicale, avec l’avant-main en position déclive par rapport à l’arrière, pour réduire la pression exercée par le contenu abdominal sur le diaphragme.

Conclusion

De nombreux protocoles de rachianesthésie lombosacrée ont été testés expérimentalement ou dans des conditions de terrain. Ils confèrent dans l’ensemble une bonne qualité d’analgésie et d’immobilisation du veau. Le protocole à choisir s’évalue individuellement selon les conditions de terrain et l’affection à traiter chirurgicalement afin que l’étendue du bloc, la durée de l’analgésie et du décubitus soient adéquats.

Références

  • 1. Amiot J. L’anesthésie du veau en pratique. Bull. GTV. 2010:17-26.
  • 2. Condino MP, Suzuki K, Taguchi K. Antinociceptive, sedative and cardiopulmonary effects of subarachnoid and epidural xylazine-lidocaine in xylazine-sedated calves. Vet. Anaesth. Analg. 2010;37:70-78.
  • 3. DeRossi R, Almeida RG, Medeiros U et coll. Subarachnoid butorphanol augments lidocaine sensory anaesthesia in calves. Vet. J. 2007;173:658-663.
  • 4. Galesne J. Évaluation d’un protocole de rachianesthésie utilisable chez le veau lors d’interventions chirurgicales concernant la zone ombilicale. Faculté de médecine, Nantes. Oniris : École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes Atlantique. 2013:53-102.
  • 5. Vequaud F. Intérêt de la rachianesthésie dans le traitement chirurgical des infections ombilicales chez le veau: comparaison de quatre protocoles. Faculté de médecine, Nantes. Oniris : École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes Atlantique. 2005:59-83.
  • 6. Vesin L. Évaluation de la procaine 2 % pour la rachianesthésie dans le cadre de chirurgies de l’ombilic chez le veau. Faculté de médecine, Nantes. Oniris : École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes Atlantique. 2015:53-100.
  • 7. Yayla S, Kilic E, Aksoy O et coll. The effects of subarachnoid administration of hyperbaric solutions of bupivacaine or ropivacaine in xylazine-sedated calves undergoing surgery. Vet. Rec. 2013;173:580-584.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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