Le lupin doux allié des ruminants contre les helminthes ? - Le Point Vétérinaire expert rural n° 363 du 01/03/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 363 du 01/03/2016

LES INGRÉDIENTS POSSIBLES DE LA RATION

Article de synthèse

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : BVet
BP 20008
80230 Saint-Valéry-sur-Somme

Un alcaloïde du lupin, légumineuse d’intérêt pour une ration bovine, ovine ou caprine, est étudié pour ses propriétés anthelmintiques.

Le lupin donne un fourrage, un concentré protéique (graines) et constitue un engrais vert puisqu’il s’agit d’une légumineuse. Autrefois redoutés, certains composants alcaloïdes de sa graine suscitent l’intérêt des chercheurs, en ces temps de montée de résistances aux anthelmintiques.

UN “SUPER POIS”

Le lupin est une légumineuse (photo 1). La graine est riche en protéine et en amidon, davantage que le pois (tableau). Sa culture encore anecdotique en France dans les années 1980 a progressé depuis lors avec l’évolution des cours du soja et du tourteau d’importation. Le lupin peut contenir jusque 40 % de protéines alors que le pois stagne aux alentours de 20 %. Si le pois est assez riche en phosphore, le lupin l’est encore davantage, et il est mieux doté en calcium (Ca). Il apporte davantage de cellulose, argument non négligeable pour des rations de haute production. Les protéines sont très solubles dans ces graines (de l’ordre de 90 %), d’où une valeur en protéines digestibles dans l’intestin d’origine alimentaire (PDIA) faible, mais moins que pour le lupin. La lysine est très présente dans ces légumineuses (figure 1).

PRESQUE DU SOJA

La proportion de fibres est remarquable, liée à l’épaisseur du tégument : près de 30 % du poids de la graine (photo 2). Les graines de lupin blanc contiennent 35 % de protéines, 9 % d’huile (le maximum pour le lupin blanc), peu d’amidon.

Cette légumineuse est donc plus proche du soja (classé dans les oléagineux) que d’autres.

La teneur en huile (non extraite pour l’homme) peut être exploitée dans une ration de ruminant. Cela permet un apport énergétique sans augmenter trop l’amidon. Des variétés de grains de maïs sélectionnées permettent des taux équivalents ou supérieurs (RH+) à ceux du lupin. Les protéines sont moins bien pourvues en acides aminés essentiels pour les porcs et les volailles que le soja ou le pois, mais conviennent pour la flore des ruminants.

Un kilogramme de lupin doux se substitue à 0,6?kg de tourteau de soja et à 0,4 kg d’orge. Il convient de ne pas dépasser 3 kg par animal et par jour [2].

UNE PLANTE QUI FAIT PROSPÉRER LES TERRES INGRATES

Les graines des variétés sauvages de lupin sont extrêmement amères et toxiques à haute dose. Des variétés douces n’existent que depuis 1930. Elles pouvaient seules bénéficier des soutiens octroyés dans le cadre de la politique agricole commune en Europe (PAC). Trois espèces sont cultivées à grande échelle. Le “blanc” (lupinus albus) est majoritaire en France. Ses fleurs sont bleues ou blanches (photos 3 et 4). Les graines sont grosses, plates et toujours blanc crème.

Un genre à feuilles étroites (“bleu”, angustifolius), plus précoce, est cultivé en Europe du Nord, surtout en Allemagne, mais aussi en Australie. Le lupin jaune (L. luteus) est cultivé en Europe de l’Est pour ses graines, mais est plus connu, partout, en fourrage ou en engrais vert. Les graines des variétés “bleues” et “jaunes” sont petites, rondes et mouchetées de brun.

La plante est originaire du bassin méditerranéen, mais son point thermique d’entrée en végétation peut être extrêmement bas. Comme les autres légumineuses, elle est autonome en azote. Elle ne supporte pas les excès de calcaire et d’eau. Les racines peuvent puiser l’eau profondément et, fait unique, de petites ramifications dites “protéoïdes” extraient du phosphore du sol, inaccessible pour les autres cultures (elles sécrètent des acides organiques). Le lupin pousse sur des sols très peu fertiles : sables de Sologne, terres volcaniques d’Islande. Elle peut aussi enrichir ces terres ingrates qu’elle tend à “envahir” (effet engrais vert en plante entière).

En France, le lupin produit est essentiellement auto­consommé par des ruminants. Sa culture nécessite peu de traitements et il convient aux assolements de cultures biologiques. Le lupin d’hiver, semé à l’automne et récolté en début d’été est majoritaire (figure 2)

D’importantes prospections méditerranéennes sur cette plante ont été menées, via l’Institut national pour la recherche agronomique, Inra Lusignan (Deux-Sèvres) [3].

UN FUTUR ALICAMENT ANTHELMINTIQUE ?

Le lupin contient des alcaloïdes dont certains ont longtemps fait sa mauvaise réputation : D- et L-lupanine, lupinidine ou spartéine, et même la lupinotoxine. Autrefois rapporté, le risque d’intoxication des vaches (lupinose) par consommation de variétés amères a fortement diminué avec la sélection variétale et la détoxification par la chaleur. Les symptômes étaient ceux d’une dégénérescence hépatique chronique (ictère), d’une néphrite, d’une albuminurie, d’une congestion cutanée ou intestinale (dose toxique : 100 g/j pendant 2 semaines).

Récemment, l’intérêt anthelmintique de certains de ces alcaloïdes a été souligné. Une équipe française a validé et quantifié ces propriétés par des tests in vitro exposant le strongle haemonchus contortus à divers extraits de deux variétés, riche (amère) ou pauvre (douce) en alcaloïdes (3,3 % contre 0,04 %) [1]. Les différents extraits ont paralysé significativement les stades larvaires et inhibé le développement des œufs. C’est bien la fraction alcaloïdique qui est efficace. Si les variétés douces (seules consommables) en contiennent moins, elles en présentent une diversité supérieure. L’effet anthelmintique est aussi observé sur un isolat parasitaire multirésistant. Le lupin peut-il devenir un alicament, plante possédant des qualités nutritives et thérapeutiques préventives ou curatives ? La prudence s’impose vis-à-vis de ces premiers éléments encourageants, mais obtenus in vitro. Les chimistes travaillent à une meilleure identification des composés présents dans les différentes fractions alcaloïdiques ou non. Des essais in vivo démarreront au printemps chez les ovins et caprins. Les composés d’intérêt seront alors exposés à d’autres stades parasitaires et, dans ce cas, la concentration des extraits alcaloïdiques est très délicate a inférer (G. Sallé, communication personnelle).

ET POUR L’HOMME

Le lupin blanc est déjà inscrit dans la pharmacopée : l’un de ses alcaloïdes, la spartéine, a une action très forte sur la plupart des muscles lisses. Utilisé pour avorter dans la Rome antique, ce principe actif aide encore les Japonaises pour déclencher l’accouchement, au lieu de “notre” ocytocine (mais il est désormais extrait du genêt d’Espagne, non du lupin).

La teneur en huile des graines est trop faible pour un usage comme oléagineux, mais la farine de graine de lupin est un ingrédient agroalimentaire remplaçant le jaune d’Œuf (le tégument a été ôté) (photo 5). Il a été classé comme allergène majeur et sa présence doit être signalée à ce titre sur les emballages. Le lupin garde bonne presse depuis qu’il entre dans la recette de produits sans gluten.

Au Portugal et dans d’autres pays méditerranéens, la graine entière de lupin blanc saumurée est traditionnellement servie en apéritif. Pour devenir consommables et éliminer l’amertume, des variétés traditionnelles sont longuement trempées dans l’eau (dissolution des alcaloïdes).

Le lupin d’une autre espèce orne aussi les jardins (L. polyphyllus, pérenne).

Conclusion

Le lupin est un colonisateur. C’est une légumineuse d’intérêt dans le contexte actuel à plusieurs titres : en plante entière (engrais vert) comme pour sa graine, pour les ruminants comme pour d’autres espèces (son usage chez les monogastriques et la volaille n’a pas été évoqué ici). Les chercheurs tentent de préserver la diversité génétique de ce genre végétal. Cependant, ils constatent les effets de la mondialisation : en Égypte (pays dans lequel le lupin est traditionnellement cultivé et consommé, pendant le ramadan), les échantillons collectés sur les marchés correspondent au mutant de grande culture australien (variété Kiev Mutant) [3].

Références

  • 1. Dubois O, Sallé G, Février H et coll. Évaluation in vitro du potentiel anthelmintique de la graine de lupin Lupinus spp. 22es Renc. Rech. Rumin., Paris. 2015:19-22.
  • 2. Grandjean D, Wolter R, Petit L et?coll. Les aliments de la vache laitière. Concentrés. Document d’enseignement ENVA, chaire de nutrition-alimentation. 1994:158p.
  • 3. Huyghe C, Papineau J. Recherches sur le lupin. Inra, station de génétique et d’amélioration des plantes (86600 Lusignan). Sauve qui peut ! 1996;8:2p. http://www7.inra.fr/lecourrier//wp-content/uploads/2013/04/Sauve-qui-peut-n%C2%B08_Papineau.pdf

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ Le lupin est assez ubiquiste en France, mais il ne supporte pas les excès de calcaire et d’eau.

→ Les racines peuvent puiser l’eau profondément et extraire du sol du phosphore inaccessible (terres volcaniques, sableuses).

→ C’est la fraction alcaloïde qui engendre l’effet anthelminthique in vitro.

→ La spartéine, dans les variétés anciennes de lupin, a une action sur les fibres lisses comparable à celle de l’ocytocine.

REMERCIEMENTS à Lup’ingrédients et Terre Univia pour l’iconographie.

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