Fracture complexe de l’humérus chez une génisse - Le Point Vétérinaire expert rural n° 362 du 01/01/2016
Le Point Vétérinaire expert rural n° 362 du 01/01/2016

PATHOLOGIE CHIRURGICALE BOVINE

Cas clinique

Auteur(s) : Mohamed-Rhida Frikha*, Rym Latrach**, Cécile De Guio***, Émilie Segard-Weisse****

Fonctions :
*Unité pédagogique de médecine
et de chirurgie des ruminants, porcs et volailles,
VetAgro Sup, Campus vétérinaire de Lyon,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-L’Étoile
ridha.frikha@vetagro-sup.fr
**Service de chirurgie, École nationale
de médecine vétérinaire, 2020 Sidi Thabet, Tunisie
***Service d’imagerie médicale, VetAgro Sup,
Campus vétérinaire de Lyon, 1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-L’Étoile
****Service d’imagerie médicale, VetAgro Sup,
Campus vétérinaire de Lyon, 1, avenue Bourgelat,
69280 Marcy-L’Étoile

Le cas d’une fracture de l’humérus chez une génisse illustre la gestion de ce type de fracture chez un bovin de plus de 300 kg.

Les fractures des membres font partie des affections traumatiques du squelette les plus fréquentes chez les bovins. Elles ont des répercussions néfastes d’une extrême importance sur l’animal et sont à l’origine de pertes économiques considérables pour l’éleveur (abattage d’urgence avec saisie importante de viande ou euthanasie immédiate, etc.). Ces affections, invalidantes pour l’animal, sont d’autant plus graves, sur le plan économique, que celui-ci est de grande valeur génétique. Leur gravité est également corrélée à l’âge et, par conséquent, au poids de l’animal.

Le cas clinique présenté dans cet article est celui du traitement par confinement conservateur d’une fracture humérale complexe chez une génisse âgée de 1 an. Les particularités des fractures de l’humérus chez les bovins et la conduite à tenir sont présentées et discutées.

CAS CLINIQUE

1. Commémoratifs

Il s’agit d’une génisse de race montbéliarde âgée de 1 an, pesant environ 320 kg de poids vif (PV), de grande valeur génétique (par transfert d’embryon) et issue d’une vache qui a produit 10 300 kg de lait en 305 jours. En montant dans une bétaillère, son membre antérieur droit s’est ­violemment heurté au portant interne du véhicule. Elle a présenté une boiterie avec suppression complète d’appui du membre antérieur droit (J0). Le même jour, après examen de l’animal, le vétérinaire a diagnostiqué, par palpation, une fracture de l’humérus droit. Il lui a administré un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) (acide tolfénamique, Tolfine(r)) à la dose de 2 mg/kg par voie intramusculaire (IM).

En raison de la grande valeur de la génisse, le vétérinaire l’a référée à la clinique des animaux de production du campus vétérinaire de Lyon pour confirmer le diagnostic par un examen radiographique et pour mettre en œuvre un traitement approprié.

2. Examens clinique, échographique et radiographique

→ L’examen clinique (à J1) de la génisse révèle un bon état général. Toutefois, une boiterie très sévère est constatée, avec une suppression totale d’appui du membre thoracique droit. À l’examen rapproché du membre, aucune lésion cutanée n’est visible en regard de l’humérus, mais une volumineuse tuméfaction est notée au centre du bras droit. La palpation de la zone concernée est douloureuse et la mobilisation du membre fait sentir un léger craquement. À l’issue de cet examen clinique, l’hypothèse diagnostique d’une fracture fermée de l’humérus droit est avancée.

→ Un examen échographique de la tuméfaction est réalisé (photos 1 et 2). Les images échographiques révèlent une interruption des corticales de l’humérus en régions diaphysaires moyenne et distale. Les deux abouts osseux principaux sont nettement déplacés, et plusieurs larges esquilles osseuses visualisées. Un hématome volumineux siège en périphérie du rayon osseux.

→ Des clichés radiographiques de l’humérus sont réalisés sur animal debout afin de mieux évaluer le déplacement des abouts osseux. Les incidences médio-latérale (100 Kv et 63 mAs) et cranio-caudale (80 Kv et 60 mAs) sont réalisées avec une grille antidiffusante [4, 5]. Les clichés radiographiques révèlent une fracture comminutive de la diaphyse de l’humérus (photos 3 et 4). Les abouts osseux ne sont pas apposés, et un important déplacement latéro-médial et cranio-caudal de l’about osseux distal est noté.

3. Diagnostic

La génisse présente une fracture fermée diaphysaire complexe de l’humérus droit associée à un déplacement latéro-médial et cranio-caudal de l’about osseux distal.

4. Traitement et évolution

Pour ce cas, un traitement conservateur par confinement est choisi. En effet, la réduction de cette fracture n’est pas envisageable en raison de la grande masse musculaire qui entoure et protège l’humérus. De plus, un pansement contentif est inenvisageable car l’articulation de l’épaule ne peut être bloquée et le résultat serait aléatoire. La génisse se déplaçant avec beaucoup de difficulté, elle est hospitalisée dans un petit box (3 m x 5 m) bien paillé pendant 2 mois. Progressivement, elle réappuie sur le membre antérieur droit.

À J60, un contrôle radiographique est réalisé sur animal en position couchée après une administration de xylazine (Rompun(r)) à la dose de 0,1 mg/kg par voie intraveineuse (IV) (photo 5).

La radiographie permet d’observer un cal osseux volumineux, hétérogène, et aux contours irréguliers portant les deux abouts osseux principaux. Le foyer de fracture est en voie de réparation. Néanmoins, la partie caudale du trait de fracture est encore visible. Certains fragments osseux ont une surface lisse sans réaction périostée. L’about osseux distal est déplacé caudalement modifiant ainsi la position de l’olécrane qui apparaît déplacé distalement.

La génisse est gardée au box pendant 1 mois supplémentaire afin de favoriser une meilleure consolidation osseuse bien qu’elle appuie correctement sur son membre antérieur droit.

À J180, l’animal est revu (6?mois après l’accident) pour un examen radiographique de contrôle. Cet examen est réalisé en position couchée après une sédation à la xylazine.

Les radiographies révèlent un cal osseux plus homogène et à contours lisses. Le trait de fracture principal n’est plus visible. Les fragments osseux ne sont plus discernables. Le remodelage du cal osseux est considérable (photos 6 et 7).

En comparant les clichés radiographiques des deux humérus, la cicatrisation osseuse est satisfaisante (photos 8 et 9).

À l’examen clinique (6 mois après la fracture), la génisse présente un bon état général et appuie correctement sur son membre. Lors de l’examen rapproché du membre antérieur droit, aucune anomalie du bras n’est mise en évidence (photos 10 à 12). Une légère déviation du pied sans aucune conséquence sur la locomotion est notée.

La génisse se déplace normalement. Elle est destinée à la reproduction.

DISCUSSION

1. Possibilités de traitement d’une fracture de l’humérus

Le traitement des fractures humérales chez les bovins dépend de plusieurs paramètres et fait appel à diverses techniques(1).

2. Choix thérapeutique dans le cas clinique

Lors de fracture de l’humérus, peu de solutions alternatives existent et l’aspect financier guide souvent le choix thérapeutique. Le traitement par confinement semble être la meilleure solution [6, 9, 10]. Le degré de déplacement des abouts osseux et la complexité du foyer de fracture sont aussi des éléments importants à prendre en considération. Ici, la fracture est comminutive et sévèrement déplacée, ce qui assombrit le pronostic. La non-réduction de cette fracture a entraîné une déformation modérée du fût osseux de l’humérus et un léger déplacement distal de l’olécrane.

L’association d’une attelle de Thomas et d’un plâtre a été décrite sur un seul cas de fracture de l’humérus et l’issue a été satisfaisante [7]. Cependant, le poids de cet animal n’est pas rapporté dans l’étude. Il conviendrait ainsi d’évaluer cette méthode sur un plus grand nombre d’individus d’âge et de poids différents avant de pouvoir réellement considérer cette option dans le traitement de telles fractures.

Ce cas clinique décrit le traitement et l’évolution d’une fracture comminutive par confinement d’un jeune bovin de plus de 300 kg de PV. Malgré le fort degré de déplacement, un cal osseux a pu se former grâce à la longue période de repos instaurée (3 mois). Le membre garde une déformation dans la région du bras, mais la génisse ne boite pas.

Conclusion

Les fractures des rayons osseux proximaux représentent un véritable défi pour le praticien en milieu rural. Le poids d’un bovin et son importance génétique et économique sont les principaux facteurs à prendre en compte pour le choix d’un traitement.

Le traitement par simple confinement d’un bovin dans un box étroit peut donner de bons résultats, s’il s’agit d’un foyer de fracture fermé sans implication de l’articulation et ne présentant pas de lésion du nerf radial, qui compromet le pronostic.

Ce traitement conservateur permet d’épargner à l’éleveur la réforme de l’animal, notamment lorsque sa valeur génétique est considérable. C’est une solution alternative économiquement intéressante par rapport aux autres types de traitements chirurgical ou orthopédique.

  • (1) Voir fiche “Traitements des fractures humérales chez les bovins” des mêmes auteurs, dans ce numéro.

Références

  • 1. Anderson DE, Desrochers A. Bovine orthopedics. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 2014;30 (1).
  • 2. Arican M, Erol H, Esin E et?coll. Retrospective study of fractures in neonatal calves: 181 Cases (2002-2012). Prat. Vet. J. 2014;34 (2):247-250.
  • 3. Barone R. Anatomie comparée des mammifères domestiques. Tome 1 : Ostéologie. 4e éd. Frère Vigot, Paris. 1999:477-478.
  • 4. Blond L. Examen radiographique de l’appareil locomoteur des bovins. Radiographie de la partie distale des membres. Point Vét. 2004;245:24-28.
  • 5. Blond L. Radiographie des lésions osseuses des membres. Point Vét. 2004;250:24-28.
  • 6. Ferguson J. Managment and repair of bovine fracture. Prat. Vet. 1982;4:128-135.
  • 7. Gangl M et coll. Retrospective study of 99 cases of bone fractures in cattle treated by external cooptation or confinement. Vet. Rec. 2006;158:264-268.
  • 8. Gourreau JM, Bendali F. Institut de l’élevage. 4e éd. France Agricole, Paris. 2008:302-305.
  • 9. Rakestraw PC. Fractures of the humerus. Clin. North Am. Food Anim. Pract. 1996;12(1):153-168.
  • 10. Saint-Jean G, Bruce LH. Conservative treatment of a humeral fracture in a heifer. Can. Vet. J. 1987;28(11):704-706.

Conflit d’intérêts

Aucun

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