Tarir un quartier d’une vache en lactation : entre empirisme et médecine factuelle - Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015

PRODUCTION LAITIÈRE

Article de synthèse

Auteur(s) : Nicolas Masset

Fonctions : Selas EVA, Réseau Cristal,
16, avenue du Général-De-Gaulle,
79150 Argenton-les-Vallées

Lors de mammite chronique, le tarissement d’un quartier infecté en cours de lactation est une solution alternative à une réforme prématurée de la vache. L’impact sur la production laitière est modéré, mais la gestion du risque inhibiteur est primordiale.

Les chances de guérison en lactation d’une mammite chronique sont faibles après deux échecs thérapeutiques. Sur le plan individuel, la mise en œuvre d’un nouveau traitement antibiotique paraît peu justifiée sur le plan économique (coût du traitement, lait écarté) et en désaccord avec un usage raisonné des antibiotiques. À l’échelle du troupeau, le lait des vaches infectées chroniques est régulièrement écarté du tank par l’éleveur afin de maîtriser la concentration en cellules somatiques du tank et de diminuer les pénalités (photo 1). De plus, la gestion de ces vaches, réservoirs d’agents pathogènes, fait partie intégrante du plan de lutte contre les infections intramammaires à réservoir mammaire, en particulier lorsqu’elles sont dues à Staphylococcus aureus [6]. C’est pourquoi le tarissement du quartier infecté en cours de lactation est une solution alternative à une réforme prématurée de la vache. Bien que cette pratique soit régulièrement préconisée par de nombreux praticiens, les protocoles de tarissement ou de “stérilisation” d’un quartier en lactation sont souvent élaborés de façon empirique et très peu d’études évaluent leur efficacité. Cet article fait un état des lieux bibliographique des différentes pratiques de tarissement d’un quartier en lactation, de leur efficacité, ainsi que de leur impact sur la production laitière et sur la gestion du risque d’inhibiteurs.

À QUELS CRITÈRES D’EFFICACITÉ DOIT RÉPONDRE LA TECHNIQUE DE TARISSEMENT ?

La technique de tarissement d’un quartier infecté au cours de la lactation d’une vache doit répondre à plusieurs critères :

– provoquer un arrêt de la sécrétion lactée du quartier infecté durant la lactation en cours ;

– préserver la production des trois autres quartiers ;

– respecter le bien-être de l’animal ;

– assurer à l’éleveur une sécurité en matière de gestion du risque d’inhibiteurs ;

– éventuellement, récupérer un quartier fonctionnel et assaini lors de la lactation suivante.

MÉTHODES

1. Méthode physiologique

L’arrêt de la traite d’un quartier va provoquer une involution physiologique de ce dernier. L’accumulation de lait dans le quartier est à l’origine d’une augmentation de la pression intramammaire, entraînant une désorganisation du cytosquelette des lactocytes indispensable à la sécrétion lactée. De plus, les lactocytes sont soumis à de nombreux facteurs inhibiteurs de la lactation accumulés dans le lait à la suite de l’arrêt de la vidange du quartier [10]. La phase d’involution dure environ 4 semaines.

Aucune publication n’étudie cette méthode pour le tarissement de quartiers infectés chroniques. Cependant, cette méthode doit être réservée aux mammites subcliniques chroniques. En effet, le tarissement physiologique d’un quartier atteint d’une mammite clinique chronique est risqué car il peut aboutir au développement d’une mammite clinique aiguë grave.

Un obturateur interne de trayon peut être administré(1) si la production du quartier est élevée afin d’éviter les pertes de lait. Après le tarissement physiologique d’un quartier, une attention particulière doit être portée à l’absence de survenue d’une mammite clinique.

Cette méthode est facile à mettre en œuvre, notamment en traite robotisée.

L’usage d’un antibiotique intramammaire, indiqué pour le traitement hors lactation, est à bannir pour le tarissement d’un quartier en cours de la lactation. Outre le risque d’erreur de branchement du quartier tari, les antibiotiques peuvent être résorbés dans le sang, puis excrétés dans le lait des autres quartiers et contaminer le lait du tank.

2. Méthode chimique ou stérilisation

L’administration d’un produit chimique par voie diathélique va provoquer, par ses propriétés irritantes ou caustiques, une destruction des lactocytes, donc un assèchement du quartier. Cette méthode est indiquée lors de mammite clinique ou subclinique chronique d’un quartier. Actuellement, aucune spécialité ne bénéfice d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette indication en France.

Lotagen® Solution (policrésulène) est l’antiseptique le plus utilisé en France pour cette indication. Les protocoles préconisés par les praticiens sont très variables en termes de concentration de la solution à injecter ou de fréquence d’administration. Jusqu’en 2012, Lotagen® Solution bénéficiait de l’indication “stérilisation des glandes mammaires accessoires” selon le protocole suivant : deux injections de 200 à 250 ml d’une solution à 5 ou 8 % à 8 à 15 jours d’intervalle [8]. Mais aucune publication n’étudie son emploi pour la stérilisation d’un quartier en lactation.

Seuls deux antiseptiques ont été étudiés dans cette indication : la povidone iodée et la chlorhexidine (tableau). Middleton et coll. comparent l’utilisation de la povidone iodée à la chlorhexidine pour le tarissement de quartiers infectés chroniques par S. aureus [5]. Une injection de flunixine méglumine est administrée 10 à 15 minutes avant l’administration pour minimiser l’inflammation, et lutter contre la libération d’endotoxines et de substances pyrogènes. Les quartiers traités ne sont plus traits jusqu’à la fin de la lactation. L’inflammation observée des quartiers traités reste minime. Les quartiers traités avec de la povidone iodée sont tous taris définitivement tandis que cinq des sept quartiers qui reçoivent de la chlorhexidine sont de nouveau productifs lors de la lactation suivante. En revanche, aucune guérison bactériologique n’est observée dans le lot “povidone iodée”, à la différence du lot “chlorhexidine” où 4 des 7 vaches sont guéries. Dans une autre étude, Nickerson évalue l’efficacité de la chlorhexidine pour le tarissement de vaches infectées chroniques par Nocardia spp., Pseudomonas aeruginosa, E. coli ou Serratia spp. [7]. Il observe une douleur à la palpation des quartiers durant les 24 heures qui suivent l’injection et un gonflement de deux des quinze quartiers traités. Un tarissement permanent est obtenu entre 14 et 63 jours post-traitement de tous les quartiers traités durant toute la lactation en cours.

D’autres protocoles sont décrits, mais la toxicité des produits utilisés et l’absence d’AMM interdisent leur usage : 100 ml de solution de formaldéhyde dans 500 ml de liquide physiologique, 50 à 100 ml d’une solution de nitrate d’argent à 3 %, 20 ml d’une solution de sulfate de cuivre [2].

SOLUTION ALTERNATIVE AU TARISSEMENT : L’AMPUTATION DE TRAYON

L’amputation de trayon est avant tout indiquée lors de mammite sévère abcédée, en particulier à Trueperella pyogenes, ou de mammite gangréneuse afin de permettre un drainage du quartier. Cette technique, bien que lourde, peut être mise en œuvre lors de mammites cliniques chroniques. L’amputation est réalisée sous un bloc en anneau avec de la procaïne 2 % (ou de la lidocaïne(2) 2 %) à la base du trayon, associé à une injection par voie diathélique de 10 à 20 ml de procaïne 2 % (ou de lidocaïne(2) 2 %). Une sédation de la vache avec de la xylazine peut éventuellement compléter l’anesthésie. L’administration d’un anti-inflammatoire non stéroïdien accompagne l’analgésie. Un clamp est placé à mi-trayon et une section au bistouri est réalisée sous celui-ci. Une pince de Burdizzo® peut remplacer le clamp. Son utilisation facilite l’hémostase à condition de ne pas sectionner le trayon en un seul temps. Les vaisseaux qui saignent sont ligaturés. Un surjet à points passés de la paroi prenant la muqueuse et la peau est réalisé pour maintenir la lumière du trayon béante afin de permettre un drainage [12]. Contrairement au tarissement chimique, l’amputation de trayon présente l’avantage de s’affranchir de tout risque en matière d’inhibiteurs.

AVENIR PRODUCTIF

Lors de l’arrêt de la traite d’un quartier en cours de lactation, Hamman et Reichmuth observent une production compensatrice de 4 % par les trois autres quartiers, taux qui peut paraître faible par rapport à une compensation parfois décrite comme totale. Si le tarissement physiologique a lieu en début de lactation, aucune différence de compensation n’est observée entre les vaches primipares et multipares. En revanche, en fin de lactation, celle-ci est plus faible chez les primipares [3].

Dans l’étude de Nickerson, la production moyenne journalière chute de 16,3 kg à 10,9 kg après la stérilisation d’un quartier à la chlorhexidine [7]. L’auteur considère cette chute de production comme « acceptable » au regard de la perte d’un quartier et de la chute normale de production liée à l’avancement de la lactation.

Middleton et coll. comparent la production journalière avant stérilisation d’un quartier avec de la povidone iodée ou de la chlorhexidine avec celle de la lactation suivante. Aucune différence significative n’est mise en évidence aussi bien dans le lot “povidone iodée” (pour lequel tous les quartiers stérilisés ne sont plus productifs) que dans le lot “chlorhexidine” (pour lequel cinq des sept quartiers stérilisés sont de nouveau productifs). Une production compensatrice est donc également observée lors de tarissement chimique.

La réglementation impose la livraison uniquement du lait obtenu par la traite complète d’une vache, ce qui exclurait le lait issu de la traite de trois quartiers (photo 2) [1].

GESTION DU RISQUE D’INHIBITEURS LORS DE TARISSEMENT CHIMIQUE

Lors de la stérilisation chimique d’un quartier, la prise en compte de la gestion du risque d’inhibiteurs est importante. Parmi les antiseptiques couramment utilisés, aucun ne dispose d’une AMM, donc d’un temps d’attente lait pour cette indication. Or ces derniers, par leur propriété bactéricide, sont susceptibles d’être des inhibiteurs de la croissance bactérienne et d’interférer avec les opérations de transformation laitière.

Des inhibiteurs sont détectés par Delvotest®(3) jusqu’à 35 jours post-traitement dans des quartiers stérilisés avec de la chlorhexidine, mais la plupart sont exempts d’inhibiteurs à 21 jours post-traitement [7]. La chlorhexidine est détectée par chromatographie en phase liquide jusqu’à 42 jours dans les quartiers traités et sa demi-vie d’élimination dans le lait est estimée à 11,5 jours [4]. En revanche, aucun résidu n’est décelé dans les quartiers non traités. Aucune publication n’étudie l’élimination de la povidone iodée et du policrésulène à la suite d’une administration par voie diathélique.

En raison de la longue demi-vie d’élimination de la chlorhexidine dans le lait et de la réglementation américaine (aucune limite maximale de résidus [LMR] fixée dans le lait pour la chlorhexidine, mais tolérance zéro dans la viande de veau), les auteurs ne recommandent pas son usage pour le tarissement d’un quartier infecté en cours de lactation et lui préfèrent la povidone iodée. En effet, puisque la povidone iodée est très efficace pour tarir définitivement un quartier, le risque de résidus devrait être minime si aucune sécrétion n’est produite par ce dernier [4, 11].

En France, aucune LMR n’est requise pour la chlorhexidine, le policrésulène et la povidone iodée chez les animaux producteurs de denrées alimentaires, mais seul un usage topique est envisagé [9].

Au final, le risque d’inhibiteurs existe surtout lors du branchement par erreur d’un quartier stérilisé, y compris en traite robotisée (encadré). Il convient donc de mettre en place une identification de la vache et du quartier à ne plus traire, et d’en informer l’ensemble des trayeurs (photo 4).

Conclusion

En l’état actuel des connaissances, le tarissement chimique à l’aide de chlorhexidine est la technique la mieux documentée. Cependant, il est difficile de dégager un consensus sur la méthode à privilégier, en raison de l’absence de données sur les autres techniques en termes d’efficacité et de sécurité de mise en œuvre : tarissement physiologique, stérilisation à l’aide de policrésulène ou de povidone iodée. Tarir un quartier en lactation reste un dernier recours face à des échecs thérapeutiques, mais ne peut se substituer ni à une détection ni à un traitement précoces des infections intramammaires, gages de succès thérapeutique.

  • (1) Utilisation hors autorisation de mise sur le marché.

  • (2) Utilisation hors AMM : temps d’attente lait de 15 jours et viande de 28 jours.

  • (3) Le dépistage officiel se fait actuellement avec le Delvotest® T.

Références

  • 1. Décret du 25 mars 1924 portant application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne le lait et les produits de la laiterie [Internet]. [cited 2015 Aug 23]. Available from: http://www.legifrance.gouv.fr
  • 2. Fubini SL, Ducharme NG. Surgery of the bovine reproductive system and urinary tract. In: Ducharme SLFG, ed. Farm Animal Surgery. WB Saunders, Saint Louis. 2004:303-419.
  • 3. Hamann J, Reichmuth J. Compensatory milk production within the bovine udder: effects of short-term non-milking of single quarters. J. Dairy Res. 1990;57(1):17-22.
  • 4. Middleton JR, Hebert VR, Fox LK et coll. Elimination kinetics of chlorhexidine in milk following intramammary infusion to stop lactation in mastitic mammary gland quarters of cows. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(12):1746-1749.
  • 5. Middleton JR, Fox LK. Technical note: Therapeutic cessation of lactation of Staphylococcus aureus-infected mammary quarters. J. Dairy Sci. 2001;84(9):1976-1978.
  • 6. Middleton JR, Fox LK, Smith TH. Management strategies to decrease the prevalence of mastitis caused by one strain of Staphylococcus aureus in a dairy herd. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2001;218(10):1615-1618.
  • 7. Nickerson S. Chronic mastitic quarters that don’t cure need to be permanently dried off. Available at: http://www.ads.uga.edu/documents/PermanentDryingOffofChronicMastiticQuarters.pdf [Accessed August 23, 2015].
  • 8. Petit S. Lotagen® Solution. Dans : DMV. Éd. du Point Vétérinaire. 2009:883-884.
  • 9. Règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 relatif aux substances pharmacologiquement actives et à leur classification en ce qui concerne les limites maximales de résidus dans les aliments d’origine animale (JOUE 20/1/2010).
  • 10. Sérieys F. Déterminisme du tarissement de la sécrétion lactée. Dans : Le tarissement des vaches laitières : une période clé pour la santé, la production et la rentabilité du troupeau. France Agricole Éditions. 1997:45-49.
  • 11. Smith GW, Gehring R, Craigmill AL et coll. Extralabel intramammary use of drugs in dairy cattle. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226(12):1994-1996.
  • 12. Weaver D, St. Jean G, Steiner A. Teat surgery. In: Bovine surgery and lameness. 2nd ed. Blackwell Publihing. 2005:158-167.

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ Le tarissement chimique est indiqué lors de mammite clinique chronique d’un quartier alors que le tarissement physiologique l’est en cas de mammite subclinique chronique.

→ Le recours aux anti-inflammatoires non stéroïdiens se révèle indispensable pour gérer les effets néfastes de l’inflammation et la douleur induits par le tarissement chimique d’un quartier.

→ Une production compensatrice des autres quartiers est observée à la suite du tarissement d’un quartier en cours de lactation.

→ Lors de tarissement chimique, la gestion du risque d’inhibiteurs passe avant tout par l’identification du quartier stérilisé à ne pas traire.

ENCADRÉ
Gestion en traite robotisée

La traite des vaches avec trois quartiers en traite robotisée est risquée. En effet, même s’il est possible de programmer les robots afin qu’un quartier ne soit pas branché, un branchement accidentel du trayon “stérilisé” à ne pas traire est toujours envisageable, notamment en raison du changement de conformation de la mamelle lié à l’inflammation de ce dernier (photo 3). Par sûreté, il convient d’écarter le lait durant une période arbitraire (par exemple 21 jours, voire 35 jours lors de stérilisation à la chlorhexidine) ou de programmer la vache en traite manuelle en présence de l’éleveur. L’amputation de trayon peut être une solution alternative pour la gestion des mammites chroniques dans les troupeaux en traite robotisée.

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