PATHOLOGIE MAMMAIRE
Veille scientifique
Auteur(s) : Béatrice Bouquet
Fonctions : Bvet, 25, rue de Poireauville
80230 Vaudricourt
Vaccination, lien avec les performances de reproduction, abords thérapeutiques : les mammites restent un pilier d’études scientifiques en France et alentours.
Outre la revue de l’américain Middleton sur les mammites à staphylocoques dorés(1), les conclusions de diverses autres études sur les mammites ont été présentées à Rome à la mi-octobre(2).
Les vaccins contre les mammites colibacillaires suscitent encore des attentes, même s’il en existe déjà dans la pharmacopée française (Starvac® est le seul commercialisé en France, il vise les mammites à E. coli, à S. aureus et à staphylocoques coagulase-négatifs).
Des équipes de l’ENV Toulouse en collaboration avec l’Inra de Tours travaillent sur l’immunité mammaire via l’effet d’une immunisation vis-à-vis d’Escherichia(3) [4]. Ils se sont intéressés aux déterminants cellulaires (lymphocytes T) de la réponse à l’infection mammaire par les colibacilles. Pour l’étude, 6 génisses ont été immunisées par voie intramusculaire (deux injections de primovaccination). Le vaccin était fondé sur un E. coli type P4 tué par la chaleur et adjuvé avec du Montanide®. Six témoins ont reçu seulement l’adjuvant. L’infection expérimentale a été réalisée 50 jours environ après la parturition, avec la même souche que celle du vaccin injecté dans le canal du trayon (quantité : 103 CFU). Les deux lots ont été étudiés et comparés pendant les 2 semaines qui ont suivi.
Une forte réaction relevant de l’immunité humorale (anticorps) et cellulaire (Th17) a été mise en évidence dans le sang des génisses immunisées. Pareil profil pourrait s’avérer protecteur vis-à-vis d’une infection colibacillaire d’après les données publiées.
Dans le lot immunisé, la durée de l’infection mammaire a été significativement réduite. Les signes cliniques généraux sont moins marqués à la phase aiguë, à l’inverse des signes locaux qui, eux, sont d’intensité comparable, mais ont perduré plus longtemps par rapport au lot témoin. Un second pic d’hyperthermie associé à un pic de lymphocytes et de polynucléaires neutrophiles dans le lait a été mis en évidence à 48 heures chez les vaches immunisées. Cette seconde phase inflammatoire pourrait être le signe d’une mise en place retardée de l’immunité adaptative (activation de cellules T mémoires dans le parenchyme mammaire). La baisse de production et la leucopénie associées à la mammite en phase aiguë ont été significativement moins fortes chez les génisses immunisées. Ces éléments vont dans le sens d’une réduction de la gravité de la mammite pour le groupe immunisé. Ainsi, les résultats ne sont pas meilleurs que ceux obtenus lors d’une immunisation avec un vaccin utilisant J5.
Un vaccin même homologue (c’est-à-dire fondé sur la même souche que celle qui infecte l’animal a posteriori), administré par voie systémique, ne parvient pas véritablement à protéger la vache de la mammite au sens strict (inflammation mammaire) malgré de nombreux effets bénéfiques (réduction marquée des signes généraux associés à la mammite et élimination plus rapide des bactéries).
En conclusion, les auteurs soulignent qu’il est encore nécessaire de progresser sur la compréhension des mécanismes de protection vis-à-vis des mammites causées par les bactéries Gram-négatif (photo 1). Pour la vaccination, il conviendrait de savoir réguler davantage l’inflammation qui est en partie liée au processus d’immunisation. La voie Th17 de la réponse adaptative semble prometteuse, à condition qu’elle soit activée plus précocement.
A. Albaaj, encadré par deux enseignants de l’ENV de Toulouse, a mis en évidence un lien entre reproduction et santé mammaire dans une analyse statistique des données du contrôle laitier en France entre 2008 et 2012(4) [1]. Quatre catégories de vaches ont été créées selon que leurs résultats en concentration en cellules somatiques (CCS) étaient au-dessus ou en dessous de 300 000 cellules/ml avant ou après insémination (IA). Le modèle a été ajusté sur les critères classiques : stade de lactation, production de lait, parité, urée. La réussite en première IA ou toutes IA confondues est réduite de 13 à 18 % chez les vaches qui ont des taux cellulaires en augmentation autour de l’IA. Ces résultats suggèrent un lien direct entre santé mammaire et réussite à l’IA, probablement via la modification du profil inflammatoire de la vache. De plus, les résultats montrent que cette baisse de conception observée lors d’augmentation des cellules autour de l’IA est plus élevée chez les vaches en situation de cétose subclinique : de l’ordre de 15 à 25 % et jusqu’à 30 %. La détérioration de la réussite à l’IA lors d’une augmentation des cellules dans le lait, deux fois plus grande chez les vaches cétosiques, montre bien l’interaction entre immunité, infection et déséquilibre alimentaire, et la nécessité d’une approche globale en élevage.
Cultures et antibiogrammes sont entrés dans la routine des importantes structures de praticiens en élevage laitier. En Belgique, BEK Mateusen (DAP Vaccavet, Lembeke) a présenté les résultats obtenus sur 210 échantillons de lait collectés en 2 ans lors de mammites cliniques dans 28 élevages différents situés en Flandre. A posteriori, il a pu être établi que 78 vaches parmi celles prélevées ont reçu initialement un traitement inadéquat au regard du profil de résistance de la bactérie mis en évidence par la suite. La dynamique de résistance intra-élevage a pu être entre-aperçue. Dans une même ferme, explique l’auteur, des bactéries d’une même espèce présentaient souvent des profils de résistance différents (tableau, photo 2).
En ces temps de vigilance vis-à-vis du phénomène de résistance aux antibiotiques, les sociétés qui commercialisent des antibiotiques contre les mammites surveillent leurs molécules. Des résultats plutôt rassurants sont affichés dans les modèles in vitro, ce qui ne doit pas inciter les praticiens à relâcher les efforts fournis.
À Rome, des résultats de la surveillance des concentrations minimales inhibitrices de la tylosine ont par exemple été présentés (Tylan®, Elanco). Elle serait indiquée dans le traitement des mammites à S. aureus et S. uberis) [7]. Sur les 11 ans d’études de cet antibiotique, le pourcentage de souches de Staphylococcus aureus résistantes à la tylosine a montré une tendance décroissante, donc pas de montée des résistances. Une souche avait 0,82 fois moins de risque d’être résistante en fin de période qu’au début (intervalle de confiance : 0,67 à 0,96). Sur les 320 souches de Staphylococcus aureus étudiées, 96,5 % ont été classées sensibles au regard de leur concentration minimale inhibitrice (CMI : 0,25 à 4 µg/ml). Sur le même nombre de S. uberis étudiées, 87,5 % sont sensibles (CMI inférieure à 8). Pour S. uberis, aucune tendance au changement de profil de résistance n’a été démontrée pendant la durée de l’étude (donc pas d’aggravation non plus). Les auteurs de cette étude soulignent que les études d’évolution des profils de résistance restent peu nombreuses en médecine vétérinaire.
L’activité de la marbofloxacine est également surveillée, et selon les méthodes pharmacocinétiques, pharmacodynamiques, depuis plusieurs années (Marbocyl® Vétoquinol). Les résultats sont rendus publics dans les congrès qui intéressent la pratique rurale. Récemment, la dose unique à 10 mg/kg de la solution concentrée à 10 % (Forcyl®) a été étudiée via un modèle dynamique in vitro qui reconstitue les profils observés in vivo dans le lait [2]. Outre le test vis-à-vis d’E. coli, qui figure dans le résumé des caractéristiques du produit, deux isolats de S. aureus et un de S. uberis ont été étudiés. Avec E. coli et S. aureus à la CMI de 0,5 µg/ml, un effet bactéricide transitoire a été observé jusqu’à 12 heures selon l’isolat. Avec S. uberis, l’effet est bactériostatique. Aucune souche n’a développé de résistance pour E. coli et S. aureus et la proportion de souches résistantes est restée très limitée pour S. uberis (0,0 1 % à 24 heures). Pas de relâchement néanmoins vis-à-vis de cet antibiotique classé critique. Selon les auteurs, ces observations « pourraient ouvrir de nouvelles options lorsque le traitement doit être adapté après un test bactériologique et pour un usage ciblé des antimicrobiens ».
Les traitements injectés vis-à-vis des agents pathogènes mammaires risquent d’avoir un impact sur la flore commensale digestive. Une étude a été réalisée sur ce sujet conjointement par des équipes associées Oniris-Inra et Vetoquinol. Il s’agissait d’un cadre d’études portant sur de jeunes bovins susceptibles d’être exposés aux bronchopneumonies infectieuses enzootiques, et non pas d’un contexte de mammites, mais l’important dans les deux cas concerne les effets des antibiotiques sur les intestins. Une diminution de la flore totale digestive sous l’effet d’un traitement (parentéral) a effectivement été mise en évidence, plus importante avec la dose de marbofloxacine 10 mg/kg qu’à 2 mg/kg par rapport au lot témoin. La quantité moyenne de bactéries moins sensibles à cet antibiotique est restée inférieure ou proche de la limite de détection. Les bactéries en perte de sensibilité ont été isolées avant traitement chez un jeune bovin du groupe témoin et un autre du groupe 2 mg/kg, pendant l’étude entre J10 et J21 chez un traité à 10 mg/kg, et dans toute la période (J3 à J40) chez deux autres du groupe 2 mg/kg. Les auteurs évoquent une « faible pression de sélection sur les entérobactéries commensales » avec ces protocoles à base de fluoroquinolone en une seule injection dans leur conclusion [5].
Indépendamment des résistances, l’efficacité du traitement des mammites est meilleure, et les éleveurs sont moins tentés d’en changer sans raison si l’administration d’antibiotique n’est qu’un maillon d’une approche intégrée. Des protocoles de soin avec définition de critères décisionnels bactériologiques, suivi de guérison, recherche de causes prédisposantes, réévaluations, etc. sont mis en place en France et ailleurs. Les italiens ont vérifié scientifiquement leur intérêt à travers une étude sur 77 vaches d’un même élevage affectées principalement de mammites cliniques à E. coli ou S. uberis (mais aussi S. aureus : 7 cas) [3]. Les vaches étaient traitées soit traditionnellement, soit d’une manière encadrée et raisonnée. Les différences sont significatives en faveur de l’intégration des traitements (approche globale).
Pour une guérison plus rapide sans trop d’antibiotiques, les firmes misent aussi sur les traitements adjuvants. Une nouvelle forme d’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est ainsi apparue, susceptible d’aider l’éleveur à ne pas allonger son temps de traite tout en agissant sur l’inflammation mammaire. La forme pour-on de flunixine nouvellement commercialisée par MSD sous le nom Finadyne® transdermal a fait l’objet d’un grand nombre de posters et d’un symposium au dernier Forum européen de buiatrie. Innocuité et analyse de risque lié au léchage (comme pour les formes pour-on d’endectocides) ont été largement exposées, entre autres données. Concernant les mammites spécifiquement, l’effet anti-inflammatoire dans toutes ses composantes (douleur, chaleur, induration, etc.) a été vérifié [8]. Ce produit est plus coûteux que les formes parentérales (la dose de principe actif par kilogramme est augmentée, en pour-on, comme pour les endectocides). Le rapport coût/bénéfice sur les mammites n’était pas encore disponible à cette date, mais il a été calculé pour une administration chez des veaux, en incluant le paramètre “temps perdu à administrer le médicament”. Dès lors, le pour-on semble rentable.
Des différentes études buiatres dont un aperçu est proposé dans cet article, il ressort la véritable synergie de différents acteurs de la filière pour un abord global des mammites. À la clé : augmenter l’efficacité des traitements, motiver les éleveurs à bien traiter, et surtout ne pas rester passif face au risque d’émergence de résistances aux antibiotiques. Les premiers efforts semblent porter leurs fruits. Le travail de sensibilisation se poursuit.
(1) Voir l’article “Quelles avancées sur les mammites à Staphylococcus aureus ?” du même auteur, dans ce numéro.
(2) Le travail de Vetformance en France sur les mammites à S. uberis fera l’objet d’une publication ultérieure dans Le Point Vétérinaire.
(3) Ce Projet baptisé KOlimastIR est financé par l’ANR (P. Rainard et G. Foucras).
(4) Cette étude fait partie du métaprogramme Inra “Gestion intégrée de la Santé”, Projet RUMINFLAME.
Aucun
→ Une mise en place moins retardée (et plus canalisée) de l’immunité adaptative est recherchée pour une vaccination contre les mammites à colibacilles satisfaisante (voie Th17).
→ La détérioration de la réussite à l’IA lors d’une augmentation des cellules dans le lait, deux fois plus grande chez les vaches cétosiques, montre bien l’interaction entre immunité, infection et déséquilibre alimentaire.
→ Des différences significatives en faveur d’un abord global des mammites ont été mises en évidence.
→ Les études d’évolution des profils de résistance restent peu nombreuses en médecine vétérinaire.
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