Atteinte de la colonne vertébrale chez une vache laitière - Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 361 du 01/12/2015

AFFECTION NERVEUSE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Hélène Michaux

Fonctions : Clinique ambulatoire bovine,
Faculté de médecine vétérinaire,
université de Montréal,
Saint-Hyacinthe, Québec, Canada

Les examens clinique et complémentaires réalisés chez une vache vue pour une suspicion de déplacement de la caillette révèlent un traumatisme de la colonne vertébrale.

Un éleveur appelle car il suspecte un déplacement de caillette chez l’une de ses vaches prim’holstein.

CAS CLINIQUE

1. Anamnèse

La vache, adulte en première lactation, présente une diminution de sa consommation d’aliments et de sa production de lait depuis 3 jours. Elle a vêlé de son premier veau 1 semaine avant notre visite. L’éleveur rapporte que l’animal a des difficultés à se lever depuis 2 semaines, avec une faiblesse des pattes postérieures et une incoordination des pattes antérieures.

La veille, il a injecté à la vache 14 ml d’Excenel RTU® (ceftiofur 1,1 mg/kg) par voie intramusculaire (IM). Il lui a également administré 15 ml d’Anafen® IM (kétoprofène 3 mg/kg) 2 jours avant la visite. Depuis l’injection d’Excenel RTU®, l’éleveur a remarqué une amélioration de la prise alimentaire.

2. Examen clinique

À notre arrivée, la vache est en décubitus sternal. Elle répond à la stimulation, mais se lève difficilement, avec un manque de tonus, des tremblements des membres postérieurs et une faiblesse et un pédalage des membres antérieurs. Elle parvient à rester debout, mais le polygone de sustentation des membres postérieurs est élargi (photos 1 et 2). Elle met volontairement les pattes dans le caniveau, plus bas que le reste de la stalle. Lorsqu’il lui est demandé d’avancer pour mettre ses membres postérieurs à la même hauteur que ses membres antérieurs, elle piétine et semble inconfortable.

Les oreilles de la vache sont froides et des trémulations des muscles anconés sont observées.

La température rectale est de 38,8 °C, la fréquence cardiaque de 96 battements par minute et la fréquence respiratoire de 28 respirations par minute.

Le nœud lymphatique préscapulaire droit est hypertrophié.

L’examen des systèmes digestif et respiratoire semble normal, excepté un rumen hypomotile.

La palpation vaginale montre une lacération superficielle à 12 heures.

L’examen transrectal révèle une lymphadénomégalie bilatérale concernant les nœuds subiliaques internes et aortiques. L’examen de l’utérus et de la glande mammaire est normal. Le tonus anal semble diminué lors de la palpation transrectale et la manœuvre est particulièrement “facile” (perte de tonus rectal), alors que la vache a conservé un réflexe périnéal normal.

L’examen externe de la colonne vertébrale ne montre pas d’anomalie.

L’examen neurologique des nerfs crâniens ne révèle rien d’anormal.

Le réflexe panniculaire de la région caudale et la proprioception n’ont pas été évalués.

3. Diagnostic différentiel

De nombreux signes cliniques observés (faiblesse des membres postérieurs avec augmentation du polygone de sustentation, incoordination des membres antérieurs, douleur et/ou inconfort suivant la posture, perte de tonus anal et rectal) orientent vers une atteinte neurologique centrale, dans la colonne vertébrale. Il est possible de localiser cette atteinte plutôt caudale dans la région lombo-sacrée.

De plus, l’état de la vache semble montrer une amélioration sous traitement antibactérien.

Plusieurs causes sont envisagées :

– un traumatisme vertébral ;

– une infection, comme un abcès vertébral ;

– une néoplasie, telle qu’une infiltration par un lymphome à la suite d’une infection due au virus de la leucose (l’hypothèse est peu probable chez une vache aussi jeune, mais ne peut être totalement écartée) ;

– un déséquilibre métabolique.

L’animal mangeant moins depuis quelques jours, une hypocalcémie secondaire est suspectée.

4. Examens complémentaires

Une prise de sang est effectuée sur tube sec et sur tube EDTA pour une analyse hémato-biochimique afin de rechercher un syndrome inflammatoire aigu ou chronique. Une sérologie leucose est aussi demandée.

Les données biochimiques ne révèlent aucune anomalie. Une diminution très modérée des taux d’albumine (26,8 g/l, normes 27,7 à 40,4 g/l) et de calcium total (2,11 mmol/l, normes 2,2 à 2,7 mmol/l) est notée. Toutefois, la correction de la calcémie en fonction de l’albuminémie basse donne une calcémie réelle de 2,46 mmol/l, donc normale.

Les résultats de l’hématologie montrent une augmentation du fibrinogène associée à une neutrophilie avec un virage à gauche (tableau 1). Il s’agit donc d’un syndrome inflammatoire aigu actif infectieux ou non infectieux.

La sérologie pour la recherche du virus de la leucose est négative.

À la suite de ces résultats, les deux principales hypothèses sont le traumatisme et l’abcès vertébral, qui ne peut être exclu malgré des globulines normales.

Une ponction du liquide céphalo-rachidien (LCR) est réalisée chez la vache debout. Elle est effectuée entre les vertèbres lombaires L5 et L6 (procédure non décrite à ce jour) en raison de la difficulté à enfoncer l’aiguille dans l’espace lombo-sacré, pour une cause inconnue (fibrose, masse ?). Elle permet de collecter 10 ml de LCR.

Le liquide apparaît macroscopiquement opaque et à tendance jaunâtre. Une analyse est réalisée dans l’heure qui suit la ponction.

Les microprotéines sont dosées à 0,4 g/l avec une norme de 0,11 à 0,33 g/l, mais l’échantillon semble contaminé par du sang.

Les observations microscopiques des centrifugations montrent la présence d’une population cellulaire hétérogène composée de neutrophiles (22 %), de lymphocytes (30 %), de grandes cellules monocytoïdes (31 %), de macrophages (16 %) et d’éosinophiles (1 %). Du sang périphérique, des cellules dégénérées et des pigments de mélanine sont également notés. Aucune cellule atypique ni aucun micro-organisme n’est mis en évidence. Les pathologistes interprètent ces observations comme une légère inflammation possible en raison de la présence de neutrophiles, qui dépasse la proportion attendue pour une simple contamination sanguine. Les macrophages témoignent également d’une activation des cellules monocytoïdes, peut-être en rapport avec un traumatisme.

5. Diagnostics probables

Les résultats des analyses complémentaires orientent le diagnostic principalement vers un traumatisme vertébral ou un abcès vertébral.

6. Pronostic et options thérapeutiques

En cas d’abcès ou de traumatismes vertébraux, le pronostic est réservé à sombre. Dans l’éventualité de la présence d’un abcès, il est recommandé de prescrire des antibiotiques diffusant dans la barrière hémato-méningée en inflammation, soit la pénicilline G ou les tétracyclines. Si le ceftiofur a semblé avoir un effet sur l’état général de l’animal, Excenel RTU® n’est pas un antibiotique homologué(1) pour ce type de maladie. Une autre spécialité, homologuée pour une indication neurologique, est prescrite. Il est proposé à l’éleveur de changer d’antibiotique et d’administrer Pen-Aqueous® (pénicilline G procaïne) à 22 000 UI/kg en IM, deux fois par jour pendant 5 jours.

7. Évolution du cas

À la suite du traitement, le lever et la posture de la vache se sont assez rapidement améliorés, avec une augmentation de sa prise alimentaire et de sa production laitière.

L’éleveur a décidé d’arrêter le traitement au bout de 3 jours et de surveiller l’évolution.

Une visite du vétérinaire 10 jours plus tard permet de constater que la vache a rechuté et ne mange pas toute sa ration, sans autre anomalie à l’examen clinique. Une autre prise de sang est réalisée (tableaux 2 et 3).

Une diminution du fibrinogène est notée, qui reste malgré tout hors des valeurs normales, avec l’apparition d’une monocytopénie.

Une augmentation du glutamate déshydrogénase (GLDH) est notée, indiquant des dommages hépatocellulaires dont l’origine est inconnue.

Il est alors recommandé d’administrer strictement un traitement de 10 jours au minimum avec de la pénicilline G procaïne matin et soir, à 22 000 UI/kg IM.

DISCUSSION

1. Localisation de la lésion neurologique

Les signes neurologiques de cette vache ne sont pas flagrants. La faiblesse musculaire postérieure pourrait être due à un déséquilibre métabolique. Néanmoins, la posture de la vache révèle dans un premier temps un inconfort, avec une possibilité de douleur dorsale ou des membres postérieurs.

La perte de tonus anal et rectal oriente vers une atteinte neurologique.

La petite lacération vaginale ne peut expliquer la réaction des nœuds lymphatiques dans les régions sacrée et pelvienne. Cette dernière fait suspecter qu’une atteinte probablement inflammatoire se localise dans la partie caudale de la colonne vertébrale.

Les nerfs périphériques innervant les muscles pelviens partent des segments L3 à S2 et la contraction du sphincter anal est contrôlée par la corde spinale entre S2 et S4 [3].

La lésion serait localisée en regard de S2 et pourrait atteindre plusieurs segments vertébraux adjacents.

Un rapport de plusieurs cas d’abcès vertébraux chez des vaches établi en 2003 montre néanmoins qu’un abcès situé en C7-T1 ou en T8 provoque les mêmes signes cliniques neurologiques que ceux de la vache présentée (difficulté au lever, ataxie, absence ou diminution du réflexe anal) [2].

Il est difficile de conclure sur la localisation de la lésion à partir des signes cliniques neurologiques.

2. Caractérisation de la lésion à l’aide des examens complémentaires

Analyses sanguines

Les créatines kinases (CK) de cette vache sont toujours restées dans les normes, ce qui, a priori, ne semble pas être en faveur d’un traumatisme. Toutefois, dans un article qui décrit deux cas de fractures de vertèbres lombaires, les CK de l’une des vaches sont mesurées à seulement 128 UI/l [1]. Il est donc difficile de conclure à l’absence de traumatisme avec cette donnée biochimique.

De plus, si un syndrome inflammatoire actif aigu avec le fibrinogène très augmenté (9 g/l) et un virage à gauche sont notés à la première présentation, les globulines sont dans les normes. L’augmentation des globulines étant le signe d’une inflammation chronique, il est légitime de penser que tel serait le cas lors d’abcès vertébral. Or, dans un autre article, les vaches avec des abcès vertébraux ne présentent pas toutes une hausse des protéines plasmatiques [2]. Néanmoins, aucune précision n’est donnée pour les globulines.

Analyse du liquide céphalo-rachidien

Une augmentation des microprotéines par rapport aux valeurs de référence et une élévation des neutrophiles et des macrophages sont notées. Cela oriente vers un processus inflammatoire.

Une étude qui répertorie 102 analyses de LCR sur des cas d’atteintes neurologiques de causes différentes montre que, lors d’abcès vertébral, la population cellulaire observée peut être une pléiocytose mixte (8 %), comme chez cette vache [4]. Cette population cellulaire est aussi observée lors d’autres phénomènes infectieux (listériose, méningite, otite, etc.) qui ne correspondent pas cliniquement au cas décrit. De plus, des LCR issus d’abcès vertébraux peuvent être normaux [2]. Les cas de traumatismes de cette étude (n = 2) montrent une pléiocytose histiocytique (macrophages). Dans un autre article, si l’un des deux cas ne montre aucun changement dans le LCR, en revanche, le second présente une pléiocytose mixte, alors qu’il s’agit d’une fracture vertébrale [1]. Dans les deux articles, le nombre de cas cliniques est faible.

Dans le cas de cette vache, il est donc difficile d’éliminer complètement le traumatisme vertébral en se fondant sur le LCR.

3. Traitement antibiotique et pronostic

Qu’il s’agisse d’un traumatisme vertébral ou d’un abcès vertébral, le pronostic reste mauvais. Concernant l’abcès vertébral, il est probable que l’origine soit hématogène ou la suite d’un traumatisme externe avec contamination du canal vertébral, la bactérie responsable la plus fréquente étant Truepurella pyogenes.

L’antibiothérapie mise en place doit donc cibler les bactéries à Gram+ et pouvoir diffuser dans le système nerveux. La pénicilline procaïne G ou l’oxytétracycline pourraient être utilisées. De plus, un traitement au long cours est nécessaire, ce qui pose la question du temps d’attente dans le lait pour une vache en lactation.

Conclusion

Ce cas est une bonne illustration de la subtilité des signes cliniques neurologiques qui peuvent être observés chez les vaches. Les analyses sanguines et du LCR permettent parfois d’éliminer des causes de troubles nerveux, mais certaines hypothèses ne peuvent pas être privilégiées par rapport à d’autres, et il est nécessaire d’établir un plan thérapeutique et surtout un pronostic en conséquence.

Enfin, la douleur et le faible appétit de cette vache ont provoqué une dilatation de la caillette à droite avec un volvulus impliquant le feuillet. L’animal s’est retrouvé à terre avec une caillette nécrotique au contenu liquidien. Le vétérinaire en charge de la l’intervention chirurgicale a pris la décision de l’euthanasier.

  • (1) Au Canada, Excenel RTU® est homologué pour la pneumonie, les métrites et le piétin, et non pour une affection neurologique. Une autre spécialité est donc prescrite, même si Excenel RTU® agit, car il s’agit d’une céphalosporine de troisième génération qu’il est préférable de ne pas utiliser hors homologation.

Références

  • 1. Braun U, Dumelin J, Sydler T. Fracture of the lumbar vertebrae in two cows Vet. Rec. 2007;160(5):162-163.doi:10.1136/vr.160.5.162.
  • 2. Braun U, Knubben-Schweizer G, Gerspach C et coll. Clinical findings in 11 cattle with abscesses in the thoracic vertebrae. Vet. Rec. 2003;152(25):782-784.
  • 3. Constable PD. Clinical examination of the ruminant nervous system. Vet. Clin. North Am. Food Anim Pract. 2004;20(2):185-214.
  • 4. Stokol T, Divers TJ, Arrigan JW et coll. Cerebrospinal fluid findings in cattle with central nervous system disorders: a retrospective study of 102 cases (1990-2008). Vet. Clin. Pathol. 2009;38(1):103-112.

Conflit d’intérêts

Aucun

Points forts

→ Les maladies neurologiques avec atteintes de la colonne vertébrale et de la moelle épinière chez la vache nécessitent une observation minutieuse de la posture et du comportement de l’animal quand les signes neurologiques ne sont pas évidents.

→ L’anamnèse comporte également des indices importants et peut orienter le diagnostic.

→ L’examen complémentaire de choix à la ferme est la ponction de liquide céphalo-rachidien, mais, selon la localisation de la lésion, cette analyse se révèle parfois décevante. Le délai de transport vers le laboratoire doit être inférieur à 2 heures.

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