QUALITÉ DU LAIT DE TANK
Article de synthèse
Auteur(s) : Sabrina Raynaud*, Philippe Roussel**, Renée de Cremoux***
Fonctions :
*Institut de l’élevage, Agrapole,
23, avenue Jean-Baldassini,
69364 Lyon Cedex 07
**Institut de l’élevage, 9, rue A. Brouard,
CS 70510, 49105 Angers Cedex 02
***Institut de l’élevage, Chambre
d’agriculture du Tarn, BP 89,
81000 Albi Cedex 09
Connaître les agents pathogènes potentiellement présents dans le lait destiné à des fabrications au lait cru facilite l’abord d’un cas de contamination accidentelle.
Avant d’évoquer la problématique de la flore pathogène des laits de tank, il convient de rappeler que la qualité microbiologique est d’abord, pour les transformations au lait cru, le fruit d’un équilibre au sein d’un écosystème microbien (photo 1). Il s’agit à la fois de préserver des bactéries, des levures et des moisissures dites “utiles” et de limiter la présence des micro-organismes responsables d’altération des produits (coliformes responsables de gonflement des fromages, par exemple) ou potentiellement pathogènes pour la santé humaine (encadré) [21].
Les produits laitiers sont impliqués de façon mineure dans les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) surveillées en France. Si une contamination des produits à l’usine reste toujours possible (cas notamment de Listeria monocytogenes), la maîtrise des agents pathogènes repose avant tout sur la qualité de la matière première, c’est-à-dire du lait de tank [13]. Le contrôle des bactéries pathogènes à la ferme s’appuie en Europe et, notamment en France, sur un certain nombre de prérequis : identification et traçabilité des fermes et des animaux, réglementations sanitaires pour les animaux et les produits, suivi vétérinaire, tissu d’accompagnement technique des éleveurs, nombreuses démarches qualité, etc.
Le plus souvent, des mesures préventives visant à empêcher la contamination du lait, mais aussi à limiter au minimum l’introduction et la circulation des bactéries pathogènes dans la ferme se révèlent suffisantes pour maîtriser la qualité microbiologique du lait de tank. Il arrive toutefois que des agents pathogènes soient détectés dans ce lait.
Cet article présente des définitions et des éléments techniques pour faciliter les interventions en élevage lors de la détection d’une bactérie pathogène dans le lait de tank.
Quelques éléments chiffrés peuvent être rapportés pour appréhender la prévalence des agents pathogènes dans le lait ou les produits.
Selon un examen récent des dangers potentiellement présents dans le lait par Claeys et coll., les principaux agents pathogènes, aussi bien en ce qui concerne la fréquence que la sévérité des risques encourus pour le lait et les produits laitiers, sont Campylobacter spp., Salmonella spp., les Escherichia coli pathogènes et Listeria monocytogenes [5]. La prise en compte des produits à base de lait cru pourrait inciter à y ajouter les entérotoxines produites par Staphylococcus aureus [23].
Il n’existe que peu d’informations relatives à la prévalence des agents pathogènes dans le lait et à l’évaluation des risques (tableau 1). En outre, qu’il s’agisse du lait ou des produits au lait cru, et quels que soient les agents pathogènes considérés, les valeurs indicatives rapportées restent délicates d’interprétation. Selon les pays, le type de production, la réglementation et les moyens mis en œuvre pour protéger les consommateurs diffèrent. En revanche, les process variés peuvent jouer un rôle important dans la disparition ou la survie, la croissance ou la décroissance des agents pathogènes [24].
L’analyse des produits fournit des informations chiffrées complémentaires.
Au stade de la production, des plans de surveillance de la contamination des fromages sont régulièrement réalisés. Dans l’ensemble, les niveaux de contamination observés sont faibles, rapportés aux volumes produits dans notre pays. En 2011, pour Listeria monocytogenes, une seule unité a été révélée positive sur 500 fromages au lait cru contrôlés. En 2014, des Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (STEC) considérés comme pathogènes ont été isolés dans 0,2 % des 1 052 fromages au lait cru prélevés.
La surveillance des maladies d’origine alimentaire permet aussi de disposer d’un ensemble d’informations évaluant les risques encourus :
– les TIAC n’ont impliqué le lait ou les produits laitiers que dans 7 % et 3 % des foyers déclarés en 2012 et 2013 respectivement : implication en premier lieu des entérotoxines staphylococciques et, de façon moindre, des salmonelles [7, 12] ;
– entre 2002 et 2010, 26 épidémies de salmonellose ont été investiguées en France, dont 9 associées à des produits laitiers : incrimination de lait en poudre (n = 3) ou de fromage au lait cru (n = 6) ;
– seulement deux des huit foyers d’infections à STEC avec une source alimentaire commune identifiée, et recensés en France entre 2002 et 2012 ont pu être rattachés à la consommation de fromage au lait cru [15].
Dans une synthèse récente, Verraes et coll. fournissent une vision partielle de la prévalence des bactéries pathogènes dans les produits à base de lait cru, en se référant aux publications scientifiques disponibles [24]. Ainsi, une seule publication fait état de la présence de Salmonella dans des fromages portugais.
Listeria monocytogenes est détectée, parfois à des concentrations faibles et inférieures à 100 UFC (unité formant colonie)/g (seuil défini en fonction à la fois de la relation dose-réponse, dans différentes populations, et d’hypothèses sur le niveau d’exposition des individus), dans des fromages (0 à 41,9 %), du beurre (3,6 à 29,9 %), ou de la crème (0,7 à 8,3 %).
L’analyse de fromages en Irlande, en Allemagne et en Belgique n’a mis en évidence aucun Campylobacter, contrairement à ce qu’aurait pu laisser suggérer la prévalence estimée dans le lait. Les Campylobacter sont de piètres compétiteurs biologiques et ne persistent que peu de temps dans les produits ayant, par exemple, une flore lactique abondante.
Staphylococcus aureus a été décelé dans 5 à 100 % des fromages, 1,6 à 20,3 % des beurres, sans que cela permette d’évaluer les risques encourus (potentiel entérotoxinogène, niveau de contamination).
Malgré les nuances à apporter en termes de risques, en fonction notamment des modes de transformation du lait et des process utilisés, surveiller la production primaire reste essentiel pour sécuriser en aval la qualité des produits commercialisés.
Pour le lait de tank collecté destiné à être transformé pour des produits au lait cru, le paquet hygiène définit uniquement des seuils sur les cellules somatiques et la flore totale avec une fréquence d’analyse (tableau 2).
Néanmoins, pour tenir compte des exigences sanitaires sur les produits, des critères relatifs aux agents pathogènes dans le lait livré sont fixés dans le cadre d’accords interprofessionnels ou d’entreprise dans chaque filière de transformation de produit au lait cru (tableau 3).
Le lait cru délivré en direct au consommateur n’est pas concerné par les textes précédemment cités. En France, les règles auxquelles ce produit primaire doit satisfaire sont définies dans l’arrêté du 13 juillet 2012. Il ne doit pas contenir plus de 100 Listeria monocytogenes par millilitre et aucune salmonelle dans 25 ml pendant sa durée de conservation. La fréquence des autocontrôles sur les critères microbiologiques est de la responsabilité de l’exploitant. Elle tient compte de tous les autres contrôles effectués (y compris ceux établis dans le cadre d’un paiement à la qualité, si une partie du lait est collecté par une entreprise).
À l’autre bout de la chaîne, la réglementation définit un ensemble de critères auxquels doivent satisfaire les produits au lait cru. Certains sont dits de “sécurité”. Ils concernent les salmonelles, Listeria monocytogenes et les entérotoxines staphylococciques.
Les staphylocoques à coagulase positive et les Escherichia coli relèvent des critères d’hygiène du procédé, c’est-à-dire qu’ils doivent être maintenus en dessous d’un certain seuil, lui-même variable selon les produits.
Pour la maîtrise des STEC, des critères réglementaires spécifiques n’existent pas : ils auraient été difficiles à définir en raison de la prévalence faible, de la difficulté de définition des souches dangereuses et d’analyses de laboratoire. Cette problématique entre néanmoins dans un cadre plus général définissant le principe de responsabilité du transformateur (règlements européens 852- et 853-2004). Ce dernier doit garantir l’absence de danger dans ses produits.
Les bactéries pathogènes retrouvées dans le lait de tank peuvent provenir :
– du lait lui-même : présence intramammaire, notion de contamination endogène ;
– de la peau des trayons, des surfaces en contact avec le lait : rôle direct de la machine à traire, ou indirect par le biais de l’eau ayant servi au nettoyage de l’installation de traite ou du tank ;
– plus rarement de l’air : conditions d’ambiance de la salle de traite et de la laiterie.
En amont de la contamination du lait, les bactéries ont des réservoirs préférentiels, primaires ou secondaires (figure 1). De nombreuses fiches techniques existent dans les différentes régions à ce sujet. Elles peuvent aider le praticien à présenter la problématique à l’éleveur (figure 2 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr).
Les staphylocoques proviennent en premier lieu des quartiers ou des demi-mamelles infectés des femelles laitières (il n’existe pas systématiquement de signes cliniques d’infection, voire d’élévation des concentrations cellulaires). Un portage cutané est possible chez l’animal (trayons, plus particulièrement en cas de blessures ou de crevasses) comme chez l’homme, même si l’implication du trayeur reste rare [4, 18, 19]. Enfin, le matériel en contact avec le lait peut être encrassé et permettre la survie des staphylocoques [4, 19]. Listeria monocytogenes et les salmonelles sont le plus souvent apportées par la peau des trayons contaminés par les fèces ou, pour Listeria monocytogenes, de la boue (photo 2). Il peut s’agir le plus souvent d’un portage fécal, asymptomatique, par les femelles laitières, ou parfois de salmonellose ou de listeriose cliniques [16, 17, 22, 23]. Plus rarement, ces bactéries peuvent être directement excrétées par la mamelle de façon asymptomatique [10, 11]. Listeria monocytogenes présente la capacité de former des biofilms résistants dans la machine à traire [14].
Pour Salmonella et Listeria monocytogenes, les méthodes officielles utilisées font l’objet de normes et correspondent à des méthodes culturales. Des techniques alternatives rapides sont également validées pour leur détection. Le dénombrement de Listeria monocytogenes peut être réalisé via différentes méthodes (tableau 4 complémentaire sur www.lepointveterinaire.fr). Dénombrer les salmonelles reste, en revanche, une analyse complexe fondée sur des méthodes de nombre le plus probable (NPP), lourdes à mettre en œuvre.
En ce qui concerne les staphylocoques à coagulase positive, des normes fournissent des références pour le dénombrement des staphylocoques et décrivent la recherche des entérotoxines A à E. Des méthodes alternatives sont validées pour le dénombrement des staphylocoques. Dans le domaine des entérotoxines, tout résultat positif doit être confirmé par le laboratoire de référence (Anses, Maisons-Alfort).
Ces dernières années, des outils de biologie moléculaire (notamment la polymerase chain reaction [PCR], combinée ou non avec une étape d’immuno-séparation magnétique [IMS]) se sont développés. Ils peuvent, par exemple, permettre de rechercher avec une grande sensibilité des gènes caractéristiques de Salmonella et Listeria monocytogenes. En revanche, ces méthodes ne fournissent aucune information sur la viabilité et la pathogénicité effective des souches quand elles sont pratiquées sur un simple bouillon d’enrichissement (et pas sur des souches isolées).
Les souches de staphylocoques à coagulase positive isolées peuvent aussi faire l’objet d’une caractérisation par PCR, visant à identifier des gènes de production d’entérotoxines (11 gènes au total, méthode en cours de validation au sein du laboratoire de référence).
Une connaissance des bactéries pathogènes, de leur biologie et de leur écologie, et des méthodes d’analyse de laboratoire pour les rechercher est indispensable pour préciser aussi bien les sources de contamination que les mesures à mettre en place en cas de contamination du lait de tank. Au-delà, d’autres aspects doivent être considérés, parmi lesquels le contexte de l’intervention. Ainsi, le vétérinaire est-il conduit à intégrer son diagnostic dans une démarche plus globale, en interrelation avec les autres intervenants de l’élevage, tout en prenant en compte aussi bien la dimension économique qu’humaine de la situation à laquelle l’éleveur est confronté(1).
(1) Voir l’article “Intervenir en élevage producteur de lait cru confronté à des bactéries pathogènes” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(1) Voir l’article “Intervenir en élevage producteur de lait cru confronté à des bactéries pathogènes” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(1) Voir l’article “Intervenir en élevage producteur de lait cru confronté à des bactéries pathogènes” des mêmes auteurs dans ce numéro.
Aucun.
→ Les Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (STEC) sont des bactéries présentes naturellement dans le tube digestif des ruminants. D’origine fécale, excrétées dans les déjections des animaux, elles contaminent l’environnement de la ferme, et peuvent alors se trouver accidentellement dans le lait et les produits laitiers non pasteurisés. Une minorité de souches STEC peut être pathogène pour l’être humain [8]. En l’absence de connaissances scientifiques suffisantes et de critères microbiologiques établis pour les denrées animales, chaque pays se fonde sur ses épidémies recensées et son expérience pour définir les sérotypes potentiellement dangereux.
→ Les E. coli font partie des hôtes habituels de l’intestin chez l’homme comme chez les animaux. Si la plupart sont sans danger, certaines souches peuvent être à l’origine de diverses affections chez l’être humain. Parmi celles-ci, les STEC sont susceptibles de produire des shiga toxines responsables de diarrhées sanglantes, et peuvent se compliquer d’une insuffisance rénale appelée syndrome hémolytique et urémique (SHU). Les jeunes enfants et les personnes âgées sont les plus sensibles aux effets de ces toxines. Dans certains cas rares, les infections peuvent engendrer des séquelles, voire entraîner la mort.
Pour autant, toutes les souches de STEC ne sont pas pathogènes. E. coli O157:H7 et, à moindre degré, E. coli O26:H11, O103:H2, O145:H28 et O111:H8 font partie des souches les plus fréquemment incriminées dans des infections graves et sont donc considérées comme hautement pathogènes lorsqu’elles présentent certains gènes de virulence [1-3].
→ En ce qui concerne le lait et les produits laitiers, des études ont pu montrer que la contamination des produits survient rarement à l’usine : ces bactéries émanent essentiellement du lait matière première. Bien que d’autres animaux d’élevage ou sauvages (gibiers, volailles, rongeurs, etc.) puissent véhiculer les STEC, les ruminants sont les principaux réservoirs de ces bactéries. Contaminés à partir de leur environnement, ils hébergent les STEC dans leur tube digestif sans être malades. Ces porteurs sains sont plus fréquents chez les jeunes. La survie des STEC dans l’environnement de la ferme peut être très longue (plusieurs mois) et l’eau en est parfois le vecteur. Faute de méthodes d’analyse de routine pour les étudier (malgré des progrès récents et continus), la biologie de ces bactéries reste encore mal connue, rendant délicate l’appréhension des voies de contamination et de dissémination.
→ La contamination fécale indirecte est vraisemblablement la voie majeure de contamination du lait. Une excrétion intramammaire de STEC (mammites cliniques ou subcliniques), donc une contamination directe du lait, ne peut pas être complètement écartée au vu de certains travaux étrangers, mais les études menées en France n’ont pas permis de la mettre en évidence [20].
→ En termes de méthodes d’analyse, actuellement, la seule norme validée (NF EN ISO 16654:2001) concerne la recherche du sérogroupe O157 dans les aliments. La spécification technique ISO-TS 13136 propose un outil permettant de détecter les STEC dans les aliments en se fondant en premier lieu sur la recherche de certains facteurs de virulence (détection des gènes, par des méthodes de biologie moléculaire). Ces méthodes de détection des STEC sont extrêmement sensibles, mais ne permettent pas de juger de la viabilité des bactéries présentes. Ainsi, une étape de confirmation, avec isolement et identification des souches, reste indispensable et difficile à mettre en œuvre.
→ Dans le cadre d’une intervention en élevage à la suite de la présence de STEC hautement pathogènes dans le lait, l’attention est portée en premier lieu sur les facteurs de risque de contamination fécale(1) [9].
→ Qu’il s’agisse du lait ou des produits au lait cru, et quels que soient les agents pathogènes considérés pour le lait cru, les valeurs indicatives de prévalence rapportées restent difficilement extrapolables et délicates d’interprétation vis-à-vis des risques encourus en raison des différences entre pays.
→ En France, le lait et les produits laitiers font l’objet de cadres réglementaires précis.
→ Connaître les agents pathogènes, leur écologie, mais aussi les méthodes analytiques disponibles pour les mettre en évidence (contraintes de mise en œuvre et limites d’interprétation) est essentiel dans l’appréhension et la résolution de la contamination du lait ou des produits.
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