Pica chez les bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015

MALADIE/COMPORTEMENT DES BOVINS

Symptôme d’appel

Auteur(s) : Guillaume Lamain*, Lorenza Richard**

Fonctions :
*Vétérinaires de l’Arche
61130 Belleme
72110 Saint-Cosme-en-Vairais
**Le Bourg, 71510 Perreuil

Le pica est un symptôme largement observé chez les bovins, mais le lien avec une cause précise est souvent difficile à établir.

Le pica consiste en l’ingestion ou en la tentative d’ingestion de matières non comestibles ou différentes de la nourriture habituelle d’un individu. Il désigne ainsi l’action de léchage ou d’ingestion d’éléments, objets ou liquides, de l’environnement. Le terme synonyme officiel du pica est l’allotriophagie : appétit pour des substances non alimentaires [10].

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE FACE À DES MANIFESTATIONS DE PICA

1. Des causes variées

Le pica fait partie des symptômes fréquemment rencontrés, mais pour lesquels le praticien peine à déterminer une cause ou à fournir une explication, et à établir un diagnostic de certitude.

Lorsqu’un veau est aperçu en train de lécher les barreaux métalliques d’un cornadis ou de boire de l’urine de ses congénères, ou qu’une vache mâchonne du plastique, une carence alimentaire est en général évoquée, sans que la preuve en soit apportée, ni que des investigations supplémentaires soient entreprises (photos 1 à 4). Les causes possibles semblent nombreuses, bien que le lien ne soit pas souvent attesté par des études, le symptôme étant observé dans des atteintes très variées (tableau).

En dehors des comportements normaux d’exploration, de nombreux auteurs associent le pica chez les bovins à des carences alimentaires au sens large, c’est-à-dire à une insuffisance globale d’apport en nutriments [10]. Des carences en divers minéraux sont aussi régulièrement évoquées [5-7, 10]. Le pica présent sous forme d’ingestion de laine et associé à des comportements dépressifs a par exemple été expérimentalement mis en évidence chez des ovins et des caprins carencés en zinc [7]. D’autres auteurs ont montré une corrélation entre le pica, notamment l’ingestion d’os, et des carences en phosphore chez des bovins et des ovins [6].

De plus, des douleurs abdominales chroniques ont été avancées comme pouvant provoquer des comportements de pica dans l’espèce bovine [10]. Ainsi, des affections aussi diverses que des péritonites ou des ulcères de caillette semblent déclencher ce type de trouble du comportement alimentaire [10].

Des conditions d’environnement inadaptées ou des situations de stress occasionnent du pica en l’absence d’erreur alimentaire [5, 10]. L’élevage intensif et l’hébergement individuel ou à l’attache seraient alors des facteurs prédisposants.

De plus, le pica est parfois au centre d’un tableau clinique d’affection nerveuse, incluant, par exemple, des encéphalites virales (la rage) ou les formes nerveuses d’acétonémie clinique chez la vache laitière, comme un certain nombre de causes d’intoxication, dont l’intoxication au plomb [3, 10, 14].

Enfin, une acidose, ou une subacidose, est également souvent suspectée et des examens diagnostiques sont alors entrepris pour la confirmer [communication personnelle]. Toutefois, il n’est pas établi que le pica soit la conséquence directe de ces affections.

2. Démarche diagnostique

Une démarche diagnostique doit ainsi être effectuée (figure). En premier lieu, un examen clinique complet de l’animal présentant du pica doit permettre de déterminer les éventuels symptômes digestifs ou nerveux, qui peuvent orienter vers une affection particulière. Ensuite, le praticien peut vérifier si le régime alimentaire proposé est correct, de même que l’accès à l’eau et à la ration, et évaluer l’apport de compléments minéraux et vitaminiques.

3. Cas cliniques

Cas clinique 1 : trouble comportemental (1)

Une seule vache d’une exploitation boit le jus de purin depuis longtemps (photo 5). Elle consomme pourtant au moins 40 g de sel par jour et 350 g d’un minéral suffisamment riche en phosphore pour la ration, dispose de paille à volonté, et l’examen de la ration et des taux protéique et butyreux du lait ne permet pas d’envisager une acidose ou une subacidose. Elle ne présente pas de cétonurie ni de diarrhée chronique, et le niveau parasitaire est très bas. Un déficit en vitamine B12 étant exclu, l’hypothèse retenue est celui d’un comportement déviant.

Cas cliniques 2, 3 et 4 : Carence alimentaire (2, 3, 4)

→ Cas clinique 2 : colostrum

Une génisse montbéliarde, presque entièrement alopécique, présente du pica important (photo 6). Elle a été traitée pour une légère diarrhée blanche à 3 semaines, mais reste faible. Différents examens ne mettent en évidence qu’une hypoprotéinémie, sans autre carence ni dermatite infectieuse. Son état se dégrade malgré les traitements instaurés et elle meurt. L’autopsie ne révèle rien de particulier. Un second animal est vu pour les mêmes symptômes avec la même anamnèse. Une hypoprotéinémie est également retrouvée. Une visite d’exploitation révèle une hypoprotéinémie chez de nombreux veaux et une insuffisance d’apport de colostrum. Leurs dents sont noires (photo 7). L’administration de lévothyroxine et de lactoremplaceur aux veaux qui commencent à développer les mêmes symptômes permet leur guérison. L’hypothèse d’une listériose chronique dans le troupeau associée à une malnutrition est envisagée, mais aucune Listeria n’est retrouvée. Une alopécie associée à une carence colostrale reste le diagnostic le plus probable, et est retrouvée dans les troupeaux de races montbéliarde et brune suisse.

→ Cas clinique 3 : paille et eau

Des génisses frisonnes, élevées de la naissance au sevrage dans une case collective, boivent chacune l’urine des autres, à tel point que certaines ont la peau de l’arrière-train glabre (photo 8). Aucun foin ni aucune paille, qui devraient être mis à disposition, ne sont présents dans la case, ni aucun point d’eau. L’éleveuse prétend qu’elles n’ont pas besoin d’eau, mais les génisses se jettent sur l’eau qui leur est apportée. L’éleveuse demande incrédule : « Ce serait tout bêtement ça ? »

→ Cas clinique 4

Une grande quantité de pierres est retrouvée dans les matières fécales d’un troupeau de vaches (photo 9). Elles proviennent d’un sentier annexe à la prairie. L’origine de ce pica est carentielle.

Cas clinique 5 : Cause infectieuse (5)

Un veau de 3 semaines a un appétit capricieux, lèche les murs et les jarrets de sa mère, et présente une diarrhée verdâtre (photo 10). Un premier traitement par pansement intestinal, amoxicilline et acide clavulanique, puis un second qui cible la coccidiose sont sans effet. Une chirurgie permet de retirer 2 l de liquide noir contenant une multitude de petites boules de poils de la caillette, dont la muqueuse est très congestionnée (photo 11). Le veau est rendu avec un traitement à base d’antibiotiques et de paraffine. La sérologie de la diarrhée virale bovine (BVD) et la coproscopie sont négatives. L’état général s’améliore dès le lendemain. Une semaine plus tard, le veau recommence à lécher le mur toute la journée, son état général se dégrade et il meurt 15 jours après. L’autopsie ne révèle aucune lésion abdominale ni dans la caillette. Seul le liquide retiré de la caillette lors de l’intervention marque une difficulté. En revanche, d’importantes lésions de pneumonie sont retrouvées. Le veau ne présentait aucun symptôme, mais cette affection l’empêchait probablement de téter.

Cas clinique 6 : Causes diverses (6)

→ Cause inconnue : depuis 1 an, des génisses effectuent des mouvements de langue anormaux et importants toutes les 3 à 4 minutes en moyenne, sans répercussion apparente sur l’état général. Un avis fait référence au “tic de la langue”, forme de pica sans ingestion de nourriture, pour lequel plusieurs causes théoriques sont données : une prédisposition génétique, une carence alimentaire en fibres, en minéraux et en oligo-éléments, un instinct enfantin de sucer qui persiste, l’ennui dans un environnement peu approprié. Ce comportement semble se propager dans le troupeau par imitation.

→ Des cas de pica sont parfois observés chez des animaux présentant des atteintes métaboliques (acidose, subacidose), mais le lien entre l’affection et le symptôme n’est pas clairement établi.

DISCUSSION

1. Différents types de pica et conséquences sur la santé

Le pica peut prendre plusieurs formes. Divers éléments solides peuvent être mâchés ou ingérés, orientant parfois vers la cause de ce comportement : des éléments manufacturés comme des plastiques, des ossements (ostéophagie) en cas de carences en minéraux, des matières fécales (coprophagie) ou de la terre (photos 12 et 13) [9, 10]. L’animal peut également présenter un lêchage compulsif de son pelage ou de celui de ses congénères, des trayons d’autres vaches ou génisses, ou d’éléments de son environnement (cornadis, bois, etc.). Ce comportement peut se manifester seul ou accompagné d’autres symptômes (photos 14 et 15).

Les conséquences du comportement de pica sont variées et parfois surprenantes. Les animaux atteints présentent généralement une perte de poids et un état corporel moins bon que leurs congénères du même âge [11]. Parfois de sérieux troubles digestifs sont observés lors de formation de trycho- ou phytobézoards qui peuvent évoluer en subobstruction digestive (cas 4 et 5) [9, 10]. Des animaux attirés par des éléments inhabituels peuvent ingérer des substances toxiques (plomb des batteries par exemple) ou responsables de maladies infectieuses mortelles (botulisme). Associé à la faible sensibilité tactile de la langue des bovins, le pica peut provoquer des perforations digestives lors d’ingestion d’éléments vulnérants (bois, métal) ou des impactions alimentaires en cas d’ingestion de cordes, de ficelles ou d’éléments plastiques [10]. Enfin, des mammites avant la première lactation sont parfois constatées chez des génisses qui sont tétées.

2. Symptôme décrit dans d’autres espèces

La coprophagie est un comportement normal au sein d’espèces telles que les lapins, chez lesquels un bénéfice est supposé et attendu (méthode de complémentation ou de réfection de la flore) [10]. Dans l’espèce équine, des tics liés à l’ennui, à un mode d’alimentation trop concentré et réduisant le temps d’alimentation de l’animal à son strict minimum, ou au confinement sont régulièrement décrits. Chez les ovins, l’allotriophagie se manifeste, par exemple, par l’ingestion de laine en association avec des retards de croissance, des diarrhées et un appétit capricieux [7, 10]. Dans l’espèce canine, en dehors des comportements infantiles d’exploration et de ceux de dominance (mordillement des mains des maîtres), les mêmes catégories de circonstances d’apparition du pica sont décrites. Le stress ou l’ennui sont cependant fortement mis en avant dans cette espèce [4]. Chez les hommes, le parallèle peut être établi avec un trouble classique, identifié fréquemment : l’onychophagie (le grignotage d’ongles) dont les causes seraient l’anxiété, le stress, l’ennui, la solitude, l’imitation des membres de la famille ou encore le transfert de l’habitude de sucer son pouce [1, 12]. Des carences en fer ont parfois été suggérées [2]. Certains auteurs ont montré que dans des familles avec un historique de pica comprenant des enfants et un ou des chiens, ces derniers pouvaient être considérés comme des sentinelles fiables des intoxications au plomb [13].

Les chats ne sont pas exclus et présentent parfois du pica, se manifestant par le mâchonnement de bouts de laine, de tissu, de plastique ou de papier. Ce comportement pourrait être l’expression d’un infantilisme [8].

3. Prévention du pica

Certains conseils fondamentaux s’imposent ainsi à la lumière de l’ensemble des causes de pica évoquées précédemment. Fournir une alimentation adaptée à l’espèce et à l’âge des animaux (cas 2 et 3), ainsi qu’un abreuvement suffisant et de bonne qualité, accessible en permanence, est un prérequis (photos 16 et 17). Des analyses de rations, éventuellement complétées au cas par cas par des analyses sanguines, doivent permettre d’écarter des carences alimentaires majeures à l’origine de pica.

L’hébergement des animaux dans des conditions de confort, de surface et de propreté satisfaisantes est le second élément mis en avant. Des éléments enrichissant l’environnement comme des brosses automatiques pour les vaches, ou la possibilité pour les veaux en cases individuelles d’observer et d’interagir avec leurs voisins sont des exemples d’amélioration à apporter. Il convient également d’encourager les éleveurs à éviter que les animaux n’entrent en contact avec des matières potentiellement dangereuses [14]. Dans le cas précis de futures génisses de reproduction, la pose d’anneaux nasaux “antitétage” constitue une solution généralement efficace.

Conclusion

Dans une majorité de cas, la cause exacte du pica ne peut être déterminée aisément (cas 6). Des mesures correctives peuvent cependant être proposées et adaptées en fonction de la réponse thérapeutique [10]. L’hypothèse courante selon laquelle un animal carencé choisit lui-même de façon efficace les aliments capables de rectifier cette ou ces carences semble mise à mal par certains auteurs qui montrent qu’il est nécessaire de fournir aux bovins une ration adaptée à la correction des carences [6]. Enfin, le diagnostic de pica par trouble comportemental est établi par exclusion des autres causes (cas 1). Des études restent à mener afin de démontrer l’implication réelle de chaque facteur et de mettre en évidence d’autres causes.

  • (1) Nicol Jean-Marie. C’est tellement bon. Cas clinique. 1/11/2008.

  • (2) Théron Léonard. Syndrome abattement-dépilation. Cas clinique. 22/7/2009.

  • (3) Audouin Timothée. Fausse carence… Cas clinique. 23/8/2008.

  • (4) Auteur inconnu. Pica prononcé. Cas clinique. 7/12/2007.

  • (5) Millet Alain. Boule de poils. Cas clinique. 2/4/2014.

  • (6) Pastorelli François. Des langues bien mobiles ! J’ai besoin de votre avis. 4/11/2010.

Références

  • 1. Almalmi M. Onychophagia in children and adults. European Psychiatry. 2010;25:327.
  • 2. Bryant BJ, Yau YY, Arceo SM et coll. Ascertainment of iron deficiency and depletion in blood donors through screening questions for pica and restless legs syndrome. Transfusion. 2013;53:1637-1644.
  • 3. Cornell University consultant. Pica chez les bovins. Consulté le 14/7/2015. http://www.vet.cornell.edu/consultant/Consult.asp Fun=F_Sign&spc=Canine &dxkw=&sxkw=pica&signs=1-D04 http://www.vet.cornell.edu/consultant/Consult.aspFun=F_Sign&spc=Bovine&dxkw=&sxkw=pica&signs=0-D04
  • 4. Cornell University consultant. Pica chez les chiens. Consulté le 14/7/2015. http://www.vet.cornell.edu/consultant/Consult.asp Fun=F_Sign&spc=All&dxkw=&sxkw=pica&signs=1-D04 http://www.vet.cornell.edu/consultant/ Consult.aspFun=F_Sign&spc=Bovine&dxkw=&sxkw=pica&signs=1-D04
  • 5. Fry JP, Sharman DF, Stephens DB. A. Proceedings of the international symposium on catecholamines and stress. 1976:603-614.
  • 6. Gordon JG, Tribe DE, Graham TC. The feeding behaviour of phosphorus-deficient cattle and sheep. Br. J. Anim. Behav. 1954;2:72-74.
  • 7. Hagmeyer S, Haderspeck JC, Grabrucker AM. Behavioral impairments in animal models for zinc deficiency. Frontiers Behav. Neurosc. 2015;8(443):1-16.
  • 8. John WS, Bradshaw PF, Neville DS. Factors affecting pica in the domestic cat. Appl. Anim. Behav. Sci. 1997;52:373-379.
  • 9. Lamain G, Sartelet A. Traitement chirurgical d’une hernie ombilicale avec incarcération abomasale chez une génisse. Point Vét. Expert rural. 2012;322:48-52.
  • 10. Radostits OM, Gay CC, Hinchcliff KW et coll. Pica In: Veterinary medicine. 10th ed. Ed. Saunders, Philadelphia. 2007:112-113.
  • 11. Shen XY. Studies on wool-eating ailment in Guizhou semi-fine wool sheep. Agricultural Sciences in China. 2011;10:1618-1623.
  • 12. Tanaka OM, Vitral RWF, Tanaka GY et coll. Nailbiting or onychophagia: A special habit. Am. J. Orthod. Dentof. Orthop. 2008;134:305-308.
  • 13. Thomas CW, Rising JL, Moore JK. Blood lead concentrations of children and dogs from 83 Illinois families. J. Am. Vet. Med. Assoc. 1976;169(11):1237-1240.
  • 14. Yonge KS, Morden BB. Bovine lead poisoning in Alberta: A management disease. Can. Vet. J. 1989;30:42-45.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le pica chez les bovins semble être lié à de nombreuses affections, dont le lien étiologique n’est pas toujours démontré.

→ Le pica peut être dû à un trouble comportemental, mais il convient d’éliminer les autres causes possibles avant de l’envisager.

→ Le pica peut lui-même être à l’origine de troubles de santé importants.

→ De bonnes conditions d’hébergement, d’alimentation et d’abreuvement permettent de prévenir ce symptôme.

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