Anesthésie péridurale caudale chez la vache : comment adapter sa pratique à l’utilisation de la procaïne - Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 359 du 01/10/2015

ANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE DES BOVINS

Article de synthèse

Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde

Fonctions : Oniris, École nationale vétérinaire,
agroalimentaire et de l’alimentation
Site de la Chantrerie, CS 40706
44307 Nantes Cedex 3
gwenola.touzot-jourde@oniris-nantes.fr

Moins connue que la lidocaïne, la procaïne peut être utilisée lors de l’anesthésie péridurale caudale chez la vache laitière adulte pour des interventions dans la région périnéale et pour des manœuvres obstétricales. Elle dispose d’une AMM dans cette indication.

L’anesthésie péridurale caudale chez la vache est une des techniques d’anesthésie locorégionale les plus employées pour la réalisation de manœuvres obstétricales et des interventions chirurgicales intéressant la région périnéale [4]. La lidocaïne et la xylazine, seules ou en association, sont utilisées depuis des dizaines d’années, mais la perte d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de la lidocaïne amène les praticiens à changer leurs habitudes, d’autant plus que le temps d’attente de la lidocaïne dans la cascade reste de 28 jours pour la viande, mais a été récemment augmenté à 15 jours pour le lait. La procaïne, anesthésique plus ancien que la lidocaïne et disponible actuellement en France avec une AMM pour cette indication (temps d’attente viande et lait : 0 jour), est moins connue et bénéficie de peu de données scientifiques applicables en pratique [7, 8].

POINT SUR LES EFFETS DE L’ANESTHÉSIE PÉRIDURALE CAUDALE AVEC LA LIDOCAÏNE

Les premières publications internationales sur l’efficacité de la lidocaïne administrée par voie épidurale sacro-coccygienne ou intercoccygienne proximale (espace intervertébral Co1-Co2) remontent aux années 1980, avec, de nouveau, de nombreuses études pendant les années 2000 [2, 8]. Les doses préconisées de lidocaïne 2 % sont de 0,2 à 0,22 mg/kg, soit 1 ml/100 kg environ [3, 5, 9]. L’espace péridural n’ayant pas de relation linéaire avec le poids mais plutôt avec la stature, et la diffusion craniale du produit étant fonction du volume injecté, la dose maximale de 5 ml par vache adulte a été conseillée, en particulier dans les races allaitantes [2, 6]. À ces doses, l’anesthésie entraîne une paralysie et une relaxation de la queue, s’étend de la queue au périnée, remonte dorsalement jusqu’au sacrum et descend au niveau de la face caudale des cuisses avec des extensions latérale et médiale variables. Le délai d’apparition de l’effet est assez court, mais variable suivant les études et selon la prise en compte ou non des premiers effets ou du délai d’apparition de l’effet maximal. L’anesthésie touche initialement la queue, puis le périnée et s’étend ensuite excentriquement autour de la région périnéale. Le délai varie de 2,5 à 10 min, mais peut parfois être de 20 min (tableaux 1 et 2) [1-3, 5, 6, 11]. La durée d’action est aussi très variable d’une vache à l’autre et d’une étude à l’autre de 35-40 min à 100-120 min. À cette dose, une ataxie légère à modérée est souvent rencontrée et peut aboutir au couchage de la vache, par confort plus que par chute.

PROCAÏNE

La procaïne a été synthétisée en 1904, soit 40 ans avant la lidocaïne, avec pour objectif de remplacer la cocaïne qui avait démontré ses propriétés toxiques et addictives [7]. Chef de fil d’une longue liste d’anesthésiques locaux, la procaïne s’est vu attribuer la puissance de 1 (lidocaïne, puissance 2) et constitue la molécule de référence. En raison de ses propriétés physico-chimiques, elle est classifiée comme anesthésique local ayant un délai d’action long et une durée d’action courte de 45 à 60 min (lidocaïne, délai d’action court et durée de 60 à 120 min). La molécule ayant un lien amino-ester alors que la lidocaïne a un lien amino-amide, la procaïne est moins toxique avec une dose convulsive trois à cinq fois moins importante que la lidocaïne chez le chat, mais elle a un potentiel allergisant un peu plus marqué [6]. La procaïne est disponible en France en solution aqueuse à la concentration de 2 % (Procamidor®).

ANESTHÉSIE PÉRIDURALE CAUDALE AVEC LA PROCAÏNE 2 % : RÉSULTATS D’UN ESSAI CHEZ LA VACHE LAITIÈRE

1. Matériel et méthodes

→ La procaïne 2 % (Procamidor®) a été récemment commercialisée en France et comporte une AMM pour l’anesthésie péridurale chez les bovins. Une étude a été entreprise à Oniris, École vétérinaire de Nantes, sur 14 vaches du troupeau pédagogique (12 holstein, 1 normande, 1 montbéliarde) pesant de 480 à 780 kg pour déterminer le volume optimal de procaïne 2 % en injection péridurale caudale (intercoccygienne proximale) pour l’anesthésie de la région périnéale avec la procaïne 2 % [9, 10].

→ L’injection a été réalisée de façon classique, après une tonte et une asepsie de la zone, à l’aide d’une aiguille rose 18 G de 4 cm. La localisation adéquate dans l’espace péridural a été confirmée par l’aspiration spontanée de gouttes déposées dans l’embase de l’aiguille.

Pour tester l’effet de différents volumes d’injection péridurale de la procaïne 2 % (Procamidor®), les 14 vaches ont été réparties au hasard en trois groupes : G5 recevant 5 ml (4 vaches), G10 recevant 10 ml (6 vaches) et G15 recevant 15 ml (4 vaches). Le poids moyen des vaches n’était pas statistiquement différent entre les groupes (test de Mann Whitney p > 0,05).

→ Les paramètres observés pour caractériser la mise en place du bloc et la durée d’effet ont été les suivants :

– l’état de paralysie de la queue (disparition des mouvements volontaires) ;

– les tests de sensibilité cutanée en région périnéale et sur les aspects caudaux des cuisses réalisés avec un algomètre de pression (ProdPlus® par TopCat Metrology) qui correspond à une fine pointe légèrement mousse et non contendante montée sur un dynamomètre et permet l’application d’un stimulus standardisé sur la peau ;

– l’observation du développement d’une ataxie postérieure.

→ La réponse à la stimulation nociceptive avec l’algomètre est considérée positive lorsqu’une réaction immédiate est observée, telle qu’un réflexe de contraction anale, un mouvement de la queue ou de la tête, des membres, ou du corps dans son ensemble. L’anesthésie cutanée est considérée présente lorsque la vache ne réagit pas à l’application de l’algomètre jusqu’à la pression maximale de 20 newtons (poids x surface d’application).

Le délai maximal d’installation, la durée et l’étendue de l’anesthésie sont répertoriés. Les observations sont réalisées toutes les 2 min pendant les 10 premières minutes, puis toutes les 5 min les 10 à 30 min suivantes, et enfin toutes les 10 min jusqu’au retour complet de la sensibilité cutanée. Les zones cutanées testées sont dans l’ordre chronologique : la base de la queue, le périnée entre l’anus et la vulve, les lèvres de la vulve à 5 cm et à 10 cm latéralement à l’ouverture vulvaire, puis à 15 et à 20 cm plus latéralement sur la face caudale des cuisses à hauteur de la vulve, à 20 cm en dessous de la vulve entre les cuisses sur le plan sagittal, et à la base de la mamelle caudale chez les vaches ayant un développement mammaire (photo 1). La délimitation de l’étendue maximale du bloc est marquée à la bombe d’aluminium (photo 2).

2. Résultats

→ Dans le groupe G5 (5 ml), la paralysie de la queue s’est développée rapidement en 1 à 3 min pour 53 à 79 min chez 3 des 4 vaches. La sensibilité de la base de la queue a disparu en 5 à 35 min et pendant 10 à 42 min chez ces 3 vaches. L’anesthésie de la vulve a été très circonscrite, d’installation rapide à lente (7 à 68 min) et de durée très courte (3 à 10 min). Aucun signe d’ataxie n’a été observé. Il a été conclu que l’anesthésie péridurale avec 5 ml de procaïne 2 % est insuffisante pour une désensibilisation fiable de la région périnéale ou même de la queue.

→ Pour les groupes G10 et G15, les blocs de la queue et de la région périnéale se sont développés rapidement en 4 à 10 min pour une durée variant entre 40 et 110 min. Une paralysie marquée de la queue (1 à 7 min post-injection) est observée. Ces derniers résultats étaient similaires entre les groupes G10 et G15. Le bloc a continué de s’étendre entre les cuisses, jusqu’à la mamelle pour certaines vaches, et plus latéralement sur les cuisses en regard de la vulve avec une tendance à une installation plus progressive et moins étendue dans G10 par rapport à G15. La plupart des vaches ont montré un degré faible d’asymétrie gauche-droite du bloc avec un bloc qui s’étend jusqu’à la séparation entre le muscle glutéobiceps et le muscle semi-tendineux (dite “raie de la misère”). Trois vaches sur 4 dans le groupe G15 ont présenté une ataxie modérée à sévère sans entraîner de chute ni de décubitus. Les vaches étaient placées dans un travail sur lequel elles se sont reposées pendant la période d’ataxie la plus marquée. Dans le groupe G10, aucun signe d’ataxie n’a été noté. Il a été conclu que le volume de 10 ml de procaïne 2 % en injection péridurale caudale assurait une anesthésie fiable de la région périnéale avec un risque minimal d’ataxie. Bien que le bloc apparaisse un peu plus étendu avec l’administration de 15 ml, le plus haut volume induit un risque significatif de décubitus et la nécessité d’un travail pour empêcher les chutes.

3. Discussion

Les observations réalisées ont permis de mettre en évidence les points suivants :

– la dose de 10 ml paraît la plus indiquée ;

– le bloc de la région périnéale se développe pendant les 10 premières minutes, soit quelques minutes plus lentement que ce qui est publié pour la lidocaïne. [1, 3, 5, 11]. Le premier signe d’installation du bloc est la disparition des mouvements volontaires de la queue ;

– la durée du bloc est très variable d’une vache à l’autre, allant de 40 à 110 min, comme pour la lidocaïne. [1-3, 5, 6, 11] Une étude plus poussée est nécessaire pour déterminer si des paramètres comme le poids, l’état d’embonpoint ou la conformation seraient susceptibles d’être liés à cette variabilité ;

– le bloc a souvent un degré d’asymétrie, toutefois la région périnéale est bien anesthésiée ;

– le déclin de l’anesthésie est marqué par le retour de la motricité de l’anus et de la queue ;

– le retour de la sensibilité de la base de la queue et du périnée a tendance à être simultané et à devancer de 5 à 10 min celui des lèvres de la vulve. Aucun effet indésirable n’a été observé au cours de cette étude ni pendant les 8 semaines d’observation suivant les injections.

L’anesthésie des nerfs de la queue de cheval dans l’espace péridural est fonction du volume injecté, de la puissance de l’anesthésique local et de sa concentration pour l’étendue bloquée, de la rapidité et de l’intensité d’action [7, 8]. La procaïne est une molécule deux fois moins puissante que la lidocaïne, donc une dose double (en mg/kg) est en théorie nécessaire pour obtenir un bloc de qualité équivalente. Les présentations pharmaceutiques de lidocaïne et de procaïne étant à la même concentration de 2 %, le volume optimal de 10 ml de procaïne 2 % identifié dans cette étude pilote est donc susceptible de trouver une explication dans ces différences de propriétés physico-chimiques des anesthésiques locaux.

Conclusion

L’anesthésie péridurale caudale chez la vache laitière adulte avec 10 ml de procaïne 2 % paraît adéquate pour des interventions intéressant la région périnéale et les manœuvres obstétricales. Néanmoins, ce résultat est à confirmer par la réalisation d’un essai clinique. Comparé à la lidocaïne 2 % (5 ml), le bloc à la procaïne 2 % (10 ml) semble s’installer légèrement plus lentement, mais dans les 10 min suivant l’injection, et avoir une durée équivalente. De plus, il est possible que le risque d’ataxie soit moindre.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La procaïne 2 % par injection péridurale intercoccygienne proximale chez la vache adulte avec le volume de 10 ml provoque un bloc d’installation rapide dans les 10 min suivant l’injection et de durée variable de 40 à 110 min selon la vache.

→ Les risques d’ataxie à la dose de 10 ml apparaissent minimes.

→ Les caractéristiques du bloc (installation, durée, et étendue) avec la procaïne 2 % à la dose de 10 ml apparaissent similaires à celles publiées avec la lidocaïne.

Références

  • 1. Bigham AS, Habibian S, Ghasemiab F, Layeghi S. Caudal epidural injection of lidocaine, tramadol, and lidocaine-tramadol for epidural anesthesia. J.Vet. Pharmacol. Therap. 2010;33:439-443.
  • 2. Caron JP, LeBlanc PH. Caudal epidural analgesia in cattle using xylazine. Can. J.Vet. Res. 1989;53:486-489.
  • 3. Dehghani SN, Bigham S. Comparison of caudal epidural anesthesia by use of lidocaine versus a lidocaine-magnesium sulfate combination in cattle. Am.J.Vet. Res. 2009;70:194-197.
  • 4. Edmonson MA. Local and regional anesthesia in cattle. Vet. Clin. Food Anim. 2008;24:211-226.
  • 5. Grubb TL, Riebold TW, Crisman RO, Lamb LD. Comparison of lidocaine, xylazine and lidocaine-xylazine for caudal epidural analgesia in cattle. Vet. Anaesth. Analg. 2002;29:64-68.
  • 6. Lin HC. Evaluation of analgesia induced by epidural administration of medetomidine in cows. Am. J.Vet. Res. 1998;59:162-167.
  • 7. Skarda RT, Tranquilli WJ. Local anesthetics. In: Lumb and jones veterinary anesthesia and analgesia. 4th ed. Eds WJ Tranquilli, JC Thurmon, KA Grimm. Blackwell. 2007:395-418.
  • 8. Skarda RT, Tranquilli WJ. Local and regional anesthesic and analgesic techniques: ruminants and swine. In: Lumb and jones veterinary anesthesia and analgesia. 4th ed. Eds WJ Tranquilli, JC Thurmon, KA Grimm. Blackwell. 2007:643-681
  • 9. Touzot-Jourde G, Grand B, Nikolayenkova-Topie O, Guatteo R. Détermination de la dose optimale de procaïne 2 % pour l’anesthésie péridurale caudale chez la vache adulte: résultats préliminaires. Proc. GTV Nantes. 2015:821-824
  • 10. Touzot-Jourde G, Grand B, Nikolayenkova-Topie O, Guatteo R. Caudal epidural anesthesia in adult dairy cows with procaine 2 %: determination of the optimal volume for perineal anesthesia. In press.
  • 11. Vesal N, Ahmadi M, Foroud M, Imani H. Caudal epidural anti-nociception using lidocaine, bupivacaine or their combination in cows undergoing reproductive procedures. Vet. Anaesth. Analg. 2013;40:328-332.
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