L’élevage bovin de précision en questions - Le Point Vétérinaire expert rural n° 358 du 01/09/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 358 du 01/09/2015

ZOOTECHNIE

Questions-réponses

Auteur(s) : Clément Allain

Fonctions : Institut de l’élevage,
BP 85225,
35652 Le Rheu Cedex

L’élevage de précision se développe et fournit des alertes à l’éleveur qui lui permettent de suivre chaque animal de son troupeau au quotidien, mais la délivrance d’un conseil adapté reste nécessaire.

L’utilisation de technologies de l’information et de la communication (TIC) émerge depuis plusieurs années dans les élevages dont la taille augmente. C’est le plus souvent le cas des grands troupeaux de bovins laitiers, où les éleveurs ont besoin d’outils pour les aider à suivre leurs animaux au quotidien. Clément Allain, chef de projet en élevage de précision à l’Institut de l’élevage, répond aux questions concernant les perspectives que ces dispositifs ouvrent pour les productions de bovins laitiers et allaitants.

QU’EST-CE QUE L’ÉLEVAGE DE PRÉCISION ?

L’élevage de précision peut être défini comme l’utilisation coordonnée, d’une part, de capteurs pour mesurer des paramètres comportementaux, physiologiques ou de production chez les animaux, et, d’autre part, de TIC pour échanger, stocker, transformer et restituer ces informations à l’éleveur afin de l’aider dans sa prise de décision en complément de ses observations (photos 1 et 2) [8]. Par extension, sont inclus tous les automatismes permettant la traite, la distribution de l’alimentation ou la régulation de l’ambiance des bâtiments s’ils sont équipés de capteurs et de technologies de transfert d’information. Par exemple, les robots de traite intègrent la partie automatisme et plusieurs capteurs (pesée de l’animal, mesure de la quantité ou de la composition du lait de l’animal, etc.). En revanche, les automatismes ne produisant pas de données utilisables pour la conduite du troupeau (racleurs de déjection, pousse-fourrage, etc.) sont exclus de cette définition.

POURQUOI SE DÉVELOPPE-T-IL ACTUELLEMENT ?

Ce dispositif est en forte croissance, avec près de 4 400 élevages équipés d’un robot de traite en France en 2014. Leur nombre a été multiplié par 5 depuis 2007. Les capteurs sur l’animal pour la détection des vêlages ou des chaleurs sont également en forte croissance et, à l’avenir, il sera nécessaire de composer avec ces équipements. En effet, avec l’augmentation de taille des cheptels, les éleveurs ont un besoin accru d’outils pour les aider à suivre les problèmes de santé et de reproduction, notamment, de leurs animaux. De plus, les cours du lait, de la viande et des céréales étant soumis à des aléas économiques à l’échelle mondiale, les éleveurs ont besoin d’être flexibles pour pouvoir s’y adapter. Ils doivent également se conformer à certaines attentes sociétales en prenant en compte le bien-être animal, l’environnement et la qualité des produits.

QUELS SONT LES OUTILS UTILISÉS ?

Des capteurs permettent d’automatiser une mesure qui peut être réalisée par l’homme (pesée des aliments, visualisation des chevauchements, etc.), ou de mesurer des paramètres non détectables ou difficilement mesurables par ses soins (rumination, dosages d’hormones, d’enzymes, etc.). Les outils utilisés peuvent mesurer des paramètres physiologiques chez l’animal, biologiques sur ses produits, morphologiques et comportementaux (tableau 1) [1, 2, 5]. Les informations fournies sont analysées afin de suivre les performances du troupeau, de les manager, notamment au niveau de l’alimentation, ou de détecter de façon précoce des troubles de santé et de reproduction. Elles peuvent également servir pour modifier le fonctionnement d’un automate (fréquence de traite, distribution du concentré, etc.).

CES OUTILS SONT-ILS RENTABLES ÉCONOMIQUEMENT ?

Le choix de l’éleveur doit être éclairé sur les performances et le coût des outils afin d’investir à bon escient et de les utiliser de façon conforme et durable, car c’est le rapport coût/bénéfices qui est important pour lui.

Le coût de ces instruments est assez simple à évaluer, car il comprend l’investissement et la maintenance. En revanche, les bénéfices économiques qui peuvent en être tirés le sont plus difficilement. Ils dépendent de l’amélioration de la sensibilité de détection des événements par les capteurs (augmentation de la survie des veaux par la détection des vêlages, diminution des pertes de production par une meilleure prévention des maladies, etc.) (encadré 1).

Par exemple, le coût des outils de détection des chaleurs pendant les 5 premières années est de 20 € par vache et par an environ dans les grands troupeaux, et de 60 € dans les petits troupeaux et ceux à vêlages étalés qui nécessitent d’équiper tous les animaux [3]. Le retour sur investissement est alors possible en 5 ans dans les grands élevages de plus de 120 vaches ou pour ceux dont la production est élevée, à condition que l’augmentation de sensibilité soit de 30 à 40 % [3]. La démarche est ainsi rentable dans les exploitations où l’observation des chaleurs sans l’équipement est limitée, car l’outil apporte un réel bénéfice sur leur détection. En revanche, elle l’est beaucoup moins quand l’éleveur est performant sur ce point sans cet outil, ou dans les troupeaux de faible effectif ou de moindres performances.

Il convient cependant de ne pas négliger les apports en confort de travail, difficilement chiffrables économiquement, comme la flexibilité des horaires de travail, le gain de temps, la surveillance à distance, etc.

QUELS SONT LES IMPACTS SUR LE MÉTIER D’ÉLEVEUR ?

Le couplage de capteurs qui collectent et restituent des données sous forme d’alertes ou de rapports synthétiques aux robots de traite et d’alimentation améliore le confort de travail des éleveurs (tableau 2) [9]. Ces outils leur permettent en effet de réduire leur temps de travail, leur main-d’œuvre et les astreintes liées à leur métier. Les jeunes sont attirés par ces nouvelles technologies, mais elles doivent être adaptées à leurs compétences et à l’exploitation. En effet, le risque est que l’éleveur délaisse l’observation pour se référer uniquement aux données des capteurs et qu’il se désinvestisse des savoir-faire pratiques et de la relation à l’animal [9]. Enfin, l’apprentissage de l’utilisation de l’appareil, la consultation et l’interprétation des données, parfois complexes, représentent une tâche supplémentaire.

CES OUTILS APPORTENT-ILS UN CONSEIL ?

La mauvaise analyse des données peut être à l’origine d’erreurs d’interprétation et de diagnostic. L’administration d’un traitement médicamenteux ou la pratique de l’insémination sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur la santé ou le bien-être de l’animal, ou encore sur le plan économique si elles interviennent au mauvais moment. Pour pallier ces manques, les outils évoluent de la simple alerte vers l’aide à la décision, par la délivrance de conseils (moment d’inséminer, par exemple). Dans ce cas, les données restituées sont combinées à d’autres informations, historiques, économiques et techniques, pour délivrer un conseil sécurisant la prise de décision de l’éleveur [12]. Ainsi des systèmes DLM® de Lely, qui adapte la fréquence de traite individuelle et la distribution d’aliments concentrés, ou Herd Navigator® de Lattec, qui donne un conseil pour l’insémination en mesurant, par exemple, la progestérone). Toutefois, l’éleveur peut rester maître des règles de décision qui sont appliquées.

QUELLE EST LA PLACE DU VÉTÉRINAIRE ?

Ces équipements sont des outils d’aide à la décision. Ils ne sont pas fiables à 100 %, surtout lorsqu’il s’agit de détecter les troubles sanitaires (mammites ou autres maladies infectieuses et métaboliques). Le vétérinaire doit ainsi toujours intervenir, et ce sera encore le cas à l’avenir, pour les cas prêtant à confusion.

S’il ne doit pas forcément savoir utiliser les outils en routine, il est important qu’il en connaisse le fonctionnement et surtout les niveaux de performance (sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive) pour pouvoir apporter l’expertise adéquate en connaissance de cause. En effet, les outils d’élevage de précision apportent des informations, mais seul un vétérinaire est en mesure d’établir le diagnostic exact et, surtout, de prescrire le bon traitement à instaurer.

QUELLES SONT LES PERSPECTIVES OFFERTES ?

Les données individuelles peuvent être regroupées pour produire de nouvelles informations à l’échelle du troupeau [12]. C’est le cas, par exemple, d’une mesure d’augmentation de l’activité générale du cheptel lors de la mise au pâturage, et qui doit être prise en compte dans le cadre d’une détection des chaleurs.

De plus, une agrégation des données troupeau à l’échelle régionale ou nationale pourrait permettre d’évaluer précocement l’impact de maladies, notamment d’une affection émergente comme la fièvre catarrhale ovine, et de prendre rapidement des mesures de maîtrise.

Enfin, l’élevage de précision apporte de réelles perspectives dans la détermination du phénotype individuel d’intérêt (encadré 2). Les exploitations équipées de robots avec capteurs sont des platesformes potentielles de phénotypage (vitesse de traite, conformation de la mamelle, par exemple). En fournissant des données en continu sur des paramètres physiologiques variés, la physiopathologie de troubles de santé ou de reproduction peut également être étudiée, et les animaux résistants à certaines affections sont ainsi identifiés. Les perspectives de phénotypage à grande échelle sont ainsi réelles, par le faible coût de la récolte des données, qui sont enregistrées de façon objective et à une fréquence élevée. Afin de faciliter les échanges de données entre les robots, les capteurs et les organismes d’élevage, des travaux de standardisation de leur récolte sont actuellement en cours [11].

Conclusion

L’élevage de précision est en plein développement, mais l’utilisation des technologies est encore précoce, avec de grandes perspectives. La délivrance d’un conseil adapté par l’analyse des nombreuses données disponibles reste toutefois indispensable.

Références

  • 1. Allain C. 2013. http://idele.fr/recherche/publication/idelesolr/recommends/panorama-des-capteurs-en-elevage-bovin.html
  • 2. Allain C, Chanvallon, A, Clément P et coll. Élevage de précision : périmètre, applications et perspectives en élevage bovin. Renc. Rech. Rumin. 2014;21:3-10.
  • 3. Courties R. Évaluation multicritère du rapport coûts/bénéfices de l’équipement en capteurs pour la détection automatisée des chaleurs en troupeau bovin laitier. Thèse de doctorat vétérinaire. Nantes. 2014:119p. http://prodinra.inra.fr/locale=fr#!ConsultNotice:294750
  • 4. De Marchi M, Toffanin V, Cassandro M et coll. Prediction of coagulating and noncoagulating milk samples using mid-infrared spectroscopy. J. Dairy Sci. 2014;96 (7):4707-4715.
  • 5. Faverdin P. New perspectives and risks of precision livestock farming systems. Book of abstracts of the 63rd annual meeting of the European Federation of Animal Science (EAAP), Bratislava, Slovaquia. 2012:298.
  • 6. Ferrari S, Piccinini R, Silva M et coll. Cough sound description in relation to respiratory diseases in dairy calves. Prev. Med. Vet. 2010;96:276-280.
  • 7. Fisher A, Luginbuhl T, Delattre L et coll. Améliorer la mesure de l’état des réserves corporelles des vaches laitières en analysant la surface 3D du dos de la vache. Renc. Rech. Rumin. 2014;21:23-26.
  • 8. Hostiou N, Allain C, Chauvat S et coll. L’élevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs ? In: Ingrand S, Baumont R. Quelles innovations pour quels systèmes d’élevage ? INRA Productions animales. 2014;27 (2):113-122.
  • 9. Hostiou N, Allain C, Chauvat S et coll. Conséquences de l’élevage de précision sur le travail des éleveurs. Renc. Rech. Rumin. 2014;21:11-14.
  • 10. Kamphuis C, Sherlock R, Jago J et coll. Automatic detection of clinical mastitis is improved by in-line monitoring of somatic cell count. J. Dairy Sci. 2008;91:4560-4570.
  • 11. Rehben E, Allard JP, Van Diepen F et coll. Data exchange with robots and sensors. Animal data exchange initiative. Achievements and prospects. 39th ICAR annual meeting. Berlin, Germany. 2014.
  • 12. Rutten CJ, Velthuis AGJ, Steeneweld W et coll. Invited review: sensors to support health management on dairy farms. J.?Dairy Sci. 2013;96:1928-1952.
  • 13. Viazzi S, Bahr C, Schlageter-Tello A et coll. Analysis of individual classification of lameness using automatic measurement of back posture in dairy cattle. J. Dairy Sci. 2013;96:257-266.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Fiabilité des outils

La valeur prédictive positive (VPP) des alertes, c’est-à-dire la probabilité qu’une alerte chez une vache corresponde à un événement (détection de chaleurs, trouble de santé, etc.), est ce qui est recherché en priorité en élevage [10]. Cette VPP dépend de la sensibilité (événements à détecter effectivement détectés par le système) et de la spécificité (événement à ne pas détecter effectivement non détecté par le système) des capteurs, mais également de la prévalence des événements à détecter dans le troupeau. Ainsi, plus la prévalence est forte et plus la VPP est élevée. Or la prévalence des troubles de santé, par exemple, est faible en élevage. Des sensibilité et spécificité importantes des outils sont ainsi recherchées, pour qu’une information réellement utile soit apportée à l’éleveur, qui pourrait perdre confiance dans le dispositif si trop d’alertes sont données pour des animaux sains ou si trop d’animaux malades ne sont pas détectés. Ainsi, par exemple, la norme ISO/FDIS 20966 recommande que les systèmes de détection automatisée des mammites des robots de traite aient une sensibilité supérieure à 80 %, combinée à une spécificité supérieure à 99 % (cela permet d’atteindre une VPP de 35 à 50 %). Toutefois, peu de dispositifs présents sur le marché ont été évalués de façon scientifique et indépendante, et les résultats obtenus avec l’outil doivent souvent être comparés avec ceux obtenus par la seule observation, subjective, de l’éleveur.

ENCADRÉ 2
Perspectives d’outils utilisables en élevage de précision

→ Imagerie en 3D (scanner des pointes de la hanche jusqu’aux pointes des fesses) pour estimer la note d’état corporel (NEC), objectivement et de façon 2,8 fois plus répétable et reproductible que la méthode de référence (notateurs) [7].

→ Spectrométrie moyen infrarouge (MIR) pour analyser de nombreux paramètres en routine entrant dans la composition du lait (teneur en minéraux, diagnostic de gestation, aptitude fromagère, etc.), rapide et de faible coût, qui permettrait à l’avenir un pilotage fin du troupeau (équilibre des rations, couverture des besoins, fertilité, etc.) [4].

→ Enregistrement de sons liés à la toux : déjà utilisée chez les porcs, cette technique pourrait être appliquée aux veaux [6].

→ Imagerie numérique pour la détection de boiteries [13].

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