Fracture mandibulaire : du diagnostic au traitement conservateur - Le Point Vétérinaire expert rural n° 358 du 01/09/2015
Le Point Vétérinaire expert rural n° 358 du 01/09/2015

PATHOLOGIE TRAUMATIQUE DU VEAU

Article de synthèse

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Cabinet vétérinaire
8, rue des Déportés
80220 Gamaches

En contexte hospitalier comme à la ferme, lors de fracture mandibulaire chez le veau, un traitement conservateur peut être couronné de succès.

Les fractures mandibulaires du jeune veau sont un motif de consultation sporadique en pratique rurale. Il s’agit d’affections pour lesquelles le vétérinaire peut proposer à l’éleveur son “art” dans toute sa subtilité, sans frustration. Les moyens diagnostiques sont abordables. Les possibilités thérapeutiques sont variées et compatibles avec l’exercice actuel de la chirurgie en pratique rurale. Le pronostic est bon en raison de la riche vascularisation de la mandibule. Les conseils de conduite d’élevage pour les veaux affectés (et traités) sont des éléments qui font souvent la différence in fine.

Divers praticiens expriment leur satisfaction face à tel ou tel cas de fracture mandibulaire traité avec succès. Cet article vise à éclairer des cas exposés sur un site de partage vétérinaire fondé sur la photographie, à la lumière de la bibliographie disponible sur le sujet [13]. Seul le traitement conservateur et des options “historiques” sont présentés. Des abords plus invasifs sont exposés dans un second volet(1).

DES LIENS, DES BARRES, DES TRACTEURS

Les fractures mandibulaires du veau surviennent le plus souvent à la faveur de manœuvres obstétricales, lorsqu’un lien est attaché autour des mandibules, d’où un impact moral sur l’éleveur, ou le vétérinaire, face à une lésion qu’il sait avoir lui-même initié [4].

Elles peuvent aussi apparaître plus tard, après un choc : le veau fonce la gueule ouverte dans le tube d’une barrière par exemple.

Nicol en 2008 rapporte l’histoire d’un veau dont la fracture distale du canon, survenue lors de la naissance par extraction forcée, avait été réparée par une résine laissée en place pendant 4 semaines. Au retrait du dispositif, le jeune bovin « ne se sent pas de joie », fonce dans un portail et se brise les deux mandibules dans la zone interalvéolaire.

Les veaux peuvent aussi recevoir un coup de pied d’une vache qui refuse de se laisser têter, ou bien, se faire écraser la mandibule lorsqu’ils sont couchés, en cas de surpopulation, en l’absence d’espace dédié pour les veaux.

Au Royaume-Uni, pour l’étiologie des fractures mandibulaires, Scott cite « la roue de tracteur alors que le bovin est coincé dans la barre d’alimentation » [10]. Ravary et coll. décrivent le cas d’une génisse relativement plus âgée fracturée lors de sa station au cornadis (19 mois) [8].

UN DIAGNOSTIC “DE VISU”

1. Observer et palper délicatement

Les fractures mandibulaires se distinguent assez clairement, dès l’examen clinique, des autres affections de la bouche rencontrées chez le veau (encadré).

« La bouche est entrouverte et de la salive s’en écoule passivement » (photos 1a et 1b) [13]. La seule palpation permet bien souvent de localiser la fracture (douleur, chaleur, tuméfaction, déformation). Un gonflement des tissus mous est observé après quelques heures (photo 2).

Localiser la lésion est important et relativement aisé. Qualifier la fracture peut demander un peu de doigté (au sens propre) : Scott conseille de faire courir subtilement le doigt le long de la face linguale des dents prémolaires et molaires. L’ampleur du déplacement et de l’effraction des abouts osseux dans les tissus mous (fracture ouverte) ne présume pas de l’évolution ultérieure (photos 3a et 3b)

2. Radiographie : éventuellement dans un second temps

La radiographie est rarement pratiquée en première intention alors qu’elle est parfaitement réalisable chez le veau en pratique courante mixte. Elle n’est pas indispensable selon Ayral et Desrochers qui exercent, pourtant, dans des conditions hospitalières nord-américaines [2]. Elle a surtout un intérêt pour évaluer les dents, selon Ravary (cassette dans la bouche, uniquement possible pour les dents rostrales). Elle peut aider à comprendre les échecs (séquestres, ostéomyélite), mais attention aux “déceptions par excès” lorsqu’elle est utilisée en suivi postopératoire : la mandibule peut être stable alors qu’un trait de fracture reste évident sur l’image [9].

Les praticiens sont tentés d’y recourir en phase pré­opératoire immédiate pour faciliter leurs choix et gestes chirurgicaux (par exemple, chercher à attraper efficacement les esquilles lors d’enclouage centromédullaire) (photo 4) [13].

PRÉVENIR LES ÉCUEILS

Les fractures rostrales de la mandibule chez le veau nouveau-né sont souvent bilatérales en plus d’être ouvertes, complètes et comminutives [2].

Par conséquent, il convient :

- de ne pas palper d’un seul côté ;

- d’ouvrir la bouche car l’ouverture de la fracture s’effectue souvent au travers de la muqueuse ;

- de ne pas mobiliser trop vigoureusement la mandibule pour “comprendre” absolument la morphologie du trait de fracture (risque d’aggravation). Il est préférable de profiter de la myorelaxation de l’anesthésie (et rester alors prudent) ou de pratiquer une radiographie pour affiner le diagnostic ;

- de recenser les lésions des tissus mous et d’évaluer l’ampleur des surinfections associées : les muqueuses de la bouche cicatrisent assez rapidement et tolèrent l’infection à foyer ouvert, mais elles sont exposées aux anaérobies ;

- de considérer le veau dans son ensemble : vigueur (carences). En premier lieu, il convient de rechercher d’autres foyers infectieux (la prise colostrale peut avoir été pénalisée lors de fracture survenue à l’extraction du veau) ;

- de détecter une possible lésion du nerf facial(2) lors d’un examen neurologique [8].

CHOIX DU TRAITEMENT CONSERVATEUR

1. Quand ne rien faire ?

Selon Desrochers (donc même en conditions hospitalières), une fracture unilatérale non déplacée peut justifier l’expectative [4]. Ravary et coll. précisent en outre : fractures stables et localisées caudalement [9].

Nuss et coll. à l’université de Zurich rapportent une consolidation spontanée dans cinq cas de fractures unilatérales localisées dans la partie molaire(2). En revanche, le traitement conservateur n’a pas permis la guérison dans quatre cas de fractures complexes (deux en partie incisive, une dans la partie diastème intermédiaire, et la dernière en partie molaire), et aussi dans un cas de fractures multiples du corps et de la branche de la mandibule [7].

2. Immobilisation intermittente

En cas de difficultés à téter correctement, le port d’une muselière pour maintenir l’extrémité du maxillaire peut être conseillé : un modèle chien ou bien une muselière fabriquée sur mesure avec du ruban adhésif ultra-solide doublé sur lui même (faces collantes l’une contre l’autre) selon la description de Esterman (reprenant Viguier) [6].

Nicol décrit qu’une muselière n’a pas été nécessaire dans plusieurs cas de fractures, même celles qui affectent les deux mandibules dans la zone interalvéolaire : une consolidation spontanée a été observée, sans séquelles apparentes [13].

3. Immobilisation non invasive

Une forme historique d’immobilisation est décrite, fondée sur des attelles en contreplaqué maintenues avec un bandage en plâtre. Quelques adaptations pourraient être imaginées pour la rendre plus moderne et pratique : ces matériaux sont poreux, fragiles et difficiles à solidariser, mais non contendants.

Six cas de fracture rostrale de la mandibule (dont deux complexes) très déplacée ont été traités par ce système peu invasif. Après sédation à la xylazine et réduction des fractures, la bande plâtrée est disposée de façon à épouser le contour externe des mandibules. Ensuite l’attelle est fixée avec la bande plâtrée en passant par l’arête nasale et derrière ou en avant des oreilles, en prenant soin de glisser un tuyau en PVC de 25 mm de diamètre entre les mâchoires pour que la bouche reste ouverte pendant la convalescence. Avec ce dispositif, les fractures simples sont réparées en 2 semaines, les lésions plus complexes en 3. Le pronostic serait bon et le dispositif ne générerait pas de stress chez le veau selon les auteurs [11].

Une immobilisation plus stable impose d’être plus invasif : cerclages, clous, broches viennent solidariser l’implant stabilisant l’os fracturé, qu’il s’agisse d’une résine externe, interne, ou d’une barre métallique externe(1).

PRÉCAUTIONS

Que ce soit lors d’une décision d’expectative ou lors de traitement, quelques vérifications s’imposent.

Une décision d’euthanasie peut être justifiée par des considérations de bien-être animal, selon le britannique Scott [10]. Dans l’étude de Nuss, praticien hospitalier européen, sur 25 cas “soumis” aux chirurgiens, 6 animaux ont été abattus sans attendre [7]. La gestion de la douleur semble importante, mais elle est peu abordée dans les publications et les rapports de cas sur le sujet, sauf dans le sillage des interventions chirurgicales(1).

1. Évaluer la prise colostrale

Chez le nouveau-né, la vigilance doit concerner l’état immunitaire car si la fracture est survenue à la naissance, le colostrum n’a pas été ingéré et le veau risque d’être immuno-incompétent [9].

L’ostéomyélite est une cause majeure d’échec au traitement des fractures mandibulaires. Dans une étude datant d’une trentaine d’année en milieu hospitalier (université du Saskatchewan, Canada), seulement 4 veaux ont guéri sur 17 présentés et 10 traités chirurgicalement : 4 sont morts de septicémie [12].

2. Compenser les pertes salivaires

Un état d’acidose métabolique et des déséquilibres hydroélectrolytiques conséquents peuvent survenir à la suite de la salivation intense qui accompagne souvent les fractures mandibulaires, surtout chez l’animal relativement plus âgé. Chez une génisse de 19 mois, cela a conduit à perfuser un soluté de bicarbonate de sodium à hauteur de 50 % des besoins (pH veineux 7,26, déficit en base 12 mmol/l), puis du chlorure de sodium isotonique additionné parfois de chlorure de potassium KCl et une solution énergétique à base de sorbitol (Energidex©). Selon les auteurs de ces cas, un apport oral ne pouvait suffire. Chez le nouveau-né nourri au lait, l’ampleur de l’acidose est moindre [8].

3. Faire manger et faire assimiler

Des aliments mous (ensilage d’herbe, granulés humides) ou liquides (selon son âge) sont distribués, à niveau d’épaule (photo 5) [10]. Le biberon et le drenchage sont à éviter (risque de déplacement en raison de la position forcée non physiologique lors de la manœuvre). Chez un veau déjà jeune ruminant, il peut être utile de transfauner, en cas d’anorexie prolongée avant l’intervention.

Conclusion

La décision de traiter ou non s’appuie sur des critères pas tous objectifs en l’état actuel des connaissances sur le sujet. Les paramètres qui entrent en ligne de jeu dans le choix sont aussi nombreux que les traits de fracture sur certaines mâchoires. Difficile d’envisager une médecine très factuelle dans ce cas. Le dialogue avec l’éleveur joue dès lors un rôle majeur.

  • (1) Voir l’article “Abord chirurgical des fractures mandibulaires du veau en pratique”, du même auteur, dans ce numéro.

  • (2) Voir la fiche “Anatomie et quelques particularités de la tête des bovins” du même auteur, dans ce numéro.

Références

  • 1. Ayral F et Desrochers A. Pose d’attelle mandibulaire en polyméthyl-méthacrylate. Point Vét. 2005;259 :56-57.
  • 2. Ayral F, Desrochers A. Traiter les fractures mandibulaires avec des attelles en résine. Point Vét. 2005;259:10-11.
  • 3. Bhargava MK, Jawre S, Tiwari DK et coll. Management of unusual mandible fracture in a newborn calf (Inde). http://www.originalprocess.it/wbc2010/AbstractCD/pdf/1201.pdf
  • 4. Desrochers A. Mandibular fractures in cattle. Proceedings surgery summit. American College Veterinary Surgeons, ACVS. 2011:158-159.
  • 5. Dictionnaire des médicaments vétérinaires. Éd. Point Vétérinaire, Rueil-Malmaison. 2014:2415p.
  • 6. Estermann E. Traitement des fractures mandibulaires avec une fixation APEF. Point Vét. 2004;250:10-11.
  • 7. Nuss K, Köstlin R, Elma E et coll.Mandibular fractures in cattle treatment and results. Tierarztl. Prax. 1991;19 (1):27-33.
  • 8. Ravary B, Millemann Y, Maillard R et coll. Fracture mandibularie traumatique chez une génisse. Point Vét. 2004;246:70-75.
  • 9. Ravary B, Millemann Y, Maillard R et coll. Les fractures mandibulaires chez les bovins. Point Vét. 2004;246:38-43.
  • 10. Scott P. Mouth Problems in cattle. NADIS livestock health bulletins http://www.nadis.org.uk/pdfs/Mouth%20of%20Problems%20in%20Cattle.pdf
  • 11. Taguchi K, Hyakutake K. External coaptation of rostral mandibular fractures in calves. Vet. Rec. 2012;170 (23):598.
  • 12. Trent AM, Fergusson JG. Bovine mandibular fractures. Can. Vet. J. 1985;26:196-399.
  • 13. Vetofocus. Sélectionner fracture maxillaire/machoire dans l’index. http://www.vetofocus.com/index-general.php

Conflit d’intérêts

Aucun.

Remerciements

Aux praticiens, auteurs des retours d’expériences sur lesquelles s’appuie cet article.

ENCADRÉ
Des fractures, mais aussi…

→ Toutes causes confondues, les lésions de la bouche chez le jeune ruminant sont un motif de consultation occasionnel en pratique bovine.

→ Assez rares, les anomalies congénitales font l’objet de constats par le vétérinaire, à la faveur des interventions obstétricales en élevage ou plus tard, lorsque leurs conséquences se déclarent. Les fentes palatines, qui provoquent un reflux de lait aux naseaux, paraissent bénignes aux éleveurs, mais peuvent être un motif d’euthanasie. Brachygnatisme ou prognatisme sont relativement bien tolérés, mais peuvent pénaliser le gain de poids quotidien ultérieurement en production.

La stomatite papulaire bovine (Parapoxvirus) affecte le jeune ruminant, mais guérit spontanément en 1 semaine environ.

Les infections s’identifient à l’examen visuel macroscopique tout autant qu’à l’odeur (halitose).

→ Elles peuvent aussi “s’entendre” : la nécrobacillose buccale (diphtérie) due à Fusobacterium necrophorum, une bactérie anaérobie, peut affecter le larynx, provoquant un cornage qui, en général, ne laisse pas l’éleveur indifférent.

→ Actinomycose et actinobacillose sont d’autres agents pathogènes considérés comme hôtes opportunistes de la bouche : ils pénètrent via des plaies ou profitent de l’éruption de molaires pour atteindre leur site lésionnel : langue pour Actinobacillus, os de la mâchoire pour Actinomyces bovis [10].

Points forts

→ La radiographie n’est pas indispensable dans un premier temps.

→ Il est conseillé d’examiner les deux côtés et de palper délicatement les zones suspectes, bouche ouverte.

→ Lors de fracture “obstétricale”, il convient de vérifier la prise colostrale.

→ Les clichés radiographiques peuvent aider à repérer des esquilles à prendre en compte ultérieurement en cas de stabilisation chirurgicale ou de non-guérison.

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