Corps étrangers de l’œsophage - Le Point Vétérinaire n° 354 du 01/04/2015
Le Point Vétérinaire n° 354 du 01/04/2015

GASTRO-ENTÉROLOGIE

Dossier

Auteur(s) : Stefano Scotti*, Kevin Ortion**

Fonctions :
*Clinique vétérinaire, Evolia,
43, av. du Chemin-Vert,
95290 L’Isle-Adam
**Clinique vétérinaire, Evolia,
43, av. du Chemin-Vert,
95290 L’Isle-Adam

Lors de corps étranger œsophagien, le traitement de choix est le retrait par voie endoscopique. Parfois une gastrostomie est nécessaire, après avoir repoussé le corps étranger dans l’estomac. En dernier recours, une œsophagostomie peut être réalisée.

Les corps étrangers œsophagiens sont fréquemment rencontrés chez les chiens et rarement chez les chats. Les plus courants sont les os ou les cartilages, les hameçons, les aiguilles, les jouets en plastique, les bouts de bois, les lamelles à mâcher, les trichobézoards et les corps étrangers linéaires.

Selon les publications scientifiques, les localisations les plus fréquentes sont l’œsophage distal entre le cœur et le diaphragme (dans 65 à 75 % des cas), l’œsophage moyen (dorsalement à la base du cœur, dans 34 % des cas) et plus rarement l’œsophage cervical, où des hameçons peuvent être retrouvés [4, 8]. Chez le chat, les corps étrangers sont plus souvent situés dans l’œsophage cervical [6].

1 Signalement et signes cliniques

Des études récentes montrent que les jeunes chiens (de moins de 3?ans) et les chiens de type terrier sont les plus fréquemment atteints, probablement en raison de leur comportement et de leur petite taille [4].

Les signes cliniques sont souvent d’apparition aiguë et se caractérisent par une tachypnée liée à la douleur, une sialorrhée, des régurgitations, une anorexie et un abattement. Si le corps étranger n’est pas complètement occlusif, l’eau n’est pas régurgitée. Cependant, l’animal peut être asymptomatique tant qu’il ne mange pas et jusqu’à la reprise de l’alimentation. La dysphagie n’est observée que lorsqu’il essaye de remanger, ce qui peut rendre la démarche diagnostique plus difficile, surtout en l’absence de commémoratifs d’ingestion de corps étranger.

Lors d’occlusions chroniques, à cause d’une éventuelle nécrose de la paroi œsophagienne, une perforation peut être présente, ce qui entraîne des symptômes respiratoires (présence de pneumomédiastin, médiastinite, épanchement pleural, fistule trachéo-œsophagienne, fistule aorto-œsophagienne) [3].

2 Diagnostic

Lors de suspicion de corps étranger œsophagien, le diagnostic est généralement aisé : une radiographie latérale du thorax permet dans la plupart des cas de visualiser une structure radio-opaque entre le cœur et le diaphragme, ou une structure métallique du type aiguille ou hameçon (photos 1, 2 et 3).

En cas de doute, un transit œsophagien avec un produit de contraste peut être réalisé. En cas de suspicion de perforation œsophagienne, il est recommandé d’utiliser un produit de contraste iodé car relativement non toxique pour la cavité thoracique. En revanche, s’agissant d’un produit hypertonique, son aspiration entraîne un œdème pulmonaire. L’utilisation de la baryte liquide en cas de perforation peut entraîner une réaction granulomateuse sur la surface pleurale [9].

3 Traitement

Retrait : l’endoscopie, la technique de choix

Le traitement de choix des corps étrangers œsophagiens est le retrait par voie endoscopique, car la morbidité et la mortalité sont nettement diminuées par rapport à un acte chirurgical. Cette procédure nécessite un équipement spécifique, constitué d’une colonne d’endoscopie (moniteur, source de lumière et insufflation), d’un fibroscope flexible (vidéo-endoscope idéalement) et de différents types de pinces à corps étranger (photos 4 et 5). Les pinces peuvent être passées dans le canal opérateur de l’endoscope ou glissées le long de ce dernier. L’utilisation de pinces de Babcock ou à mâchoire crocodile, à long manche et possédant des mords très puissants et larges, permet d’attraper fermement les corps étrangers œsophagiens afin de les retirer sous contrôle endoscopique (photo 6). Cette technique est l’une des plus efficaces, notamment pour les os, et c’est la méthode recommandée dans la plupart des situations.

Dans le cas de corps étrangers métalliques situés au niveau de l’œsophage cervical, la probabilité de retrait par voie endoscopique est relativement élevée. En revanche, le retrait de corps étrangers osseux situés au niveau du sphincter cardial est plus difficile en raison de leur taille importante et de leur surface qui peut offrir relativement peu de préhension. Ces corps étrangers sont souvent bloqués et leur retrait endoscopique peut donc être très laborieux, voire impossible. De plus, en cas de forte altération de la muqueuse œsophagienne, le risque de lésion ou de déchirure de l’œsophage est non négligeable.

Autres techniques

Dans le cas d’objets partiellement occlusifs à paroi très lisse, une technique qui peut être utilisée consiste à introduire une sonde de Foley au-delà du corps étranger, à gonfler le ballonnet de la sonde et ensuite à retirer doucement la sonde pour ramener le corps étranger vers la cavité orale.

En cas d’échec de ces techniques, il est parfois possible de repousser le corps étranger dans l’estomac à l’aide d’une large sonde ou d’une pince sous contrôle endoscopique. Une gastrotomie peut être nécessaire pour récupérer les corps étrangers bloqués dans l’œsophage distal. Enfin, en dernier recours, un retrait via une œsophagotomie cervicale ou intrathoracique est effectué. Dans des séries de cas publiés, seuls 8 % de ces derniers ont nécessité un traitement chirurgical et la plupart des corps étrangers (de 63 à 83 %) ont pu être retirés par voie endoscopique [2, 6, 8, 9].

Avis des auteurs

Selon notre expérience clinique, dans le cas de corps étrangers osseux ou cartilagineux coincés dans l’œsophage distal qui ne peuvent être retirés avec la pince glissée le long de l’endoscope, nous avons tendance à repousser délicatement le corps étranger osseux dans l’estomac avec une large sonde. Cela est réalisé après avoir effectué un examen endoscopique nécessaire pour le visualiser et inspecter l’état de la muqueuse œsophagienne. Cependant, durant cette procédure, l’œsophage peut être lésé. Par conséquent, il convient d’agir avec délicatesse et de ne pas hésiter à souffler dans la sonde pour dilater l’œsophage et faciliter le passage du corps étranger vers l’estomac.

Repousser le corps étranger dans l’estomac permet de raccourcir considérablement le temps d’intervention, donc de réduire les risques liés à l’anesthésie. Ces corps étrangers, une fois repoussés dans l’estomac, sont digérés par les sucs gastriques dans la plupart des cas.

Une fois l’œsophage dégagé, une inspection méticuleuse par fibroscopie est nécessaire pour évaluer l’état de la muqueuse. Lorsque la muqueuse œsophagienne est intacte ou peu lésée, l’animal est gardé à jeun pendant 24 à 48 heures. Puis, en l’absence de régurgitation, une alimentation de type semi-liquide et de l’eau peuvent être proposées pour retourner à une alimentation normale sous 7 jours.

En cas de lésions sévères, la mise en place d’une sonde de gastrotomie est recommandée pour l’alimentation entérale. En effet, il est conseillé de ne rien donner par voie orale pendant au moins 3 à 7 jours. Plusieurs méthodes ont été décrites : mise en place percutanée endoscopique (percutaneous endoscopic gastrostomy tube ou PEG tube), par laparotomie ventrale ou via une mini-laparotomie rétrocostale sous assistance endoscopique. Dans notre pratique courante, nous utilisons cette dernière méthode, qui permet de fixer solidement la paroi de l’estomac à la paroi abdominale au niveau du stroma. Grâce à la sonde, il est possible d’alimenter l’animal mais aussi d’administrer certains traitements.

Les lésions graves de la muqueuse œsophagienne exposent l’animal à des perforations et à une contamination septique de la cavité thoracique. Dans ce cas, l’abord chirurgical de l’œsophage par thoracotomie intercostale est nécessaire. L’œsophage, compte tenu de sa localisation et de sa vascularisation, a tendance à cicatriser beaucoup moins facilement que les autres segments du tube digestif. L’œsophagotomie ne doit donc être pratiquée qu’en cas de réelle nécessité. De plus, pour réduire les risques de déhiscence, la fermeture se fait à l’aide de deux plans de suture, malgré le risque de sténose [6].

4 Œsophagotomie

L’œsophagotomie peut avoir un taux de complications postopératoires élevé, à cause des capacités cicatricielles moindres de cet organe.

Quand elle est réalisée au niveau de sa partie cervicale, les complications sont moins fréquentes : la localisation plus superficielle facilite son abord et aucune contamination thoracique n’apparaît en cas de déhiscence [6, 7].

En cas de localisation thoracique, une thoracotomie intercostale est utilisée pour l’abord chirurgical sous ventilation assistée.

Technique opératoire

L’œsophage est incisé sur son axe longitudinal, préférablement au niveau de la partie distale du corps étranger car à cet endroit la paroi de l’organe est moins abîmée. Il est suturé de préférence par un premier plan de suture intéressant la muqueuse et un second la musculeuse et l’adventice. Un surjet simple ou des points simples peuvent être utilisés. D’après notre expérience, une grosse sonde introduite par voie orale facilite la visualisation de l’organe et rend la suture plus aisée.

Soins postopératoires particuliers

Une œsophagotomie doit toujours être associée à la pose d’une sonde gastrique pour l’alimentation entérale post­opératoire. Cette sonde peut être mise en place par mini-laparotomie rétrocostale sous surveillance fibroscopique, et est retirée au bout de 2 semaines environ, si possible après contrôle endoscopique de la bonne cicatrisation de la muqueuse œsophagienne. Un drain thoracique est placé en cas de thoracotomie pour surveiller l’éventuelle présence d’un épanchement et rétablir le vide pleural postchirurgical.

5 Traitement médical

Un traitement à base d’antiacides (cimétidine 10 mg/kg trois ou quatre fois par jour chez le chien et le chat ; ranitidine 0,5 à 2 mg/kg trois fois par jour chez le chien et 2,5 mg/kg deux fois par jour chez le chat) ou d’un inhibiteur des pompes à proton (oméprazole 0,5 à 2 mg/kg une fois par jour uniquement chez le chien), de pansements gastriques (sucralfate 0,5 à 1 g chez le chien et 0,25 g chez le chat, deux ou trois fois par jour ; hydroxyde d’aluminium 30 à 90 mg/kg une fois par jour chez le chien et le chat) et de médicaments antidouleur (morphine 0,1 à 0,2 mg/kg toutes les 4 heures chez le chien à 6 heures chez le chat ; buprénorphine 0,005 à 0,02 mg/kg deux à quatre fois par jour, ou fentanyl 0,001 à 0,005 mg/kg, par exemple) est toujours recommandé après le retrait d’un corps étranger œsophagien. De plus, un antiémétique (métoclopramide 0,2 à 0,5 mg/kg trois ou quatre fois par jour chez le chien et le chat ; maropitant 2 mg/kg chez le chien) est fréquemment prescrit pour quelques jours. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont de préférence à éviter en raison de leurs effets secondaires sur la muqueuse gastro-œsophagienne. Un traitement antibiotique n’est pas systématiquement nécessaire mais conseillé. Des molécules à large spectre comme la céphalexine ou l’amoxicilline-acide clavulanique (15 à 20 mg/kg deux fois par jour) sont utilisées en cas de lésions profondes de la muqueuse œsophagienne [5]. Elles sont associées à du métronidazole (15 à 20 mg/kg deux fois par jour) en cas d’œsophagotomie.

6 Pronostic et complications

Le pronostic lors de corps étrangers œsophagiens est relativement favorable. Les facteurs qui l’assombrissent sont liés au délai de prise en charge. La présence d’un corps étranger osseux pendant une période supérieure à 3 jours est considérée comme un facteur pronostique négatif [4, 8].

En cas de lésions nécrotiques de la muqueuse et de la musculeuse, la complication la plus fréquente est la ­sténose œsophagienne, qui se manifeste à cause de la rétraction cicatricielle.

Ce type de complication est traité par bougienage ou par dilatation à l’aide d’un ballon introduit par voie normograde et gonflé sous surveillance fibroscopique [1]. Le traitement chirurgical des sténoses œsophagiennes ne doit être pratiqué qu’en dernier recours.

Dans des séries de cas publiés, seuls 8 % de ces derniers ont nécessité un traitement chirurgical, 29 % des corps étrangers ont été repoussés dans l’estomac et 63 à 83 % ont pu être retirés par voie endoscopique [2, 6, 8]. L’endoscopie a permis le retrait de 64 % des hameçons. Treize corps étrangers sur 14 situés dans l’œsophage thoracique ont été retirés chirurgicalement avec succès.

Conclusion

Les corps étrangers œsophagiens sont fréquemment retrouvés chez les petites races de terriers au niveau de l’œsophage distal. En présence d’un corps étranger osseux coincé depuis 3 jours, le pronostic est sombre.

Le diagnostic est généralement aisé et une radiographie latéro-latérale est souvent suffisante pour localiser le corps étranger s’il est radio-opaque.

Le traitement de choix est le retrait par voie endoscopique, qui offre de très bons résultats. En cas de nécrose de la paroi œsophagienne et de thoracotomie, en revanche, le pronostic est souvent réservé. La complication la plus fréquente est la sténose, liée à la rétraction cicatricielle. Elle se manifeste lors de lésions majeures de la muqueuse ou à la suite d’une œsophagotomie. Dans ces deux situations, une sonde de gastrotomie est mise en place après le retrait du corps étranger.

Références

  • 1. Bissett SA, Davis J, Subler K et coll. Risk factors and outcome of bougienage for treatment of benign esophageal strictures in dogs and cats: 28 cases (1995-2004). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2009;235 (7):844-850.
  • 2. Gianella P, Pfammatter NS, Burgener IA. Oesophageal and gastric endoscopic foreign body removal: complications and follow-up of 102 dogs. J. Small Anim. Pract. 2009;50 (12):649-654.
  • 3. Keir I, Woolford L, Hirst C et coll. Fatal aortic oesophageal fistula following oesophageal foreign body removal in a dog. J. Small Anim. Pract. 2010;51 (12):657-660.
  • 4. Rodríguez-Alarcón CA, Usón J, Beristain DM et coll. Breed as risk factor for oesophageal foreign bodies. J. Small Anim. Pract. 2010;51 (6):357.
  • 5. Rosin E, Uphoff TS, Schultz-Darken NJ et coll. Cefazolin antibacterial activity and concentrations in serum and the surgical wound in dogs. Am. J. Vet. Res. 1993;54 (8):1317-1321.
  • 6. Slatter D. Textbook of small animal surgery. 3rd ed. Saunders. 2003:405-445.
  • 7. Sumner-Smith G. Oesophagotomy and oesophageal resection. J. Small Anim. Pract. 1973;14 (7):429-438.
  • 8. Thompson HC, Cortes Y, Gannon K et coll. Esophageal foreign bodies in dogs: 34 cases (2004-2009). J. Vet. Emerg. Crit. Care (San Antonio). 2012;22 (2):253-261.
  • 9. Watrous B. Esophagus in: Textbook of veterinary diagnostic radiology. 5th ed. Saunders. 2007;chapter 28:495-511.

Conflit d’intérêts

Aucun.

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