TROUBLES NEUROLOGIQUES DES BOVINS
Symptômes d’appel
Auteur(s) : Guillaume Lamain*, Lorenza Richard**
Fonctions :
*Vétérinaires de l’Arche,
61130 Belleme,
72110 Saint-Cosme-en-Vairais
**Le Bourg, 71510 Perreuil
Le pousser au mur est un symptôme nerveux peu spécifique qui évoque de nombreuses affections.
Le symptôme de pousser au mur est une anomalie comportementale liée à une perturbation du système limbique et se caractérise chez le bovin par l’appui de la tête contre un mur ou un autre élément fixe de son environnement. Le bovin est parfois retrouvé avec la tête légèrement penchée et les épaules retenues par des barres d’alimentation ou entre deux poteaux. Le syndrome de pousser au mur doit être différencié de celui des animaux marcheurs compulsifs [10].
L’étude du signalement, de l’environnement et de l’historique de l’animal, qui doit de préférence être examiné dans un espace confiné, précède l’examen général. L’examen neurologique fait intervenir l’observation à distance, puis rapprochée, du bovin, dont les réactions et le comportement sont pris en compte. Plusieurs éléments orientent le diagnostic (tableau). Les causes de pousser au mur regroupent l’ensemble des intoxications endogènes ou exogènes, celles qui entraînent une compression mécanique, les infections et les causes dégénératives.
→ Une génisse blonde d’Aquitaine pousse un poteau en meuglant (photo 1). Une nécrose du cortex cérébral, anciennement appelée maladie de l’astronome, est suspectée. La guérison est obtenue après une injection intraveineuse de vitamines B1 et B6 pendant 6 jours, des injections de dimazon et de dexaméthasone, et l’abreuvement par drenchage du deuxième au quatrième jour, quand l’animal est devenu moins dangereux. Sa convalescence a duré 10 jours.
→ Dans un autre cas, une génisse de 18 mois, en amaurose, court dans la pâture toujours dans le même sens. Ramenée dans la stabulation, elle appuie la tête contre le mur (photo 2).
Un jeune bovin de 9 mois a des mouvements très lents, montre une ataxie, une mydriase, une mâchoire pendante avec protrusion de la langue et salivation, et il reste immobile plusieurs minutes, la tête contre un poteau (photo 3). Il meurt malgré un traitement à base de sulfamides et de triméthoprime. L’histologie du tronc cérébral révèle une encéphalite subaiguë (multifocale modérée à focale sévère) d’origine bactérienne, mais l’agent étiologique, histophilus ou listeria, n’est pas connu.
Dans un élevage biologique laitier, une vache présente de l’hyperthermie (40,1 °C). Elle est agitée, tourne en rond des deux côtés et pousse au mur. La listériose est suspectée malgré l’absence de paralysie faciale (notamment), mais de grandes zones de moisissure bien visibles sur l’ensilage de maïs laissent supposer une mycotoxicose (photo 4). Un traitement à base de sulfamides et triméthoprime, de méloxicam et de furosémide est administré, puis des vitamines B. Les mycotoxines mises en évidence dans les analyses d’urine et de bouse entraînent des troubles digestifs et reproducteurs et une baisse des défenses immunitaires, mais pas de signes nerveux. L’hypothèse de listériose est retenue.
Un veau de 4 mois et demi est référé pour une cécité complète, un pousser au mur, un pica et une régurgitation. Sa tête est déformée. Il est euthanasié et l’autopsie révèle une hydrocéphalie (photo 5).
Un taureau est présenté 7 jours après écornage pour un abattement et un pousser au mur, une inappétence et des écoulements nauséabonds au niveau des orifices des sinus à la base des cornes (photo 6). Un traitement antibiotique et anti-inflammatoire et un flush des sinus avec de l’isobétadine et de l’eau oxygénée permettent la guérison de la sinusite.
Un taureau reste en décubitus, les yeux mi-clos. Forcé à se lever, il pousse au mur et retombe. Une traînée marron est observée sous le moignon d’une corne coupée à la suite d’un accident 7 ans auparavant et, à l’ouverture, le sinus est rempli d’asticots évoluant dans un tissu nécrotique nauséabond (photo 7). L’animal meurt malgré le traitement.
Une vache est vue pour une anorexie. Elle tire la langue, se mordille les coudes et pousse au mur (photo 8). L’examen clinique met en évidence une cétose, dont le traitement permet l’arrêt des symptômes et la guérison de l’animal.
Une méningo-encéphalite amibienne primitive à Naegleria fowleri est décrite pour la première fois chez une vache atteinte d’hyperthermie avec une latéralisation de la tête, qui est aveugle et pousse au mur (photo 9). Cette amibe présente dans les eaux croupies est connue chez l’homme.
Une vache est atteinte d’amaurose, elle pousse au mur, puis tourne en rond et finit en décubitus. L’autopsie révèle une zone jaune pâle à la surface de l’hémisphère droit qui cache une cœnurose (photos 10 et 11).
Cinq génisses de 2 ans environ provenant d’une exploitation développent successivement en quelques jours des signes de prostration, des mâchonnements, une amaurose, un pousser au mur et un tourner en rond. L’entérite à l’odeur chimique relevée à l’autopsie d’une génisse laisse supposer une intoxication au plomb, confirmée par une analyse du foie : 170 µg/g de plomb (normes 0 à 15 µg/g) (photo 12).
Les affections potentiellement responsables de pousser au mur sont à la fois nombreuses et variées. Le cas clinique 9 rapporte, par exemple, une atteinte liée à une amibe nommée Naegleria fowleri, qui pénètre dans les organismes par les épithélia olfactifs et déclenche une méningo-encéphalite [5].
Le phénomène du pousser au mur peut, de plus, aisément être confondu avec d’autres symptômes approchants, tels que la marche compulsive qui entraîne parfois des postures comparables chez le bovin [10]. D’autre part, de la faiblesse ou une perte d’équilibre avec utilisation d’un mur pour se stabiliser peut aussi être prise, à tort, pour un pousser au mur. Le cas clinique 6 expose un cas de sinusite avec un animal qui pousse au mur. Il apparaît ici légitime de se demander s’il s’agit d’un véritable pousser au mur (c’est-à-dire d’un réel trouble comportemental) ou si l’animal essaie volontairement de soulager une gêne locale en s’appuyant contre un élément solide de son environnement (expression d’une douleur).
Le signalement de l’animal atteint (âge, race, sexe, état corporel, stade productif, etc.) est un élément à mettre en avant pour l’établissement du diagnostic.
Certaines des affections présentées ici touchent préférentiellement les jeunes animaux, comme la nécrose corticocérébrale dans les cas cliniques 1 et 2, dont les causes sont très variées [6, 9]. C’est également le cas des anomalies congénitales du cas clinique 5, dont le diagnostic différentiel comprend les septicémies ou les hypoglycémies néonatales.
D’autres touchent plus fréquemment les animaux adultes, comme la cétose (cas 8). De plus, l’existence de facteurs d’exposition tels que la coupe des cornes est essentielle à considérer, comme le rappellent les cas 6 et 7, tout en montrant qu’un traumatisme très ancien peut provoquer d’importants symptômes (cas 7).
L’exploration de l’environnement et des conditions d’élevage de l’animal apparaît comme un élément indispensable à l’établissement du diagnostic étiologique de l’affection. En effet, l’environnement direct peut conditionner l’apparition d’une affection, comme la présence de de plomb lors d’intoxication ou une alimentation riche en concentrés favorisant une nécrose cortico-cérébrale. De plus, l’environnement peut avoir une influence sur l’expression de symptômes tels que le pousser au mur, car la présence d’obstacles au champ et le confinement dans un box sont des conditions à l’expression de ce trouble du comportement (cas 1 et 2).
Les affections nerveuses des bovins restent peu fréquentes, de diagnostic délicat et de pronostic réservé. Une étude épidémiologique rétrospective réalisée en 2001 en France a permis, à partir de 338 cas de bovins présentant une maladie à dominante nerveuse, de déterminer un taux d’incidence annuelle de 0,35 %. Les adultes de plus de 4 ans sont plus souvent atteints et le taux de guérison (toutes affections confondues) ne dépasse pas 50 % [3]. Le pousser au mur illustre bien la difficulté d’établir un diagnostic précis dans les cas de maladies à expression principalement nerveuse. Ce symptôme est, d’une part, susceptible d’être retrouvé dans de très nombreuses affections et, d’autre part, les maladies neurologiques connaissent des signes inconstants, très divers et parfois difficiles à mettre en évidence [4]. Le cas clinique 4 présente un cas de listériose avec une hyperthermie et un pousser au mur, mais sans symptômes plus caractéristiques de cette affection (asymétrie de la face notamment). Il apparaît, dès lors, important de connaître les principales maladies à dominante nerveuse affectant les bovins, ainsi que leurs caractéristiques épidémiologiques, afin d’orienter les investigations [2].
La connaissance des principes de l’examen nerveux des bovins est également requise.
L’animal est d’abord observé à distance, à l’arrêt et en mouvement. L’attention se porte sur sa démarche, son équilibre, sa posture, la synchronisation de ses mouvements, le port de sa tête, son état de conscience et sa nervosité. L’existence d’une amaurose peut être mise en évidence pendant l’observation à distance, comme dans le cas 2.
L’examen général est ensuite réalisé. Il ne doit pas être négligé car il permet de déterminer des éléments importants tels que la présence d’une hyperthermie (comme dans le cas 4), d’une atteinte de l’état général, l’ancienneté de l’affection (animal anorexique depuis quelques jours, présentant des flancs creusés). L’examen clinique du système nerveux est ensuite complété par la palpation des masses musculaires et la manipulation des membres (évaluation de leur tonicité), par les tests de sensibilité superficielle et profonde, puis par l’examen des nerfs crâniens.
Certains éléments de la thérapeutique sont communs à l’ensemble des situations rencontrées. Le nursing tient une place prépondérante dans la prise en charge des animaux atteints de troubles nerveux. Ceux-ci sont gardés au calme, seuls, dans un box clos, petit et bien paillé, sans objets ou éléments susceptibles de les blesser, car ces animaux peuvent facilement se causer des dommages supplémentaires. Si cela est nécessaire, des drenchages réguliers sont pratiqués, de l’eau et des aliments sont mis à disposition. L’élimination de la cause (toxique identifié), la gestion du parasitisme ou une réflexion sur l’origine de la carence en thiamine sont à également à considérer.
Les traitements médicamenteux comprennent des molécules spécifiques si la cause du pousser au mur est identifiée. Ainsi, des spécialités comprenant des vitamines du groupe B lors de carence en thiamine ou des solutés énergétiques pour les animaux atteints de cétose sont recommandés.
Des traitements non ou peu spécifiques font aussi partie de l’arsenal thérapeutique : des antibiotiques et des anti-inflammatoires non stéroïdiens lors d’affection bactérienne, des corticoïdes et des diurétiques en cas de suspicion de masse entraînant une compression nerveuse, du calcium et des facteurs de coagulation pour les suspicions de saignements.
Les examens complémentaires ante-mortem, classiquement utilisables, sont de nombre et d’intérêt limités. Une numération des cellules sanguines (cas 3, 4, 9) et des examens biochimiques (cas 4) peuvent apporter quelques précisions. Le dosage des corps cétoniques sanguins (Β-hydroxybutyrates) est réalisable chez l’animal malade et autorise la mise en cause d’une cétose clinique, ce qui aurait été intéressant, par exemple, dans le cas 8. La ponction de liquide céphalorachidien, plus aisée chez les veaux que chez les adultes, permet principalement de mettre en évidence un excès de pression ou une infection-inflammation [8].
Une autopsie et des examens microscopiques associés ou des analyses sur prélèvements d’organes présentent un intérêt réel en cas de mort [6]. L’établissement d’un diagnostic de certitude (cas 5, 10, 11) permet dans de nombreuses situations de corriger des facteurs favorisants, comme une alimentation inadaptée lors de nécrose du cortex, la vermifugation et l’utilisation des chiens de troupeau dans les cas de parasitose (cas 10) ou encore la recherche d’éléments toxiques dans l’environnement des animaux (cas 11) [7].
Le pousser au mur apparaît comme un symptôme nerveux peu spécifique [4]. Lorsque le praticien y est confronté, la réalisation d’un diagnostic différentiel complet des troubles nerveux, à l’aide des indices épidémio-cliniques, est nécessaire. La connaissance des troubles nerveux les plus fréquents chez les bovins trouve alors tout son intérêt.
(1) Nicol Jean-Marie. Pousser au mur. Cas clinique. 12/11/2007.
(2) Nicol Jean-Marie. Tête au mur, yeux en l’air. Cas clinique. 12/11/2007.
(3) Nicol Jean-Marie. Grand mal de crâne et immobilité. Cas clinique. 12/11/2007.
(4) Raoux Olivier, Cousin Sébastien. Elle ne tourne pas rond… mais quand même un peu ! J’ai besoin de votre avis. 29/3/2012.
(5) Sartelet Arnaud. Hydrocéphalie chez un veau BBB de 4,5 mois. 23/5/2008 Liège, le 20 mars 2008.
(6) Hanot Roland. Grosse migraine après écornage. Cas clinique. 23/1/2010.
(7) Braque Régis. Myase sinusale. Cas clinique. 1/12/2007.
(8) Benterki Med Seghir. Cétose trop nerveuse. Cas clinique. 21/8/2010.
(9) Benterki Med Seghir. Une méningo-encéphalite exotique. Chapitres 1 et 2. Cas clinique. 17/12/2010.
(10) Ghecham Mehdi. Cœnurose cérébro-spinale. Cas clinique. 15/8/2011.
(11) Nicol Jean-Marie, Roblot Ch. Cinq bien plombées. Cas clinique. 29/6/2010.
Aucun.
→ Le pousser au mur est retrouvé dans des affections aux causes très variées, infectieuses comme la listériose, certaines malformations congénitales ou encore des intoxications.
→ La plupart du temps ce symptôme est retrouvé chez un seul animal, les cas de troupeau étant rares et généralement liés à une intoxication.
→ L’ensemble des anomalies de l’examen neurologique doit être recherché afin d’orienter le diagnostic.
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