Interventions ante-mortem de vautours fauves sur un troupeau d’ovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 350 du 01/11/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 350 du 01/11/2014

FAUNE SAUVAGE ET ÉLEVAGE OVIN

Cas clinique

Auteur(s) : Jean-Pierre Alzieu

Fonctions : Laboratoire vétérinaire départemental
de l’Ariège
Rue de Las Escoumes
09008 Foix CDIS

Un troupeau sédentaire d’ovins en Piémont pyrénéen sans maladie décelable, et en dehors de tout contexte de mise bas ou d’avortements, a fait l’objet, au printemps 2014, d’interventions ante-mortem de la part de vautours.

L’élevage sédentaire en groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) familial de 1 000 brebis mères et de 200 agnelles de renouvellement de race tarasconnaise est situé en Piémont pyrénéen ariégeois, à environ 300 m d’altitude. Deux périodes d’agnelage (août-septembre et mars-avril) permettent la production d’agneaux de boucherie, strictement élevés en bergerie.

L’élevage présente de très bons résultats technico­économiques, le plaçant dans les meilleurs du département. Il est souvent cité et visité pour exemple.

COMMÉMORATIFS

Au cours du week-end de la Pentecôte 2014, les investigations nécropsiques (et cliniques sur l’ensemble du troupeau) ont conduit à examiner, le premier jour, deux cadavres de brebis fortement dépecés et, le lendemain, une brebis très partiellement dépecée par les vautours.

La plage horaire de ces interventions successives de vautours pour les 2 jours est comprise entre 12 et 14 heures, d’après l’ensemble des commémoratifs et des constatations.

Au moment des faits, aucun agnelage ni aucun avortement n’est survenu dans l’ensemble du cheptel, notamment sur le lot de 500 brebis concerné par l’intervention des vautours : celles-ci présentent un stade de gestation compris entre 3 et 4 mois.

Les brebis tondues un mois auparavant présentent un bon état de développement corporel, compatible avec le stade de gestation. Élevées alors dans des prairies naturelles de coteaux, elles ne reçoivent aucun complément de production alimentaire. Aucun bélier n’est présent dans le lot depuis 15 jours.

EXAMENS NÉCROPSIQUES

Les examens nécropsiques ont été réalisés le premier jour en présence d’agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et de gendarmes, et, le lendemain, en présence des autorités préfectorales départementales et du groupement de gendarmerie, pouvant attester de la totalité des faits et de l’authenticité des clichés fournis.

1. Bilan nécropsique du premier jour

Les deux cadavres de brebis âgées respectivement de 3 et 4 ans sont fortement dépecés et dépourvus de la quasi-totalité des masses musculaires, hormis certaines parties des épaules et des gigots très rosées et fraîches attestant, comme les muqueuses buccale et pituitaire, de la mort très récente (estimée à 4 à 5 heures avant l’examen) des ovins.

L’examen de la peau des deux brebis (ôtée par l’intervention préalable des techniciens de l’ONCFS) révèle, en face interne, une forte zone congestive et quelques suffusions limitées à la région dorsale et à l’encolure et en face externe, hormis quelques griffures rosées, l’absence totale de plaies pouvant notamment évoquer des morsures de canidés, tel un chien errant (photo 1).

2. Bilan nécropsique du second jour

De loin le plus instructif, le bilan nécropsique du second jour a été réalisé moins de 2 heures après l’intervention des vautours : l’originalité de l’observation réside dans le fait que l’éleveur, prévenu par son voisin du vol des vautours, est arrivé sur les lieux vers 12 h 15, environ 15 minutes après l’intervention des oiseaux, et qu’il a gardé physiquement la brebis, après la mise en fuite des vautours, jusqu’à notre arrivée.

De ce fait, nous avons pu pratiquer une autopsie quasi complète de cette brebis âgée de 5 ans.

Examen externe

La brebis gît en décubitus latéral droit à la lisière d’un bosquet : du fuyant du flanc gauche sort une partie de la masse abdominale, essentiellement ruminale. De l’orifice anal très élargi sortent quelques décimètres d’intestins (photos 2 et 3).

La tête est dépourvue des yeux, des gencives et d’une partie de la langue.

La toison en zone dorso-lombaire présente des pertes de laine et des lignes de lacérations cutanées (allure de griffures), diversement orientées et de 0,5 à 1 cm de large. De celles-ci apparaît soit une peau d’aspect grisâtre (lisse, ni kératinisée, ni crustacée), soit une peau légèrement suintante avec des sérosités (photo 4).

Au tiers inférieur de la jugulaire gauche est visible une effraction cutanée, oblongue (5 cm x 4 cm), avec les bords retournés vers l’intérieur. La plaie laisse apparaître un élément tendineux et un écoulement séro-hémorragique, à peine coagulé (photo 5).

Examen interne

En regard de la plaie, la dissection fine de la région jugulaire gauche révèle une très large dilacération et une section des tissus sous-jacents (ensemble carotide-jugulaire, muscles) sur environ 20 cm, avec une collection hémorragique coagulée à l’entrée de la poitrine (photo 6).

Une zone de forte congestion avec des suffusions est relevée dans les zones sus-scapulaire et cervicale.

Les massifs des épaules, totalement conservés, montrent des muscles développés et d’allure normale avec une légère couverture graisseuse du bras et de la scapula (photo 7).

La cavité abdominale est dépourvue de ses reins, de son appareil génital, de la vessie et d’une petite partie des intestins. Le rumen présente un contenu herbacé classique et les intestins, de couleur et de contenu normaux, sont emballés par l’épiploon, pourvu d’une couverture graisseuse classique pour une brebis gestante (photo 8). Aucun signe de péritonite n’est relevé.

La caillette présente un aspect normal, sans congestion, ni pétéchies, ni parasite strongylidé visible (photo 9).

Le foie, de consistance et de couleur normales à la coupe, ne montre aucun parasite trématode, ni aucune lésion évocatrice de parasitisme.

Le diaphragme est en partie déchiré : le cœur est encore flasque avec un myocarde de couleur normale, sans pétéchies épicardiques, et une congestion pulmonaire modérée est relevée, sans lésion pleurale associée (évocatrice notamment de pleuropneumonie). La cage thoracique ne révèle aucune lésion pariétale, ni aucune zone écchymotique ou fracturaire.

Les muscles du train postérieur sont en partie détruits, sectionnés, et laissent apparaître fémurs et tibias, en particulier du côté gauche.

CONCLUSIONS NÉCROPSIQUES

Pour la brebis du second jour, la composante congestive et hémorragique témoigne d’un processus récent : la nette effraction cutanée, en une seule zone jugulaire gauche, et les épanchements hémorragiques semblent avoir été une des composantes principales de la mort (corroborée par la présence d’une petite flaque de sang très frais à peine coagulé à environ 2 m du cadavre, attribuable à l’effraction vasculaire jugulaire).

L’absence d’autres lésions pathognomoniques, en particulier de syndrome entérotoxique, de lésions traumatiques de type fractures ou assimilées, permet de postuler à celle de maladies intercurrentes ayant pu directement provoquer la mort ou induire un état morbide ante-mortem.

Par expérience, la plaie jugulaire n’est pas compatible avec une morsure de chien. En effet, hormis les plaies globalement ponctiformes liées aux passages simples de croc (s), les plaies par morsure de chien ne présentent pas l’aspect relevé sur la brebis : la plaie est globalement régulière, les bords retournés vers l’intérieur, sans lacération du tégument. De plus, l’extension sous-cutanée globalement circulaire sur quelques 20 cm de diamètre des dégâts sur les tissus sous-jacents à la plaie est clairement impossible à réaliser pour un chien avec ce type de “porte d’entrée” cutanée.

Plus généralement, sur les 3 brebis autopsiées au cours des deux journées, il n’a pas été possible de mettre en évidence, sur l’ensemble des peaux examinées, des plaies évoquant des morsures, ni des zones ecchymotiques sur la tête, les parties déclives du tronc et les membres, lieux privilégiés d’attaque pour des chiens. Une coupure anthropique, telle une plaie de saignée, est également écartée par l’angle de l’effraction par rapport à la trachée, par l’aspect mousse et retourné vers l’intérieur de ses bords, et par la dimension et l’aspect lésionnel des tissus sous-jacents clairement dilacérés et non coupés franchement, avec une faible rétraction tissulaire.

L’épanchement séro-hémorragique interne en regard de la plaie et en zone déclive est suffisamment important pour avoir résulté d’un saignement prolongé. La présence à la toute proximité du cadavre de la petite flaque de sang fraîchement coagulée peut raisonnablement être mise en relation avec l’intensité des dommages vasculaires en zone jugulaire.

De plus, la présence permanente et très efficace de chiens de la race montagne des Pyrénées (patous) en liberté rend quasi impossible la pénétration de chiens (et même d’êtres humains).

Des lésions étendues de congestion et d’hémorragies sous-cutanées et la similitude de leur localisation en régions cervicale et sus-scapulaire, retrouvées à la fois sur les cadavres du premier et du second jour, suggèrent un même processus traumatique direct, récent et quasi contemporain de la mort des brebis (photo 10).

La possibilité de morts brutales d’origine cardiaque peut a priori être écartée, en particulier pour la brebis autopsiée le second jour.

DISCUSSION

L’intervention de vautours fauves (Gyps fulvus) ne souffre aucune discussion, et a été constatée directement de visu et validée par de nombreux indices (photo 11).

La problématique posée est de déterminer si ces oiseaux sont intervenus ante-mortem.

Des lésions cutanées dorso-lombaires évoquant des “griffures” ont, de plus, été retrouvées chez plusieurs brebis bien vivantes lors de l’examen clinique de tout le troupeau réalisé le premier jour, après les autopsies initiales.

Le bon état général des brebis autopsiées (graisse sous-cutanée, profils musculaires normaux, présence de graisse épiploïque et absence d’affection intercurrente sur celle du second jour) pose la question d’une intervention sur des animaux sains : nos observations permettent de formuler une très haute probabilité.

La spécialisation anatomique a doté les vautours d’un bec crochu, « outil très adapté au dépeçage, par tractions vers le haut, de proies mises à mort et/ou d’animaux trouvés morts. À l’occasion, il peut servir à donner le coup de grâce, mais ce n’est pas une arme  » [1].

Si l’attaque d’animaux vivants malades ou débilités est déjà admise et documentée, celle d’animaux présumés totalement sains est en revanche marginalement évoquée [1]. Le critère de taille est souvent cité, avec une fréquence supérieure d’atteinte des ovins adultes, des agneaux, etc.

Dans ce cas précis, il est possible de concevoir que l’habitus particulier des brebis gestantes sous la très forte chaleur (supérieure à 30 °C), avec un décubitus fréquent, mimant, aux heures les plus chaudes de la journée, un animal malade, puisse avoir été très évocateur pour les vautours (photo 12).

Cette situation pourrait correspondre, selon la terminologie de Choisy, à la réaction des vautours lors d’une possibilité incertaine de consommation : « Selon l’intensité de la faim, l’abondance ou la rareté des ressources, les vautours abandonnent (l’animal) ou, au prix d’une prise de risque, testent l’animal en tentant de le consommer. Dans ce dernier cas, ils modulent la suite de leur comportement en fonction des résultats  » [1].

Le facteur de vulnérabilité d’un animal encore vivant (selon les travaux d’Arthur et de Zenoni de 2010, cités par Choisy) serait, en l’occurrence, la privation d’une locomotion normale, concevable pour des brebis en gestation avancée sous une forte chaleur [1].

Il ne nous appartient pas de formuler des interprétations à partir de cette description, qui se veut avant tout un compte rendu circonstancié se limitant strictement à décrire des faits.

Conclusion

Ce témoignage documente le passage possible de la stratégie d’intervention post-mortem liée à la fonction principale de charognard usuellement reconnue aux vautours à celle, plus préoccupante, assimilable à de la “prédation”, d’intervention ante-mortem sur des animaux sains.

Plus largement, la récurrence et l’amplification des cas ont été observées depuis 3 ans, sur des cheptels tant bovins qu’ovins, dans le Piémont pyrénéen ariégeois et toujours au printemps.

De nombreux observateurs suggèrent, dans un département où l’équarrissage naturel est interdit (hors du contexte des estives), que la capacité trophique naturelle du milieu est, à cette période, très inférieure aux besoins des populations de vautours fauves. De plus, ceux-ci apparaissent en nombre sans cesse croissant, localement.

Une preuve supplémentaire en est sans doute la régression spectaculaire des cas déclarés dans le Piémont durant l’été et l’automne, des saisons correspondant à la concentration maximale des ovins et des bovins sur les pâturages d’estive, où l’équarrissage naturel est de fait.

La situation du Piémont ariégeois au printemps n’est pas sans rappeler celle décrite en 2007 dans la partie occidentale des Pyrénées, avec un pic de déclarations de dommages par les vautours, évoluant plus fréquemment en prise de risque dans leur quête alimentaire, à la suite de l’effondrement de l’offre alimentaire locale par rapport aux besoins de la population des vautours, alors en augmentation depuis plusieurs années [1].

Références

  • 1. Choisy JP. Vautour fauve Gyps fulvus et bétail : éco-éthologie alimentaire, évolution, controverse. Nos oiseaux. 2013;60:193-204.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ En l’absence de pathologie intercurrente sur des animaux sains, les vautours peuvent intervenir ante-mortem.

→ Les facteurs favorisants semblent être, en l’occurrence, la gestation avancée et la forte chaleur, sources de mobilité réduite de certaines brebis.

→ L’intervention observée en fin de printemps s’inscrit dans une récurrence pluri-annuelle de cas à cette période, pouvant être liée à une insuffisance relative de disponibilité alimentaire vis-à-vis de l’effectif croissant des vautours.

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