AFFECTIONS BACTÉRIENNES CHEZ LA VOLAILLE DE CHAIR
Étude
Auteur(s) : Charles Facon*, Benoît Sraka**, Julie Fontaine***, Antoine Mercier****, Arnaud Ballot*****, Celia Lambert******, Thomas Bazin*******, Thomas Ledein********, Laurent Deffreix*********
Fonctions :
*Labovet Conseil, 22, rue Olivier-de-Serres,
ZAC Buzenière, 85500 Les Herbiers
**Labovet Conseil,
46, bd Clemenceau, 85300 Challans
***Fili@vet, 7, rue de Champre, 79700 Mauléon
****Anilab, Zoning Industriel Tirpen, 56140 Malestroit
*****MC Vet Conseil, Lieu-dit Les Seguinières, 72300 Sablé-sur-Sarthe
******Sudelvet Conseil, allée des Lyonnais, 26300 Bourg-de-Péage
*******Groupe vétérinaire de Brocéliande, ZI du Maupas, rue Pasteur, 35290 Saint-Meen-le-Grand
********Clinique vétérinaire des Trois Sapins, 35150 Janzé
*********Biosud, 281, av. du Béarn, 40330 Amou
Ces bactéries ubiquistes et commensales digestives participent à des surinfections, notamment ostéo-articulaires, chez le poulet de chair. Celles-ci surviennent parfois juste après une antibiothérapie.
Les entérocoques sont des cocci à Gram positif et à métabolisme anaérobie, observables habituellement sous forme de chaînettes. Le genre Enterococcus a été individualisé récemment du genre Streptococcus. Il est constitué des anciens streptocoques fécaux du groupe D [1]. Ces bactéries font partie de la flore commensale du tube digestif. Ce sont des agents pathogènes opportunistes, à l’origine de septicémies. Ils se retrouvent dans toutes les filières du genre Gallus (chair, ponte et reproducteur), ainsi que dans les autres espèces avicoles. Les canards de barbarie, pékin et mulards, la dinde, les gibiers tels que le faisan, les perdrix rouge et grise, la pintade et le pigeon peuvent être affectés (figure 1).
Chez le poulet de chair, les entérocoques sont réputés pour leur implication dans des troubles locomoteurs (photo 1). Ils ont été décrits pour la première fois dans les années 2000 et les difficultés à leur égard dans les élevages de chair standards vont croissantes ces dernières années (encadré) [6]. Les membres du réseau Cristal exploitent leurs bases de données pour appuyer les décisions thérapeutiques sur le terrain et réalisent une étude appelée “Entérocoques Cristal 2011-2012”.
Les trois objectifs de ce travail sont de :
– déterminer les espèces les plus fréquemment isolées dans la famille des entérocoques en aviculture ;
– préciser les caractéristiques des principaux entérocoques isolés chez le poulet de chair standard ;
– comprendre pourquoi les thérapeutiques habituelles en élevage de poulets de chair ne préviennent pas les infections par les entérocoques.
Les laboratoires Resalab et les vétérinaires du Réseau Cristal disposent du même système informatique (ResAnalyse(r)) pour la gestion des analyses de laboratoire. L’ensemble des champs du commémoratif comme l’adresse de l’éleveur, la traçabilité des oiseaux, l’âge, les symptômes observés et les bactériologies demandées sont exploitables dans une base unique de données.
Une première base de données provenant du Réseau Cristala servi de fondement à notre étude. Elle comporte 658 entérocoques, dont 396 pour le poulet. Elle rassemble les données de 18 laboratoires. Elle spécifie le laboratoire d’isolement, l’âge, l’espèce de l’entérocoque, l’espèce de la volaille, l’organe source et la sensibilité de la bactérie pendant l’année 2011.
Une seconde base de données analysée regroupe les prescriptions d’un cabinet vétérinaire avant l’isolement d’Enterococcus cecorum exclusivement. La traçabilité mise en place permet de rapprocher les thérapeutiques et les analyses effectuées dans un lot donné. Les lots de poulets de chair qui ont reçu un traitement antibiotique pour un motif autre qu’une infection à entérocoque ont été étudiés. Parmi eux ont été sélectionnés ceux pour lesquels une analyse bactériologique ultérieure au traitement a permis d’isoler Enterococcus cecorum. In fine, 68 isolements chez le poulet de chair, en provenance de trois laboratoires de proximité appartenant au même cabinet en 2011 et en 2012, sont sélectionnés (photo 5). Le traitement antibiotique ne ciblait pas spécifiquement les entérocoques. Les molécules utilisées étaient variées.
Les laboratoires du réseau Cristal isolent régulièrement sept espèces d’entérocoques en aviculture et dans l’ordre décroissant de fréquence d’isolement : Enterococcus cecorum, Enterococcus faecalis et Enterococcus hirae (figure 2). Le poulet de chair est l’espèce la plus représentée.
Les entérocoques sont isolés à des âges distincts chez le poulet de chair (figure 3).
Enterococcus faecalis l’est surtout pendant la période de démarrage dans le vitellus et le foie. Enterococcus cecorum est isolé à partir de la deuxième semaine avec un pic dans la troisième semaine de vie. Les principaux organes d’isolement sont le foie, le cœur, la mœlle osseuse et le liquide articulaire.
Enterococcus hirae est isolé principalement dans les organes septicémiques : foie, cœur et mœlle osseuse dans Les entérocoques sont isolés très rapidement après une antibiothérapie visant des colibacilles, même avec des antibiotiques a priori efficaces. Les isolements observables à J1, voire à J2, du traitement peuvent être considérés comme des infections contemporaines du début du traitement. D’après Labovet, 2011- 2012. les 2 premières semaines de vie, sachant que les poulets de chair standards sont abattus principalement dans les cinquième et sixième semaines de vie.
Les entérocoques sont isolés avec d’autres agents pathogènes, notamment Escherichia coli (tableau). Ce sont principalement les colibacilles de sérotype “non typable (NT)”, c’est-à-dire ni O78 ni O2, qui sont associés aux entérocoques.
Lorsque des traitements sont réalisés en élevage, il est fréquentque la cible visée soit le colibacille. Les molécules utilisées dans ce cas ont parfois une efficacité contre Enterococcus cecorum (figure 4).
Parmi les traitements antibiotiques administrés, les â-lactamines, les fluoroquinolones et les macrolides sont efficaces in vitro contre Enterococcus cecorum. Il est cependant fréquent d’observer des signes cliniques imputables à l’évolution d’un Enterococcus cecorum en élevage et d’isoler cette bactérie par les techniques de bactériologie, après une antibiothérapie mise en œuvre sur le lot (parfois très rapidement) (figure 5).
Enterococcus cecorum est isolé d’organes divers, dans des
contextes de septicémie (figure 6).
Les entérocoques en aviculture sont les agents pathogènes de maladies variées. Un examen nécropsique complet est indispensable afin d’établir leur diagnostic. Lorsqu’à l’autopsie le cœur est conservé intact pour permettre ultérieurement un prélèvement stérile de sang intracardiaque, l’endocardite valvulaire n’est pas identifiée. Or cette lésion est souvent la seule dans les septicémies à entérocoques. Si les lésions articulaires sont plus évidentes, en revanche, l’ostéo-arthrite vertébrale est également plus complexe à mettre en évidence.
Les troubles ostéo-articulaires chez le poulet de chair infecté par Enterococcus cecorum se manifestent entre la deuxième et la troisième semaine de vie. Ils peuvent survenir par la suite, mais la durée de vie d’un lot de poulets standard ne dépasse pas 6 semaines.
Dans l’étude, les lots recrutés positifs pour Enterococcus cecorum ont reçu une antibiothérapie antérieure. Même si l’antibiotique administré est fréquemment efficace contre cet agent pathogène, un isolement d’Enterococcus cecorum a souvent pu être effectué. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées :
– un échappement de la bactérie aux antibiotiques, lié à sa présence en forte concentration dans le tube digestif ;
– la recontamination permanente de l’oiseau ;
– la bactérie est située dans un tissu difficile à atteindre pour les antibiotiques.
Devriese et coll. considéraient qu’Enterococcus cecorum est l’espèce d’entérocoque la plus présente dans les intestins des poulets de chair [2]. Son ubiquité environnementale et sa transmission par voie orale ou aéroportée augmentent le risque de recolonisation d’un animal guéri. Des observations de terrain confirment sa fréquente réapparition dans un lot de poulets, même dans le cas où celui-ci a été traité avec une molécule efficace. Un biais existe toujours concernant le mode de distribution de l’antibiotique et l’adéquation de la dose avec le poids de l’animal ou la durée de distribution. La professionnalisation des élevages de poulets de chair et la présence de pompes doseuses ou de balances électroniques en élevage améliorent l’observance des traitements. Des facteurs indépendants de la seule infection peuvent expliquer ces résultats.
Les conditions zootechniques peuvent affecter la pathogénicité. L’adhésion de l’agent pathogène sur un segmentosseux ou articulaire est facilitée par un défaut de croissance (aucun facteur d’attache spécifique aux articulations ou aux os n’a été identifié) [3]. La présence de l’entérocoque dans les lésions de nécrose des têtes fémorales plaide pour cette hypothèse.
Pour expliquer comment la bactérie peut être distribuée jusqu’à ces zones lésionnelles par voie systémique, Teirlyncket coll. ont montré l’effet digestif de certaines rations alimentaires [7]. L’inflammation générée favoriserait la perméabilité du tractus digestif, entraînant une bactériémie, qui distribuerait les entérocoques opportunistes dans les différents organes et le squelette.
Certains auteurs considèrent que les troubles locomoteurs du poulet de chair sont majoritairement d’origine non infectieuse [4].
En complément de l’analyse lésionnelle et bactériologique, étudier l’historique des événements qui se sont produits dans le lot s’impose. Par exemple, une entérite a pu provoquer une bactériémie, d’une part, et un lessivage des minéraux et des vitamines dans le tube digestif, d’autre part. À l’inverse, le gain moyen quotidien a peutêtre été soutenu pendant plusieurs jours avant l’infection à entérocoques. Cela facilite les choix thérapeutiques et les conseils sur la conduite à tenir ultérieurement.
Une bonne santé digestive, ainsi que la prescription de suppléments nutritionnels peuvent accompagner le traitement curatif d’une infection à entérocoque. Il convient également de valider la qualité de l’eau de boisson, source potentielle de streptocoques fécaux. Cet aspect est fondamental en élevage. Une fraction significative d’analyses d’eau réalisées dans les laboratoires du Réseau Cristal montre que les poulets de chair absorbent fréquemment ces bactéries en s’abreuvant (données non publiées).
Les entérocoques sont des agents pathogènes émergents pour les praticiens en aviculture. Ces bactéries sont douées de capacités invasives et, de plus, les conditions zootechniques créent un terrain favorable au développement d’infections par ces agents pathogènes. Enterococcuscecorum est un hôte commensal du tube digestif des poulets de chair capable d’une diffusion septicémique marquée principalement par des troubles ostéo-articulaires et un dépérissement consécutif. L’usage d’une antibiothérapie pour une autre cible de traitement ne prévient pas l’apparition d’une infection à entérocoque. Afin de réaliser un traitement adapté et de prévenir les rechutes, l’identification précise du type de bactérie en cause et l’antibiogramme sont fortement conseillés. Ils doivent s’accompagner d’une prise en charge globale du lot.
Les auteurs sont membres du Réseau Cristal qui a réalisé les analyses.
→ Lors de l’examen clinique des lots affectés, des poulets boiteux ou ataxiques apparaissent. Dans un lot de volailles à croissance rapide, leur poids vif est inférieur à l’objectif du standard. Le lot devient hétérogène avec des individus “non-valeurs” que l’éleveur doit éliminer. Ces animaux participent également à la mortalité observée, ainsi qu’à l’augmentation de l’indice de consommation.
À l’autopsie, des lésions inflammatoires des articulations sont notées. Des arthrites et des nécroses des têtes fémorales sont mises en évidence (photos 2 et 3) [5, 9]. “À côté” des entérocoques, des colibacilles et des staphylocoques sont également isolés dans ces contextes.
→ Les arthrites amyloïdiennes à Enterococcus faecalis sont d’autres infections courantes dans la filière Gallus de production d’œufs de consommation.
→ Les entérocoques sont également responsables d’infections septicémiques sans troubles ostéo-articulaires. Des morts sans prodrome de poulets de chair surviennent. La lésion principalement observable à l’autopsie est l’endocardite valvulaire (photo 4). Enterococcus hirae est l’espèce d’entérocoque la plus fréquemment isolée dans ces cas [8].
→ Il est possible de rencontrer également des morts du démarrage avec des encéphalites à Enterococcus hirae et des omphalites à Enterococcus faecalis.
→ Les troubles ostéo-articulaires chez le poulet de chair infecté par Enterococcus cecorum se manifestent généralement entre la deuxième et la troisième semaine de vie.
→ L’ubiquité environnementale de cette bactérie et sa transmission par voie orale ou aéroportée augmentent le risque de recolonisation d’un animal guéri.
→ En complément de l’analyse lésionnelle et bactériologique, une gestion globale, sanitaire et zootechnique, doit être entreprise.
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