Première approche quantitative du recours aux thérapeutiques alternatives en Bretagne - Le Point Vétérinaire expert rural n° 345 du 01/05/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 345 du 01/05/2014

TRAITEMENTS EN ÉLEVAGE BOVIN LAITIER

Article de synthèse

Auteur(s) : Grégoire Kuntz*, Marylise Le Guenic**, Ivanne Leperlier***

Fonctions :
*Groupement de défense sanitaire de Bretagne
13, rue du Sabot, BP 28, 22440 Ploufragan
**Chambre régionale d’agriculture de Bretagne
BP 398, 56009 Vannes Cedex
g.kuntz@gds22.asso.fr
***Groupement de défense sanitaire de Bretagne
13, rue du Sabot, BP 28, 22440 Ploufragan

Le recours à l’homéopathie, à l’aromathérapie et à la phytothérapie a été quantifié subjectivement en Bretagne. Il s’eff ectue souvent sans interlocuteur vétérinaire et pas seulement en “bio”.

L’intérêt des éleveurs, conventionnels comme agrobiologiques, pour les médecines alternatives va croissant, au vu, notamment, des demandes répétées d’information et de formation continue sur le sujet auprès des groupements de défense sanitaire bretons.

Même si les antibiotiques utilisés majoritairement en élevage bovin ne sont pas tous ciblés par le plan national de réduction du risque d’antibiorésistance, l’utilisation de ces derniers est à raisonner, dans le sens d’une réduction. Des pratiques non allopathiques en santé des bovins ont déjà été évaluées ponctuellement. Par exemple en 2012, l’efficacité d’un mélange d’huiles essentielles sur les infections intramammaires a été étudiée [1]. Il restait à évaluer plus globalement le besoin de l’usage de ces thérapeutiques en élevage bovin dans notre région. En première approche, les réponses à un questionnaire ont été analysées.

OBJECTIFS DE L’ÉTUDE “PRATIQUES ALTERNATIVES 2013”

Il s’agissait :

– d’apprécier la fréquence d’utilisation des différentes pratiques alternatives (homéopathie, aromathérapie et phytothérapie) dans un échantillon représentatif de l’élevage bovin breton ;

– d’évaluer le niveau de maîtrise de ces pratiques (formations suivies, connaissances acquises, appui technique) ;

– de déterminer le niveau de satisfaction des éleveurs pour diverses maladies (qu’elles aient une forte ou une faible prévalence). Inversement, en cas d’échec, déterminer quels sont les taux d’utilisation d’une autre méthode alternative ou de l’allopathie.

Ce travail s’est inscrit dans un projet global sur les médecines alternatives (encadré).

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Les enquêtes ont été réalisées par les techniciens du groupement de défense sanitaire (GDS) Bretagne à l’occasion de visites programmées (identification, charte des bonnes pratiques d’élevage, visite annuelle, suivi de plan, etc.), donc en dehors d’un contexte sanitaire anormal ou d’une problématique portant sur les médecines alternatives.

Les enquêtes, échelonnées de mai à décembre 2013, étaient réparties sur l’ensemble de la Bretagne (Côtesd’Armor [96 enquêtes], Finistère [48], Morbihan [115] et IlleetVilaine [120]). Le questionnaire a été conçu afin d’obtenir des réponses fermées, pour faciliter le traitement statistique. Les statistiques descriptives ont été réalisées sous Excel 2007 et XLSTAT 2014.

L’ensemble des 379 éleveurs de bovins sollicités lors du passage d’un technicien ont répondu à l’enquête. La quasitotalité se trouve en élevage laitier (92,5 %) et conventionnel (92,6 %). Un seul éleveur allaitant et biologique a répondu.

RÉSULTATS

Vingt et un pour cent des éleveurs répondants font appel à au moins une médecine complémentaire avec une nette différence entre les médecines conventionnelles et biologiques (18,5 et 72 % respectivement) (figure 1).

Parmi les éleveurs interrogés, certains débutent à peine et d’autres emploient les pratiques alternatives depuis 15 ans. Le questionnaire révèle une utilisation depuis plus de 5 ans en moyenne, sans pouvoir préciser ni la fréquence ni l’évolution.

Un peu plus du tiers des répondants ont reçu une formation en homéopathie (36 %). Moins nombreux sont ceux formés à l’aromathérapie ou à la phytothérapie (12,8 %). Les formations citées ont été organisées par les chambres d’agriculture de Bretagne (28 %), les groupements des agriculteurs biologiques (24 %), l’association Agriculturedurable par l’autonomie, la gestion et l’environnement (12 %), des vétérinaires (8 %) et quelques autres organismes. Elles durent d’une demi-journée à 3 jours complets, et sont suivies pour certaines de rencontres et d’échanges réguliers entre participants.

Les éleveurs disent trouver des informations sur les pratiques thérapeutiques alternatives également par d’autres voies : échanges (80,5 %), lecture (54,6 %) ou Internet (12,9 %).

Seuls 12,9 % des éleveurs disent avoir un vétérinaire référent en médecines alternatives. à la question « Est-il spécialisé ? », 24,2 % répondent oui en homéopathie, 16,1 % en aromathérapie et 13,8 % en phytothérapie. Cette information est à prendre avec précaution, le questionnaire ne distingue pas la “spécialisation” de la compétence, de l’expérience ou de l’exclusivité de la pratique. Le conseil vétérinaire sur les pratiques thérapeutiques alternatives s’effectue essentiellement à l’occasion de visites (51,3 %) et à la clinique (22,6 %). Il peut aussi prendre la forme d’un contrat téléphonique (29,7 %). Dans ce cas, la facturation est réalisée selon le temps passé au téléphone et à la réflexion sur le cas. Des échanges de courriers électroniques sont aussi notés (17,1 %).

Cinq motifs d’utilisation sont proposés dans le questionnaire. Les éleveurs conventionnels ont des motivations moins variées que les éleveurs biologiques (1,5 +/- 0,3 et 3,9 +/- 0,4 motifs respectivement) (figure 2).

Les réponses des éleveurs confirment l’emploi des médecines alternatives pour les affections pressenties dans le questionnaire : les diarrhées de veaux, les métrites, les mammites cliniques et subcliniques. L’utilisation est presque aussi fréquente pour d’autres affections : des boiteries, des traumatismes, du parasitisme et des maladies du post-partum (non-délivrances, involution, métrites, etc.) (figures 3).

D’autres utilisations sont citées plus rarement comme la prévention des allergies. Certaines affections pourtant

DISCUSSION

La fréquence d’utilisation des médecines alternatives par les éleveurs enquêtés est non négligeable depuis un certain nombre d’années. Ces médecines sont appliquées souvent pour les affections pressenties. Des usages fréquents pour d’autres maladies non suspectées a priori ont été révélés. Les vétérinaires ne doivent donc pas considérer cet usage comme anecdotique.

Ces médecines alternatives sont souvent utilisées sans formation initiale. Si celle-ci existe, elle n’est pas toujours réalisée par des vétérinaires. Les éleveurs trouvent les informations par différentes sources peu vérifiables. Peu ont un vétérinaire référent. Avec les résultats de cette enquête et les nombreux échanges informels que nous avons eus sur ce sujet, il ressort que beaucoup d’éleveurs trouvent ces approches compliquées, sont déçus par les résultats obtenus et abandonnent. Ils peuvent persévérer dans une utilisation mal cadrée. L’approche est certes complexe. Dans le cadre de l’homéopathie uniciste, l’éleveur doit réaliser un examen classique complet de l’animal tel qu’enseigné à l’“éleveur infirmier de ses bovins”. L’observation des symptômes s’accompagne d’une réflexion sur la manière selon laquelle cet individu les exprime. Des traitements pouvant correspondre aux signes observés sont recherchés et recoupés. Les premiers résultats doivent être observés dans les 12 heures, sinon le traitement est à modifier.

Certains éleveurs formés, informés et passionnés se servent presque exclusivement des médecines alternatives. Ils font état de bons résultats. Les vétérinaires pourraient utilement se former aux médecines alternatives pour en connaître les principes afin de pouvoir suivre les éleveurs dans leurs formations, voire sur les cas traités. Il est plus gratifiant d’accompagner un éleveur dans sa réussite que de constater son échec. Les éleveurs attirés par ces approches sont très animaliers, sensibles au confort de l’animal, à la qualité de son alimentation, motivés davantage par la prévention que par la guérison. Ils ont acquis une grande conscience des divers facteurs de risque impliqués dans les affections multifactorielles.

L’utilisation des médecines alternatives pour limiter le nombre de traitements allopathiques, dans le cadre du respect du cahier des charges agrobiologique, est pragmatique. La volonté de réduire spécifiquement les antibiotiques montre que certains éleveurs sont sensibles à cette problématique.

Certains utilisent les traitements alternatifs pour des “raisons économiques”. Les médicaments en homéopathie sont relativement peu coûteux, à indications sensiblement comparables. Les principes actifs en aromathérapie (huiles essentielles) sont assez onéreux mais utilisés en faible quantité, tout comme en phytothérapie (photo 1). Le coût d’un traitement est néanmoins à raisonner globalement. L’aromathérapie lors de mammite coûte moins d’une dizaine d’euros (photo 2). En cas d’échec, un traitement de seconde intention vient s’y ajouter (souvent allopathique). Il convient aussi de prendre en compte les pertes en lait écarté pendant le temps d’attente, les baisses de production, les pénalités, la réforme anticipée, soit quelques centaines d’euros. Le vétérinaire peut accompagner l’éleveur dans ce type de calcul.

Qu’elles soient explicitées ou non, des “convictions personnelles” motivent souvent le recours aux médecines alternatives chez les éleveurs biologiques comme conventionnels. Le premier pas pour un praticien est de percevoir cette demande et d’essayer d’en comprendre les motivations pour tenter d’y répondre. Référer ou s’essayer à ces pratiques alternatives est toujours possible.

Les discussions sur le sujet avec les éleveurs sont ponctuées des motivations suivantes : évoluer vers une approche plus préventive, produire des produits plus sains, utiliser moins de médicaments et faire moins de piqûres, voire ne pas faire souffrir les animaux en tentant de les guérir.

L’objectif n’est pas, dans cette étude, d’évaluer l’efficacité des pratiques alternatives, mais de recueillir l’impression des éleveurs. Plutôt qu’une appréciation subjective (note de satisfaction de 0 à 3 pour le traitement des mammites), des paramètres objectifs auraient pu être analysés (scores cliniques, bactériologies, comptages de cellules somatiques). Améliorerla formation initiale de l’éleveur aiderait à gagner en précision dans l’appréciation de l’efficacité des traitements. Le praticien peut aider l’éleveur à progresser vers l’objectivité.

Conclusion

La demande des éleveurs est forte sur les médecines alternatives : écoute, formations, conseils et suivis, accès aux produits en particulier. Si le praticien n’y répond pas, d’autres sont disposés à le faire. Les vétérinaires peuvent se porter garants de la bonne application de ces médecines dans une optique d’efficacité, de bien-être animal, de sécurité du consommateur, de satisfaction de l’éleveur et dans le strict cadre de la réglementation.

Leur formation initiale à dominante allopathique freine les vétérinaires. Le recours au terme “complémentaires” plutôt qu’“alternatives” pourrait lever certains blocages à l’égard de ces médecines.

Les éleveurs utilisateurs paraissent soucieux du confort de leurs animaux, de leur santé, et désireux de produire durablement. Tout vétérinaire peut les accompagner à cet égard.

Références

  • 1. Harlet M. Mammites de la vache laitière. Étude de l’efficacité d’un mélange d’huiles essentielles par application cutanée locale dans 34 élevages bretons. Thèse de doctorat vétérinaire, Faculté de médecine de Nantes. 2012:141p.

REMERCIEMENTS

Cette étude a été soutenue financièrement par le conseil régional de Bretagne.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Retour sur des formations aux médecines alternatives

→ Parallèlement à cette enquête dont l’objectif était d’avoir une photographie représentative de l’usage des médecines alternatives, les chambres d’agriculture de Bretagne ont effectué une enquête par courriers électroniques auprès des 249 éleveurs ayant participé aux formations organisées, notamment sur l’homéopathie.

→ Parmi les 48 répondants, 33 éleveurs déclarent mettre en pratique les médecines alternatives, 10 avoir essayé et arrêté.

→ Ceux qui appliquent les médecines alternatives évoquent notamment la difficulté d’adapter les traitements aux symptômes et le manque d’appui. Ils se déclarent très majoritairement satisfaits des résultats.

→ Ce travail se poursuit actuellement dans le cadre d’une thèse vétérinaire chez les éleveurs les plus persévérants identifiés dans les deux enquêtes. L’étude des résultats obtenus chez les animaux à partir des registres d’élevage et des données zootechniques devrait permettre de sélectionner les pratiques les plus courantes, de pointer celles qui semblent prometteuses ou, du moins, qui mériteraient d’être étudiées de façon plus approfondie en termes d’efficacité.

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