Vers la décontamination des ruminants exposés aux polluants organiques persistants - Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014

POLLUANTS

Article de synthèse

Auteur(s) : Guido Rychen*, Stefan Jurjanz**, Agnès Fournier***, Hervé Toussaint****, Cyril Feidt*****

Fonctions :
*Université de Lorraine, Inra-UR Afpa,
2, avenue de la Forêt-de-Haye,
54518 Vandoeuvre Cedex
guido.rychen@univ-lorraine.fr
**Université de Lorraine, Inra-UR Afpa,
2, avenue de la Forêt-de-Haye,
54518 Vandoeuvre Cedex
guido.rychen@univ-lorraine.fr
***Université de Lorraine, Inra-UR Afpa,
2, avenue de la Forêt-de-Haye,
54518 Vandoeuvre Cedex
guido.rychen@univ-lorraine.fr
****Université de Lorraine, Inra-UR Afpa,
2, avenue de la Forêt-de-Haye,
54518 Vandoeuvre Cedex
guido.rychen@univ-lorraine.fr
*****Université de Lorraine, Inra-UR Afpa,
2, avenue de la Forêt-de-Haye,
54518 Vandoeuvre Cedex
guido.rychen@univ-lorraine.fr

Les seuils réglementaires des polluants organiques persistants peuvent être rapidement atteints chez des ruminants qui en ont ingéré via des fourrages et/ou un sol contaminé. La cinétique de décontamination est à l’étude

Les polluants organiques persistants (POP) sont considérés comme toxiques pour la santé humaine et les écosystèmes selon la convention de Stockholm. Il s’agit des pesticides, des composés d’origine industrielle tels que les polychlorobiphényles dioxin-like (PCB DL) et non dioxin-like (NDL), ou des sous-produits involontaires des processus industriels et/ou de combustion tels que les polychlorobenzodioxines/ furanes (PCDD/F) (photo). Les dépôts de POP affectent les zones de culture et de pâturage situées à proximité ou à distance des zones émettrices [6, 30]. Leur transfert dans la chaîne alimentaire est d’actualité dans le domaine de l’évaluation et de la gestion des risques (encadré 1) [1, 42].

Dans les zones à risque, les professionnels de l’élevage sont demandeurs d’outils d’aide à la décision et de prédiction des niveaux de contamination pour les différentes catégories d’animaux, ainsi que de conseils sur les pratiques d’élevage à mettre en oeuvre en cas de pollution.

TRANSFERT DES POP VERS LES PRODUITS ANIMAUX

La cinétique de transfert des POP vers les ruminants comprend deux phases :

– une bio-accumulation initiale durant laquelle les tissus adipeux et hépatiques se chargent en polluants ;

– un stade d’équilibre où les concentrations de contaminants dans les tissus sont constantes [12, 21, 31, 41, 52].

L’absorption, la distribution, le métabolisme et l’excrétion des POP diffèrent selon les composés. Pour ceux qui sont faiblement chlorés comme le PCB 74, l’absorption intestinale atteint 81,6 %. La partie non absorbée est excrétée dans les fèces. Après distribution par le sang, 51 % de la quantité absorbée est métabolisée, et le reste est stocké dans le tissu adipeux et excrété dans le lait (flux ingestion-excrétion : 36,8 %). Dans le cas des composés fortement chlorés, par exemple le PCB 138, l’absorption n’est que de 54 % (excrétion dans les fèces de 60 % au final). Ce composé est stocké dans les tissus adipeux des animaux (sous forme non métabolisée) et excrété dans le lait (flux total de 74 %). Le flux absorption-excrétion peut dépasser 100 %, par un effet de mobilisation des PCB déjà stockés dans les graisses corporelles des vaches et perte de poids [34].

1. Du fourrage au lait : un transfert rapide et important

La biodisponibilité des POP retrouvés dans des fourrages contaminés est importante.

Leur taux de transfert est déterminé à l’équilibre (il s’agit du rapport entre l’excrétion et l’entrée de POP dans l’organisme [9, 14, 22, 31, 40, 57]). Chez la chèvre laitière, il approche 40 % en ce qui concerne le POP baptisé 2,3,7,8-TCDD, vers le lait [9]. Il peut dépasser 80 % pour les PCB 105, 118 et 157. Il est plus variable dans la famille des NDL : de 5 % pour le PCB 101 à plus de 40 % pour les PCB 118, 153 et 180.

Récemment, les cinétiques de contamination et de décontamination de chèvres en lactation qui ingèrent du maïs ensilage provenant de zones contaminées de Saint-Cyprien (Loire, incendie dans une usine de recyclage du bois) et de Saint-Gilly-sur-Isère (Isère, incinérateur défectueux) ont été étudiées (figure 1) [11]. Dès la deuxième semaine d’exposition alimentaire, le seuil réglementaire est franchi (c’est-à-dire 6 pg exprimés en toxic equivalent quantities par gramme de matière grasse [TEQ/g MG], pour une ingestion mesurée à 4,65 pg TEQ/g MG). Au plateau, la contamination atteint 20 pg TEQ/g MG et les taux de transfert sont d’environ 50 %.

Ainsi, les produits animaux issus de zones contaminées peuvent devenir impropres à la consommation humaine en moins de 15 jours (règlements européens n°s 1881/2006 et 1259/2011) [9, 11]. Des milliers de bovins ont été abattus pour cette raison dans les régions contaminées d’Alberville (Savoie) en 2001, de Saint-Cyprien (Loire) en 2008 ou de Grez-en-Bouère (Mayenne) en 2011.

2. Biodisponibilité relative depuis le sol contaminé

En conditions contrôlées sur animaux exposés durant 80 jours à de l’aliment contenant 5 % de sol contaminé en PCB, les taux de transfert de ces derniers vers le lait varient de 6 à 62 % selon les composés (moyenne de 44 %) [32, 38]. Ainsi, les niveaux de transfert des PCB du sol semblent similaires à ceux du fourrage [9, 11]. Les PCB qui présentent une forte affinité pour la matière organique seraient moins absorbés [27, 39]. La capacité du sol à retenir les contaminants durant le processus digestif a été estimée par des approches de biodisponibilité relative (BR) (figure 2) [29]. Chez la chèvre en lactation, les BR obtenues sont globalement de 50 %, c’est-à-dire que la moitié des PCB NDL du sol ont été extraits du sol durant le processus digestif [23].

Les PCB extraits du sol en plus grande quantité sont ceux dont le poids moléculaire est le plus faible.

DÉCONTAMINATION DES RUMINANTS VIA LES PRODUCTIONS

La décontamination des animaux vis-à-vis des POP est envisageable, en deux phases :

– l’une rapide (diffusion importante des polluants du compartiment périphérique vers le sang) ;

– l’autre lente (échanges limités entre le compartiment périphérique et le sang) [14, 21, 34, 41, 44, 52].

1. Voie majeure : excrétion dans le lait

L’excrétion dans le lait constitue la voie principale d’élimination des POP chez les vaches laitières [17, 41]. Elle dépend de la physiologie de l’animal et de la nature de la molécule [7, 16, 17, 35, 41, 52]. Dans les années 1970, 9 vaches ont été exposées quotidiennement à un mélange commercial de PCB (200 mg/j d’Aroclor(r) 1254) durant 60 jours [12]. Après l’arrêt de l’exposition, une baisse de 50 % de la concentration des PCB dans le lait est constatée durant les 15 premiers jours (phase 1), puis les concentrations diminuent moins rapidement (phase 2).

Dans les années 1990, 65 génisses provenant d’une région contaminée par les PCB ont été transférées pour 10 mois dans une ferme expérimentale [7]. Des biopsies ont été réalisées à J0, à J117 et à J203. La concentration des PCB dans les graisses corporelles est passée de 0,52 à 0,09 µg/g de MG. S’agissait-il d’un effet du métabolisme des composés ou d’une dilution par augmentation du volume adipeux en croissance ? La seconde hypothèse est privilégiée en raison de l’évolution de la concentration de certains PCB plus résistants au métabolisme (différents isomères du PCB).

La charge en PCB de l’organisme peut diminuer de 25 % en une lactation [52].

Le bilan énergétique de l’animal pourrait être le facteur de variation le plus significatif pour le taux d’excrétion des PCB dans le lait : la mobilisation des graisses corporelles après mise bas augmente l’excrétion des PCB dans le lait, et inversement [16, 17, 41].

Le niveau de contamination du lait de chèvre peut chuter de 20 pg TEQ/g MG à moins de 6 pg en 21 jours après l’arrêt de l’exposition des ruminants laitiers à du fourrage contaminé par les PCDD/F et PCB [11]. Le potentiel de décontamination de ruminants présentant une forte production laitière par rapport à leur masse adipeuse semble donc très rapide.

Ainsi, les polluants sont progressivement éliminés dans la matière grasse du lait. Le temps d’atteinte de concentrations inférieures au niveau réglementaire dépend du niveau initial, de la production laitière (MG exportée) et du stock corporel de graisse.

2. Transfert au produit engraissé

Les femelles gravides peuvent transférer une partie de la charge polluante in utero. Le jeune bovin est ensuite exposé aux polluants par ingestion du lait maternel.

Les veaux issus de troupeaux contaminés sont généralement plus chargés en POP que leur mère [43].

Dans un groupe de 8 jeunes femelles contaminées par ingestion de lait de mères contaminées, 13 mois d’élevage ont été nécessaires pour que le niveau de PCB passe de 0,42 à 0,07 µg/g de MG [16].

En Suède, des corrélations ont été établies entre les niveaux de POP, le développement corporel des animaux et le volume de tissus adipeux. La notion de “dilution de croissance” est évoquée, suggérant une relation inversement proportionnelle entre les teneurs de polluants et le volume de tissu adipeux des animaux.

Des bovins allaitants présentant des contaminations initiales supérieures à 20 pg/g MG TEQ de PCB DL et 100 ng/g de PCB NDL ont été déplacés vers une zone expérimentale saine (avec une alimentation standard, gain moyen quotidien [GMQ] 800 g/j et biopsies tous les 2 mois [44]). Tous ont atteint in fine des niveaux en PCB inférieurs au seuil réglementaire (figure 3).

ORIGINE DE L’EXPOSITION DES RUMINANTS AUX POP

1. Dissémination et climat

Transportés dans l’atmosphère, les POP peuvent contaminer des sites éloignés de toute source d’émission, parcourant des centaines de kilomètres pour les dioxines TCDD et OCDD, voire un millier pour les PCB [5, 6, 15, 30, 49, 54]. La contamination de la végétation en un site donné n’est pas liée exclusivement à la source la plus proche. Les composés les moins volatiles se déposent majoritairement dans une zone restreinte autour de la source d’émission, les autres se disséminant plus largement [3]. L’absorption racinaire de POP est négligeable car ces composés sont extrêmement lipophiles, donc peu solubles dans la sève [26, 45, 55, 56]. La contamination du fourrage est essentiellement induite par un dépôt atmosphérique et plus précisément gazeux des polluants les plus volatiles, et par dépôt particulaire pour les autres [36, 47, 49, 50, 55]. La solubilisation des polluants dans l’eau de pluie ou le brouillard est limitée car ces molécules sont hydrophobes.

C’est la température qui conditionne la forme sous laquelle les POP sont présents dans l’atmosphère : gazeuse ou solide (particules) [4, 19]. La vitesse et la direction du vent affectent les modalités de dépôt dans les végétaux [4, 30, 40, 49]. La pluie peut agir par lessivage ou augmentation des dépôts humides.

2. Considérations agronomiques

Lorsque la feuille du végétal est rugueuse, le dépôt de POP y est important [37, 51].

Le rendement et la densité d’une production fourragère déterminent aussi les concentrations de polluants (par augmentation de la surface d’échange avec la phase gazeuse), par rapport à celle du sol [45, 46].

3. Aspects pédologiques

Les contaminants s’accumulent dans les 5 premiers centimètres d’un sol non travaillé (et seulement dans l’horizon cultivé en cas de labour) [13, 24, 48]. Lipophiles, ils s’adsorbent aux éléments du sol, selon ses propriétés physico-chimiques et des facteurs climatiques [10].

La composition de la matière organique, la teneur en carbone organique, l’acidité ou encore le potentiel d’oxydoréduction du sol ont une influence [2, 8, 20].

Les concentrations de POP dans le sol ont atteint 1 000 ng/ kg de matière sèche (MS) pour les PCDD/F et 50 mg/ kg pour les PCB [28]. Ils ne dépassent généralement pas quelques dizaines de ng de PCDD/F et 1 à 2 µg de PCB par kg MS de fourrage [9, 55]. Une contamination chronique de faible niveau se traduit par une accumulation des contaminants dans le sol (effet mémoire) et un fourrage peu contaminé (renouvellement permanent de la masse végétale). À l’inverse, une contamination importante de courte durée conduit à des fourrages plus contaminés que le sol. L’ingestion de sol reste toujours très inférieure à celle de fourrages, mais le différentiel de contamination des sols et des fourrages peut engendrer une exposition aussi importante via les deux matrices (encadré 2).

Conclusion

Les résultats publiés sur ces sujets restent fragmentaires, avec souvent un nombre très limité de molécules, d’animaux, de fourrages, de types de sol étudiés. Cependant, ils constituent une base de travail suffisante pour identifier les principaux risques liés aux POP pour les ruminants élevés en plein air. Les pratiques agricoles à l’origine de l’ingestion de sol dans les zones à risque pourront ainsi être évitées. Une attention particulière doit être portée au statut et au devenir des jeunes issus des troupeaux contaminés, leur charge polluante étant souvent supérieure à celle de leurs parents en cas d’allaitement maternel (cinétiques de décontamination).

Pour la décontamination des bovins dans les zones à risque, l’exposition des animaux est stoppée via l’administration de fourrages sains en quantité suffisante et l’arrêt des autres sources d’exposition. Cela se révèle complexe lors de contaminations sur plusieurs kilomètres carrés et pour des centaines ou des milliers de bovins.

Conflit d’intérêts

Aucun.

REMERCIEMENTS

La Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt, le département Phase de l’Institut national de la recherche agronomique, le conseil régional de Lorraine, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont soutenu les travaux de recherche conduits par notre équipe.

ENCADRÉ 1
Réglementation et orientation des recherches

L’Union européenne (UE) a défini des teneurs maximales pour les dibenzo-p-dioxines, les dibenzofuranes polychlorés (PCDD/F) et des polychlorobiphényles (PCB) dans les aliments d’origine animale (règlements UE nos 1881/2006 et 1259/2011). La commercialisation des produits animaux dépassant ces limites est interdite. Les troupeaux d’origine sont placés sous séquestre, voire abattus.

Diverses crises liées aux polluants organiques persistants (POP) sont survenues en France, dues à :

– un incinérateur défectueux à Gilly-sur-Isère (Savoie) en 2001 ;

– l’incendie accidentel d’un entrepôt sur sol contaminé à Saint-Cyprien (Loire) en 2008 ;

– des procédés industriels défectueux à Grez-en-Bouère (Mayenne) en 2011.

Ces crises entraînent des désastres économiques, sociaux et humains.

La gestion des élevages contaminés par les PCB dans le département de la Loire en 2008-2010 a, par exemple, coûté plus de 3 millions d’euros et conduit à abattre près de 2 000 bovins.

Points forts

→ L’ingestion de sol peut conduire à un risque comparable à celui d’un fourrage pour la contamination des bovins par les polluants organiques persistants.

→ La mobilisation des graisses corporelles après la mise bas augmente l’excrétion des polychlorobiphényles (PCB) dans le lait.

→ Une décontamination en moins de 4 mois a été constatée avec des PCB non dioxin like lorsque les bovins sont engraissés rapidement.

ENCADRÉ 2
Les bovins ingèrent aussi du sol

L’ingestion de sol par les animaux sauvages, les ovins ou les bovins est estimée à l’aide de marqueurs indigestibles tels que les cendres insolubles dans l’acide chlorhydrique ou le titane [6, 13, 18]. Les données anciennes disponibles pour le bétail ne sont pas transposables aisément aux systèmes de pâturage actuels [18, 33, 53]. L’ingestion de sol varie selon la conduite alimentaire et les systèmes fourragers.

Des niveaux d’ingestion de sol de 1 à 3 % de la matière sèche (MS) totale et jusqu’à 1 kg de MS en pâturage difficile sont rapportés [13, 18, 53].

Récemment, chez les vaches laitières en pâturage intensif, une relation inverse entre la quantité d’herbe offerte et l’ingestion de sol a été mise en évidence (figures 4 et 5) [25]. Le type de préhension du fourrage affecte le taux d’ingestion de sol.

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