Valorisation des données de saisie des bovins - Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014

INSPECTION POST-MORTEM

Étude

Auteur(s) : Céline Dupuy*, Éric Morignat**, Pierre Demont***, Xavier Maugey****, Jean-Luc Vinard*****, Pascal Hendrikx******, Christian Ducrot*******, Didier Calavas********, Emilie Gay*********

Fonctions :
*Unité d’épidémiologie, Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses), 31, avenue Tony-Garnier, 69364, Lyon Cedex 07
**Unité d’épidémiologie animale, UR346, Inra,
63122, Saint-Genès-Champanelle
***Unité d’épidémiologie, Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses), 31, avenue Tony-Garnier, 69364, Lyon Cedex 07
****VetAgro Sup Campus Vétérinaire,
1, avenue Bourgelat, 69280 Marcy-l’Étoile
*****Direction générale de l’alimentation,
251, rue de Vaugirard, 75732 Paris Cedex 15
******Unité d’épidémiologie, Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses), 31, avenue Tony-Garnier, 69364, Lyon Cedex 07
*******Direction scientifique des laboratoires, Anses
********Unité d’épidémiologie animale, UR346, Inra,
63122, Saint-Genès-Champanelle
*********Unité d’épidémiologie, Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses), 31, avenue Tony-Garnier, 69364, Lyon Cedex 07
**********Unité d’épidémiologie, Agence nationale de sécurité
sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses), 31, avenue Tony-Garnier, 69364, Lyon Cedex 07

Grâce à l’informatisation des données d’abattoir, des groupes lésionnels peuvent se définir statistiquement. L’intérêt du système pour les éleveurs et les épidémiologistes se dessine.

L’inspection en abattoir vise en priorité à garantir la sécurité du consommateur. Elle complète aussi la surveillance traditionnelle d’affections comme la tuberculose et permet de surveiller les maladies qui sont détectables uniquement en abattoir (dont la cysticercose bovine).

Hormis ceux qui partent à l’exportation ou à l’équarrissage, tous les animaux d’élevage convergent vers l’abattoir. Des informations peuvent y être recueillies spécifiquement, comme les motifs et la nature des pièces saisies. L’abattoir pourrait ainsi constituer un observatoire privilégié de la santé animale et de la santé publique vétérinaire.

Pour être valorisées, les données d’abattoir doivent être accessibles. Or, depuis 2005, le ministère en charge de l’Agriculture travaille sur leur informatisation.

OBJECTIFS

La complexité des lésions observées (sur des pièces diverses), ainsi que les difficultés de formalisation et d’accès aux données numériques ont longtemps freiné toute valorisation épidémiologique des informations sanitaires recueillies à l’abattoir. En France, le projet pilote Nergal-Abattoir déployé de 2005 à 2010 par le ministère de l’Agriculture a démontré qu’il était possible de collecter en temps réel les données d’inspection directement sur la chaîne d’abattoir. Ce dispositif est né d’une volonté des professionnels de ce secteur (Socopa). La qualité des informations (collectées “en temps réel”) et leur disponibilité ont permis d’envisager une exploitation statistique à des fins de surveillance épidémiologique. Un gain de temps a été constaté pour les agents de part une édition facilitée des certificats de saisie. De plus, les informations relatives aux saisies d’abats étaient rendues accessibles. Afin de déterminer quel type de surveillance pouvait être mis en oeuvre à partir des données d’abattoir, il convenait de rassembler, dans un premier temps, toutes les données en grandes catégories lésionnelles.

Les groupes ainsi constitués pourraient servir à la mise en place de systèmes de surveillance. Ils permettraient de valoriser au mieux les données pour répondre aux attentes des éleveurs, qui se plaignent d’un trop faible retour d’informations de l’abattoir.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Face à la diversité et à la complexité des données d’abattoir, une étude fondée uniquement sur l’avis d’experts était difficilement envisageable. Une méthode statistique innovante a été mise en oeuvre pour identifier des groupes lésionnels sur la base de 5 années de données issues du dispositif Nergal-Abattoir.

Les données concernant les 381 186 bovins (sur 1 937 917 animaux abattus) ayant fait l’objet d’au moins une saisie (“bovins saisis”) dans l’un des dix abattoirs inclus dans le dispositif Nergal-Abattoir de 2005 à 2010 ont été utilisées (figure).

Chaque animal était caractérisé par des pièces et des motifs de saisie, ainsi que par ses caractéristiques zootechniques (sexe, classe d’âge et type de production). Les motifs de saisie étaient les mêmes dans tous les abattoirs (conformes à la note de service n° 2006-8139) [8]. Afin de déterminer des groupes lésionnels, une typologie des bovins abattus a été établie, permettant de former des ensembles d’individus se ressemblant quant à leurs lésions et à leurs caractéristiques zootechniques (encadré 1).

Un groupe a été qualifié de “stable” s’il était retrouvé dans au moins 80 % des sous-analyses conduites ensuite par année et par abattoir.

RÉSULTATS

381 186 bovins ont été inclus (soumis à au moins une saisie) (tableau 1). Une seule saisie était réalisée dans plus de 80 % des cas (et 1,8 en moyenne).

68 % des bovins ont fait l’objet d’une saisie de foie et 3 % d’une saisie totale (photo 1).

Les motifs les plus fréquents sont les abcès (19 %) et la distomatose (15 %) (tableau 2).

Quinze groupes lésionnels ont ainsi été constitués, dont douze ont été jugés stables dans le temps et selon l’abattoir. Par exemple, un groupe spécifique de la cysticercose est ressorti : 100 % des bovins y avaient une lésion évocatrice et 99,7 % des animaux à lésion de cysticercose y figuraient (tableau 3).

DISCUSSION

1. Interprétation des groupes par catégories

Les douze groupes lésionnels identifiés se répartissent dans cinq domaines différents : santé animale, protection animale, pratiques d’élevage, santé publique et qualité du process d’abattage.

Certains groupes renvoient à une ou à plusieurs problématiques dans l’élevage (santé animale, ou sources de pertes économiques et/ou révélant des pratiques d’élevage défectueuses).

Les groupes “arthrite”, “myopathie” et “syndrome de la viande foncée dure et sèche" (en anglais DFD, pour dark firm dry) entrent dans une catégorie “protection animale au cours du transport”.

D’autres relèvent d’événements qui se sont déroulés dans l’abattoir : la contamination fécale du coeur ou des poumons due à un souci d’éviscération, et les lésions de détérioration appartiennent au domaine de la qualité du process d’abattage. La cysticercose est considérée comme relevant purement de la santé publique (zoonotique, sans conséquence clinique ni zootechnique en élevage).

2. Intérêt pour les éleveurs

En collaboration avec l’Institut de l’élevage, un prototype de fiche de retour d’informations de l’abattoir à l’élevage a pu être conçu à partir de certains des groupes présentant un intérêt à l’échelle de l’élevage. Comportant un historique des saisies de l’élevage sur plusieurs années, ce document a été évalué par une trentaine d’éleveurs de la région Rhône-Alpes, qui ont manifesté leur intérêt (photo 2) [2, 3].

3. Exploitation pour les émergences

Cette étude confirme la diversité et la richesse des informations issues de l’inspection en abattoir. Certains groupes lésionnels n’auraient probablement pas été cités par un groupe d’experts auquel la liste des pièces et des motifs de saisie aurait été donnée, notamment ceux qui sont reliés au process d’abattage. La méthode statistique utilisée a démontré son intérêt dans une première étape permettant de synthétiser des données complexes avant leur interprétation biologique par un groupe d’experts.

Elle semble pertinente pour la surveillance des maladies émergentes. En effet, aucun système de surveillance traditionnelle ne permet de couvrir la totalité des dangers potentiels (encadré 2).

La méthode employée ici fait que tout “bovin saisi” est forcément affecté à un seul des quinze groupes préalablement identifiés. Ses “coordonnées statistiques” sont calculées, permettant de l’affecter au groupe le plus proche. Les bovins atteints par une maladie émergente ou nouvelle présenteront a priori un profil zootechnique et lésionnel proche. Ils seraient, de ce fait, affectés à un même groupe, entraînant une augmentation anormale de la proportion de celui-ci dans la population [5]. À partir de là, une alerte pourrait être lancée et des investigations épidémiologiques mises en oeuvre. La pertinence d’un tel dispositif est à l’étude.

Conclusion

Le déploiement par le ministère de l’Agriculture d’un dispositif similaire au projet Nergal-Abattoir au niveau national est en cours. Ce projet a été baptisé SI2A, pour système d’information de l’inspection en abattoir. Ainsi, les données d’abattoir pourront bientôt être valorisées à l’échelle de toute la France (en direction des éleveurs et pour la surveillance épidémiologique des bovins).

Pareil système de surveillance syndromique des maladies émergentes fondé sur les données d’abattoir analysées par groupes lésionnels pourrait compléter celui qui repose sur les données d’équarrissage (baptisé OMAR pour observation de la mortalité des animaux de rente : dispositif en cours de finalisation) [9].

Références

  • 1. Bécue-Bertaut M, Pagès J. Multiple factor analysis and clustering of a mixture of quantitative, categorical and frequency data. Comput. Stat. Data An. 2008;52(6):3255-3268.
  • 2. Deschamps JB, Perrin JB, Marzin V et coll. Les données d’abattoir et de mortalité en élevage bovin: quelle perception et quelles propositions des éleveurs: résultats d’une enquête en région Rhône-Alpes. Nouv. Prat. Vét. 2013;6(23):8-14.
  • 3. Deschamps JB. Pratiques d’élevage et qualité des viandes en filière bovine: identification de facteurs de risque de saisie en abattoir et des informations à transmettre de l’abattoir à l’élevage en vue d’améliorer la gestion de l’état sanitaire des élevages et de leur production. Univ. Claude- Bernard Lyon 1, Lyon. 2012:119p.
  • 4. Dupuy C, Morignat E, Maugey X et coll. Defining syndromes using meat inspection data for syndromic surveillance purposes: a statistical approach with the 2005-2010 data from ten French slaughterhouses. BMC Vet. Res. 2013;9(1):88.
  • 5. Dupuy C, Morignat E, Hendrikx P et coll. Using bovine meat inspection data for syndromic surveillance: innovative statistical approach for defining syndromes. In: Society for veterinary epidemiology and preventive medecine. Madrid, Spain. 2013:95-104.
  • 6. Escofier B, Pagès J. Analyses factorielles simples et multiples. Objectifs, méthodes et interprétation. Éd. Dunod, Sciences Sup. Mathématiques, Paris. 2008:318p.
  • 7. Katz R, May L, Baker J et coll. Redefining syndromic surveillance. J. Epidemiol. Global Health. 2011;1(1):21-31.
  • 8. Ministère en charge de l’Agriculture. Modalités d’utilisation d’une liste harmonisée caractérisant les lésions et autres non-conformités rencontrées en abattoir d’animaux de boucherie et à l’origine de saisies vétérinaires. In: DGAL/SDSSA/N2006-81392006.
  • 9. Perrin JB, Ducrot C, Hendrikx C et coll. Projet d’observatoire de la mortalité des animaux de rente: une nouvelle approche de la surveillance. Point Vét. 2012;325:56-60.
  • 10. R Development Core Team. R: A language and environment for statistical computing. R Foundation for Statistial Computing. Vienna, Austria (logiciel). 2010.
  • 11. Wong MA. A hybrid clustering method for identifying highdensity clusters. J. Am. Statistical Assoc. 1982;77(380):841-847.

Conflit d’intérêts

Aucun.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient les agents des services vétérinaires travaillant dans les abattoirs du dispositif Nergal- Abattoir, ainsi que Michèle Chevalier pour son appui à la conception de celui-ci. Le ministère de l’Agriculture a financé cette étude et l’accès aux données du dispositif Nergal-Abattoir.

ENCADRÉ 1
Constitution statistique de groupes de bovins

Un degré de ressemblance (“distance statistique”) entre chaque individu a été défini. Afin de prendre en compte l’ensemble des informations lésionnelles et zootechniques tout en équilibrant leur influence respective, une analyse factorielle multiple (AFM) a été réalisée [1, 6]. Des coordonnées sont calculées, qui permettent la représentation de chaque bovin dans un espace multidimensionnel (deux individus sont d’autant plus proches qu’ils présentent des lésions et des caractéristiques zootechniques similaires).

La distance euclidienne entre les différents bovins a ensuite été calculée et des procédures classiques de classification ont été mises en oeuvre (associant une classification ascendante hiérarchique et une technique des K-Means) [11].

L’interprétation des groupes (ou classes) ainsi obtenus a été conduite en identifiant les variables qui caractérisent chaque groupe par comparaison des proportions de bovins présentant la modalité x de la variable y par rapport à la proportion de ceux avec cette modalité dans la population totale des bovins saisis. Une différence significative entre ces proportions indique que la modalité spécifie ce groupe.

Une interprétation biologique de chaque groupe identifié a ensuite été effectuée à partir d’une revue de la littérature scientifique et d’avis d’experts [4].

Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel R [10].

ENCADRÉ 2
Système de surveillance syndromique

→ Un système de surveillance syndromique permet de suivre l’évolution temporelle d’indicateurs peu ou pas spécifiques (nombre de bovins morts, nombre de demandes d’analyses de laboratoire, etc.). Il peut détecter précocement la survenue d’un phénomène anormal [7].

→ Les données d’abattoir sont lésionnelles, sans détermination systématique d’une cause, donc peu spécifiques. Elles conviennent a priori pour une surveillance syndromique.

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