Complication d’une omentopexie par nécrose des graisses - Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 344 du 01/04/2014

CHIRURGIE DIGESTIVE DES BOVINS

Cas clinique

Auteur(s) : Hélène Michaux

Fonctions : Clinique ambulatoire bovine, Faculté
de médecine vétérinaire, Université
de Montréal, St-Hyacinthe, Québec

Deux masses fermes de couleur jaunâtre sont observées dans l’omentum d’une vache lors d’une omentopexie. Deux jours plus tard, l’animal montre des signes d’occlusion digestive dont la nécrose des graisses est responsable.

Une vache prim’holstein est examinée pour une anorexie et une chute de production laitière. Elle a vêlé de son troixième veau 75 jours environ auparavant.

CAS CLINIQUE

1. Première visite

Examen clinique

La vache présente des fasciculations musculaires, ses oreilles sont froides et les bouses émises sont sèches. L’auscultation percussion de l’abdomen met en évidence un rumen atonique avec un “ping” à gauche, sans succussion audible. Un déplacement de caillette à gauche et une hypocalcémie sont diagnostiqués et la vache est opérée afin de fixer la caillette par omentopexie après une anesthésie paravertébrale haute (en trois injections aux espaces vertébraux T13-L1, L1-L2 et L2-L3).

Lors de l’intervention chirurgicale, des masses graisseuses de la taille d’un oeuf de poule sont palpées et observées dans l’omentum. L’une des masses est située caudalement au pylore, elle n’est pas incluse dans la pexie, elle est isolée caudalement à la zone de l’omentum fixée.

L’une des masses est ponctionnée afin de réaliser une analyse cytologique.

L’animal reçoit 500 ml de Mag-Cal(r) par voie intraveineuse (IV) (calcium borogluconate 18,7 %, magnesium borogluconate 6,5 %, dextrose monohydrate 14,5 %) et une injection de 35 ml de Depoccilin(r) par voie intramusculaire (IM) (pénicilline G) avant la chirurgie (22 000 UI/kg) [1]. Le traitement prescrit à l’éleveur est l’injection de 35 ml de Depoccilin(r) IM matin et soir pendant 3 jours.

Résultats de la cytologie

Les frottis font apparaître une population de cellules inflammatoires dominée par les macrophages.

2. Deuxième visite

La vache est revue 5 jours plus tard, par le vétérinaire de garde. Le motif de consultation est une nouvelle baisse de la consommation en maïs et en ensilage, des bouses sèches et une chute brutale de la production laitière après une période de réaugmentation.

La vache présente un profil poire-poire modéré, les yeux sont enfoncés. Les extrémités sont froides. La température est de 38,8 °C, une tachycardie est notée avec 88 battements par minute, et l’auscultation cardiaque est “lointaine”. Une succussion est remarquée à droite sous la plaie de chirurgie.

La palpation transrectale révèle un pneumopéritoine probablement consécutif à l’intervention et un peu de gaz dans le rumen.

La principale hypothèse diagnostique est la péritonite.

Du sang est prélevé avant tout traitement afin de réaliser une hémato-biochimie.

Les traitements réalisés sont :

– 150 g de chlorure de sodium dans 2 litres d’eau IV (saline hypertonique 7,5 %) ;

– 20 litres d’eau per os (PO) par intubation oesophagienne avec 100 g de chlorure de potassium ;

– 500 ml de borogluconate de calcium 23 % IV.

La recommandation faite à l’éleveur est de donner 100 g de chlorure de potassium PO le soir même et le lendemain matin en attendant les résultats de la prise de sang.

3. Résultats des analyses hémato-biochimiques 5 jours après la l’intervention

Les résultats de la prise de sang sont reçus le lendemain. L’absence de foyer inflammatoire est constatée à l’hématologie.

L’hématocrite de 35 % est élevé pour une vache en lactation (tableau 1). Les protéines totales sont élevées également. Les deux paramètres associés indiquent une déshydratation sévère, associée à une hyperurémie et une hypercréatinémie sévères, donc une insuffisance rénale probablement prérénale (tableau 2).

La bilirubinémie est très augmentée et suggère une cholestase, d’autant plus que les GGT (α-glutamyl-tranférases) et les AST (aspartate aminotransférases) le sont également. Néanmoins, cette augmentation des AST peut être en partie d’origine musculaire avec les CK (créatine-kinase) augmentés, et ce, à la suite de la chirurgie réalisée 5 jours auparavant.

La GLDH (glutamate déshydrogénase) est très augmentée. Elle peut être due à des dommages hépatocellulaires de type hépatite ou cholestase. Cette augmentation est aussi observée lors de volvulus de l’anse sigmoïde qui inclut le canal cholédoque et entraîne une insuffisance hépatique posthépatique [3, 4].

L’hypokaliémie, l’hypochlorémie sévère et l’alcalose métabolique sévère suggèrent un arrêt du transit digestif haut (caillette, duodénum, etc.).

Le trou anionique (anion gap) élevé suggère l’augmentation des anions faibles comme les lactates (non mesurés pour cette vache) et dans ce cas les BHB (Β-hydroxybutyrate).

L’hyperprotéinémie et l’hyperalbuminémie sont probablement secondaires à la déshydratation. Dans le cas d’une péritonite aiguë, une diminution des protéines et de l’albumine vers un troisième espace est attendue.

4. Hypothèses diagnostiques

La péritonite est écartée.

L’ensemble de ces données biochimiques orientent vers une occlusion digestive haute, probablement une torsion d’organe digestif proximal (volvulus ou dilatation simple de la caillette à droite, intussusception, volvulus jéjunal, etc.) ou un défaut dans la fixation de l’omentum impliquant le pylore, nécessitant une intervention chirurgicale. Un volvulus de l’anse sigmoïde est, à ce moment, la première hypothèse envisagée en raison de l’augmentation sévère des GLDH. Il peut en effet être favorisé par une omentopexie à la suite d’un déplacement de caillette [4]. Néanmoins, une striction du pylore due à l’omentopexie est aussi sérieusement considérée.

Les déséquilibres électrolytiques nécessitent la mise en place d’un plan de fluidothérapie.

5. Pronostic et options thérapeutiques

D’après ces résultats, le pronostic pour cette vache est réservé à sombre. La cause de l’obstruction digestive est inconnue ce qui ne permet pas de préciser le pronostic. Différentes options sont alors proposées à l’éleveur par appel téléphonique :

– référer la vache au centre hospitalier de l’université vétérinaire de Saint-Hyacinthe ;

– une intervention chirurgicale à la ferme avec pose de cathéter et une fluidothérapie, en expliquant au propriétaire que le pronostic peut être bon à fatal ;

– l’euthanasie de l’animal.

Le propriétaire désire une autre visite et une laparotomie à la ferme.

6. Troisième visite : examen clinique et traitement médical

Examen clinique

La vache présente une distension abdominale marquée de type poire-poire (photo 1). La déshydratation est évaluée à environ 7 % avec une énophtalmie et la persistance du pli de peau. Des trémulations musculaires des muscles anconés sont observées et les oreilles sont froides ce qui suggère une hypocalcémie.

La succussion est positive à droite.

Fluidothérapie

Un cathéter intraveineux jugulaire court terme (au maximum 5 jours) est installé (photo 2). Une poche de 20 l d’eau contenant 90 g de chlorure de sodium, 55 g de chlorure de potassium, 500 ml de dextrose 50 % et 500 ml de borogluconate de calcium 23 % (pour former un fluide isotonique) est mise en place. Le débit est réglé à 80 ml/kg/h.

Analgésie et antibiothérapie

Une dose de 18 mg de butorphanol (Torbugesic(r)) est administrée par voie IV. De la pénicilline G (Depocilline(r)) est injectée en IM à la dose de 22 000 UI/kg.

7. Anesthésie et préparation du site chirurgical

La vache est maintenue debout dans un entre-deux paillé avec de la paille propre. Une anesthésie paravertébrale proximale est réalisée à droite dans les espaces intervertébraux T13-L1, L1-L2 et L2-L3, avec 35 ml de lidocaïne 2 % avec de l’épinéphrine avec une aiguille spinale 18G Ax3. Il est choisi d’inciser entre 5 et 10 cm caudalement à la plaie et non de réouvrir la suture réalisée 5 jours auparavant.

Le site de chirurgie est désinfecté avec un scrub de chlorhexidine et des passages d’alcool et de solution de chlorhexidine.

8. Laparotomie et découverte chirurgicale

L’exploration révèle la présence d’une masse de la taille d’un gros pamplemousse à proximité de la zone d’omentopexie. Aucune torsion d’organe telle que l’anse sigmoïde ou la caillette n’est constatée.

La caillette est pleine de liquide sans être surchargée.

L’omentopexie est défaite afin de mieux explorer et trouver la raison de la stase digestive.

La masse est extériorisée (photos 3 et 4). Il s’agit d’une masse dans l’omentum, qui comprime la jonction entre le pylore et le duodénum. L’omentum est le siège d’une inflammation importante. Il est suspecté que cette masse soit celle découverte caudalement au pylore lors de l’intervention précédente.

La première hypothèse de l’origine de cette masse est une nécrose des graisses.

Le pronostic est fatal. Aucun traitement chirurgical n’est possible afin de “by-passer” la masse.

La masse est biopsiée afin de réaliser une analyse histologique.

L’exploration du reste de la cavité montre une masse du même type dans l’omentum (photo 5). Elle est également biopsiée. L’incision révèle un tissu dense, dur et jaune.

La plaie de laparotomie est refermée de manière conventionnelle (transverse-péritoine en une couche, obliques interne et externe en une autre couche puis la peau).

9. Décision postopératoire

Le pronostic semble fatal. Néanmoins, il est décidé avec l’éleveur de surveiller la vache en cas d’amélioration à la suite du décrochage de l’omentopexie. Une diminution du phénomène inflammatoire est espérée, et peut être une réduction de la taille de la masse omentale.

Il est convenu avec l’éleveur de continuer la fluidothérapie pendant 24 heures et de surveiller l’évolution de l’état clinique de la vache. Un traitement antibiotique de pénicilline G (Depocilline(r)) est continué à 22 000 UI/kg matin et soir IM [1].

10. Résultats de l’histologie

Le diagnostic est une nécrose des graisses avec « présence de fibroplasie qui suggère que la lésion date de quelques jours au moins.La possibilité d’un lipome ayant subi une ischémie ne peut être écartée. »

11. Suivi du cas

Le suivi du cas est effectué par téléphone. La vache est à terre le lendemain, abattue, avec les oreilles froides aux dires de l’éleveur. Il est décidé d’euthanasier la vache.

DISCUSSION

1. La nécrose des graisses

La nécrose des graisses, encore appelée lipomatose, est un phénomène décrit chez les vaches laitières mais la pathophysiologie est mal comprise. Elle consiste en la présence d’une ou de plusieurs masses fermes de tissus adipeux parfois fibreux, de taille variable. La plupart des masses se trouvent dans la bourse supra-omentale qui abrite les intestins [2].

Au niveau histopathologique, une nécrose coagulative de tissus adipeux est observée, associée à une infiltration modérée de cellules inflammatoires telles que des neutrophiles, des lymphocytes et des macrophages. De la fibrose interstitielle est souvent notée.

Chez les animaux domestiques, la nécrose est souvent associée avec une pancréatite qui reste rare chez les bovins, même si certains articles rapportent des images échographiques de pancréas anormales chez des vaches atteintes de lipomatose [2, 5].

2. Site chirurgical de la seconde intervention

Une deuxième laparotomie est réalisée 5 jours après l’omentopexie (photo 6). Le processus de cicatrisation de la plaie et d’adhérence de l’omentum à la plaie est déjà commencé. La phase de prolifération avec l’arrivée des fibroblastes commence après 48 heures environ, ce qui rend plus difficile l’abord par la même plaie lors de la formation d’adhérences.

C’est pourquoi il a été décidé d’un abord chirurgical par une autre ouverture. Cette dernière est réalisée caudalement afin de ne pas ouvrir en regard du pylore (en position plus dorso-caudale en raison de l’omentopexie).

3. Anastomose caillette-duodénum

Un “by-pass” du pylore pourrait être imaginé en anastomosant le duodénum au corps de la caillette. Cependant, le pylore a un rôle mécanique permettant le passage du contenu de la caillette vers le duodénum. Sans les contractions du pylore, le contenu gastrique ne peut être évacué et une éventuelle anastomose entraînerait une surcharge de la caillette.

Conclusion

Une chirurgie (omentopexie) “courante” en clientèle de bovins laitiers à la suite d’un déplacement de caillette à gauche, dont le pronostic est bon, se transforme en occlusion digestive haute après l’expansion d’une nécrose des graisses. Les lésions de nécrose des graisses sont le plus souvent observées au cours de ces interventions chirurgicales [5]. Dans ce cas clinique, la fixation de l’omentum sur les lésions de nécrose ou très près de ces lésions est à éviter au risque de provoquer une expansion de la zone de nécrose. De plus, si l’omentum est plus gras que la normale, il est souvent plus difficile à manipuler pendant la chirurgie. Des lésions plus importantes de ce tissu sont possibles lors de ces manipulations, donc l’apparition de zones de nécrose supplémentaires.

Références

  • 1. Dubreuil P, Daigneault J, Couture Y et coll. Penicillin concentrations in serum, milk and urine following intramuscular and subcutaneous administration of increasing doses of procaine penicillin G in lactating dairy cows. Can. J. Vet. Res. 2001;65:173-180.
  • 2. Herzog K, Burgdorf W, Hewicker-Trautwein M. Mobile encapsuled bodies comprising fat necrosis and fibrous tissue in the abdominal cavity of cows. J. Comp. Pathol. 2010;143:309-312.
  • 3. Michaux H, Doré V. Une anse sigmoïde compliquée. Point Vét. Expert rural. 2013;341(44):62-67.
  • 4. Vogel SR, Nichols S, Buczinski S et coll. Duodenal obstruction caused by duodenal sigmoid flexure volvulus in dairy cattle: 29 cases (2006-2010). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2012;241:5.
  • 5. Tharwat M, Buczinski S. Diagnostic ultrasonography in cattle with abdominal fat necrosis. Can. Vet. J. 2012;53:41-46.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La nécrose des graisses ou lipomatose est la présence d’une ou plusieurs masses de tissus adipeux dans la bourse supra-omentale, le plus souvent.

→ La nécrose des graisses peut passer inaperçue ou être accentuée par un autre phénomène inflammatoire.

→ La fixation de l’omentum près des lésions est à éviter, toutefois elle peut aussi être sans conséquence.

→ Une omentopexie peut provoquer une constriction du pylore même en l’absence de nécrose des graisses.

→ Une obstruction intestinale haute est suggérée lors d’hypochlorémie et d’alcalose métabolique sévères.

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