Traitement spécifique des thrombo-embolies pulmonaire et aortique - Le Point Vétérinaire n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire n° 342 du 01/01/2014

MÉDECINE INTERNE

Dossier

Auteur(s) : Caroline Léger

Fonctions : Clinique vétérinaire Alliancevet
73, avenue Jean-Kiffer
94420 Le Plessis-Trévise
www.alliancevet.fr
contact@alliancevet.fr

Il existe des traitements spécifiques pour la prise en charge d’une thrombo-embolie, sa prévention et sa récidive.

Chez l’homme, la maladie thrombo-embolique expose à une morbidité et à une mortalité importantes. Chez l’animal, bien que sous-diagnostiquée, la survenue d’une thrombo-embolie (TE) est également suspectée de ­compliquer gravement de nombreuses affections. Grâce à la meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques de la TE et à l’amélioration des moyens de diagnostic et des options thérapeutiques, la gestion des animaux victimes de TE ou présentant une affection y prédisposant continue de progresser.

1 Prévenir grâce aux antithrombotiques

Les médicaments antithrombotiques préviennent la formation et la propagation d’autres thrombi. Ils ne lysent pas les caillots déjà formés. Ils regroupent les antiagrégants plaquettaires et les anticoagulants administrés par voie parentérale ou entérale. Ils peuvent donc être utiles aux animaux qui présentent un risque de TE et à ceux qui en sont atteints (tableau).

Antiagrégants plaquettaires

Il existe différents récepteurs plaquettaires sur lesquels des molécules spécifiques peuvent agir (figure 1).

ASPIRINE

Le chef de file des antiagrégants plaquettaires est l’aspirine (acide acétylsalicylique). C’est un inhibiteur irréversible des cyclo-oxygénases (COX) de types 1 et 2, qui empêche donc la synthèse des prostaglandines (PG) comme la prostacycline (PGI2) et le thromboxane (TXA2). Ainsi, une dose unique d’aspirine suffit à inhiber la production de TX par une plaquette pendant sa durée de vie (de 7 à 10 jours). En revanche, la synthèse de PGI2 n’est interrompue que de façon temporaire puisque les cellules endothéliales sont pourvues d’une capacité de synthèse protéique [14]. Le TXA2 est considéré comme néfaste car il est promoteur de l’agrégation plaquettaire tandis que les autres PG (PGI2) inhibent cette dernière. La conséquence en est un effet antiagrégant dominant [14].

Les effets physiologiques de l’aspirine sont similaires chez le chat, le chien et l’homme. En revanche, la pharmacodynamique est différente chez le chat en raison d’une déficience enzymatique relative. Chez le chat, le chien et l’homme, la demi-vie de l’aspirine est respectivement de 38 heures, de 7 heures et de 15 à 20 minutes [2]. Actuellement, l’administration d’aspirine est recommandée pour le traitement et la prévention des TE artérielles chez le chat, pour la prévention des TE chez le chien lors de néphropathie avec des pertes de protéines et d’anémie hémolytique à médiation immune [7-9].

Les doses recommandées sont variables. Dans le cadre des TE aortiques une dose de 25 mg/kg tous les 3 jours est habituellement utilisée, mais aucune étude n’a prouvé l’efficacité du traitement. Cependant, selon un essai, une dose de 5 mg seulement par chat, tous les 3 jours, est suffisante [9].

ANTAGONISTES DES RÉCEPTEURS DE L’ADP

Le mode d’action antiagrégant repose sur l’inhibition irréversible des récepteurs de l’adénosine diphosphate (ADP) présents sur les plaquettes [4]. La molécule prescrite est le clopidogrel (Plavix® 75 mg) (photo 1). Comme l’activation hépatique du médicament est requise, son action n’est pas immédiate. Après une administration quotidienne de 18,75 mg (1/4 de comprimé à 75 mg disponible sur ordonnance en pharmacie), l’inhibition de l’agrégation plaquettaire est jugée efficace. Le retour de la fonction plaquettaire se fait 7 jours après l’arrêt du traitement. Aucun effet secondaire n’a été observé. Les études portent sur la prévention des TE aortiques d’origine cardiaque [4].

Anticoagulants parentéraux

Le rôle des anticoagulants est de limiter la fibrino­formation et l’activation plaquettaire. Ces molécules sont utilisées pour prévenir la propagation et la formation des thrombi. Le chef de file de ces agents est l’héparine. Celle-ci agit comme un cofacteur de l’antithrombine (AT), neutralisant ainsi le facteur X et la thrombine. Sans AT, l’héparine ne peut donc pas agir. Un dosage est recommandé si un défaut d’AT est suspecté (entéropathie exsudative, syndrome néphrotique). La surveillance du traitement aux anticoagulants utilise l’exploration de la coagulation par des examens biologiques. Ces examens permettent de tester les facteurs des différentes voies de la coagulation (figure 2).

Les héparines sont détruites par les enzymes digestives et leur administration est donc uniquement parentérale [5]. Elles se présentent sous deux formes.

HÉPARINES DITES NON FRACTIONNÉES

Les flacons d’héparines non fractionnées (HNF) sont constitués d’un mélange d’héparines dont le poids moléculaire est variable (de 5 000 à 30 000 daltons) (photo 2). Cette variabilité entraîne des effets biologiques inconstants et une biodisponibilité surtout intraveineuse. Bien que le risque hémorragique soit faible, le recours aux HNF requiert une surveillance du temps de céphaline activée (TCA ou partial thromboplastin time [PTT]). Les doses recommandées sont les suivantes : 100 UI/kg en bolus, par voie intraveineuse, puis 175 à 475 UI/kg toutes les 6 à 8 heures par voie sous-cutanée [5].

HÉPARINES DE FAIBLE POIDS MOLÉCULAIRE

Les héparines de faible poids moléculaire (HFPM) sont produites à partir des HNF et leur poids moléculaire est de 5 000 daltons. Il s’agit de la daltéparine (Fragmine®(1)) et de l’énoxaparine (Lovenox®(1)). Elles ont pour objectif de pallier les défauts des HNF. Leur action anticoagulante se limite essentiellement à neutraliser le facteur X activé, leur activité antithrombine étant peu importante.

Elles ont donc peu d’impact sur le TCA, sont biodisponibles par voie sous-cutanée, et présentent des effets prolongés, plus constants, donc prévisibles. Cependant, ces considérations restent peu évidentes chez le chat [5, 12]. La dose d’énoxaparine recommandée dans un modèle expérimental chez le chat sain est la suivante : 1 mg/kg par voie sous-cutanée, deux fois par jour pendant 5 jours [12]. La dose de daltéparine utilisée dans la prévention des récidives de thrombo-embolie artérielle est de 100 UI/kg une ou deux fois par jour, par voie sous-cutanée. L’administration à long terme par les propriétaires n’a pas révélé d’effets indésirables (allongement des temps de coagulation toujours inférieur à 25 % par rapport aux valeurs usuelles) [10].

À notre connaissance, aucune étude n’a, à ce jour, évalué l’intérêt du recours aux anticoagulants dans la gestion des TE pulmonaires chez le chat.

Les HNF sont prescrites en première intention en raison, notamment, de leur présentation et de leur faible coût.

Anticoagulants oraux

Le chef de file des anticoagulants oraux est la warfarine (encadré 1). Ces médicaments empêchent l’activation des facteurs de la coagulation (facteurs II, VII, IX, X) en inhibant la synthèse de la vitamine K [2, 5]. Cependant, aucune étude n’a démontré l’efficacité d’un protocole à base de warfarine, ni précisé la dose et la durée optimales du traitement chez le chat dans la prévention de toutes les TE [5]. Cette molécule est très peu utilisée.

2 Thrombolytiques

Les thrombolytiques ont pour cible le caillot lui-même en accélérant la fibrinolyse. Leur rôle, qu’il soit direct ou indirect, est de favoriser l’activation du plasminogène inactif en plasmine active [11]. Ils ne sont pas très utilisés ni recommandés en médecine vétérinaire, en raison de leurs effets secondaires ou de leur manque d’efficacité (encadré 2 complémentaire sur lepointveterinaire.fr).

Conclusion

Il convient de recourir aux agents thrombolytiques, anticoagulants ou antiplaquettaires selon les cas, bien que leur utilisation ne soit qu’empirique. Face à une affection de la triade de Virchow, il est important, en plus de la traiter, de prévenir le risque thrombotique.

Le pronostic dépend de la rapidité d’établissement du diagnostic, donc de prise en charge de l’animal, ainsi que des raisons à l’origine de la formation du thrombus.

  • (1) Médicament à usage humain.

Références

  • 1. Dunn ME. Thrombectomy and thrombolysis: the interventional radiology approach. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2011;21(2):144-150.
  • 2. Goggs R et coll. Pulmonary thromboembolism. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2009;19(1):30-52.
  • 3. Good LI. Thromboembolic disease: Predispositions and clinical management. Compend. 2003;25(9):660-674.
  • 4. Hogan DF et coll. Antiplatelet effects and pharmacodynamics of clopidogrel in cats. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2004;225(9):1406-1411.
  • 5. Hohenhaus AE. Thrombosis and embolism in the dog and cat. Proceedings of the NAVC North American Veterinary Conference, Orlando, Florida. 2005:385-387.
  • 6. Ikeda T. Effect of tPA on regional lung perfusion in unilobar canine pulmonary thromboembolism. Am. J. Resp. Crit. Care. 1997;156:1483-1486.
  • 7. Kidd L, Mackman N. Prothrombotic mechanisms and anticoagulant therapy in dogs with immune-mediated hemolytic anemia. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2013;23(1):3-13.
  • 8. Lunsford K, Mackin A. Thromboembolic therapies in dogs and cats:An evidence-based approach. Vet. Clin. Small Anim. Pract. 2007;37:579-609.
  • 9. Smith A et coll. Arterial thromboembolism in cats: Acute crisis in 127 cases (1992-2001) and long-term management with low-dose aspirin in 24 cases. J. Vet. Intern. Med. 2003;17:73-83.
  • 10. Smith CE. Use of low molecular weight heparin in cats: 57 cases (1999-2003). J. Am. Vet. Med. Assoc. 2004;225(8):1237-1241.
  • 11. Thompson MF. Thrombolytic therapy in dogs and cats. J. Vet. Emerg. Crit. Care. 2001;11(2):111-121.
  • 12. Van De Wiele CM et coll. Antithrombotic effect of enoxaparin in clinically healthy cats: A venous stasis model. J. Vet. Intern. Med. 2010;24:185-191.
  • 13. Welch KM et coll. Prospective evaluation of tissue plasminogen activator in 11 cats with arterial thromboembolism. J. Feline Med. Surg. 2010;12:122-128.
  • 14. Whelan MF. The use of thrombolytic agents. Comp. Cont. Educ. Pract. 2007;29(8):477-486.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ 1
Utilisation des anticoagulants oraux

→ La warfarine inhibe également les anticoagulants naturels (protéines C et S) car ils sont vitamines K-dépendants. La demi-vie de la protéine C étant plus courte que celle des facteurs procoagulants bloqués également par la warfarine, un risque paradoxal de thrombose est possible en début de traitement. Une héparinisation est donc conseillée en association avec la warfarine pendant les premiers jours.

→ La dose recommandée chez le chien est de 0,2 mg/kg/j per os, puis de 0,05 mg/kg/j en maintenance [2].

→ La dose recommandée est de 0,25 à 1 mg par chat. Le suivi s’effectue en comparant les taux de prothrombine (PT) avant et après la mise en place du traitement. Une valeur 1,5 fois supérieure au maximum est recherchée. Aucune étude n’a démontré l’efficacité de ce protocole, ni précisé la dose et la durée optimales du traitement chez l’animal dans la prévention des TE [5].

→ Chez l’homme, la difficulté à obtenir un résultat satisfaisant sans risque hémorragique accru, l’index thérapeutique étroit et les nombreuses interactions médicamenteuses de la warfarine font que d’autres anticoagulants oraux sont apparus.

→ De même, chez les animaux traités, des accidents hémorragiques fatals sont observés. De nombreuses interactions médicamenteuses (métronidazole, céphalosporines) existent également [2].

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