Comment apprécier et maîtriser la qualité de l’eau en élevage laitier - Le Point Vétérinaire expert rural n° 342 du 01/01/2014
Le Point Vétérinaire expert rural n° 342 du 01/01/2014

ABREUVEMENT

Avis d’experts

Auteur(s) : Loïc Fulbert*, Jean-Luc Ménard**, Anne Boudon***

Fonctions :
*GDS Mayenne, Technopole Changé,
Rue Albert-Einstein, BP 86113, 53061 Laval Cedex 9
**Institut de l’élevage, 9, rue André-Brouard,
CS 70510, 49105 Angers Cedex 02
***Inra, UMR 1348 Pegase,
Domaine de la Prise, 35590 St-Gilles
****Agrocampus Ouest, 65, rue de Saint-Brieuc,
CS 84215, 35042 Rennes Cedex

Le choix de l’origine de l’approvisionnement en eau est un critère déterminant de la qualité de l’eau.

Outre la quantité, la qualité de l’eau d’abreuvement peut être un facteur limitant des performances et de la santé du troupeau [2, 3].

Une moindre qualité peut engendrer une faible palatabilité, d’où une baisse d’ingestion donc de production laitière. Des effets plus directs sur les réactions métaboliques de l’animal sont aussi possibles, ou des phénomènes de compétition de certains éléments avec d’autres. Les conséquences physiologiques sont au mieux un effet délétère, au pire une réelle toxicité [2, 3].

QUELLE EAU DISTRIBUER ?

→ Non traitées, les eaux superficielles sont à proscrire pour une qualité maîtrisée de l’eau d’abreuvement des animaux. Issues de ruisseaux, rivières, mares ou puits en nappe peu profonde et mal protégée, elles sont associées aux risques sanitaires les plus élevés. Les nombreux agents pathogènes possibles et listés par l’Anses en 2010 se retrouvent en concentrations importantes presque exclusivement dans ce type d’eau [1]. Les parasites, cyano­bactéries, salmonelles ou autres clostridies du botulisme sont à l’origine d’affections peu fréquentes mais aux conséquences importantes. Ces eaux superficielles sont aussi sujettes à des ruissellements rapides et fugaces qui entraînent des résidus provenant des activités agricoles ou industrielles (pesticides notamment).

→ L’eau du réseau public est contrôlée et répond à des normes strictes ayant pour objectif l’absence de risques auprès des populations distribuées. Les situations de non-conformité sont rares (bactériologie ou teneur en carbone organique total [COT]) et souvent liées à des réseaux de distribution insuffisamment utilisés ou entretenus.

→ Les eaux d’origine privée sont souvent plus rentables en élevage. Souterraines, provenant de puits ou de forages, elles représentent 70 % de l’eau prélevée pour l’abreuvement dans le Grand Ouest en France. Elles sont en général nettement moins contaminées et beaucoup plus sûres en termes de qualité pour l’abreuvement que les eaux superficielles [5]. Dans certains contextes hydrogéologiques, le recours à ce type d’ouvrages est difficile, voire impossible. La récupération des eaux de toiture représente une solution alternative plus coûteuse. Elle est plus difficile à maîtriser en ce qui concerne le stockage et le traitement.

QUELS CRITÈRES DE QUALITÉ CONSIDÉRER ?

La qualité de l’eau de boisson pour les animaux d’élevage n’est régie par aucune réglementation précise. À la différence de l’eau destinée à la consommation humaine, l’eau d’abreuvement des animaux d’élevage n’est pas considérée comme un aliment. La prescription du règlement CE n° 183/2005 d’une « eau d’abreuvement d’un niveau de qualité adéquate » s’applique [1].

Diverses recommandations ont été proposées dans différents pays. En France, les plus récentes sont celles établies par l’Anses en 2010.

Des critères biologiques et physico-chimiques sont recensés. Ces recommandations proposent des objectifs de qualité adaptés aux animaux d’élevage. Ceux-ci, notamment dans le cadre des suivis proposés par le Groupement de défense sanitaire (GDS) du Grand Ouest, tendent à se rapprocher des normes de référence pour l’eau potable, afin de garantir une maîtrise des risques sanitaires [4].

COMMENT S’APPRÉCIE LA QUALITÉ BIOLOGIQUE DE L’EAU ?

Il n’existe pas d’indicateur universel pour l’ensemble des micro-organismes pathogènes susceptibles d’être présents dans l’eau d’abreuvement.

Une recherche exhaustive dans un échantillon donné est trop longue et coûteuse en routine.

La démarche de l’Anses a été de choisir des paramètres d’alerte qui sont des indicateurs de contamination fécale. Cela renvoie aux teneurs en Escherichia coli et en entérocoques intestinaux, assorties de seuils de dépassement. Leur présence n’a pas obligatoirement de conséquences directes sur la santé des troupeaux.

Les concentrations en contaminants fécaux ne sont pas corrélées à celles de divers micro-organismes pathogènes ubiquitaires dans les sols ou les milieux hydriques ou apportés par la faune sauvage.

Les seuils d’alerte sont modulés selon la provenance de l’eau d’abreuvement.

En cas d’infection déclarée par un agent pathogène donné avec suspicion de transmission par l’abreuvement, les micro-organismes responsables sont recherchés dans l’eau, si les méthodes d’analyse sont disponibles. Par exemple, peu de méthodes d’analyse des cyanotoxines existent. Des critères fondés sur une observation macroscopique prévalent : il est conseillé de ne pas utiliser pour l’abreuvement une eau contenant des efflorescences de microalgues visibles à l’œil nu.

QUELS PARAMÈTRES DÉTERMINENT LA QUALITÉ PHYSICO-CHIMIQUE ?

Les caractéristiques physico-chimiques des eaux sont acquises à la fois par la nature géologique des roches traversées (pour les eaux souterraines), par des contaminations liées à l’activité humaine et par les traitements appliqués à ces eaux.

La présence de fer, de manganèse, de sulfates, de sous-produits de l’oxydation des matières organiques par le chlore, ou encore d’hydrogène sulfuré produit par des fermentations anaérobies peut altérer le goût de l’eau. L’ingestion d’aliments en pâtit, donc la production.

D’autres substances se révèlent indésirables, voire toxiques, à des concentrations et/ou à des durées d’exposition élevées.

COMMENT CONTRÔLER LA QUALITÉ PHYSICO-CHIMIQUE ?

La surveillance de la qualité physico-chimique de l’eau s’effectue en routine via quatre critères principaux : le pH, la turbidité, la dureté, la conductivité.

S’y ajoutent les nitrates et le COT pour les puits, le fer et le manganèse pour les forages [4].

Un pH faible (inférieur à 6,5) doublé d’un faible pouvoir tampon (dureté inférieure à 15 °F) ou d’une conductivité élevée constitue la base d’une eau “agressive”. Celle-ci corrode pour les métaux des installations (cuivre, fer, zinc). Ces phénomènes contribuent aux fuites et aux colmatages internes, ainsi qu’à la solubilisation des métaux (photos 1 et 2).

Une teneur en matière organique élevée ou la présence en excès de fer ou de manganèse interagit avec les traitements de l’eau à base d’hypochlorite (chlore), jusqu’à les inhiber.

Nombre d’autres critères peuvent être recherchés en complément.

QUELLES RECOMMANDATIONS ?

Chez les ruminants, très peu d’études visant à quantifier l’impact des concentrations des différents composants de l’eau d’abreuvement sur la santé ou les performances ont été publiées [2]. Les recommandations varient donc largement.

Pour identifier les paramètres à risques les plus vraisemblables dans le contexte français, les experts de l’Anses ont dressé une liste de paramètres chimiques à risque potentiel à partir de directives réglementaires européennes et d’un rapport sur les seuils de tolérance des animaux d’élevage [5, 6]. Ils se sont ensuite fondés sur des données de suivi de qualité des eaux superficielles et souterraines en France pour restreindre la liste et aboutir à des recommandations (tableau 1).

Des critères indésirables, voire toxiques, à forte concentration comme le soufre, l’arsenic, le cadmium, l’aluminium, les chlorures et le sodium peuvent être recherchés en complément, dans des contextes géologiques et de risques spécifiés [4].

Le risque de contamination de l’eau d’abreuvement par les pesticides existe. Il est fortement corrélé à l’alimentation du captage d’eau par des eaux peu profondes, dans les zones d’utilisation et de manipulation de ce type de produits. Sur 183 puits analysés entre 1997 et 2003 par le GDS de la Mayenne pour l’atrazine, 19 % étaient supérieurs à 0,1 µg/l (norme de potabilité de l’eau) [4].

Vingt pour-cent des résultats étaient supérieurs à la norme potable (0,5 µg/l en pesticides totaux pour une recherche multirésidus) dans le résultat d’une étude récente sur 60 puits et forages, par analyse multicritère des niveaux de contamination [4].

COMMENT PRATIQUER EN ÉLEVAGE ?

Pour le recours à un captage d’eau de puits ou de forages, des recommandations peuvent être formulées (tableau 2). Les traitements de l’eau en exploitation nécessiteraient d’être mieux maîtrisés en élevage (encadré) [4].

Conclusion

Outre l’approvisionnement, de bonnes pratiques d’abreuvement limitent les risques de dégradation de la qualité de l’eau (photo 5). Ces aspects n’ont pas été développés ici, mais ils peuvent être examinés lors d’un audit par le vétérinaire confronté à un déficit d’ingestion.

Références

  • 1. Anses. État des lieux des pratiques et recommandations relatives à la qualité sanitaire de l’eau d’abreuvement des animaux d’élevage. Saisine 2008-SA-0162. Anses, Maisons-Alfort, France. 2010:121.
  • 2. Beede DK. What will our ruminants drink? Animal Frontiers. 2012;2:36-43.
  • 3. Burgos MS, Senn M, Sutter F et coll. Effect of water restriction on feeding and metabolism in dairy cows. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol. 2001;280:R418-R427.
  • 4. Fulbert L. Maîtriser la qualité de l’eau de son puits ou de son forage ne s’improvise pas. Recueil des Journées nationales des GTV Nantes, Mai 2013:657-664.
  • 5. Journal Officiel. Union européenne 2002/32/CE du 7 mai 2002 (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2002:140:0010:0021:FR:PDF), règlement CE 1881/2006 du 19 décembre 2006 (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2006:364:0005:0024:FR:PDF)
  • 6. National Research Council. Mineral tolerance of animals. National Research Council. Committee on minerals and toxic substances in diets and water for animals. Board on agriculture and natural ressources. Division on earth and life studies. 2005.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Dans la réglementation, l’eau d’abreuvement des animaux d’élevage n’est pas un “aliment”, contrairement à celle destinée à l’homme.

→ Pour le risque de cyanotoxines, en l’absence de méthode d’analyse en routine, il est conseillé de ne pas utiliser une eau contenant des efflorescences de microalgues visibles à l’œil nu.

→ Une teneur en matière organique élevée (carbone organique total, COT) ou la présence en excès de fer ou de manganèse rend la chloration peu efficace, voire inefficace.

ENCADRÉ
Différents types de traitement de l’eau

→ La chloration de l’eau est la méthode de référence pour maîtriser les développements bactériens. Elle est utilisée dans 85 % des élevages ayant recours à un traitement bactériologique pour des eaux de puits ou de forage [4]. Elle nécessite un traitement préalable de l’eau pour éliminer le fer et le manganèse et des aménagements du puits pour maîtriser la teneur carbone organique total.

→ La déferrisation et la démanganisation comportent trois ? étapes : l’oxydation, la filtration et le lavage à contre-courant des filtres.

→ La neutralisation consiste à augmenter le pH et la dureté de l’eau. Elle permet de maîtriser l’agressivité naturelle de certaines eaux souterraines.

→ Le traitement des nitrates ne se justifie que rarement.

→ L’adoucissement permet de maîtriser le caractère entartrant, responsable de colmatage ou d’accroche du biofilm, des eaux d’origine calcaire.

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