MÉDECINE INTERNE FÉLINE
Cas clinique
Auteur(s) : Clémence Mignot
Fonctions : Clinique vétérinaire de l’Arche
5, rue du Perche
72110 Saint-Cosme-en-Vairais
Fréquente chez le chat porteur du virus de l’immunodéficience féline ou de la leucose féline, l’hémobartonellose peut également être symptomatique chez un chat non immunodéprimé.
Une chatte de race européenne, stérilisée et âgée de 3 ans est présentée en consultation pour un abattement, une dysorexie et une perte de poids évoluant depuis 15 jours.
La vaccination de la chatte est à jour pour le typhus, le coryza et la leucose. L’animal reçoit régulièrement un vermifuge et des antiparasitaires externes. Il vit avec une autre chatte issue de la même portée, dans une maison qui possède un accès libre à l’extérieur. Il reçoit une alimentation industrielle sèche de bonne qualité pour chats stérilisés. Son poids est de 3,2 kg, pour un score corporel de 3/5. Depuis environ 15 jours, la chatte est abattue et s’alimente moins. Quatre jours auparavant, elle a été présentée à un vétérinaire qui suspecte une intoxication par des anticoagulants (raticides). L’animal a alors reçu des injections de vitamine K1 injectable (Vitamine K1 TVM®), de dexaméthasone (Dexamedium®) et d’amoxicilline (Duphamox LA®) (doses inconnues). Les propriétaires devaient poursuivre le traitement à la vitamine K1 par voie orale, mais ils n’ont pas réussi à donner les comprimés à leur animal. L’état général de la chatte s’est amélioré pendant les 3 jours qui ont suivi le traitement prescrit par le vétérinaire, puis s’est à nouveau dégradé, avec les mêmes signes cliniques.
La chatte est abattue et présente une procidence bilatérale des membranes nictitantes. Sa température rectale est de 40 °C. Ses muqueuses oculaires et buccales sont pâles. Le reste de l’examen général est normal.
La pâleur des muqueuses indique une anémie. L’hyperthermie est indicatrice d’une inflammation et/ou d’une infection. Chez le chat, la procidence de la troisième paupière peut être le reflet d’une inflammation, d’une hyperthermie, d’un déséquilibre du système nerveux autonome, d’une déshydratation, d’une atteinte oculaire ou d’une douleur souvent abdominale (parasitose).
En raison du jeune âge de la chatte, de l’hyperthermie et de son libre accès à l’extérieur, les hypothèses diagnostiques retenues sont :
– l’infection par le virus de l’immunodéficience féline (FIV) ;
– l’infection par le virus de la leucose féline (FeLV) ;
– une intoxication aux anticoagulants ;
– une hémobartonellose ;
– une anémie à corps de Heinz (toxines oxydatives) ;
– une anémie hémolytique à médiation immune (AHMI).
Une prise de sang permet de réaliser les examens suivants :
– une numération et une formule sanguines (NFS), afin de caractériser l’anémie (tableau) ;
– une analyse biochimique (urée, créatinine, glycémie, phosphatases alcalines et alanine aminotransférases [Alat]).
La NFS révèle une diminution de l’hématocrite, de la concentration en hémoglobine, et une légère baisse du nombre par unité de volume de granulocytes neutrophiles. Le taux de réticulocytes est un peu supérieur à la normale. L’ensemble des autres paramètres est dans les normes. Ces résultats indiquent que la chatte présente une anémie régénérative modérée. Le nombre de neutrophiles n’est pas suffisamment diminué pour être considéré comme une neutropénie. L’hyperthermie corrélée avec ce résultat indique que l’inflammation présente n’est pas aiguë.
L’analyse biochimique n’a pas montré d’anomalies.
Un test combiné rapide FIV/FeLV (Test Snap®Combo Plus FIV/FeLV) est ensuite effectué. Il est négatif pour les deux virus.
Un frottis sanguin est effectué à partir de sang capillaire obtenu par ponction à l’aiguille fine à l’oreille (photo 1). Cet examen permet de rechercher des parasites, d’observer la morphologie des cellules sanguines, ainsi que la présence de cellules anormales.
Des inclusions sphériques de moins de 1 µm de diamètre sont mises en évidence dans plusieurs hématies (une ou deux hématies par champ en moyenne). Une partie de celles-ci sont identifiées comme des corps de Howell-Jolly, fragments de chromosomes isolés lors de la mitose (présence normale en petite quantité). D’autres petits granules de même coloration, mais de taille inférieure sont observables dans les hématies, principalement en zone périphérique (photo 2). Il s’agit de Mycoplasma haemofelis (M. haemofelis),connu aussi sous le nom de Haemobartonella felis, responsable de l’anémie infectieuse féline ou d’une hémobartonellose.
Le diagnostic proposé est celui d’une hémobartonellose.
Le traitement consiste en une antibiothérapie accompagnée d’une corticothérapie. Les propriétaires ont des difficultés à donner des comprimés à la chatte et le protocole suivant est instauré :
– de l’oxytétracycline (Oxytétracycline 5 %®), 10 mg/kg, pendant 21 jours, en injection sous-cutanée quotidienne ;
– de la méthylprednisolone sous forme d’acétate (durée d’action de 3 semaines), 4 mg/kg, en une injection sous-cutanée unique (Depo-medrol®).
L’animal est revu une semaine après la fin du traitement. La chatte a retrouvé un bon état général (disparition de l’abattement et de la dysorexie). L’examen clinique ne met en évidence aucune anomalie, les muqueuses ont recouvré une couleur plus rose et la température corporelle est dans les normes. Pour des raisons financières, les propriétaires ont refusé une NFS de contrôle.
Mycoplasma haemofelis est un des mycoplasmes hémotropes pathogènes chez le chat [11]. Il est rencontré partout dans le monde [11]. En Europe, il est considéré comme le principal agent responsable d’anémie hémolytique dans l’espèce féline [12]. Anciennement connue sous le nom d’Haemobartonella felis, cette bactérie à Gram négatif adhère à la surface des érythrocytes (figure). Son mode de transmission reste énigmatique, bien que les arthropodes, en particulier les puces, aient été mis en cause ainsi que les morsures entre chats [14]. Pour ces raisons, les chats mâles qui ont accès à l’extérieur ont plus de chance d’être contaminés par des hémoplasmes [1, 11, 13].
Le chat dont le cas est rapporté était une femelle, visuellement non parasitée par les puces et sans trace de morsure ni de plaie. Ce qui, a priori, ne fait pas d’elle le candidat typique à une hémobartonellose.
Parmi les mycoplasmes hémotropes du chat, M. haemofelis est l’espèce la plus pathogène. La sévérité des signes cliniques est corrélée avec la rapidité avec laquelle l’anémie apparaît. Une pâleur des muqueuses ou un ictère, de la fièvre (39 à 41 °C), une anorexie, une léthargie, une dépression, une faiblesse et une splénomégalie sont des symptômes fréquents [1, 11].
M. haemofelis provoque une anémie régénérative hémolytique, avec une réticulocytose marquée, une polychromasie, une anisocytose, une formation de corps de Howell-Jolly, une normoblastose et, parfois, une leucocytose modérée [1]. Les modifications biochimiques fréquemment identifiées incluent une augmentation des Alat, des aspartates aminotransférases (Asat), de la bilirubine totale (TBIL) et, parfois, des protéines totales (TP) [1, 3, 11, 13]. Dans ce cas, les paramètres biochimiques testés étaient dans les normes. Cependant, les Asat, TBIL et TP n’ont pas été mesurées.
Les chats immunodéprimés, notamment par l’infection au FIV ou au FeLV, expriment en général cliniquement l’hémobartonellose. Les animaux âgés de 1 à 3 ans présentent davantage de risques de développer une forme sévère de l’affection [1, 11]. Une partie de la population féline est probablement porteuse de l’infection de façon latente, celle-ci étant réactivée à la faveur d’un stress ou d’une maladie (FeLV, FIV, etc.) [1].
Dans le cas décrit, le test s’est révélé négatif pour les deux virus. Or il existe un délai de séroconversion de 28 jours pour le FeLV et de 60 jours pour le FIV [10, 11]. La chatte étant vaccinée depuis son jeune âge contre la leucose, il est peu probable qu’elle puisse avoir contracté le virus dans le mois précédant le test. Quant au FIV, il est conseillé de refaire un test 2 à 3 mois après le premier pour vérifier l’absence de séroconversion entre les deux. Dans ce cas, l’animal présentait déjà des signes cliniques quelques semaines avant que le diagnostic soit établi. Si l’infection par M. haemofelis avait été favorisée par le portage du FIV, il est probable qu’au moment du test, le virus ait déjà affaibli le système immunitaire et que l’animal ait alors séroconverti.
La mise en évidence de l’agent pathogène par une observation microscopique s’effectue sur l’étalement d’une goutte de sang périphérique, frais de préférence, pris à l’oreille, par exemple (photos 3a et 3b) [5]. Le frottis doit être coloré. Les colorations possibles sont nombreuses. Cependant, la technique de May-Grünwald-Giemsa (MGG) se révèle être la plus efficace pour la détection du parasite. M. haemofelis peut apparaître sous plusieurs formes. Il s’agit de petites inclusions cocciformes basophiles de 0,1 à 0,8 µm de diamètre présentes à la surface des érythrocytes, qui forment parfois des chaînes courtes ou occasionnellement libres dans le plasma. Elles prennent une couleur violet foncé à bleu dans les frottis colorés au MGG ou selon des méthodes similaires (RAL 555 ici) [1, 11]. La sensibilité de détection de M. haemofelis sur un frottis sanguin n’est que de 30 % car le parasite n’est pas toujours visible selon le stade de son cycle dans les cellules [1, 11]. Par conséquent, il est conseillé de réaliser un frottis journalier sur une période de 5 à 7 jours pour augmenter les chances de le visualiser [7]. De plus, M. haemofelis est aisément confondu avec des artefacts dus au colorant ou encore avec des corps de Howell-Jolly [1, 9, 11]. L’identification avec certitude de ces parasites demande donc une certaine expérience visuelle des frottis sanguins.
L’analyse sérologique permet de détecter la présence d’anticorps dirigés contre M. haemofelis. Cependant, ceux-ci sont retrouvés à la fois chez les porteurs latents, les chats cliniquement malades et les animaux guéris 6 mois après l’épisode clinique. Un test positif doit donc être associé à la présence de signes cliniques pour conclure à une anémie induite par M. haemofelis [12].
L’analyse PCR (réaction d’amplification par chaîne, polymerase chain reaction) est la méthode de détection la plus sensible et la plus spécifique. Elle permet de différencier les porteurs latents des malades [2, 8]. Cet examen complémentaire est le meilleur moyen de confirmer un diagnostic par frottis sanguin.
Le parasite a été retrouvé directement sur le frottis sanguin. Il aurait été intéressant de confirmer cette observation par une analyse PCR. L’absence de cet examen ne permet pas d’établir un diagnostic de certitude. Le frottis sanguin n’est pas suffisant à lui seul pour diagnostiquer une hémobartonellose clinique. Beaucoup de chats peuvent être porteurs asymptomatiques. C’est en corrélant les signes cliniques avec les résultats sanguins et l’observation du frottis que le diagnostic a pu être proposé. La guérison clinique après le traitement est un argument supplémentaire en faveur d’une infection par M. haemofelis.
Plusieurs auteurs s’accordent sur le traitement des hémoplasmoses par l’utilisation de doxycycline (Doxyval®, Ronaxan®) à la dose de 10 mg/kg/j per os, pendant 2 à 3 semaines [1, 11, 13]. La tétracycline (Clémycine®) à raison de 20 mg/kg, trois fois par jour per os, pendant 21 jours, est également proposée [1, 13]. Les chats qui ne tolèrent pas les tétracyclines peuvent être traités à l’aide d’enrofloxacine (Baytril®, Enrocare®, Tenotryl®, Xeden®, Zobuxa®) per os (5 mg/kg/j) [1].
M. haemofelis n’est pas totalement éliminé par l’antibiothérapie. De ce fait, les chats infectés restent des porteurs chroniques sains. L’infection peut être réactivée lors d’un stress ou d’une immunodépression provoquée par une maladie concomitante [1].
La chatte n’a pas été sujette à une quelconque affection ou à un changement d’environnement qui aurait pu entraîner un stress, à la connaissance de ses propriétaires. De plus, la stérilisation de l’animal datait d’au moins 2 ans et aucune autre intervention vétérinaire n’avait eu lieu dans les mois précédents.
La corticothérapie est controversée. Certains auteurs recommandent la prednisolone à raison de 2 à 4 mg/kg/j per os, en association avec l’antibiothérapie [1, 13]. D’autres la déconseillent car elle risquerait de réactiver les hémoplasmes latents [11].
Dans le cas décrit, un traitement en comprimés de doxycycline et de méthylprednisolone avait été proposé initialement aux propriétaires. La difficulté à faire ingérer les comprimés au chat a conduit à une solution alternative : de l’oxytétracycline injectable quotidiennement pendant 21 jours, ainsi qu’une injection de glucocorticoïdes longue action. Bien que l’utilisation de corticoïdes soit controversée, le choix d’en administrer ici repose sur plusieurs raisons :
– l’existence d’une injection longue action permettant d’éviter aux propriétaires de faire ingérer les comprimés à l’animal ou de réaliser des injections quotidiennes ;
– une bonne tolérance des glucocorticoïdes par les jeunes chats (peu d’effets secondaires en général) ;
– un état fébrile de l’animal. Sans anti-inflammatoires, il est probable que l’hyperthermie aurait persisté plusieurs jours, avant que l’antibiothérapie fasse effet (la méthylprednisolone n’a pas d’impact direct sur l’hyperthermie, mais l’action anti-inflammatoire puissante conduit à une diminution de l’état fébrile).
L’hémobartonellose n’est pas une maladie fréquente chez le chat non porteur de FIV ou de FeLV. L’observation microscopique du frottis a mis en évidence le parasite sanguin et sa corrélation avec les signes cliniques a permis d’établir le diagnostic.
Sans traitement, environ un tiers des chats en phase aiguë de la maladie meurent. La mort est due à l’anémie et aux conséquences toxiques de l’hémolyse intravasculaire sur le foie et les reins [1, 4, 6].
Aucun.
→ L’hémobartonellose est symptomatique chez des chats atteints par le virus de l’immunodéficience féline ou de la leucose féline, plus rarement chez ceux en bonne santé.
→ Le frottis sanguin permet de mettre en évidence mycoplasma haemofelis dans 30 % des cas.
→ Les chats restent porteurs de Mycoplasma haemofelis à vie, et peuvent exprimer à nouveau la maladie lors de stress ou d’immunodépression.
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