CONDUITE D’ELEVAGE LAITIER
Avis d’experts
Auteur(s) : Françoise Lessire*, Émilie Knapp**, Isabelle Dufrasne***
Fonctions :
*Département des productions animales,
faculté de médecine vétérinaire,
université de Liège
**Département des productions animales,
faculté de médecine vétérinaire,
université de Liège
***Département des productions animales,
faculté de médecine vétérinaire,
université de Liège
Les surfaces en herbe disponibles et leur proximité comptent beaucoup dans le choix du type de combinaison entre traite robotisée et pâturage.
L’augmentation du nombre de vaches dans les exploitations laitières et la diminution de la main-d’œuvre disponible ont suscité un intérêt accru pour les techniques de traite automatisée. Depuis la fin des années 1980, le nombre d’exploitations robotisées progresse. Début 2011, en Belgique, environ 230 fermes avaient opté pour le robot de traite. En France, la même année, 4 % des exploitations étaient équipées d’un robot, selon l’Institut de l’élevage. Dans les pays nordiques, le système est davantage développé : en Suède, 20 % des vaches sont ainsi traites. Dans les 10 prochaines années, suivant les prévisions, 10 à 15 % des vaches seront traites par un robot.
Dans la plupart des cas, l’installation s’accompagne d’une diminution du pâturage, voire de l’abandon pur et simple de cette pratique.
Une étude bibliographique sur le sujet et l’expérience menée à la ferme expérimentale de l’université de Liège (Belgique) montrent que le phénomène n’est pas irrémédiable(1).
La taille des exploitations et des troupeaux s’accroît d’année en année, avec, pour corollaires, la diminution des surfaces accessibles par vache autour des bâtiments et une augmentation du chemin à parcourir pour les animaux. Les exploitants tendent donc à privilégier les systèmes d’élevage en stabulation permanente.
Les éleveurs de vaches laitières hautes productrices (VLHP) de race holstein s’inquiètent des variations de qualité et/ou de quantité d’herbe disponible. Ils ont été sensibilisés à la sécurité d’une ration calculée pour répondre aux besoins d’entretien et de production.
Avec un robot de traite, les animaux doivent se déplacer volontairement pour bénéficier de la traite. Au pâturage, le comportement grégaire des bovins et les distances à parcourir plus importantes qu’à l’étable pénalisent la fréquentation du robot. Différentes études démontrent que celle-ci diminue au pâturage [12]. La gestion efficace des déplacements des animaux vers le robot apparaît comme un véritable challenge.
Dans la plupart des cas, l’aménagement d’un robot dans les étables n’est pas envisagé avec une possibilité de sortie des vaches en pâture. Les éleveurs qui veulent pratiquer le pâturage ne bénéficient pas de soutien ni d’encadrement.
Garder le troupeau à l’étable toute l’année apparaît comme une solution de facilité avec la traite robotisée.
L’herbe pâturée, produite sur l’exploitation et récoltée par les animaux, reste l’aliment le moins cher. Elle permet de produire du lait à un prix compétitif. Le coût de production du lait en fonction de la part d’herbe dans la ration a été estimé dans différents pays [4]. Aux États-Unis, sans herbe pâturée dans la ration, il est deux fois et demie plus élevé qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande, où l’herbe pâturée représente de 60 à 80 % de l’alimentation. En France, avec 56 % d’herbe pâturée dans la ration, il est deux fois plus élevé.
L’utilisation du pâturage permet de réduire les stocks d’aliments et la capacité de stockage des effluents d’élevage. L’emploi du matériel destiné à la récolte des fourrages, à l’épandage des effluents et à la distribution des aliments, et la main-d’œuvre consacrée à ces tâches sont également diminués en cas de pâturage.
Pour l’environnement, le lessivage des nitrates dans les terres exploitées sous forme de prairies est limité par rapport à celui des terres cultivées. Les sols des prairies présentent un taux de matière organique élevé, favorable à une bonne capacité de rétention d’eau et à la séquestration du carbone.
Les surfaces enherbées participent à la stabilité du sol et sont un moyen efficace de lutter contre l’érosion. Les surfaces couvertes par les prairies contribuent aussi à un aménagement harmonieux des espaces ruraux.
Le pâturage améliore la santé des vaches et augmente leur longévité [1, 2]. La fécondité et la résistance aux maladies y sont généralement améliorées [13]. Les boiteries sont réduites au pâturage, sachant qu’elles représentent le plus important trouble du bien-être chez les vaches laitières [14].
Les rations à partir d’herbe pâturée permettent d’accroître la qualité du lait en augmentant les teneurs en vitamine E et en acide gras poly-insaturés.
La prairie constitue le milieu naturel de la vache. Dans certains pays, comme la Suède, la législation sur le bien-être impose que tous les bovins soient sortis au moins 6 heures par jour pendant la période de pâturage (photo 1). Le pâturage est incontournable en agriculture biologique, où les animaux doivent avoir accès au pâturage dès que les conditions climatiques le permettent. Le pâturage améliore l’image de marque des produits laitiers pour le consommateur. Les briques de lait vendues dans le commerce sont souvent illustrées avec une image ou une photo de vaches au pâturage (photo 2).
Associer le pâturage et la traite robotisée est difficile mais possible, comme le démontrent des chercheurs suédois et néerlandais avec des robots à l’étable et une ration de fourrage en complément [3, 12]. Aux Pays-Bas, la moitié des fermes qui possèdent un robot pratiquent le pâturage. En Suède, le pâturage est obligatoire pour le bien-être, comme cela a été évoqué précédemment. En France, la part d’herbe pâturée atteint jusqu’à 50 % de la ration estivale dans certaines exploitations équipées d’un robot [6]. Des scientifiques danois et néo-zélandais ont utilisé un robot de traite avec des vaches passant 100 % de leur temps au pâturage et recevant seulement une petite quantité de concentré [8, 9]. En Belgique, depuis 2010, des essais sont menés à la ferme expérimentale du Sart-Tilman (université de Liège, ULg) avec un robot mobile laissé en prairie pendant la belle saison(1).
Il existe plusieurs façons de combiner le pâturage et la traite robotisée. La surface de pâtures disponibles et leur proximité de l’étable (donc par rapport au robot, celui-ci étant traditionnellement laissé dans ce bâtiment) comptent beaucoup dans le choix. L’éleveur doit décider en premier lieu de la part qu’il compte donner au pâturage dans la conduite de son exploitation (encadré).
Dans tous les cas, la gestion du trafic des vaches au robot est un point critique de contrôle.
La fréquentation dépend de nombreux facteurs qui peuvent être classés en trois catégories (figure).
Bien fixer les objectifs de production en amont conditionne le niveau de fréquentation au robot. L’éleveur choisit entre maximiser la production laitière ou la part de l’herbe dans l’alimentation de ses vaches.
L’herbe seule peut difficilement satisfaire les besoins d’une haute productrice au pic de production. Une complémentation avec d’autres fourrages ou du concentré s’impose en théorie. La ration et/ou les concentrés distribués sont néanmoins limités pour augmenter l’ingestion en pâture, et l’herbe doit être suffisamment appétente pour inciter la vache à sortir de l’étable.
Inversement, s’il opte en amont pour une ration herbagère (moins coûteuse), l’exploitant doit accepter une diminution des performances de ses animaux. Une fréquentation moindre du robot est acceptable (pas moins de deux traites par jour, toutefois, pour qu’il reste rentable). Des races plus rustiques et capables de maximiser la production à l’herbe peuvent convenir davantage (par exemple, la rouge suédoise, la jersey, la croisée frisonne et jersey, ou encore l’illawarra).
À Liège, une ration herbagère avec distribution d’une quantité limitée de concentré lors du passage des vaches au robot a été choisie (race holstein).
Grouper les vêlages influence la gestion du pâturage. Les besoins nutritionnels d’un troupeau de vaches avec des vêlages groupés sont plus faciles à gérer. Pour des animaux moyennement productifs, des vêlages groupés au printemps permettent de profiter pleinement du pic de croissance printanier (systèmes irlandais et néo-zélandais).
Les besoins des vaches laitières hautes productrices qui ont vêlé au début de la période hivernale peuvent être en adéquation avec la quantité d’herbe produite au printemps et en été. La dégradation des performances de reproduction constatée pour les VLHP depuis une dizaine d’années ne permet pas toujours de regrouper les vêlages. Ce choix doit être également raisonné en fonction du nombre d’animaux à traire avec le robot (un maximum de 70 bêtes, pour un optimum de 60 bovins). Au-delà de 60 animaux, grouper les vêlages risque de diminuer la fluidité du trafic au robot car les vaches en début de lactation le fréquentent davantage et leur temps de traite est plus long.
Le temps d’accès à la prairie conditionne la fréquence de traite par ses effets sur la circulation des animaux. Une vache pâture environ 8 heures par jour en plusieurs phases. Des périodes de 3 heures de pâturage au minimum sont requises pour exploiter la prairie. Plus le temps d’accès est limité, moins l’ingestion d’herbe est optimale.
La traite robotisée en prairie implique la circulation des animaux vers l’endroit où se trouve le robot. Trop de pierres blessent les onglons (photo 3). Les chemins doivent être ni trop durs ni trop boueux. Pour des troupeaux de 40 vaches laitières, une largeur de 2 mètres pour les axes secondaires et de 3 mètres pour le chemin principal s’impose. Au-delà de 100 vaches, ces valeurs sont portées à 3 mètres et à 5 mètres respectivement [7]. Si le chemin est aussi utilisé pour le matériel, 4 mètres de largeur sont nécessaires. Des tournants doux, non angulaires, sont conseillés. Un aménagement des sentiers existants est souvent indispensable, particulièrement pour les grands troupeaux.
Les VLHP présentent des besoins énergétiques et protéiques élevés, et une herbe de qualité leur est nécessaire. La flore de la prairie doit être composée préférentiellement de graminées de haute valeur nutritive et appétentes, comme le ray-grass anglais, et de légumineuses comme le trèfle blanc. Il convient que le champ soit pâturé à un stade précoce, feuillu. Lors de pâturage tournant, la hauteur ne doit pas excéder 15 cm à l’entrée et 4 à 5 cm à la sortie. Dans le pâturage continu, la hauteur est comprise entre 4 et 7 cm. La fertilisation est à adapter afin d’obtenir une herbe de qualité en quantité adéquate. Selon les systèmes de pâturage et de trafic choisis, il est essentiel d’ajuster la quantité d’herbe mise à la disposition des vaches(2).
Les exploitants craignent souvent que certains animaux ne se présentent pas spontanément au robot (d’où une augmentation de l’intervalle de traite). Dans certains systèmes, le parcours de la vache dans l’étable est contrôlé : elle doit passer par le robot pour accéder à l’auge. D’autres dispositifs la laissent libre dans l’étable : la vache mange, boit, se couche ou va au robot sans contrainte. La sortie de l’étable peut être maîtrisée ou non. Une sortie contrôlée à l’aide d’une barrière de tri (dite “intelligente”) permet de diriger vers la prairie les seuls animaux qui ne sont plus à traire. L’accès au robot dans l’étable peut aussi être régulé. Il est également possible d’empêcher le pâturage des vaches fraîchement vêlées, dont la production est élevée avec des besoins nutritionnels importants (photo 4).
La distance n’est pas contrôlable par l’exploitant pour des zones pâturables déterminées. L’effet de l’éloignement des parcelles par rapport au robot a été testé par différentes études. Pour des vaches qui ont accès à une alimentation à l’étable, la fréquence des visites au robot n’est pas affectée en dessous de 500 mètres d’éloignement [3]. La production laitière et le nombre de périodes de pâturage par journée sont majorés pour des vaches restant à proximité de l’étable (50 mètres contre 260 mètres) [11].
COMMENT GÉRER LA DISPONIBILITÉ EN EAU ET LA COMPLÉMENTATION ?
Utiliser l’eau comme outil pour ramener les vaches au robot a été testé [12]. Cela pose question au regard du bien-être animal. Un libre accès à l’eau est indispensable pour optimiser la production laitière.
Lors de complément à l’étable (fourrages ou concentré), la ration est distribuée de préférence le soir, afin d’encourager les animaux à rentrer et à se présenter à la traite. Les vaches peuvent être relâchées la nuit ou à un autre moment.
Un aliment concentré, adapté à la production et au stade de lactation, est distribué aux bovins lors de leur passage au robot.
Pour se diriger vers le robot volontairement, les vaches doivent être indemnes de troubles de santé. Les boiteries, sources de douleurs, pénalisent leurs déplacements. Il convient d’éviter les sols blessants ou glissants, et les logettes mal réglées. Les sabots requièrent un entretien régulier (parage préventif). Des déséquilibres alimentaires sont susceptibles de perturber les fermentations dans le rumen et de provoquer des lésions de la corne.
Équiper sa ferme d’un robot de traite tout en continuant à pâturer est possible, voire souhaitable. Néanmoins, ce choix doit être réfléchi et déterminé en fonction des contraintes spécifiques de chaque exploitation. La circulation des vaches, notamment vers le robot, est liée à des éléments qui ne sont pas tous maîtrisables par l’exploitant. Différentes études portant sur cette problématique visent à hiérarchiser les facteurs déterminants pour le trafic des animaux. La poursuite de ces travaux, et notamment l’application des résultats déjà obtenus dans le suivi de fermes pilotes, permettra, à terme, d’orienter l’éleveur au mieux dans ses choix de production.
(1) Les contraintes techniques et les résultats obtenus après l’utilisation d’un robot de traite mobile à Liège sont présentés dans les articles “Retour d’expérience par le robot de traite mobile” et “Mise en route d’un robot mobile : réponses aux contraintes techniques” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
(2) Voir l’article “Retour d’expérience sur le robot de traite mobile” des mêmes auteurs, dans ce numéro.
Aucun.
→ Au-delà de 60 animaux par stalle de robot, grouper les vêlages peut diminuer la fluidité du trafic.
→ Pour des troupeaux de 40 vaches laitières, une largeur de 2 mètres pour les axes secondaires et de 3 mètres pour le chemin principal s’impose.
→ Des périodes de 3 heures de pâturage au minimum sont requises pour exploiter la prairie.
→ Des surfaces en herbe limitées sont disponibles et la sortie des vaches a pour objectif de leur donner de l’exercice.
→ Des surfaces en herbe importantes sont disponibleset le pâturage assure un apport alimentaire.
• Les vaches y ont accès (de façon restreinte ou non), mais retournent à l’étable pour être traites par le robot. Un complément alimentaire leur est distribué dans le bâtiment.
• Le robot est déplaçable de l’étable à la prairie. Ce système est privilégié lorsque les surfaces à pâturer sont éloignées de la ferme ou fragmentées (comme c’est le cas à la ferme expérimentale de Liège). La complémentation des animaux au pâturage peut être réduite.
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