PATHOLOGIE MAMMAIRE
En questions et réponses
Auteur(s) : Luc Durel*, Joséphine Verhaeghe**
Fonctions :
*Virbac, 13e rue LID, 06511 Carros Cedex
**Cid Lines France
Parc de la Cimaise, 28, rue du Carrousel
59650 Villeneuve-d’Ascq
À l’occasion des Journées annuelles du National Mastitis Control, de récents travaux sur l’ocytocine ou encore Streptococcus uberis ont été présentés. Le vieux sujet du caractère protecteur des cellules somatiques du lait a été remis au goût du jour, “version US”.
Le National Mastitis Council(NMC) est un organisme américain renommé dans le domaine de la qualité du lait et de la santé du pis (encadré). Ses missions vont au-delà de la promotion de bonnes pratiques et de normes, il stimule la recherche sur le contrôle des infections mammaires, constitue souvent un appui pour l’industrie laitière et participe à maintenir la confiance vis-à-vis des produits laitiers.
La 52e conférence annuelle du NMC a eu lieu au début de cette année à San Diego, en Californie (États-Unis).
Des études suisses ont montré que si 4 % des vaches sont difficiles à traire, dans 69 % des cas, l’origine de ce trouble est une sécrétion insuffisante d’ocytocine. L’implication de cette hormone dans les mécanismes physiologiques de traite des vaches est au centre des travaux de Rupert Bruckmaier de l’université de Bern (Suisse). L’inhibition de la sécrétion d’ocytocine est la principale cause de troubles de l’éjection du lait.
Dans les conditions de terrain, la sécrétion insuffisante d’ocytocine est difficile à expliquer. Sauf à atteindre des concentrations supraphysiologiques qui ne sont pas observées en pratique, l’adrénaline et la noradrénaline stimulent la sécrétion d’ocytocine plutôt qu’elles ne l’inhibent. Le stress ne saurait donc pas tout expliquer. En revanche, l’implication des endomorphines (endorphines), et éventuellement du cortisol, dans l’inhibition de la sécrétion d’ocytocine est probable.
L’ocytocine n’intervient pas seulement pour l’éjection du lait contenu dans les acini mammaires par contraction des cellules myoépithéliales. Elle joue un rôle tout au long de la traite. Bien que sa durée d’action soit brève (demi-vie de 2 à 3 minutes), sa sécrétion est prolongée par la stimulation continue des trayons par le dispositif de traite. Toutefois, des manchons inconfortables ou un fonctionnement chaotique de la machine peuvent conduire à un arrêt prématuré de la sécrétion d’ocytocine (photo).
L’ocytocine exogène (ou oxytocine) ne devrait être injectée que si elle est vraiment nécessaire (cela est de toutes façons vrai pour tout traitement).
Il n’existe pas de relation simple entre la concentration plasmatique en ocytocine et l’intensité de l’éjection du lait. Lors de la stimulation préalable à la traite (ou au début de la tétée), la concentration en ocytocine augmente de 1 à 5 pg/ml à 10 pg/ml, voire 100 pg/ml.
L’ocytocine exogène est principalement injectée en cas de rétention lactée. Son emploi dans le traitement des mammites reste anecdotique. Les doses conseillées dans le résumé des caractéristiques des médicaments disponibles en France engendrent des concentrations plasmatiques très au-delà des limites physiologiques et pourraient être réduites pour le plus grand bénéfice de l’animal (tableau). Ces doses élevées conduisent à des effets paradoxaux. Il a été démontré qu’une injection unique de 30 UI d’ocytocine à des vaches sans troubles de la traite maintient les concentrations plasmatiques de cette hormone pendant plusieurs heures et perturbe gravement la vidange mammaire pendant les 2 jours qui suivent. Alors que l’ocytocine favorise la vidange de la mamelle et la production de lait, l’emploi de doses élevées et/ou répétées de cette hormone conduit à une véritable dépendance au traitement. Une poursuite du traitement s’impose alors jusqu’au tarissement, sous peine de voir apparaître une rétention lactée, facteur de risque des infections mammaires, et une diminution irréversible de la production laitière.
Chez la vache, des doses de 0,2 à 0,5, voire au maximum 1 UI par animal favorisent l’éjection du lait satisfaisant. Les injections intramusculaires d’ocytocine synthétique sont néfastes en raison de la libération continue et prolongée de l’hormone. Les injections intraveineuses devraient être préférées. Des doses inférieures à 1 UI permettent un retour aux concentrations basales en une vingtaine de minutes.
Selon R. Bruckmaier, la stimulation manuelle délicate du vagin ou du col utérin constitue une solution alternative valable à l’injection d’ocytocine. La faisabilité de cette pratique en conditions de terrain reste à apprécier au cas par cas (hygiène).
Les mesures classiques de contrôle des bactéries issues de l’environnement sont peu opérantes pour Streptococcus uberis. Cette bactérie est en effet responsable d’infections persistantes grâce à des mécanismes qui lui permettent d’adhérer aux cellules épithéliales mammaires et de s’y internaliser. Toutefois, les modalités précises de la pathogénie restent mal connues.
Une série de travaux ont été conduits récemment sur la protéine bactérienne SUAM, isolée en 2006.Celle-ci est responsable de l’adhésion et de l’internalisation de la bactérie, explique Raul Almeida (université d’État du Tennessee, États-Unis). Des infections expérimentales réalisées avec des souches Str. uberis UT888 privées du gène Sua qui code pour la protéine SUAM ont montré que la pathogénicité du mutant était systématiquement plus faible que celle de la souche parente (en termes d’établissement de l’infection, de sévérité clinique, de persistance de l’infection).
Des travaux de protection passive par administration dans les quartiers mammaires d’anticorps purifiés anti-SUAM ont été réalisés. Ceux qui ont été immunisés résistent mieux à l’infection. Les signes cliniques sont moins sévères que pour les quartiers non traités.
Le rôle protecteur des anticorps anti-Suam est ainsi confirmé. Toutefois, si ces découvertes sont intéressantes du point de vue de l’immunité spécifique contre les infections mammaires, leur application pratique est encore lointaine. Le développement d’un vaccin contre Streptococcus uberis n’est pas envisagé à ce stade.
Viser des concentrations en cellules somatiques (CCS) du lait toujours plus basses est-il pertinent ? Ce poncif est réactualisé chaque décennie au NMC. Larry Fox (de l’université d’État du Washington, États-Unis) s’est vu confier l’exercice cette année. Il a appuyé sa réflexion sur des travaux expérimentaux assez anciens, mais aussi sur des recherches épidémiologiques récentes.
Il n’a jamais été démontré qu’une augmentation artificiellement induite de la CCS (au moyen de dispositifs irritants placés dans les quartiers) ou qu’une diminution continue des CCS (sous le double effet de l’amélioration des pratiques d’élevage et de la sélection des animaux) influent sur l’incidence des nouvelles infections mammaires. Toutefois, l’augmentation de la CCS chez une vache s’accompagne d’une altération de la fonction sécrétoire, donc d’une baisse de production de lait et d’une modification de sa composition. Larry Fox rappelle également que l’héritabilité de la résistance aux mammites est faible (0,08 à 0,14). L’hygiène de l’environnement des vaches, ainsi que l’ensemble des procédures de contrôle (selon le plan en 5 points : 5-point control plan) comptent pour plus de 85 % dans la prévention des infections mammaires. Par conséquent, la sélection des animaux sur un critère de plus faible CCS a probablement un effet mineur, s’il en a un. En revanche, la CCS moyenne et la production laitière sont inversement corrélées. La population résidente de leucocytes dans le lait pourrait offrir une certaine protection, mais c’est bien davantage la capacité de la vache à recruter rapidement de nouveaux leucocytes qui permet à certains animaux de juguler rapidement les nouvelles infections.
Dans le contexte américain où la limite légale pour la collecte du lait est encore de 750 000 cellules/ml, cette question met en lumière l’action du NMC qui n’a pas pu obtenir en 2011, de la part des institutions en charge de l’industrie laitière, un alignement sur les exigences européennes (400 000 cellules/ml).
Au vu des statistiques américaines présentées par le Pr Fox(3), la crainte d’une dégradation de la santé mammaire à la suite d’une augmentation de la pression réglementaire n’est pas fondée. Durant les 17 dernières années, alors que la productivité par vache a crû de 13,6 %, la CCS moyenne dans le lait de tank a diminué de plus de 100 000 cellules/ml. Le taux de dépassements du seuil de 400 000 cellules/ml est maintenant de 12 % par an, contre 27,2 % auparavant. De la même manière, l’agrandissement des troupeaux va de pair avec une diminution des CCS du tank. Si les situations du Nouveau-Mexique (NM) et du New Jersey (NJ) sont comparées, le nombre de vaches en production et les CCS évoluent de manière inverse avec, respectivement 2 360 vaches/élevage et 161 000 cellules/ml au NM, contre 60 vaches/élevage et 276 000 cellules/ml au NJ.
La question de savoir si les CCS pourraient devenir trop faibles, donc rendre les vaches plus sensibles aux mammites, ne doit pas être négligée scientifiquement, mais elle n’a que peu d’intérêt pratique : la plupart des facteurs de risque peuvent être maîtrisés par une bonne conduite d’élevage.
Des analyses de lait de tank sont fréquemment réalisées pour déterminer la qualité du produit. Elles servent à inciter les producteurs à améliorer leurs pratiques, au travers du paiement différentiel.
Actuellement peu employées pour l’analyse épidémiologique, elles génèrent pourtant quantité de données exploitables.
Des recherches plus régulières de la présence de pathogènes spécifiques dans le lait et l’emploi plus systématique des analyses par PCR (polymerase chain reaction) sont attendus dans un avenir proche.
L’intégration progressive de capteurs (sensors) tout au long de la chaîne de production à la ferme va accroître le volume d’informations disponibles. Ces instruments de mesure vont produire des données au fil de l’eau (on-line). Un traitement informatisé approprié pourrait fournir des indications pertinentes sur l’état sanitaire du troupeau, de la mamelle et sur la conduite d’élevage, et des actions correctives plus ciblées être alors proposées.
La traite de précision (precision dairying)est en marche, volet laitier de l’élevage de précision (precision farming)(1).
Hors quelques sujets marqués par les particularités de la filière laitière américaine, les travaux du NMC et les communications présentées reflètent les préoccupations communes des spécialistes de tous les pays où la production laitière est significative. En 2014, le NMC va poursuivre son internationalisation. La traditionnelle réunion estivale (dénommée regional meeting) se tiendra pour la première fois en dehors de l’Amérique du Nord, à Gand (Belgique)(2).
(1) Voir l’article “La gamme d’outils de surveillance assistée du bovin s’étoffe” de Julien François, dans ce numéro.
(2) Informations complémentaires sur le site du NMC : nmconline.org
(3) Source : AIPL-USDA, 2012
Les auteurs exercent une activité de veille et d’audit comme employés d’entreprises commercialisant des produits d’hygiène et des médicaments vétérinaires. Ils sont tous deux membres du NMC.
Bien que des initiatives nationales existent (Italie), le National Mastitis Council (NMC) n’a pas d’équivalent en Europe. La plupart des membres sont des vétérinaires universitaires ou consultants (41 %), mais il compte aussi 30 % de professionnels de l’industrie laitière et des coopératives et 10 % de producteurs de lait (+ 5 % d’étudiants).
Sheila Andrew, sa présidente, souhaite encore faire progresser l’internationalisation en développant des partenariats avec des industriels nationaux ou des firmes multinationales qui partageraient les mêmes objectifs (la recherche de traitements ou de moyens de prévention des mammites). Actuellement, 28 % de ses 1 500 membres résident hors des États-Unis.
Le NMC remet aussi chaque année des prix pour les travaux de jeunes chercheurs sur le contrôle des affections mammaires, pour les bons résultats de producteurs sur la qualité du lait et le contrôle des mammites.
→ Des doses d’ocytocine bien inférieures aux recommandations du résumé des caractéristiques du produit (RCP) seraient préférables dans l’indication « éjection du lait » et la voie intramusculaire semble néfaste.
→ La diminution des concentrations en cellules somatiques dans le lait doit plutôt être considérée comme un progrès que comme une menace.
→ L’instrumentation de l’observation de la traite et des pratiques d’élevage entraîne des mesures correctives plus ciblées.
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