Néosporose et toxoplasmose bovines : questions ouvertes au Moredun Research Institute - Le Point Vétérinaire expert rural n° 339 du 01/10/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 339 du 01/10/2013

PROTOZOOSES ABORTIVES

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Cabinet vétérinaire
8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Comment améliorer le contrôle de la néosporose et de la toxoplasmose par des stratégies de conduite d’élevage adaptées ? Quelles solutions alternatives à l’utilisation des antiparasitaires ? Quel est l’apport de la génétique moléculaire ? Retour sur une synthèse qui fait date.

Le Moredun Research Institute est un institut de recherche et de surveillance des maladies du bétail, célèbre internationalement. Fondé en 1920 près d’Édimbourg par des éleveurs écossais, il a permis la création de vaccins, de tests diagnostiques et de stratégies thérapeutiques innovantes mis en œuvre dans le monde entier. La parasitologie est l’un des secteurs qui lui ont donné ses lettres de noblesse en France et dans le monde. Outre les nématodes gastro-intestinaux et la problématique du développement des résistances aux antiparasitaires, un axe de recherche moins connu est la protozoologie.

Le Pr Lee Innes y est spécialiste des interactions hôte-pathogène dans les espèces de production infectées par Neospora caninum, Toxoplasma gondii (et Cryptosporidium parvum). Elle a été une invitée de marque du dernier Congrès européen de buiatrie, à Marseille (photo 1) [1]. Forte d’une longue expérience en recherche et communication scientifique, elle résume les différents axes d’approche actuels sur ces deux maladies, notamment au sein du Moredun.

NÉOSPOROSE BOVINE : MOULTES PERSPECTIVES

La néosporose est la première cause d’avortement infectieux chez les bovins dans divers pays occidentaux, dont le Royaume-Uni. Selon les études, les bovins affectés ont 3 à 7 fois plus de risque d’avorter. Il convient de différencier l’infection congénitale des autres types à divers points de vue (épidémiologique, immunologique, etc.).

La maladie est connue en élevage pour les flambées d’avortements qu’elle est susceptible de provoquer, mais elle peut s’exprimer plus sporadiquement, avec des troubles par cycles d’une durée approximative de 7 ans.

Son impact économique en élevage a été relativement bien étudié, mais des inconnues épidémiologiques persistent. Actuellement, des perspectives de compréhension et de lutte s’ouvrent.

1. Une épidémiologie “à trous”

→ L’histoire des connaissances sur la néosporose est marquée par la découverte de McAllister : le chien est l’hôte intermédiaire. Pourtant, un autre aspect est fondamental sur le plan immunitaire : le parasite est intracellulaire (au stade tachyzoïte). Il persiste aussi dans les tissus (sous forme bradyzoïtes enkystés).

Les capacités de persistance de Neospora caninum sont désormais mieux cernées. Cependant, il reste encore des inconnues. La diversité des tissus dans lesquels il est susceptible de “se cacher” pendant toute la vie de son hôte animal est mal établie. Quels autres tissus que le cerveau abritent des bradyzoïtes ?

→ L’attention des chercheurs se porte sur les bovins infectés permanents congénitalement, car ils constituent une source d’inquiétude épidémiologique. Des signes nerveux sont parfois manifestes, mais les animaux peuvent aussi être totalement asymptomatiques. Ils présentent un risque accru d’avortement, surtout pendant leur première gestation. Au fil des ans, le risque de transmission verticale semble diminuer.

→ Il reste aussi à établir quels hôtes intermédiaires sauvages sont possibles.

Le coyote américain fait partie des certitudes, explique Lee Innes, tandis que le renard a souvent conduit les chercheurs dans l’impasse, et d’autres espèces restent des candidates plausibles au poste d’“hébergeur privilégié” de Neospora caninum. Des conseils sanitaires visant les rongeurs nuisibles restent à ce jour pertinents face aux doutes qui subsistent sur leur capacité à jouer le rôle d’hôte intermédiaire.

→ Au nombre des questions fondamentales dont la réponse doit être précisée, malgré tous les travaux conduits sur cette maladie, figurent les suivantes :

– quelles sont les voies de transmission ?

– quels facteurs de risque conditionnent le passage au stade clinique ?

– quelle est la diversité génétique pour ce parasite ?

– où persiste-t-il ?

– quelles sont les modalités de sa recrudescence (avec réapparition dans les fèces) ?

– comment s’organise la réponse immunitaire ?

– quelles perspectives de vaccination émergent ?

2. Diagnostic : gérer la séronégativation et la co-infection

→ Il convient de réaliser un diagnostic différentiel en présence d’un contexte évoquant l’implication de Neospora caninum, mais le cycle biologique du parasite ne facilite pas la tâche du praticien.

Les antigènes infectieux persistent, avec des fluctuations quantitatives dans le temps, jusqu’à des phases de séronégativité. Le diagnostic biologique est, en effet, établi sur la base du stade tachyzoïte.

De meilleures techniques sont requises, qui devraient aussi permettre de faire la distinction entre les différentes souches génétiques, susceptibles d’être plus ou moins pathogènes et autorisant facilement ou non l’immunité croisée (projet en cours au Moredun).

→ La co-infection est aussi à anticiper en termes de recherches étiologiques au laboratoire, car elle apparaît fréquente avec Neospora caninum.

→ Dans une étude écossaise portant sur 188 échantillons, 23,9 % étaient positifs pour Neospora caninum. Ce parasite représente 35 % des agents pathogènes identifiés dans des contextes d’avortements (les résultats totalement négatifs sont fréquents).

3. Comprendre les (dés)équilibres hôte-parasite en gestation

→ Au sein du fœtus infecté congénitalement, N. caninum est surtout retrouvé dans le cerveau et la moelle épinière.

Tout parasite a les moyens d’assurer sa persistance dans l’hôte, mais la gestation est, de ce point de vue, un moment de déséquilibre. L’effet de l’infection aux différents stades est en cours d’étude. La clé du secret de la mise en route de l’immunité maternelle réside dans le placentome : les zones de nécrose, d’inflammation placentaire, sont analysées histologiquement, tout autant que les plages hémorragiques spécifiquement observées lors d’avortement. Cette inflammation placentaire qu’explorent les chercheurs constitue un phénomène rare, et “dangereux” (car il est susceptible de provoquer l’avortement).

L’interféron γ (INFγ) est la cible de l’analyse des plages d’inflammation sur des coupes histologiques de tissus de fœtus mort. Les aspects sont comparés selon que l’infection a conduit ou non à l’avortement : la réponse cellulaire, et en particulier en INFγ, diffère considérablement entre les deux groupes aux stades précoces (28 jours).

→ En milieu de gestation, la réponse inflammatoire est profondément modifiée. Le fœtus devient immuno-compétent tandis que la mère abaisse ses défenses cellulaires. C’est à ces stades tardifs que la transmission verticale s’effectue et induit peu d’avortements. Encore plus tard pendant la gestation, la réponse inflammatoire du placenta se fait de plus en plus succincte.

→ La dynamique du risque de transmission au fœtus et de la sévérité de la maladie selon le stade de gestation retient ainsi tout particulièrement l’intérêt des chercheurs à l’heure actuelle.

Le risque de transmission verticale de Neospora caninum est extrêmement variable et dépend beaucoup du moment d’infection de la vache (il est plus élevé si elle s’est elle même contaminée in utero par rapport à une infection postnatale).

Le devenir de l’infection congénitale fœtale est le chantier en cours (photo 2). En comprendre tous les tenants et les aboutissants chez un animal dont le système immunitaire est en plein développement relève du défi.

→ Dans le prolongement de ces travaux sur l’immunité, il sera possible de déterminer l’intérêt d’un vaccin contre cette maladie.

4. Gérer la maladie par le chien, le transfert et/ou les vaccins

→ Selon Lee Innes, la place privilégiée du chien dans le cycle biologique du parasite est à exploiter pour gérer la maladie. C’est surtout autour du vêlage qu’il convient d’éviter la contamination des aliments ou de l’eau par les parasites excrétés par le chien (photo 3).

→ Les sulfamides, la pyriméthamine et la clindamycine auraient démontré une efficacité chez l’hôte intermédiaire qu’est le chien. L’idéal est de limiter le risque que l’animal se contamine en lui interdisant d’ingérer les placentas, les avortons et les autres tissus susceptibles d’être infectés.

Des études sur l’intérêt thérapeutique du décoquinate ou du toltrazuril pour le traitement des veaux existent. Aucune n’est parvenue à démontrer une efficacité sur les oocystes tissulaires.

Aucune thérapeutique connue n’empêche la transmission verticale.

→ Le transfert embryonnaire est d’un grand intérêt dans la gestion de l’affection pour conserver la génétique d’un élevage sans risque de transmission de la maladie in utero.

→ Une politique de réforme raisonnée n’est efficace que lors de faible prévalence. Elle se révèle coûteuse. Il est un peu plus rentable d’inséminer les vaches séropositives avec de la semence de taureau allaitant, pour qu’elles ne donnent pas naissance à des génisses de renouvellement, plutôt que de les faire abattre. Le risque de transmission horizontale de la maladie persiste, voire s’accroît, dans un élevage à transmission verticale en assainissement (de plus en plus d’animaux naïfs sont présents). Cette mesure (très utilisée en Australie) mérite réflexion sur le rapport coût/bénéfice. Elle se heurte aux difficultés diagnostiques (longue persistance des anticorps et phases de séronégativation malgré la persistance infectieuse).

→ La vaccination est à l’essai depuis plusieurs années, avec un objectif de prévention des avortements ou de la transmission fœtale. Des souches atténuées sont étudiées (sur le même principe que pour la toxoplasmose). L’objectif est de stimuler la réponse en lymphocytes T CD4+. La difficulté est de faire en sorte que le vaccin ne persiste pas. Les vaccins tués ne répondent pas, à ce jour, aux objectifs fixés pour la vaccination contre N. caninum. La protection clinique obtenue n’est pas totalement satisfaisante avec la seule option disponible dans le monde : Bovilis Neoguard®, commercialisé aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, en particulier. Cette spécialité est formulée à base de tachyzoïtes tués et adjuvés.

→ Les conseils sur la gestion de la maladie gagneront en efficacité si les connaissances épidémiologiques progressent.

Cela permettra de déterminer quelles mesures sont efficaces et à quel stade. Par exemple, une vaccination pourrait être envisagée avant la mise à la reproduction chez des animaux “naïfs” vis-à-vis du parasite. Sinon, la question de l’immunotolérance des bovins infectés in utero se pose (ils sont aussi de très “mauvais répondants” aux vaccins). La recherche d’un vaccin qui permette de faire la distinction entre les animaux infectés et vaccinés figure aussi parmi les objectifs (approche dite “DIVA”).

Le rapport coût/bénéfice d’une vaccination reste aussi à établir dans les différents contextes. Il dépend forcément de la prévalence locale.

TOXOPLASMOSE : UNE PROBLÉMATIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE

La toxoplasmose est un thème de travail ancien du Moredun Institute.

De plus en plus, des ressemblances génétiques entre Toxoplasma gondii et Neospora caninum sont mises en évidence, des différences aussi, la principale ayant trait aux aspects zoonotiques.

Les bovins sont assez résistants vis-à-vis des toxoplasmes, qui posent surtout des difficultés chez le mouton en médecine vétérinaire rurale.

Chez les ovins, la toxoplasmose constitue la deuxième cause abortive ovine après la chlamydiose au Royaume-Uni.

1. Course de vitesse infectieuse

Les lésions placentaires observées ressemblent à celles qui sont constatées avec Neospora caninum. Le chat est l’hôte définitif. Il se contamine généralement par une consommation d’oiseaux ou de rongeurs infectés. Les jeunes chats excrètent bien davantage d’oocystes que les animaux âgés, sauf si ces derniers sont immunodéprimés.

Des millions d’oocystes peuvent être excrétés par le chat et seuls 20 sont nécessaires pour contaminer un ovin (naïf).

Avec ce parasite, c’est davantage une course de vitesse qu’avec Neospora. La parasitémie est rapide : de 5 à 12 jours après l’infection. Le fœtus s’infecte dès le stade 14-19 ? jours. Le dépistage est donc idéalement réalisé en péripartum, phase d’activité intense pour le parasite.

Contrairement à la néosporose, la réponse immune est extrêmement protectrice. Il est quasi impossible d’observer une atteinte clinique (avortement) après une première phase d’infection.

Dans les études récentes sur la toxoplasmose chez le ruminant, les chercheurs sont allés jusqu’à poser des canules sur des nœuds lymphatiques préfémoraux pour en recueillir les cellules (immunitaires) d’une façon dynamique.

La réponse en INFγ est particulièrement rapide, puis viennent les lymphocytes T CD4+ et, enfin, les CD8 (réponse d’origine lymphoblastique).

2. Vacciner : qui et pourquoi ?

→ Les connaissances immunitaires acquises sur la maladie ont d’ores et déjà été traduites en possibilités vaccinales, les vaccins vivants étant définitivement de bien meilleurs candidats que les vaccins inactivés.

Une souche atténuée S48 est utilisée commercialement, y compris en France (Ovilis Toxovax®). Elle n’a plus la capacité d’engendrer des kystes tissulaires. Elle protège les ovins pendant 18 mois, dans un rapport 80 %/10 % de fœtus viables avec ou sans vaccin. La manipulation de ce vaccin par une femme enceinte ou un sujet immuno-déprimé est proscrite.

L’utilisation d’un traitement ponctuel au moins 3 ? semaines avant la vaccination est conseillée, pour limiter les effets potentiels de ce vaccin atténué chez des ovins déjà infectés. Une hyperthermie après la vaccination est possible, selon le résumé des caractéristiques du produit.

→ Le décoquinate à 2 mg/kg a été essayé pour réduire l’impact de la maladie, en milieu de gestation chez la brebis (hors indication officielle). Aucun traitement n’est susceptible de “blanchir” l’animal, tout au plus en réduisent-ils les effets potentiels.

→ Les vaccins contre la toxoplasmose pour les ruminants occupent une place dans un objectif de protection de l’homme, dès lors qu’ils diminuent la production de kystes tissulaires.

Il a aussi été envisagé de vacciner les chats, pour qu’ils excrètent moins d’oocystes, dans l’objectif de diminuer le risque pour l’homme et les (nombreuses) autres espèces hôtes intermédiaires potentiels. Développer un vaccin destiné à une espèce (le chat) qui n’est pas celle qui est directement visée par la prévention (la femme enceinte) serait sans précédent commercial. La vaccination de tous les chats domestiques et sauvages d’un pays devrait être imposée pour espérer un résultat car la contamination de l’être humain s’effectue souvent par l’intermédiaire des végétaux souillés (photo 4).

3. Protéger l’homme

→ En médecine humaine, la toxoplasmose est à l’origine de la mort fœtale ou d’anomalies oculaires, auditives et nerveuses congénitales, et également de troubles oculaires chez l’adulte immunocompétent. La maladie est surtout une zoonose alimentaire, la contamination humaine s’effectuant principalement par la consommation de viande insuffisamment cuite, qui contient intrinsèquement des bradyzoïtes enkystés dans les tissus, ou d’aliments et d’eau contaminés en surface par des oocystes.

→ Récemment, aux États-Unis, des chercheurs ont suspecté un effet du parasite sur le comportement. Des observations relèvent, par exemple, que les souris infectées deviennent peu craintives au chat. À Oxford, un lien entre la séropositivité toxoplasmique et la schizophrénie a été suggéré chez l’homme. Un traitement de cette maladie psychique par inhibition des toxoplasmes a même été tenté.

Conclusion

Les recherches récentes sur l’immunité vis-à-vis de Neospora et des toxoplasmes permettent de préciser les conseils susceptibles d’être formulés dans le cadre de la gestion de ces parasites en élevage de ruminants. Des possibilités vaccinales sont ouvertes, avec un avantage aux vaccins vivants, néanmoins plus difficiles à manier (sécurité d’emploi, temps d’attente, conservation, etc.).

En France, le principe d’un nouveau vaccin recombinant vivant Toxo KO pour la prévention de la toxoplasmose abortive de la brebis a été présenté à l’Académie vétérinaire de France. Celui-ci a été développé par des équipes de recherche des Universités de Tours et de Montpellier(1).

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Le risque de transmission verticale de Neospora caninum est extrêmement variable et dépend beaucoup du moment d’infection de la vache (il est plus élevé si elle s’est elle-même contaminée in utero, par rapport à une infection postnatale).

→ La co-infection est fréquente avec Neospora caninum et les anticorps fluctuent.

→ À l’avenir, il sera nécessaire de préciser dans quels autres tissus que le cerveau les bradyzoïtes peuvent être “cachés” chez le bovin.

→ Les vaccins contre la toxoplasmose occupent une place essentielle pour protéger l’homme dès lors qu’ils amènent à diminuer la production de kystes tissulaires.

SOURCE

– Lee Innes. Neosporosis and toxoplasmosis in farmed livestock : options for control. Proceeding Forum européen de buiatrie, Marseille, 2011 : 7-15.

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