La résistance génétique des ovins à la tremblante continue de s’améliorer - Le Point Vétérinaire expert rural n° 336 du 01/06/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 336 du 01/06/2013

ENCÉPHALOPATHIES SPONGIFORMES TRANSMISSIBLES

Article de synthèse

Auteur(s) : Chloé Sidani*, Jean-Michel Astruc**, Didier Bouchel***, Bertrand Bouffartigue****, Christian Le Du*****, Jérôme Raoul******, Francis Barillet*******

Fonctions :
*Inra Saga, Station d’amélioration génétique
des animaux, 24, chemin de Borde-Rouge, CS 52627,
31326 Castanet-Tolosan Cedex
Chloe.Sidani@toulouse.inra.fr
**Institut de l’élevage, 24, chemin de Borde-Rouge,
CS 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex
***Ministère en charge de l’Agriculture
MAAF/DGPAAT/SPA/SDPM/BLSA
3, rue Barbet-de-Jouy, 75349 Paris 07 SP
****Races de France, 149, rue de Bercy,
75595 Paris Cedex 12
*****Ministère en charge de l’Agriculture
DGAL/SDSPA/BSA
******Institut de l’élevage, 24, chemin de Borde-Rouge,
CS 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex
*******Inra Saga, Station d’amélioration génétique
des animaux, 24, chemin de Borde-Rouge, CS 52627,
31326 Castanet-Tolosan Cedex
Chloe.Sidani@toulouse.inra.fr

Un bilan positif est dressé du Programme national d’amélioration génétique des ovins pour la résistance à la tremblante classique (PNAGRTc). Il s’agit désormais d’entretenir les acquis.

La tremblante des petits ruminants est une maladie fatale appartenant au groupe des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST), qui inclut également la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) dans l’espèce humaine, et l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). En 1989, Hunter et coll. ont identifié un gène majeur, le gène PrP, codant pour la protéine PrP [8]. La région codante du gène PrP est très polymorphe, mais la combinaison de trois codons (136, 154 et 171) détermine de façon majeure le niveau de résistance/sensibilité des ovins à la tremblante classique et à l’ESB (figures 1 et 2) [5, 7].

Les ovins homozygotes ARR/ARR sont résistants à la tremblante classique et à l’ESB, ce qui réduit considérablement le risque potentiel de contamination zoonotique. À l’heure actuelle, seuls 3 animaux ARR/ARR ont été diagnostiqués atteints de tremblante classique en conditions naturelles, pour près de 5 millions de tests réalisés en Europe entre 2002 et 2011 (abattoir, équarrissage et éradication de police sanitaire) [6, 9]. Des génotypages PrP ont été pratiqués sur les tests positifs et les éradications de police sanitaire. L’utilisation de béliers ARR/ARR dans les troupeaux réduit la pression d’infection, car le placenta d’agneaux hétérozygotes ARR n’est pas infectieux [1, 4].

À la fin des années 1990, un programme de recherche a constitué un échantillon représentatif de chaque race (mâles candidats à la sélection) afin d’estimer les fréquences alléliques initiales de chacune des races françaises [10]. À partir des connaissances scientifiques de l’époque, le ministère de l’Agriculture a lancé, en octobre 2001, le Programme national d’amélioration génétique pour la résistance à la tremblante classique (PNAGRTc), avec l’objectif de renforcer la résistance à la tremblante classique du cheptel ovin national (tableau).

MISE EN œUVRE ET STRATÉGIE DU PLAN

1. Pilotage

Le PNAGRTc est piloté au niveau national à la fois par les pouvoirs publics (Direction générale de l’alimentation [Dgal] et Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires [DGPAAT]), les instituts de recherche (Institut national de la recherche agronomique [Inra]) et technique (Institut de l’élevage), les professionnels de la filière ovine et les organismes de sélection.

Le PNAGRTc a été initialement planifié pour 5 ans (2002-2006). Afin d’en consolider les acquis, il a été prolongé de 2007 à 2009, puis de 2010 à 2012.

2. Application

→ Le programme de sélection est appliqué sur 5 races laitières et 21 races allaitantes, c’est-à-dire pour l’ensemble des races ovines françaises dotées d’un schéma de sélection officiel.

Les races à petits effectifs sont également impliquées, mais avec des objectifs adaptés à leurs contraintes, notamment en termes de gestion de la variabilité génétique.

→ Pour la stratégie, il a été décidé de s’appuyer sur les schémas de sélection afin de bénéficier du savoir-faire et des outils existants en matière de sélection de populations ovines (dont la gestion des généalogies), d’une capitalisation du progrès d’une génération à la suivante, ainsi que du pouvoir de diffusion du progrès génétique (figure 3).

→ Les objectifs du PNAGRTc sont les suivants :

– éliminer l’allèle de sensibilité (VRQ) des noyaux de sélection ;

– fournir des béliers résistants (ARR/ARR) pour les élevages atteints par la maladie ?;

– sélectionner l’allèle de résistance (ARR) tout en maintenant la sélection sur les caractères de production et la variabilité génétique globale (ensemble du génome) ;

– fournir des béliers résistants (ARR/ARR) aux élevages de production.

→ Depuis 2002, le PNAGRTc est fondé sur le génotypage d’animaux des noyaux de sélection (chez les éleveurs engagés). Plusieurs catégories d’ovins peuvent être soumises au génotypage :

– les béliers sélectionnés pour l’évaluation en station de contrôle individuel ou en centre d’élevage (puis, éventuellement, en centre d’insémination artificielle) ;

– les mâles de diffusion ;

– les agnelles (ovins allaitants) ou mères à béliers (ovins laitiers) des noyaux de sélection.

RÉSULTATS

1. Une valorisation des génotypages

De 2002 à 2011, plus de 680 000 génotypages ont été réalisés dans les élevages de sélection et enregistrés dans une base de données nationale. Afin de pouvoir mettre en relation les données enregistrées (identification, généalogie, performances zootechniques, etc.) dans les systèmes nationaux d’information génétique de chacune des deux filières, des interfaces ont été mises en place entre ces derniers et la base de données moléculaires. Cette interrelation a permis le développement d’une méthode de calcul de prédiction des génotypes des agneaux à partir de la connaissance des génotypes parentaux (en 2004). Pareille valorisation des enregistrements augmente le nombre d’animaux avec un génotype connu (figure 4). La combinaison entre le développement des prédictions et l’amélioration des fréquences alléliques a diminué les besoins en génotypages (figure 5).

2. Élimination de l’allèle d’hypersensibilité VRQ

L’allèle VRQ était initialement présent dans les races allaitantes et, de façon moindre, dans les races laitières (moins de 2 %). Un effort important a été engagé pour éliminer VRQ dans les races allaitantes. Dès 2003, moins de 4 % des agnelles gardées pour le renouvellement dans les noyaux de sélection étaient porteuses de VRQ, même dans les races les plus désavantagées.

L’allèle VRQ est aujourd’hui presque éliminé de tous les noyaux de sélection. À ce jour, aucun bélier actif dans les schémas n’est connu porteur de l’allèle VRQ versus 8 % en 2002 (figure 6).

3. Fournir des béliers résistants ARR/ARR aux élevages atteints par la maladie

Les éleveurs des noyaux de sélection sont en mesure de fournir des animaux résistants aux élevages atteints de tremblante pour leur repeuplement. La démonstration la plus claire a été réalisée dans les Pyrénées-Atlantiques qui concentraient deux tiers des cas de tremblante au milieu des années 2000 [2, 9].

4. Sélectionner l’allèle de résistance (ARR)

L’augmentation de la fréquence de l’allèle ARR est effective dans toutes les races engagées dans le PNARGTc (figure 7). Les situations initiales étaient très contrastées. Certaines races étaient favorisées, avec une fréquence de l’allèle ARR supérieure à 60 %, (par exemple berrichon du cher, île-de-france, suffolk, rouge de l’ouest). D’autres étaient défavorisées (fARR inférieure à 20 %), comme les races mouton vendéen, est à laine mérinos, causse du lot et manech tête rousse.

5. Maintien des niveaux génétiques et de la variabilité génétique

Une étude menée à partir de 2004 sur trois races allaitantes et une laitière n’a pas mis en évidence de dégradation significative des niveaux génétiques imputable au PNAGRTc [3]. Une autre conduite dans le cadre du suivi du PNAGRTc en 2009 a fourni les mêmes conclusions, même si une stagnation du progrès génétique a été observée en général lors des 2 à 3 premières années (lors du basculement du statut des béliers de majoritairement RS à RR).

Les quelques cas où une légère perte transitoire de niveau génétique a été constatée s’expliquent par des décisions radicales des organismes de sélection.

En ce qui concerne la variabilité génétique globale (ensemble du génome), d’après les résultats obtenus, les mesures de gestion mises en place ont permis de maintenir le niveau [11].

6. Diffuser des béliers résistants (ARR/ARR) vers les élevages de production

→ Les mâles des schémas de sélection représentent le principal vecteur de diffusion du progrès génétique vers les élevages commerciaux. Entre 2000 et 2011, l’allèle ARR sur la voie mâle a augmenté de 37 % en races laitières et de 47 % en allaitantes (figure 8).

→ Quelle que soit la filière ovine considérée, les noyaux de sélection sont en capacité de fournir, par monte naturelle ou par insémination, des reproducteurs résistants aux élevages français. Pour les allaitants, environ 8 000 ont été diffusés en 2011, dont 96 % étaient de génotype ARR/ARR (versus 30 % en 2002). Pour les laitiers, 98 % des doses d’insémination artificielle distribuées en 2011 provenaient de béliers homozygotes résistants (versus 31 % en 2002), qui s’ajoutent à la diffusion de 2 000 béliers ARR/ARR de monte naturelle.

Le potentiel de diffusion des noyaux de sélection allaitants n’est pas totalement valorisé.

Il atteint désormais environ 14 000 béliers résistants et sélectionnés (dont la majorité est connue par simple prédiction de génotype).

→ À cela s’ajoute le potentiel de diffusion via l’insémination artificielle, les béliers allaitants présents dans les centres d’insémination étant tous de génotype ARR/ARR.

7. Évolutions réglementaires : l’inventaire des béliers de tous les élevages français

En complément des mesures existantes visant à lutter contre la tremblante classique (PNAGRTc et police sanitaire), un projet consensuel porté par la profession, les pouvoirs publics et les instituts de recherche et technique a vu le jour à l’automne 2011. L’objectif principal est d’évaluer le niveau de résistance à la tremblante classique dans la population générale (photo). En effet, le PNAGRTc a conduit à une augmentation significative de l’allèle ARR dans les noyaux de sélection. Toutefois, trop peu d’informations sur la population générale sont actuellement disponibles (sauf dans le cas particulier des Pyrénées-Atlantiques, par exemple). Le projet repose alors sur un inventaire des mâles utilisés à des fins de reproduction dans tous les élevages français. Cet inventaire annuel (joint au recensement réglementaire) conduira prochainement à la mise en place d’un observatoire de la résistance au niveau national et, plus largement, des flux de reproducteurs mâles des noyaux de sélection vers les élevages commerciaux.

Conclusion

Le PNAGRTc a mobilisé beaucoup d’énergie pendant plus de 10 ans. Assorti de moyens techniques et financiers significatifs, il a pleinement répondu aux objectifs fixés lors de sa création. Il a également permis le développement d’une logistique (prélèvements d’échantillons biologiques, analyses de laboratoire, enregistrement en base de données en lien avec les bases de données génétiques) valorisable pour la prise en compte d’autres informations génomiques en sélection. L’augmentation significative observée de la résistance vis-à-vis de la tremblante doit être consolidée dans certaines races. Il convient donc que les mesures d’accompagnement soient maintenues pendant plusieurs années : génotypages ciblés, suivi technique, analyse des données, etc. Il s’agit de prévenir une diminution de la résistance dans les élevages ovins français.

Au-delà de la résistance à la tremblante, la pérennisation de l’inventaire annuel des béliers de tous les troupeaux ovins français constitue un outil précieux pour les filières (lait et viande).

Références

  • 1. Andréoletti O, Lacroux C, Chabert A et coll. PrPsc accumulation in placentas of ewes exposed to natural scrapie: influence of fœtal PrP genotype and effect on ewe-to-lamb transmission. J. Virol. 2002;83:2607-2616.
  • 2. Barillet F, Palhière I, Astruc JM et coll. Le programme français d’éradication de la tremblante du cheptel ovin fondé sur l’utilisation de la génétique. Inra Prod. Anim. 2004;numéro hors série:87-100.
  • 3. Brochard M, Palhière I, Verrier E et coll. Impact d’une sélection forte pour un gène majeur sur la variabilité et les niveaux génétiques : cas de la sélection pour la résistance à la tremblante ovine. Rencontre Recherche Ruminants. 2006;3;231-234.
  • 4. Corbière F, Barillet F, Andréoletti O et coll. Advanced survival models for risk-factor analysis in scrapie. J. Gen. Virol. 2007;88:696-705.
  • 5. Goldmann W, Hunter N, Benson G et coll. Different scrapie-associated fibril proteins (PrP) are encoded by lines of sheep selected for different alleles of the Sip gene. J. Gen. Virol. 1991;72:2411-2417.
  • 6. Groschup M, Lacroux C, Buschmann A et coll. Classic scrapie in sheep with the ARR/ARR prion genotype in Germany and France. Emerg. Infect. Dis. 2007;13(8):1201-1207.
  • 7. Hunter N, Goldmann W, Benson G et coll. Swaledale sheep affected by natural scrapie differ significantly in PrP genotype frequencies from healthy sheep and those selected for reduced incidence in scrapie. J. Gen. Virol. 1993;74:1025-1031.
  • 8. Hunter N, Foster J.D, Dickinson AG et coll. Linkage of the gene for the scrapie-associated fibril protein (PrP) to the Sip gene in Cheviot sheep.Vet. Rec. 1989;124:364-366.
  • 9. Ikeda T, Horiuchi M, Ishiguro N et coll. Amino acid polymorphisms of PrP with reference to onset of scrapie in Suffolk and corriedale sheep in Japan. J. Gen. Virol. 1995;76:2577-81.
  • 10. Palhière I, Brochard M, Barillet F et coll. Breeding for scrapie resistance in France. 55th annual meeting of the European Association for Animal Production. Bled, September 2004. Commission on Animal Genetics.
  • 11. Palhière I, Brochard M, Moazami-Goudarzi K et coll. Impact of the strong selection for the PrP major gene on the genetic variability of four french sheep breeds. Genet. Sel. Evol. 2008;40:663-680.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les races à petits effectifs ont été également impliquées, mais avec des objectifs adaptés à leurs contraintes, notamment en termes de gestion de la variabilité génétique.

→ La résistance à la tremblante de toutes les races a été améliorée.

→ Globalement, les mesures de gestion mises en place ont permis de maintenir le niveau de variabilité génétique.

→ L’utilisation de béliers ARR/ARR dans les troupeaux réduit la pression d’infection, car le placenta d’agneaux hétérozygotes ARR n’est pas infectieux.

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