Des idées reçues sur l’acidosesont revues - Le Point Vétérinaire expert rural n° 336 du 01/06/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 336 du 01/06/2013

MALADIES MÉTABOLIQUES DES VACHES LAITIÈRES

Veille scientifique

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : Cabinet vétérinaire
8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Maladie devenue “la routine” des vaches laitières hautes productrices, l’acidose subaiguë du rumen a été réévaluée à divers égards. Des a prioripatho-physiologiques sont remis en cause.

Divers évènements de formation continue du vétérinaire en production bovine ont mis l’acidose sur le devant de la scène ces derniers mois [2]. Le présent article revient sur certains points qui vont dans le sens d’une remise en question scientifique.

ACIDOSE SUBAIGUË DU RUMEN : MÊME À L’HERBE

→ Michael Doherty, clinicien hospitalier en pathologie du bétail à l’école vétérinaire de Dublin (Irlande) encourage les vétérinaires européens à ne pas ranger l’acidose subaiguë du rumen (Asar) dans la rubrique des maladies sur lesquelles il ne reste plus rien à découvrir.

Il s’est intéressé tout particulièrement à l’Asar des vaches en pâture, tout comme ont pu le faire des auteurs australiens, canadiens, voire néerlandais (Doherty, Bramley, Krause et Nordlund, par exemple) [1, 2, 6, 9]. Maladie métabolique traditionnellement associée aux systèmes intensifs, elle n’est toutefois pas réservée à la vache en stabulation (encadré). Elle survient dans des systèmes d’allure extensive. Des cas sont ainsi observés lors d’introduction brutale en pâture chez des vaches en péripartum, dans des contextes orientant a priori sur la tétanie d’herbage (hypomagnésiémie) [1].

→ Les études sur l’intérêt de l’adjonction de certaines levures à la ration dans la prévention de l’acidose subaiguë du rumen ont été transposées dans pareil contexte, révélant la fréquence relative de cette surprenante acidose de pâturage [2, Symposium Alltech 2012].

De fait, certains systèmes laitiers à dominante herbagère tendent vers l’intensif dans certaines conditions agronomiques : herbe riche, climat autorisant une pousse toute l’année, rythme intense de rotation de parcelles, etc. (photo 1).

Une étude de cas témoins appariés montre que les bas pH sont fréquents lors de la mise en pâture sans transition [1]. Quatre-vingts pourcents des vaches affichent des pH ruminaux inadéquats. La cellulolyse est le facteur limitant dans ces contextes.

Le risque d’Asar est majoré à deux périodes de production : en tout début de lactation (avant 80 jours) et au pic (de 80 à 150 jours) [9].

VERS UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L’ENVIRONNEMENT RUMINAL

Les liens entre l’Asar et divers signes cliniques qui lui sont généralement associés (et considérés comme séquelles) ne sont pas aussi clairs que précédemment exposé, en raison d’une confusion avec l’acidose lactique aiguë.

1. La ruminite est rare

La présence concomitante d’une ruminite lors d’Asar ne semble plus du tout évidente, d’après les recherches bibliographiques et les observations personnelles de Michael Doherty.

Pour pouvoir mieux décrire la pathophysiologie de l’Asar, au-delà de la muqueuse au sens tissulaire du terme, une notion de barrière ruminale a été définie, qui s’entend par la frontière au sens large entre le micro-environnement ruminal et le sang périphérique (notion de microbiote ruminal, traduction française admise de l’anglais microbiome(1) [6]. La plupart des cas d’Asar ne s’accompagnent pas d’altération de cette barrière ruminale (pas d’abcès local, parakératose, augmentation de la taille des papilles ou abcès à distance dans le foie, etc.). Des lipopolysaccharides libres (issus de la lyse bactérienne) ne passent pas dans le sang périphérique. L’observation d’une effraction de la barrière ruminale n’a été rapportée que dans un cas chez une vache laitière (en microscopie électronique). Il s’agissait d’un contexte d’acidose plutôt aiguë, d’après les niveaux de pH rapportés [2].

La baisse d’ingestion observée lors d’Asar reste actuellement expliquée par des processus inflammatoires. Cependant, d’après Doherty, il s’agit là d’une hypothèse et la perturbation ne proviendrait pas tant du rumen que de l’intestin distal (phénomène de translocation bactérienne).

2. Des effets “fourbure”

Un lien entre l’Asar et l’atteinte inflammatoire des tissus sensibles (chorium) du pied est régulièrement évoqué (photo 2) [2]. Cette approche serait aussi à nuancer. Une étude en Floride citée par Doherty n’a pas réussi à mettre en évidence un lien direct entre l’Asar et les lésions podales [3]. L’environnement (type de sol, de logement etc.) est davantage déterminant que l’alimentation.

3. Voie de la génétique et poussée du bien-être

→ Il conviendrait ainsi de revenir régulièrement aux fondamentaux dans l’approche des maladies métaboliques en élevage bovin laitier. Il s’agit de rester scientifique, de continuer à se poser des questions et de chercher à déterminer si quelqu’un quelque part a avéré une hypothèse ou une autre. Michael Doherty encourage une démarche de médecine factuelle de la part des praticiens.

Il conviendrait de prendre davantage en compte, à l’avenir, l’adaptabilité à son environnement de la race bovine laitière sélectionnée, face au risque de survenue d’Asar en élevage. Une sélection génétique orientée sur les paramètres de santé s’impose et, plus largement, sur l’aptitude au bien-être de l’animal.

Il existe un courant de pensée actuel en Europe qui vise à inclure l’acidose ou la fourbure dans les maladies qui portent atteinte au bien-être des vaches en production. Pareille approche a suscité un rapport des experts de l’agence qui conseille les législateurs européens de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, en réponse à une question posée au sein de la commission européenne [4].

→ Une réflexion mérite aussi d’être entamée en termes d’agronomie (travail de l’herbe) pour obtenir des fibres plus longues et plus nombreuses au pâturage.

La clé pourrait aussi résider dans la conduite d’élevage. Rappeler aux éleveurs qu’il convient d’assurer une sortie progressive en pâture n’a pas seulement pour objectif la prévention de la tétanie d’herbage. Toute autre mesure qui permet de maintenir le rumen en bonne santé prend tout son sens dans cette nouvelle approche. En termes de ration, il s’agit d’incorporer moins de concentrés dans la ration distribuée, en complément de l’herbe au pâturage. L’intérêt des huiles (de soja ou d’autres origines) resterait largement à explorer dans ces contextes “herbagers à tendance intensive” [8].

Diverses substances tampons et modificateurs de rumen sont à l’étude.

Le bicarbonate voit, en revanche, arriver la fin de son heure de gloire. Les quantités requises dans des contextes vraiment à risque rendent le concentré absolument inappétant, d’après Doherty. S’en remettre au bicarbonate pour équilibrer une ration défaillante est forcément insuffisant, insiste-t-il.

Malgré les progrès rapportés récemment, les données restent insuffisantes sur ce qui se déroule véritablement dans le rumen [6, 7, 10].

DIAGNOSTIC : INTÉRÊT DES SYSTÈMES EMBARQUÉS ?

1. Limites de la ruminocentèse

Pour le diagnostic de l’Asar, la ruminocentèse reste la méthode de référence en termes de fiabilité, d’après l’Irlandais Michael Doherty. Elle est parfaitement réalisable en pratique, mais pas forcément facile chez des vaches serrées les unes contre les autres au cornadis ou, inversement, avec un rayon circulaire d’action bien trop large lorsqu’elles sont laissées seules dans ces dispositifs de contention.

Les prélèvements doivent également être effectués au bon moment (5 à 8 heures après la distribution d’une ration complète, 2 à 5 heures après une distribution fractionnée, etc.), et sur le nombre juste de vaches (jusqu’à 12 sont recommandés si les pH observés sont bas) [9].

L’analyse doit s’effectuer immédiatement.

Prélever le contenu ruminal à la pompe stomacale n’est pas satisfaisant en raison des modifications apportées par la salive qui dispose d’un fort pouvoir tampon et est récoltée concomitamment.

Les analyses biologiques sont une possibilité récente : le dosage du valérate et la mesure de l’acidité urinaire sont justifiés.

2. Intérêt des sondes ruminales

La sonde ruminale laissée à demeure sous forme de bolus constitue une solution alternative, mais les données obtenues ne s’interprètent pas brutes et nécessitent d’être couplées à un logiciel (susceptible, à terme, d’être lui-même couplé au robot de traite, par exemple) (photo 3).

Après avoir participé à tester le dispositif, l’Autrichien Johann Gasteiner estime que les sondes ruminales constituent un outil incontournable pour la gestion des fermes laitières dans le futur [5]. La mesure du pH s’effectue sur un temps beaucoup plus long que ne l’autorisent des ponctions, même répétées. Cent quarante-quatre mesures par vache par jour ont été effectuées chez 4 vaches réparties dans quatre fermes au sein du Johanne institute for animal welfare and health (Autriche), de 8 jours à 80 jours post-partum. La transmission des pH s’effectuait par radio grâce à une antenne disposée en salle de traite. Les résultats ont été interprétés non seulement en niveaux de pH observés, mais aussi dans le temps. L’importance des fluctuations de ce dernier et les variations interindividuelles pour une même ration ont été mises en évidence. « Certaines vaches passent leur temps à s’adapter », décrit l’Autrichien.

Des effondrements à court terme sont parfaitement identifiables (qui font suite à une forte prise de concentré). Une corrélation avec les fluctuations de la production de lait a été recherchée, tout autant qu’avec le type de ration apportée.

Des sondes ruminales mesurant seulement la température sont actuellement à l’étude pour la détection de l’acidose, en raison d’un lien entre pH ruminal et température.

3. Lien avec la matière grasse du lait

Malgré l’engouement des Américains voilà quelques années, les liens entre l’Asar et la chute du taux butyreux (TB) sont remis en question.

Des travaux réalisés notamment à la faculté de Gand, en Belgique (mais aussi à celle d’Utrecht, au Pays-Bas) montrent que l’une et l’autre ne sont pas toujours associées, rapporte Doherty [2, 9]. Le profil d’acides gras dans le lait serait un critère de meilleure valeur mais sa mise en œuvre en pratique reste limitée(2).

Conclusion

L’Asar est ainsi passée minutieusement en revue à la lumière de la médecine factuelle, à la faveur d’évènements de formation récents sur notre territoire(3).

La fiabilité des différents signes cliniques d’appel d’acidose a aussi été réévaluée en France récemment à l’école Oniris de Nantes, dans une étude à destination des praticiens « perdus dans une jungle de symptômes, dont certains empiriques ». Les résultats sont synthétisés dans la fiche technique illustrée dans les pages suivantes.

D’autres travaux récents autour du risque d’acidose en lien avec le pH ou la composition de l’eau n’ont pas été évoqués dans cet article, mais suscitent pourtant l’intérêt, voire la polémique [travaux de Catherine Journel, communications personnelles].

L’approche multifactorielle par l’audit de troupeau (étude du bâtiment, de la ration, des quantités de matière utile du lait, de la rumination, du comportement des animaux) permet de contourner la difficulté à identifier et à manier en pratique “l’outil diagnostique idéal” de l’Asar, qui n’existe pas. La place du vétérinaire garde alors tout son sens dans ce contexte, malgré la montée en puissance de systèmes de détection dits intelligents.

  • (1) Voir l’article “Mammite : du bon usage du vocabulaire et du concept” de B. Poutrel. La Semaine Vétérinaire. 2013;1537:9.

  • (2) Voir l’article “Pertinence des différents signes d’acidose” de M. Guédon et coll. dans ce numéro.

  • (3) La prochaine édition du forum européen de buiatrie se tiendra à Marseille du 27 au 29 novembre prochain. http://www.buiatricsforum.com/ebfinfo.html

Références

  • 1. Bramley E, Lean IJ, Costa ND, Fulkerson WJ. The definition of acidosis in dairy herds predominatly fed on pasture and concentrates. J. Dairy Sci. 2008;91(1):308-321.
  • 2. Doherty M. Sub-acute ruminal acidosis : what to do « in the field ». Proceeding EBF Marseille 16-18 nov 2011:77-82.
  • 3. Donovan GA, Risco CA, DeChant Temple GM et coll. Influence of transition diets on occurrence of subclinical laminitis in Holstein dairy cows. J. Dairy Sci. 2004;87:73-84.
  • 4. EFSA Effects of farming systems on dairy cow welfare and disease. Report of the panel on animal health and welfare. Question N° EFSA-Q-2006-113. Annex to the EFSA Journal. 2009;1143:1-7.
  • 5. Gasteiner J. Long term measurement of rumen pH in dairy cows by an indwelling and wireless data trasnmitting unit. Proceeding EBF Marseille 16-/11/2011:85.
  • 6. Khafipour E, Li S, Plaizier JC, Krause DO. Rumen microbiome composition determined using two nutritional models of subacute ruminal acidosis. Appl. Environ. Microbiol. 2009;75(22):7115-7124.
  • 7. Khafipour E et coll. A grain-based ruminal acidosis challenge causes translocation of LPS and triggers inflammation. J. Dairy Sci. 2009;92(3):1060-1070.
  • 8. Mulligan FJ, O’Grady L, Rice DA, Doherty ML. A herd health approach to dairy cow nutrition and production diseases of the transition cow. Anim. Reprod. Sci. 2006;96(3-4):331-353.
  • 9. Oetzel GR. Monitoring and testing dairy herds for metabolic disease. Vet. Clin. Food Anim. Pract. 2004:20
  • 10. Plaizier JC, Krause DO, Gozho GN, McBride BW. Subacute ruminal acidosis in dairy cows: the physiological causes, incidence and consequences. Vet. J. 2008;176(1):21-31. doi: 10.1016/j.tvjl.2007.12.016. Epub 2008 Mar 10.

Conflit d’intérêts

Aucun.

ENCADRÉ
Mieux circonscrire l’acidose subaiguë du rumen

→ Il manquerait un consensus sur la définition de l’acidose subaiguë du rumen (Asar). Or « il convient d’être constant et clair dans l’usage des mots », estime Michael Doherty, de l’école vétérinaire de Dublin (Irlande) [2]. L’adjectif “subaiguë” nous situe entre la maladie aiguë et l’affection de longue durée, soit une durée d’évolution admise « de l’ordre d’une semaine ».

→ La forme aiguë reste davantage décrite dans les publications. Elle fait suite à l’ingestion massive d’un aliment responsable de la formation d’acide lactique. Le pH ruminal s’abaisse en dessous de 5,2. Les nombreuses études sur le sujet ont généralement été effectuées dans des conditions d’engraissement à grande échelle (de type feedlots) qui n’ont rien à voir avec nos systèmes herbagers intensifs pour vaches laitières hauts productrices. Lors d’Asar survenant au pic de lactation dans ce cas, divers acides gras volatils à courte chaîne s’accumulent (propionate, acétate, butyrate, principalement). Les capacités d’absorption et le pouvoir tampon du microbiote (microbiome en anglais) ruminal sont dépassées.

→ La forme subaiguë d’acidose se situe dans l’intervalle de pH de 5,2 à 5,5, avec des phases d’acidose d’une durée supérieure à 174 à 180 min [10]. Elle se définit donc, non seulement par un intervalle de pH, mais aussi par une durée d’anomalie acido-basique.

→ Dans les diverses définitions collectées par Doherty dans les publications, les termes chroniques, subcliniques et subaiguë tendent à se superposer, à tort, car cela « entretient la confusion » [2].

Points forts

→ S’en remettre au bicarbonate pour équilibrer une ration défaillante est forcément insuffisant.

→ Il conviendrait de prendre davantage en compte à l’avenir l’adaptabilité à son environnement de la race bovine laitière sélectionnée.

→ La notion de microbiote ruminal émerge et permet de mieux décrire les processus en cause lors d’acidose subaiguë du rumen qu’une approche purement lésionnelle.

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