La production de lait : entre rentabilité et faillite au nord de l’Europe - Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 334 du 01/04/2013

ÉCONOMIE DE L’ÉLEVAGE

Article de synthèse

Auteur(s) : Béatrice Bouquet

Fonctions : 8, rue des Déportés
80220 Gamaches

Les exploitations françaises ont profité depuis 2009 de l’augmentation des volumes qu’elles sont autorisées à produire pour “diluer” leurs coûts fixes.

Entre 2006 et 2011, les prix du lait et les charges pour les exploitations laitières ont fortement oscillé. Les périodes avant, pendant et après la crise ont permis d’apprécier la compétitivité et la résilience des différents “modèles” laitiers européens, dans un contexte de libéralisation progressive des marchés. Ce sujet a fait l’objet d’une synthèse présentée par Christophe Perrot, de l’Institut de l’élevage, en avant-première le 7 novembre dernier à Paris, lors d’une formation technique en alimentation animale (photo 1) [1]. Seules les grandes lignes de cette présentation sont présentées ici à destination d’un lecteur vétérinaire intervenant en élevage et susceptible de percevoir l’impact de ces fluctuations économiques dans le quotidien de son exercice. Les données qui ont permis à l’Institut de l’élevage groupe économie de réaliser la synthèse sont issues du Réseau d’information comptable agricole (Rica) européen. Celui-ci rassemble les comptabilités d’un échantillon de plus de 20 000 exploitations laitières européennes (7 000 pour les 6 pays retenus dans cet article).

UNE CRISE AU MOMENT “PERILLEUX”

Les prix des produits laitiers ont flambé sur les marchés mondiaux à la suite de l’augmentation de ceux des matières premières (agricoles ou non) en 2007-2008. En 2009 s’est opéré un retournement de la demande mondiale en lait, en raison d’une crise économico-financière. L’Europe était d’autant plus vulnérable qu’elle était en train d’abandonner les instruments de régulation des marchés que sont les quotas, le système d’intervention et les aides à l’utilisation. Les cours mondiaux des produits laitiers les plus échangés ont doublé. Les prix mensuels du lait en Europe ont gagné 50 %, avant d’être divisés par deux dans certains pays (Allemagne). Ces variations inédites et imprévues ont rendu périlleux l’accompagnement de la fin des quotas laitiers. Le système d’intervention a été rétabli partiellement et des aides compensatrices ont été décidées au niveau européen, parfois complétées par des plans nationaux. Différents pays ont fait en sorte de stabiliser les prix (gel des augmentations de quotas en France, gestion et compléments de prix par la coopérative danoise en situation de quasi-monopole).

Depuis la mi-2010, les prix du lait en Europe ont retrouvé leurs niveaux d’avant 2007. Chaque pays garde des spécificités (au regard de la réactivité des prix et des volumes). Dans tous les États, toutefois, les intrants (engrais, aliments, énergie) continuent de peser plus lourd qu’avant.

Les variations de la rémunération du travail en exploitation laitière ont été impressionnantes pour les six grands producteurs laitiers du nord et de l’ouest de l’Union européenne (UE) étudiés (figure 1).

Cinq d’entre eux sont des exportateurs nets, avec en tête l’Irlande (80 % de la production exportée), suivie du Danemark (70 %), des Pays-Bas (60 à 65 %), de l’Allemagne (45 %) et, enfin, de la France avec 40 % de la production exportée. La concurrence entre ces pays est rude sur le marché européen et au-delà, à la suite de la mondialisation des marchés des produits laitiers, non sans conséquence sur le prix du lait.

AUTOUR DE LA CRISE CHEZ NOS VOISINS DU NORD-EST

Allemagne

L’Allemagne caracole en tête pour la production de lait en Europe. Elle voudrait progresser encore, en particulier à l’export (les quotas la brident encore), sachant que le marché intérieur arrive à saturation (vieillissement de la population). Les coopératives (surtout dans le nord du pays, région au plus fort potentiel) se sont restructurées et continuent à le faire actuellement. Elles investissent dans la transformation. La stratégie adoptée pendant la crise de 2009 a limité les dégâts. Produire plus, malgré un prix du lait bas, pour diluer les coûts a demandé un effort, mais s’est révélé payant en définitive puisque la crise a été profonde mais courte. D’après divers observateurs de la filière, il n’y aurait pas eu de mauvaise année en Allemagne pendant cette période de crise, tandis que la France n’en aurait pas connu de bonne (cette dernière a de fait géré la crise aussi dans l’intérêt de ses voisins) (figure 2).

Particularité nationale, le lait est concurrencé par le biogaz au nord (40 % du maïs d’ensilage est consacré à cette production) et par les grandes cultures à l’est. La pression du consommateur s’exerce en faveur d’un faible prix (hard discount en distribution).

Irlande

Déjà championne de l’export, l’Irlande apparaît tout aussi conquérante que notre grand voisin allemand, et tout aussi impatiente de sortir des quotas. Elle vise 50 % de hausse de production à l’horizon 2020. Le lait est une des solutions majeures de sortie de crise nationale, sachant que la crise financière a particulièrement impacté l’économie de ce pays. Avec son climat tempéré, sa production est low cost, reposant sur le pâturage avec peu de complémentation (avec un certain manque d’équipement) (figure 3). La recherche vient en appui pour mettre au point le système (par exemple, pour adapter le modèle néo-zélandais au pays). La production de lait en Irlande n’a à craindre qu’une météo capricieuse, notamment en période de pâturage comme en 2012 (le système est très saisonner). Le prix des terres est très élevé et le secteur de la transformation doit évoluer pour accompagner la production.

Royaume-Uni

Le Royaume-Uni bénéficie du même climat favorable à l’élevage laitier. Il peine pourtant à produire ne serait-ce que suffisamment pour son territoire (le pays est nettement déficitaire et cherche surtout à autoproduire son lait de consommation vendu frais et non UHT). Les éleveurs vieillissent, manquent d’organisation, et doivent répondre aux exigences environnementales ou éthologiques des clients consommateurs (appuyées par des entreprises de distribution surpuissantes). Les exploitations britanniques, qui mobilisent beaucoup de salariat, ont connu une longue période de faible rentabilité qui a nui au montant des investissements. La dépréciation de la livre leur a rendu un grand service lors de la crise, mais la progressive réévaluation est une menace. Le secteur de la transformation reste trop faible outre-Manche, mais la pression de firmes continentales (le scandinave Arla et l’allemand Muller) pourrait avoir un impact favorable à l’avenir. La tuberculose fait courir un risque à la filière laitière, avec 4 % de troupeaux infectés en 1998, 25 % en 2008, malgré le milliard de livres investis dans la lutte en 10 ans. La moitié des bovins contaminés sont laitiers, ce qui pénalise le renouvellement des cheptels.

Pays-Bas

Champions face à la crise, les Pays-Bas doivent néanmoins, comme au Royaume-Uni, gérer la pression de la société sur les aspects environnementaux et de bien-être en élevage. C’est le cheptel porcin qui pourrait diminuer face aux poussées “antinitrates” et “anti-zéro pâturage”. L’excédent azoté par hectare a, certes, été réduit de 50 % dans les fermes laitières par rapport aux années 1990, mais il reste deux fois plus élevé que dans l’ouest de la France. Plus encore qu’en Irlande, les éleveurs doivent composer avec un prix du foncier extrêmement élevé (40 000 €/ha). La crise n’a pas ébranlé les ambitions nationales (+ 20 % en 2020). Les compétences technico-économiques remarquables des éleveurs laitiers en ont amorti les effets (la crise a été vécue comme un “faux pas” ; la conduite des exploitations et la consommation ont été peu perturbées). Les Pays-Bas exportent leur savoir-faire en production laitière à travers le monde.

Le système est hyperspécialisé et homogène (mais les coûts de production s’accroissent, en particulier avec la sous-traitance des tâches agricoles). Les frais de collecte restent limités dans ce petit pays densément implanté. La transformation ultraconcentrée est un atout non négligeable.

Danemark

Au Danemark, c’est “grandeur et décadence au XXIe siècle”. Le système a notamment souffert d’un pari sur l’avenir très risqué. Pour affronter en position de force l’après-quota, les élevages avaient doublé de taille en sept ans (photos 2a, 2b et 2c). La coopérative nationale de transformation Arla est un poids lourd de l’export (elle tend à échapper au contrôle de ses détenteurs à travers ses ambitions à l’international, par rachats successifs). Les performances techniques des éleveurs ont progressé bien plus vite que leurs capacités de gestion. Les crises financière (2008), puis laitière (2009) ont plongé les exploitations, surendettées, dans les difficultés. Peu de vraies faillites ont eu lieu, mais 7 % des éleveurs (surtout lait et porcs) sont insolvables. Les banques (qui ont en partie fait faillite également) ont pris le contrôle du système pour que le lait “national” n’entraîne pas tout le pays dans la faillite. Plusieurs sites de production sont parfois ou seront contrôlés par un même manager, généralement un éleveur très bien formé, qui a pour salariés d’anciens chefs d’exploitation en faillite (notamment producteurs de porcs). La dette agricole a cessé d’augmenter, mais les investissements aussi ont subi “le coup de frein des banques”.

Les chiffres restent impressionnants : 1 000 tonnes de lait produites par exploitation et par an sur la période 2005-2011 (c’est le tiers en France), bientôt 1 500. Le système repose sur la main-d’œuvre salariée (34 € de salaire par tonne de lait produite au Danemark contre 4 €dans l’Hexagone). Le résultat moyen est très faible sur la période (12 € par tonne contre 112 € en France).

TRAIN DE RETARD ET MARGE DE PROGRÈS EN FRANCE

→ Les exploitations laitières françaises sont diversifiées (comme en Allemagne). Il existe trois grands contextes de production : le Grand Ouest, « naturellement orienté vers le lait », les montagnes, qui « ont besoin de se démarquer pour éviter la concurrence frontale avec la plaine sur les produits de masse », et le système polyculture élevage, très productif et rentable, mais plutôt rigide et qui a été un peu déstabilisé pendant la crise de 2009. Cette pluralité, parfois considérée comme un obstacle à la rationalisation des filières, pourrait plutôt permettre de répartir les risques et d’améliorer la “résilience” de toute notre économie laitière.

→ Les exploitations sont globalement économes en intrants, notamment dans l’Ouest.

→ Malgré les surfaces disponibles et contrairement au système irlandais (où le fourrage est directement prélevé par les vaches en pâturage), les coûts alimentaires de nos exploitations laitières sont élevés. Les principales responsables en sont les charges de mécanisation nécessaires pour cultiver des fourrages sur des surfaces importantes avec une densité de lait limitée jusqu’ici (photo 3).

→ Notre production laitière a souffert d’un certain manque de réactivité en temps de crise. La hausse des prix en 2007, puis celle des volumes à produire en 2008 sont arrivées plus tard en France qu’en Allemagne, par exemple. Mais les exploitations ont beaucoup évolué depuis 2009. La productivité du travail a bondi et entraîné une dilution des charges fixes. La rentabilité de nos exploitations pourrait encore s’améliorer, selon les observateurs de l’Institut de l’élevage.

Conclusion

Ainsi, comparer les systèmes laitiers permet de mieux discerner les atouts et les faiblesses de notre propre filière.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ Les compétences technico-économiques remarquables des éleveurs laitiers néerlandais ont amorti les effets de la crise.

→ Les volumes “ont dilué” les coûts en Allemagne en 2009, la maîtrise les a concentrés en France, tout en permettant un certain maintien des prix.

→ Dans tous les pays, les intrants (engrais, aliments, énergie) continuent de peser plus lourd qu’avant.

SOURCE

Département économie, Institut de l’élevage. Les modèles laitiers du nord de l’Union européenne à l’épreuve de la volatilité. Dossier : Economie de l’élevage n° 428, octobre 2012. Disponible en ligne sur le site www.idele.fr, rubrique Domaines techniques puis Économie des filières, Analyse des filières IDELE:76p.

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