Gestion de la douleur chez les animaux d’élevage : la règle des 3S - Le Point Vétérinaire expert rural n° 333 du 01/03/2013
Le Point Vétérinaire expert rural n° 333 du 01/03/2013

BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX D’ÉLEVAGE

Veille scientifique

Auteur(s) : Raphaël Guatteo

Fonctions : LUNAM Université, OnirisÉcole nationale vétérinaire, agroalimentaire et
de l’alimentation Nantes-Atlantique, Département
santé des animaux d’élevage et santé publique,
Unité de médecine des animaux d’élevage,
BP 40706, 44307 Nantes Cedex 3UMR Oniris-Inra 1300 biologie, épidémiologie
et analyse des risques en santé animale (BioEpAR)
44307 Nantes Cedex 3

Le praticien, le plus souvent, soulage la douleur des animaux d’élevage, mais il est le mieux placé pour agir à chaque étape proposée par la règle des 3S : supprimer, substituer, puis soulager.

La douleur est un élément du bien-être animal qui doit être pris en compte au cours des différentes étapes des systèmes d’élevage des animaux de production. Les moyens d’agir pour prévenir et contrôler la douleur doivent impérativement être adaptés aux besoins individuels des animaux. Il convient qu’ils prennent également en compte l’espèce, la race, l’âge et les particularités comportementales de ces derniers, le type de procédure douloureuse réalisée, ainsi que l’étendue de l’atteinte tissulaire et l’intensité de la douleur provoquée.

LA RÉGLE DES 3S, EN ANALOGIE À CELLE DES 3R

Bien que les solutions pratiques doivent être envisagées au cas par cas et en adéquation avec les conditions propres à chaque filière de production, il n’est pas irréaliste de penser qu’une approche plus globale des questions posées permettrait de proposer des réponses génériques visant à prévenir ou à limiter la douleur chez les animaux de ferme. Il est même possible d’anticiper que ces solutions pourraient être bénéfiques à la qualité de la production, ainsi qu’aux conditions de travail des personnels impliqués.

La démarche suivie pour diminuer le recours aux animaux de laboratoire, nommée les “3R” (réduire, remplacer, raffiner, soit replace, reduce, refine), mérite d’être considérée pour améliorer la situation des animaux d’élevage. Comme il ne s’agit pas de remettre en cause le recours à ces derniers, ce concept devait être adapté à la problématique : réduire les douleurs en situation d’élevage (figure).

Un cadre conceptuel a été présenté lors de l’expertise scientifique collective menée par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur les douleurs animales en 2009 [2]. Une démarche par étapes, nommée la règle des 3S (supprimer, substituer, soulager),en analogie aux 3R, est proposée. Elle préconise des solutions qui visent à supprimer certaines pratiques d’élevage à l’origine d’une souffrance, des solutions pour leur substituer des méthodes moins douloureuses lorsque ces pratiques sont indispensables et améliorables, et, enfin, des solutions pour soulager la douleur lorsque celle-ci n’est pas évitable. Une traduction possible des 3S en anglais est la suivante : suppress, substitute, soothe.

La mise en œuvre de la procédure la plus adaptée doit prendre en compte la faisabilité dans le système de production envisagé, sa compatibilité avec la réglementation (autorisation de mise sur le marché [AMM] et limite maximale de résidus [LMR], notamment), les risques possibles pour l’éleveur et, éventuellement, le coût engendré.

QUELQUES EXEMPLES PRATIQUES

1. Supprimer des sources de douleur

La caudectomie chez les vaches laitières

Il est souvent difficile de prouver qu’une pratique douloureuse et infondée peut être abandonnée sans répercussion économique ou sanitaire notable. Un exemple passé est la coupe de la queue chez les vaches laitières, initialement réalisée afin principalement de limiter les souillures des mamelles, de prévenir les mammites et de prévenir le risque de leptospirose chez le trayeur. Il a été démontré que l’absence de caudectomie n’avait aucun effet délétère significatif sur la propreté de la mamelle, ni sur le risque de leptospirose, ni sur la qualité du lait produit [9]. La solution à la question éthique de la coupe de queue, dans ce contexte, a été son interdiction dans de nombreux pays.

L’écornage chez les bovins

Une solution d’ores et déjà mise en œuvre pour éviter d’avoir à écorner les veaux est d’avoir recours à de la semence de taureaux porteurs du gène acère. Les produits sont ainsi dépourvus de cornes. Toutefois, deux obstacles majeurs se heurtent actuellement à la généralisation de cette possibilité : le nombre de reproducteurs disponibles pour permettre un choix assez large et l’acceptabilité sociétale par les consommateurs et les éleveurs de vaches sans cornes, car l’image de l’animal et/ou celle de la production peuvent être affectées. De plus, la présence de moignons de corne présente parfois un avantage pour la contention ultérieure.

De façon générale

Améliorer les capacités d’adaptation des animaux par sélection génétique et cibler la sélection spécifique de certains caractères d’adaptabilité permettraient de supprimer des sources de douleur, liées aux maladies par exemple. Le but n’est pas de créer des animaux capables de résister à une dégradation éventuelle des conditions d’environnement, mais plutôt de restaurer des capacités d’adaptation et de résistance (robustesse) qui ont été perdues au cours du processus de sélection sur des critères orientés essentiellement vers la production [6]. De la même manière, les schémas de sélection en production porcine laissent entrevoir désormais la possibilité de ne plus castrer les porcs, moyennant des adaptations en abattoir pour détecter les carcasses trop imprégnées d’odeur.

2. Substituer des pratiques moins douloureuses

L’écornage des veaux

Les différentes techniques utilisables pour écorner les veaux ne sont pas équivalentes sur le plan de la douleur. De nombreuses études rapportent que l’écornage par cautérisation à l’aide d’un fer chaud ou électrique est moins douloureux que celui qui fait appel à des enduits ou à des crayons chimiques (NaOH), lequel, à son tour, l’est moins que l’écornage à l’aide d’une cisaille [7].

Ainsi, une revue assez récente conclut que la cautérisation est la méthode d’écornage la moins douloureuse et elle serait donc à privilégier [4].

La castration des veaux

Les techniques de castration des veaux peuvent être classées en trois grandes catégories : par écrasement (à l’aide de la pince de Burdizzo principalement), par striction (à l’aide d’un élastique le plus souvent) ou par exérèse chirurgicale, encore appelée “méthode sanglante” [1].

Ces différents procédés ne sont pas équivalents sur le plan de la douleur (photo 1). La castration par écrasement à l’aide de la pince de Burdizzo et la castration chirurgicale entraînent une douleur aiguë durant au moins 3 heures [5]. Toutefois, l’écrasement serait moins douloureux que l’exérèse chirurgicale [5]. Pour une même technique, l’âge de l’animal castré est un facteur de variation de la souffrance engendrée. Ainsi, la castration est moins douloureuse pour un veau âgé de 1 semaine que chez un animal de 3 à 6 semaines [3]. De même, la douleur associée à la castration d’un veau âgé de 3 à 6 semaines est moindre que celle d’un animal âgé de plus de 45 jours [10]. La castration à l’élastique est celle qui occasionne la douleur chronique la plus forte et est à prohiber.

Ainsi, selon les données publiées, la castration des veaux devrait se pratiquer :

– le plus tôt possible : de préférence à 1 semaine d’âge et pas après 45 jours ;

– en utilisant la méthode par écrasement à l’aide de la pince de Burdizzo.

Peu de données existent concernant les répercussions sur la croissance ou l’engraissement de cette castration précoce, par rapport à celle pratiquée chez des veaux plus âgés.

3. Soulager la douleur inévitable

Lorsque la douleur est inévitable, il convient d’adopter le principe d’une analgésie précoce, multimodale et adaptée à l’animal et à la procédure.

L’écornage des bovins

Une fois retenue la technique la moins douloureuse, il convient alors de choisir le protocole permettant l’analgésie la plus efficace (photo 2). Il apparaît, par exemple, qu’une anesthésie locale du nerf cornual par une administration locale de 5 à 8 ml de lidocaïne à 2 % diminue notablement la douleur pendant la période qui suit immédiatement l’écornage par cautérisation. Si cette anesthésie précède un écornage réalisé par d’autres méthodes, la douleur est diminuée, par rapport à l’absence d’anesthésie locale, mais de façon moindre [7]. Le recours à d’autres substances analgésiques est justifié car l’analgésie procurée par le bloc du nerf cornual ne dure que quelques heures. Ainsi, de nombreuses études ont évalué l’intérêt de recourir à des anti-inflammatoires non stéroïdiens(1) (AINS), seuls ou en association avec le bloc du nerf cornual. Une revue assez récente sur le sujet conclut que [4] :

– la cautérisation est la méthode d’écornage la moins douloureuse ;

– le protocole analgésique idéal associe une sédation à l’aide d’un a2-agoniste (xylazine), l’administration préopératoire d’un AINS(1) et une anesthésie locale du nerf cornual avant l’écornage.

L’administration d’un AINS(1) préopératoire est en ligne avec le concept d’analgésie précoce : plus tôt la douleur est prévenue et combattue, meilleurs sont les résultats et moindres les doses à utiliser.

Le recours à plusieurs voies d’administration (blocs, voie intraveineuse, etc.) et à différentes molécules correspond au concept d’analgésie multimodale : utiliser l’ensemble de l’arsenal disponible par toutes les voies possibles.

Encore une fois, la mise en œuvre de la procédure la plus adaptée peut se heurter à des contraintes réglementaires (comme la réalisation de l’anesthésie du nerf cornual par l’éleveur) ou pratiques, telle la formation des intervenants.

La castration des veaux

Le recours à une anesthésie locale par l’infiltration de 3 à 5 ml de lidocaïne à 2 % dans le pôle proximal du testicule diminue (sans l’abolir) la douleur lors de castration à la pince de Burdizzo ou d’exérèse chirurgicale [5]. Toutefois-, cette anesthésie locale ne semble pas faire cesser la douleur aiguë lors de castration à l’élastique par striction, qui, de plus, est associée à une douleur chronique perdurant plusieurs semaines, voire plusieurs mois [5]. Le recours à des anti-inflammatoires non stéroïdiens réduit également la douleur due à la castration par pression à la pince de Burdizzo [10]. Enfin, l’association d’une anesthésie locale et d’un AINS abolit la douleur lors de castration par la méthode chirurgicale ou par pression à l’aide d’une pince de Burdizzo [5]. Une étude récente rapporte la possibilité de gérer la douleur de longue durée à la suite d’une castration à la pince de Burdizzo en administrant “à la demande” de la lidocaïne par voie épidurale [8].

Ainsi, selon la littérature, la castration des veaux devrait se pratiquer :

– le plus tôt possible : de préférence à 1 semaine d’âge et pas après 45 jours ;

– en utilisant la méthode par écrasement à l’aide de la pince de Burdizzo ;

– et, enfin, avec un protocole analgésique associant l’administration d’un AINS 20 minutes avant la procédure et une anesthésie locale par infiltration de lidocaïne à 2 % (environ 5 ml) dans le pôle proximal de chaque testicule.

La prise en compte de l’âge de l’animal dans la procédure analgésique et du degré de douleur (selon la méthode employée) correspond au concept d’analgésie adaptée.

Conclusion

La gestion de la douleur au quotidien consiste souvent, pour les praticiens, à instaurer des traitements analgésiques (soulager). Cependant, les autres aspects ne doivent pas être négligés : supprimer la source de douleur, si celle-ci n’est pas nécessaire, et/ou lui substituer une méthode moins douloureuse. Dès qu’un traitement de la douleur est requis, les concepts d’analgésie précoce, multimodale et adaptée à l’animal et à la procédure sont mis en œuvre. À toutes ces étapes, le vétérinaire praticien est le mieux placé pour intervenir.

  • (1) En France, seul Metacam(r) est autorisé dans cette indication.

Références

  • 1. Kent JE, Thrusfield MV, Robertson IS et coll. Castration of calves: a study of methods used by farmers in the United Kingdom. Vet. Rec. 1996;138:384-387.
  • 2. Le Neindre P, Guatteo R, Guémené D et coll. Douleurs animales. Les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage. Expertise scientifique collective, rapport d’expertise. Inra, France. 2009:340.
  • 3. Robertson IS, Kent JE, Molony V. Effect of different methods of castration on behaviour and plasma cortisol in calves of three ages. Res. Vet. Sci. 1994;56:8-17.
  • 4. Stafford KJ, Mellor DJ. Dehorning and disbudding distress and its alleviation in calves. Vet. J. 2005;169:337-349.
  • 5. Stafford KJ, Mellor DJ, Todd SE et coll. Effects of local anaesthesia or local anaesthesia plus a non-steroidal anti-inflammatory drug on the acute cortisol response of calves to five different methods of castration. Res. Vet. Sci. 2002;73:61-70.
  • 6. Star L, Ellen ED, Uitdehaag K et coll. A plea to implement robustness into a breeding goal: Poultry as an example. J. Agric. Environ. Ethics. 2008;21:109-125.
  • 7. Stilwell G, Capitão E, Nunes T. Effect of three different methods of dehorning on plasma cortisol levels and behaviour of calves. In: 23rd World Buiatrics Congress, Quebec, Canada. 2004/07/11-16:665.
  • 8. Stilwell G, Lima MS, Broom DM. Effects of nonsteroidal anti-inflammatory drugs on long-term pain in calves castrated by use of an external clamping technique following epidural anesthesia. Am. J. Vet. Res. 2008;69:744-750.
  • 9. Stull CL, Payne MA, Berry SL et coll. Evaluation of the scientific justification for tail docking in dairy cattle. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2002;220:1298-1303.
  • 10. Ting AK, Earley B, Veissier I et coll. Effects of age of Holstein-Friesian calves on plasma cortisol, acute-phase proteins, immunological function, scrotal measurements and growth in response to Burdizzo castration. Anim. Sci. 2005;80:377-386.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Points forts

→ La règle des 3S propose de supprimer les sources de douleur si elles ne sont pas nécessaires, puis de substituer des pratiques moins douloureuses si l’acte pratiqué est indispensable et, enfin, si la douleur ne peut être évitée, de la soulager.

→ Le praticien soulage la douleur au quotidien, mais il est le mieux placé pour prendre en compte également les deux premières étapes.

→ L’analgésie doit suivre trois règles : être précoce, multimodale, et adaptée à l’animal et à la procédure.

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