CARDIOLOGIE DES BOVINS
Cas clinique
Auteur(s) : Hélène Michaux*, David Francoz**, Sylvain Nichols***, Élizabeth Doré****
Fonctions :
*CHUV de la Faculté de médecine vétérinaire
3200, rue Sicotte, Saint-Hyacinthe
Québec Canada J2S 7C6
**CHUV de la Faculté de médecine vétérinaire
3200, rue Sicotte, Saint-Hyacinthe
Québec Canada J2S 7C6
***CHUV de la Faculté de médecine vétérinaire
3200, rue Sicotte, Saint-Hyacinthe
Québec Canada J2S 7C6
****CHUV de la Faculté de médecine vétérinaire
3200, rue Sicotte, Saint-Hyacinthe
Québec Canada J2S 7C6
Un lymphome, une endocardite et une péricardite idiopathique sont diagnostiqués chez 3 vaches qui présentent des signes cliniques variables en intensité et en spécificité d’une insuffisance cardiaque.
Les signes cliniques d’insuffisance cardiaque observés chez les petits animaux tels que l’œdème, une anomalie à l’auscultation cardiaque, la toux ou l’ascite sont souvent peu évidents chez les bovins. D’autres signes moins spécifiques et moins évocateurs d’une insuffisance cardiaque sont plus fréquemment présents (tachycardie, dyspnée, tachypnée, augmentation des bruits respiratoires, abattement). Si les signes cliniques peuvent être variables autant dans leur intensité que dans leur spécificité, il existe plusieurs causes de maladie cardiaque chez la vache et leur pronostic est différent [3, 5].
Trois cas cliniques de vaches laitières prim’holstein traitées en parallèle illustrent cette problématique. Une présentation du motif de consultation et des signes cliniques de ces vaches permettent l’élaboration d’hypothèses diagnostiques. Un plan diagnostique pour chaque animal est ensuite élaboré et interprété. Enfin, selon les résultats des examens complémentaires, une décision thérapeutique est éventuellement mise en place.
Les 3 vaches, de race prim’holstein,ont été admisesau Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV) de la faculté de médecine vétérinaire (FMV) de l’université de Montréal à Saint-Hyacinthe de juin à août 2011.
→ La vache A, âgée de 5 ans et gestante de 7 mois, est présentée pour une suspicion de pneumonie avec l’apparition de signes respiratoires depuis 3 jours, associés à une fièvre de 40,3°C. À la ferme, la vache a reçu du ceftiofur sodique (1 g/j par voie intramusculaire [IM] pendant 3 jours), du kétoprofène (3 mg/kg IM aux 12 heures pour trois traitements), et une complémentation en oligo-éléments. De la leucose est rapportée dans le troupeau, son statut sérologique pour la leucose est inconnu.
→ La vache B, âgée de 9 ans et saillie 23 jours auparavant, est présentée pour une baisse d’appétit (essentiellement pour les concentrés) et une chute de production laitière depuis 2 semaines, associées à une fièvre de 39,7°C. Cette vache est sujette à des épisodes fréquents de cétose clinique. Elle recevait du triméthoprim et de la sulfadoxine (9 mg/kg une fois par jour, IM pendant 5 jours), de la flunixine méglumine (une fois 3,5 mg/kg par voie intraveineuse [IV] puis trois fois 2,5 mg/kg IM), sans amélioration. La température est redevenue normale après une administration de dexaméthasone (posologie inconnue) par le vétérinaire traitant. Son statut sérologique pour la leucose est inconnu.
→ La vache C, de robe rouge, âgée de 5 ans et saillie 20 jours auparavant, est présentée pour de la fièvre et l’apparition de signes d’insuffisance cardiaque depuis 3 jours (œdèmes et tachycardie). Elle recevait 30 000 UI/kg IM de pénicilline procaïne une fois par jour pendant 3 jours et 500 mg par jour de furosémide IM pendant 3 jours.
La liste des motifs de consultation et des signes cliniques observés sur chaque vache à leur arrivée est répertoriée (tableau 1).
En fonction des signes cliniques de chacune de ces vaches, il est possible d’établir un diagnostic différentiel commun aux trois vaches.
En raison de la présence de signes respiratoires associés éventuellement à de l’hyperthermie, une broncho-pneumonie est à considérer pour les 3 animaux.
Les signes cliniques sont fortement évocateurs d’une maladie cardiaque ou d’une autre maladie à l’origine d’une insuffisance cardiaque.
Les principales hypothèses diagnostiques communes aux 3 vaches sont ainsi :
– une pneumonie ;
– des maladies cardiaques : une atteinte du péricarde, de l’endocarde ou du myocarde [4].
L’exploration des hypothèses diagnostiques conduit à la réalisation d’examens complémentaires afin de rechercher un phénomène inflammatoire aigu ou chronique et/ou un processus infectieux (tableau 2).
Chez les 3 vaches, une augmentation des marqueurs biochimiques hépatiques et musculaires ainsi qu’une hyperurémie sont observées. Cette dernière peut être le signe d’ulcères du tractus digestif chez un animal normohydraté.
Une suspicion d’ulcère de caillette ainsi qu’une atteinte hépatique et/ou musculaire sont les principales hypothèses retenues pour la vache A.
Chez la vache B, un syndrome inflammatoire chronique, dont le foyer est actif (globulines et fibrinogène augmentés), est mis en évidence, ce qui oriente plutôt vers la présence d’abcès dont la localisation la plus commune serait le foie, le cœur, le réseau ou les poumons.
Chez la vache C, une perte sanguine par hémorragie aiguë est suspectée, avec une anémie marquée parallèle à une importante perte de protéines et l’absence de réticulocyte.
L’imagerie permet de vérifier la paroi de la caillette et l’aspect du foie pour la vache A, de localiser un abcès pour la vache B et un éventuel épanchement probablement hémorragique pour la vache C (tableau 3).
Les images obtenues chez la vache A font fortement suspecter un lymphome cardiaque à l’origine d’une insuffisance cardiaque et d’une congestion hépatique. Le liquide pleural est drainé à l’aide d’un trocart thoracique : 10 litres de liquide sérohémorragique sont retirés et une cytologie est réalisée. Une analyse sérologique pour la recherche de leucose est demandée.
Pour la vache B, les images obtenues orientent vers une endocardite à l’origine d’une insuffisance cardiaque droite, elle-même à l’origine d’une congestion hépatique. Quant à la vache C, un drainage du péricarde (10 litres) avec un trocart thoracique 32 G inséré dans le cinquième espace intercostal à gauche, à hauteur du coude, permet de prélever un liquide dont l’aspect macroscopique suggère une péricardite idiopathique (liquide rougeâtre dont l’hématocrite est de 18 %, versus 23 % pour l’hématocrite sanguin).
La mise en évidence d’un syndrome inflammatoire chronique actif chez la vache B associée à des images caractéristiques sur la valve tricuspide (forme de fleur) orientent fortement vers une endocardite bactérienne.
Dans le cas des 2 autres bovins, l’analyse des liquides de ponction est nécessaire pour préciser le diagnostic.
Le liquide pleural de la vache A est une effusion néoplasique associée à un lymphome à grandes cellules (photo 5).Celui de la vache C est un transsudat simple avec signe d’hémorragie récente sans évidence de cellules atypiques, ce qui exclut l’hypothèse du lymphome.
L’effusion péricardique est « un transsudat riche en protéines avec rare érythrophagie. Il n’y a aucune évidence de cellules atypiques. […] parfois associée à un matériel sécrétoire d’origine indéterminée ».
Cette conclusion est fortement évocatrice d’une péricardique idiopathique.
Le résultat du test de sérologie pour le virus de la leucose est positif.
Il s’agit d’une vache de 7 ans, presque tarie, à 2 mois du vêlage. L’éleveur pourrait mener cette vache à terme, afin de récupérer le veau, puis l’éliminer du troupeau. La transmission du virus de la leucose de la mère au veau est possible mais de faible incidence (14 %) [6]. Cependant, au cours de son hospitalisation, la vache montre une aggravation des signes respiratoires et une baisse de l’état général. Il devient très compliqué d’envisager de maintenir cette vache jusqu’au vêlage.
Il est décidé de l’euthanasier. Une autopsie est réalisée. Elle révèle une infiltration du lymphome dans un grand nombre d’organes : cœur, péricarde, utérus, caillette, rumen (photos 6 et 7).
Lors de son hospitalisation, la vache développe des signes cliniques d’insuffisance cardiaque de plus en plus marqués avec une détresse respiratoire importante (oxygénothérapie). Le pronostic s’assombrit. La décision de l’euthanasier est prise en accord avec le propriétaire. Une autopsie est réalisée. Elle révèle la présence d’une endocardite, d’un abcès hépatique et de plusieurs thrombus pulmonaires (photos 8 et 9). L’origine d’un tel tableau pathologique est certainement un syndrome de la veine cave caudale. Ce type de syndrome apparaît souvent à la suite d’une ruminite, elle-même la conséquence d’une alimentation trop énergétique et riche en acides gras volatils.
Le pronostic à court et moyen terme est bon [3, 5]. Le traitement consiste en un drainage du liquide intrapéricardique, de l’épanchement thoracique également, si besoin, ce qui a été réalisé dans le cas de cette vache.
À la suite du drainage du péricarde (10 l) avec un trocart thoracique 32 G inséré dans le cinquième espace intercostal à gauche, à hauteur du coude, une baisse importante de l’hématocrite est observée dans les 4 heures qui suivent (14 %), ce qui nécessite une transfusion de 6 l de sang.
En prévention d’un choc hypovolémique à la suite du drainage des deux hémithorax (40 l chacun), une fluidothérapie est mise en place (20 l de chlorure de sodium 0,9 % et 500 ml de borogluconate de calcium 23 % par 24 heures pendant 48 heures).
Un suivi échographique des cavités thoracique et péricardique est réalisé et permet d’observer la résorption du liquide, même sans drainage, la réaction inflammatoire (fibrine) et la probable formation d’hématomes aux points de ponction. La veine cave caudale reprend une forme normale une semaine plus tard (photo 10).
L’hématocrite est contrôlé aux 24 heures pendant 5 jours après le premier drainage péricardique et atteint 30 % 4 jours après la transfusion.
La vache respire plus confortablement après 2 jours et son rétablissement est complet une semaine environ après son arrivée, comme cela est décrit dans plusieurs articles rapportant plusieurs cas de péricardite idiopathique [7, 8].
Les 3 vaches présentent des signes cliniques orientant vers une possible insuffisance cardiaque. Les origines de l’insuffisance cardiaque sont multiples et peuvent toucher les différents feuillets cardiaques.
La réticulopéricardite traumatique est la plus fréquemment diagnostiquée [3, 4]. La péricardite peut aussi être secondaire à une infection pulmonaire ou pleurale chronique après la migration d’emboles. Une effusion péricardique s’observe également lors de néoplasme cardiaque comme le lymphome dont la localisation la plus commune est l’endocarde de l’oreillette droite. La tamponnade peut provenir d’une péricardite idiopathique (vache C) ou de la rupture d’un vaisseau coronaire, qui entraîne rapidement la mort.
L’origine peut être génétique avec la cardiomyopathie dilatée primaire chez les vaches de robe rouge ou porteuses du facteur rouge (prim’holstein, ayrshire) [5]. Une myocardite est parfois observée lors de carence en sélénium et en vitamine E et/ou en cuivre ou d’intoxication à un ionophore (monensin) [b5]. Des bactéries (Histophilus somni, Clostridium chauvei), des virus (fièvre aphteuse), et des parasites peuvent être responsables de myocardite [5]. Le cor pulmonale (cœur pulmonaire) est le phénomène d’hypertension des artères pulmonaires à la suite d’une infection chronique des poumons. Il entraîne une augmentation de la pression systolique, donc une sollicitation plus importante du myocarde pouvant conduire à une insuffisance cardiaque [5]. Le lymphome de la leucose enzootique peut parfois infiltrer le myocarde (vache A).
La plus fréquente est l’endocardite bactérienne (vache B) dont les bactéries les plus souvent impliquées sont Arcanobacterium pyogenes, Streptococci[5]. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’une endocardite végétative et, le plus souvent, localisée sur la valve tricuspide. Néanmoins une endocardite peut aussi être murale.
Une endocardite non bactérienne est secondaire à une première anomalie cardiaque congénitale, qui entraîne des turbulences anormales (jet, lésions).
L’infiltration du lymphome dans l’endocarde peut être localisée aux valves tricuspides ou mitrales (vache A), mais sa localisation principale est l’endocarde de l’oreillette gauche.
Certaines vaches peuvent présenter une dysplasie des valves ou encore des kystes au niveau des valves.
Il existe ainsi des maladies cardiaques dont l’origine est primaire (trouble cardiaque). D’autres sont secondaires à une maladie dont certaines conséquences peuvent être cardiaques, d’où la difficulté d’établir le diagnostic mais aussi le pronostic.
Ce diagnostic différentiel commun de maladie cardiaque a été établi pour les 3 vaches à la suite de l’examen clinique. Toutefois, d’autres hypothèses peuvent être considérées pour chacune des vaches.
Des ulcères de la caillette peuvent être envisagés (bruxisme et diarrhée) pour les vaches A et B. Les autopsies ont permis d’en mettre en évidence et ils sont certainement à l’origine des signes cliniques, mais avec une étiologie différente : un lymphome pour la vache A et un stress à la suite d’un inconfort chronique pour la vache B.
Pour la vache B, un abcès hépatique a fait partie du diagnostic différentiel, tout comme une éventuelle réticulopéritonite traumatique. L’abcès hépatique a été découvert lors de la nécropsie, mais ne l’a pas été à l’échographie. Malgré l’utilisation de sondes de 3,5 MHz permettant de mettre en évidence des structures assez profondes (des structures de 2 mm de diamètre apparaissent nettes à 8 cm), le foie n’a pu être visualisé dans sa totalité. Le tableau pathologique oriente vers un syndrome de la veine cave caudale. Le volume de cette veine était augmenté et sa forme modifiée, mais aucun thrombus n’a été observé. Un fil de fer a été trouvé dans le rumen, mais aucune adhérence n’a été révélée, il n’est donc pas possible de conclure à une réticulopéritonite traumatique. L’endocardite bactérienne est probablement la conséquence de l’abcès hépatique par la circulation d’emboles septiques.
Alors que pour cette vache, l’euthanasie a été décidée, dans d’autres cas d’endocardite bactérienne sans apparition de signes d’insuffisance cardiaque, un traitement antibiotique de 4 semaines au minimum est envisageable selon la valeur économique de la vache (18 % de survie après 6 mois, voire 25 % selon les études) [5]. Le type d’antibiotique peut être choisi selon les résultats d’une hémoculture réalisée avant tout traitement antibactérien [5].
Pour le traitement de la péricardite idiopathique (vache C), si le drainage des épanchements péricardique et thoracique semble être a priori un élément indispensable à la bonne guérison de l’animal, la survie d’un cas de péricardite idiopathique chez une vache laitière traitée uniquement aux antibactériens (pénicilline procaïne) a été rapportée avec une reprise normale de la production laitière à la lactation suivante [1]. Le pronostic semble bon à court et à moyen termes, mais de récentes études associeraient l’apparition de péricardite idiopathique avec le lymphome d’origine enzootique [2].
Le diagnostic de “maladie cardiaque” chez la vache est susceptible d’orienter l’éleveur vers un mauvais pronostic. Le rôle du vétérinaire est de lui indiquer la marche à suivre la plus appropriée d’un point de vue économique. Pour cela, il doit faire appel à des outils tels que le tableau clinique. Mais la sévérité des signes cliniques n’étant pas représentative du pronostic, les analyses hémato-biochimiques et cytologiques paraissent indispensables pour aider à élaborer un pronostic. L’imagerie, bien que plus difficile à réaliser en termes de disponibilité de matériel, permet de réaliser un diagnostic lorsque les images observées sont caractéristiques de certaines maladies et offre ainsi une définition plus précise du pronostic.
→ Les motifs de consultation des 3 vaches sont différents mais toutes présentent des signes cliniques évocateurs d’une maladie cardiaque ou d’une maladie à l’origine d’une insuffisance cardiaque.
→ Pour chaque animal, un feuillet cardiaque différent est touché : péricarde, myocarde et endocarde.
→ La sévérité des signes cliniques n’est pas représentative du pronostic. Les analyses hémato-biochimiques et/ou cytologiques et l’imagerie médicale permettent au vétérinaire d’indiquer à l’éleveur la meilleure solution économique.
Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »
L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.
En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire
Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.
Découvrez en avant-première chaque mois le sommaire du Point Vétérinaire.
Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire