NUTRITION CANINE
Dossier
Auteur(s) : Laurent Guilbaud
Fonctions : Clinique vétérinaire des Arcades
544, boulevard Louis-Blanc 69400 Villefranche-sur-Sâone
Défit thérapeutique, les lymphangiectasies ne se soignent pas qu’avec des anti-inflammatoires. Ces entéropathies avec perte de protéines parfois très graves ont pu être traitées dans certains cas avec une alimentation humide, hyperprotéinée et supplémentée en saccharose.
Les lymphangiectasies et plus globalement les entéropathies associées à une perte de protéines, dans un contexte inflammatoire, soulèvent plusieurs questions : quelle est la part de responsabilité de l’inflammation dans la fuite protéique ? Pourquoi les protéines qui fuient dans la lumière intestinale ne sont-elles pas réabsorbées en aval ? Comment compenser les fuites protéiques ? Comment stimuler l’absorption des protéines et ainsi favoriser la reconstruction protéique globale de l’organisme ?
Les entéropathies associées à une hypoprotéinémie connaissent plusieurs dénominations. Les publications vétérinaires francophones utilisent les termes d’entéropathie exsudative. Les Anglo-Saxons préfèrent l’appellation d’entéropathie associée à une perte de protéines (protein-losing enteropathy). Cette perte de protéines dans le tractus gastro-intestinal ne doit pas être confondue avec une maldigestion protéique associée à une insuffisance pancréatique exocrine ou à une entéropathie par intolérance au gluten. Les entéropathies associées à une perte de protéines évoluent dans un contexte de troubles gastro-intestinaux très variés dont les lymphangites et les lymphangiectasies intestinales, les néoplasies gastro-intestinales, les corps étrangers, les invaginations intestinales, les ulcères non néoplasiques, les proliférations bactériennes intestinales, les entérites granulomateuses et les maladies infiltrantes inflammatoires de l’intestin idiopathiques ou non.
Les lymphangiectasies désignent un dysfonctionnement lymphatique qui conduit à une dilatation des chylifères centrovillositaires et du chorion (photo 1). L’accumulation de chyle provoque une ballonisation caractéristique des villosités qui se déchirent et entraîne la fuite du contenu lymphatique riche en protéines, en lymphocytes et en chylomicrons dans la lumière intestinale. Quand la perte excède la capacité de synthèse de l’organisme, une diminution de la concentration de certaines protéines circulantes, tout particulièrement l’albumine, peut être responsable d’œdèmes et d’épanchements (photo 2).
La lymphangiectasie peut être primaire, c’est la forme la moins fréquente. Elle est habituellement limitée à l’intestin, mais peut être diffuse et concerner d’autres localisations comme la plèvre où un chylothorax est observé en parallèle des lésions intestinales (prédisposition chez les rottweilers). La maladie est considérée comme congénitale même si les signes sont tardifs. Plus classiquement, la lymphangiectasie primaire se limite à l’intestin grêle et s’accompagne de lipogranulomes. Les yorkshires et les bichons maltais y sont prédisposés (encadré 1) [9].
La lymphangiectasie secondaire est la forme la plus fréquente. Elle est secondaire à :
– un processus infiltrant de la paroi intestinale par de l’inflammation pure, une tumeur ou de la fibrose ;
– une obstruction du canal thoracique ;
– une augmentation de la pression veineuse lors d’insuffisance cardiaque droite, notamment lors de tamponnade [9].
Trois mécanismes physiopathologiques peuvent être impliqués dans la perte de protéines au sein de la lumière intestinale :
– l’inflammation ou l’érosion affectant les propriétés de barrière de l’intestin comme lors des maladies inflammatoires ou infectieuse de l’intestin, des corps étrangers ou d’une invagination ;
– les troubles lymphatiques lors de lymphangite et de lymphangiectasie ;
– les troubles vasculaires lors d’ulcères ou de néoplasie.
La panhypoprotéinémie (hypoalbuminémie et hypoglobulinémie) permet de distinguer l’hypoalbuminémie isolée associée à une néphropathie ou à une insuffisance hépatique. Une hypocholestérolémie et une lymphopénie renforcent l’hypothèse d’un trouble lymphatique [30].
Les lymphangiectasies ne se limitent pas à une simple perte de protéines. L’approche académique néglige les défauts d’apports protéiques et plus globalement les apports protido-caloriques. Une carence protéique alimentaire primitive n’est pas en cause ici, même si l’anorexie peut y participer. La disponibilité des nutriments protéiques dans la lumière intestinale est ignorée au cours de la prise en charge médicale conventionnelle et plus largement la dénutrition protido-calorique. L’absorption protéique est consommatrice d’énergie par le biais de pompes ATPases. Les protéines et les acides aminés “piégés” dans la lumière intestinale constituent un substrat aux proliférations bactériennes. Il convient de considérer les modifications probables de la pression osmotique intestinale qui peuvent participer à une diarrhée osmotique et perturber les fonctions d’absorption.
→ La lymphangiectasie se caractérise histologiquement par une dilatation marquée des chylifères centrovillositaires ou des vaisseaux lymphatiques. Ces derniers sont remplis d’un liquide protéique, visible au sein de la paroi intestinale (photos 3a et 3b). La lymphangiectasie peut être associée à des lésions inflammatoires ou à des lésions des cryptes.
Lors de lymphangiectasie primaire, aucune cellule inflammatoire n’est observée dans les différentes couches de la paroi intestinale (sauf de potentiels lipogranulomes dans la sous-séreuse le long du trajet de drainage lymphatique). La lymphangiectasie secondaire est associée à d’autres lésions histologiques dont les plus fréquentes sont celles de la maladie des cryptes et les infiltrations inflammatoires prioritairement lymphoplasmocytaire ou tumorale. Les cellules inflammatoires ou néoplasiques peuvent être présentes dans n’importe quelle couche de la paroi intestinale, autour des vaisseaux lymphatiques ou des nœuds lymphatiques. L’inflammation doit être sévère pour faire obstacle à la circulation lymphatique et provoquer une lymphangiectasie. La mise en évidence histologique d’une inflammation modérée n’est pas considérée comme cliniquement significative. La nature de l’infiltrat inflammatoire varie selon les animaux. Par ordre de fréquence chez le chien, elle peut être lymphoplasmocytaire (de loin la plus fréquente), lymphocytaire puis éosinophilique [21, 26].
→ Lors de maladie des cryptes, les lésions ressemblent à celles observées lors de parvovirose, mais aucun parvovirus n’est mis en évidence par méthode immunohistochimique (photos 4a et 4b). Chez le yorkshire terrier, les lésions des cryptes très sévères sont associées à une hypo-albuminémie particulièrement prononcée (inférieure à 7 g/l) [21].
→ Les fuites protéiques intestinales sont associées à une perturbation de toutes les étapes de la digestion, avec une maldigestion luminale, une malabsorption pariétale et une malassimilation postentérocytaire.
→ Les protéines et les autres nutriments non absorbés sont responsables de proliférations bactériennes acides (pour les glucides) et basiques (pour les protéines). La raison de la non-réabsorption des protéines intraluminales n’est pas identifiée. Il existe un exemple contraire : lors de saignement digestif proximal, le sang est parfaitement digéré et absorbé, ce qui se traduit par une majoration de l’urémie sans élévation de la créatinine sérique. Inversement, lors de fuites distales (coliques par exemple : cas des colites histiocytaires), les protéines ne peuvent pas être réabsorbées, puisque l’assimilation s’opère dans l’intestin grêle (photo 5).
→ La malabsorption protéique est probablement liée à un défaut entérocytaire pariétal. L’inflammation, les lésions des cryptes, les chylifères dilacérés pourraient expliquer que les pertes soient plus importantes que l’absorption. Pourtant, même en contrôlant l’inflammation, donc les fuites, la protidémie n’est toujours pas restaurée. Par ailleurs, les lésions des chylifères altèrent la délivrance de leur contenu dans la circulation, ce qui participe à une malassimilation des lipides.
→ L’objectif du traitement des lymphangiectasies intestinales est de diminuer les pertes protéiques digestives, de neutraliser l’inflammation intestinale (réelle ou suspectée) et de contrôler les épanchements et les œdèmes. L’utilisation des glucocorticoïdes et les manipulations diététiques constituent la base du protocole [17, 31].
→ La molécule classiquement utilisée est la prednisolone (1 ou 2 mg/kg/j), elle peut être efficace dans certains cas. Des diurétiques et des antibiotiques peuvent être adjoints. Certains auteurs préconisent l’emploi d’immunomodulateurs en fonction de la cause sous-jacente [6, 11, 17, 32].
Les résultats cliniques sont aléatoires. Une augmentation de la protéine C réactive pourrait signer un mauvais pronostic. En revanche, les valeurs de l’albuminémie de la calcémie, de la lipase spécifique, de la calprotectine, du score CIBDAI (canine inflammatory bowel disease activity index) ou du CCECAI (canine chronic enteropathy clinical activity index) n’ont pas de valeur pronostique [2, 8, 20]. Owens souligne que la sévérité de l’hypoalbuminémie n’est pas un critère pronostique statistiquement significatif [23]. Tous les auteurs ne sont pas pour autant en accord sur ce point [2]. Plus que la valeur, l’évolution de ces paramètres et notamment de l’albumine est, en revanche, à prendre en compte.
Les lésions des cryptes constituent probablement un facteur de gravité important. Dans une étude récente portant sur 11 chiens qui présentent une lymphangiectasie avec lésions des cryptes et qui reçoivent un traitement conventionnel immunosuppresseur (prednisolone 2 mg/kg/j + ciclosporine 5 mg/kg/j) et une antibiothérapie (métronidazole et marbofloxacine), 4 chiens sur 11 répondent favorablement après 2 semaines de traitement [21].
→ Afin de pallier la carence protéique, deux stratégies peuvent être envisagées : un aliment hyperdigestible riche en protéines ou un hydrolysat, en gageant sur la plus grande digestibilité des protéines hydrolysées [5, 18, 22]. Ces aliments ne sont toutefois pas pauvres en lipides et leur ratio protido-calorique n’est pas augmenté. En effet, les aliments classiquement recommandés doivent être pauvres en lipides, afin de ne pas surcharger les chylifères et les vaisseaux lymphatiques [6, 11, 33].
→ Aucune recommandation n’est proposée dans les publications pour les apports amylacés. Dans un contexte de malabsorption protéique, il semble raisonnable de limiter les proliférations bactériennes en diminuant les apports en amidon. Seuls les aliments humides industriels sont pauvres en amidon.
→ Les fuites protéiques participent également à une diarrhée osmotique. Des intolérances glucidiques sont décrites dans de telles circonstances. Cette diarrhée peut résulter d’une insuffisance en dissacharidases incapables d’hydrolyser les disaccharides luminaux [24].
L’aliment idéal est complet, riche en protéines, pauvre en lipides et en amidon (encadré 2). Il correspond aux caractéristiques d’un aliment hypocalorique humide industriel. Nous sommes face à un paradoxe : proposer un aliment hypocalorique à un animal déjà maigre.
→ Ce raisonnement omet la composante pariétale et surtout entérocytaire de l’affection. L’absorption des acides aminés depuis l’intestin dans l’entérocyte nécessite un co-transport secondairement actif couplé à l’absorption de sodium. Le passage des acides aminés dans le sang depuis l’entérocyte s’effectue également par transport actif [4, 16]. Il est donc fondamental d’apporter une source d’énergie directement disponible pour les entérocytes. Comme les lipides et l’amidon ne peuvent pas être utilisés, il ne reste que les sucres simples.
→ Le saccharose présente un double avantage : augmenter la densité énergétique globale de l’alimentation tout en apportant un substrat (glucose et fructose) rapidement digestible et disponible pour les entérocytes, indépendamment de la microflore intestinale. La digestion du saccharose commence directement au niveau de la bordure en brosse intestinale en shuntant la digestion luminale. Le sucre apporte ainsi de l’énergie presque directement utilisable par l’entérocyte. Lorsque la bordure en brosse est lésée, l’efficacité des disaccharidases intestinales peut être altérée. Une étude en double aveugle est en cours pour le déterminer. L’adjonction de saccharose dans l’alimentation est utilisée depuis plusieurs années chez les chiens présentant une insuffisance pancréatique exocrine. L’adjonction de sucre, donc d’énergie, va favoriser l’absorption des protéines. Celle des peptides et des acides aminés fait l’objet d’un co-transport secondairement actif [1, 3, 10, 12-16, 19, 25, 27-29].
Entre 2008 et 2012, 17 chiens ont été suivis selon un protocole très précis (encadrés 3 et 4 et tableau complémentaires sur site www.WK-Vet.fr). Tous présentaient une hypo-albuminémie d’origine intestinale en liaison avec une lymphangiectasie primaire ou secondaire prouvée histologiquement, les autres causes d’hypoprotéinémie ayant été écartées (hépatiques et/ou rénale). Initialement l’étude ne s’intéressait qu’aux lymphangiectasies primaires (9 animaux avec essentiellement des yorkshires, un bichon, un teckel, un whippet) puis nous avons étendu le protocole aux animaux présentant une maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI) associée ne répondant pas aux traitements conventionnels (immunosuppresseurs, antibiotiques, etc.). Figurent dans ce groupe des animaux de grand format : berger allemand, rhodesian ridgeback, bouledogue américain, rottweiler, bouvier bernois, labrador (photo 6).
→ Nous avons extrapolé les recommandations diététiques en intégrant la composante glucidique. Nous avons choisi un aliment modérément pauvre en lipides (12 % par rapport à la matière sèche), riche en protéines (ratio protido-calorique de 159 g/Mcal), mais également pauvre en extractif non azoté (ENA) (14 % par rapport à la matière sèche). Nous avons choisi l’aliment Obesity Management humide(r), Royal Canin. Le bouledogue américain a fait exception à la règle avec l’aliment w/d(r), Hill’s (par habitude du vétérinaire qui gérait le cas). La teneur élevée des aliments hypocaloriques en cellulose brute pourrait inquiéter. Or, il est démontré que l’adjonction de fibres insolubles dans l’alimentation du chien ne présente pas d’effet irritant sur la muqueuse colique [7]. Il préserve également la digestibilité des protéines au-delà de 85 %.
→ Afin de compenser la faible densité énergétique des aliments hypocaloriques et de stimuler les disaccharidases intestinales, nous avons intégré 2 g/kg de poids vif (PV) de saccharose.
→ Le traitement diététique a été complété par un traitement médical : prednisolone 0,25 mg/kg/j et doxycyline 10 mg/kg/j pendant 3 à 4 semaines. La dose de corticoïdes est faible car nous sommes partis du postulat que la composante inflammatoire n’était pas fondamentale en privilégiant l’aspect fonctionnel de l’affection. Nous n’utilisons ni diurétiques, ni spironolactone, ni immunomodulateurs.
→ Seulement 3 animaux n’ont pas répondu au traitement : un berger allemand qui présentait aussi une atrophie pancréatique, un labrador et un yorkshire.
En général, la correction de l’ascite est spectaculaire : 4 jours. Dans le même temps, l’albuminémie s’améliore en moyenne de 40 % (avec un écart de 26 à 55 %) en 3 jours et de 89 % (avec un écart de 43 à 150 %) au bout de 10 jours.
→ Après un mois de traitement, nous réintroduisons un aliment sec low fat. Il apparaît que les chiens de petite race rechignent à revenir à une alimentation sèche et continuent à être alimentés avec un aliment humide. Pour des raisons de coût, les chiens de grande race sont passés rapidement à un aliment low fat. Une légère diminution de la protidémie est notée, en restant dans des valeurs usuelles. Une réintroduction trop rapide d’un aliment sec se traduit souvent par une reprise de la diarrhée et des borborygmes. Le retour à un aliment humide résout le trouble. Si les volumes de ration sont compatibles chez des petits gabarits, les propriétaires de grands chiens doivent être informés que le volume d’aliment et le budget alloué deviennent considérables.
Une étude est en cours afin d’étoffer le nombre de cas. Dès à présent, ces quelques cas nous permettent de proposer une nouvelle approche thérapeutique des entéropathies associées à une perte de protéines dans le cadre des lymphangiectasies primaires et lors de MICI associées à une fuite protéique.
Selon le consensus AVCIM (American College of Veterinary Internal Medicine Foundation) sur les MICI, il semble raisonnable de proposer un traitement diététique et une antibiothérapie avant de pratiquer une endoscopie. Dans un certain nombre de cas, cette dernière pourrait se révéler obsolète, notamment chez le yorkshire. Cette stratégie pourrait également préparer l’animal à mieux supporter les examens complémentaires en corrigeant l’hypoalbuminémie. Elle constituerait ainsi un palier dans la prise en charge des entéropathies associées à une perte de protéines. Cette avancée tend à minimiser l’incidence des MICI puisque ces animaux ont répondu à une antibiothérapie, des anti-inflammatoires et des manœuvres diététiques. Pour le moment, il ne s’agit pas de guérison. Cette approche constitue une alternative originale et argumentée aux schémas thérapeutiques classiques. De nombreuses études restent nécessaires.
→ Lundehund.
→ Yorkshire, rottweiler, sharpei, bichon maltais.
→ Basenjis, boxer, bobtail, drentse patrijshond (entéropathie immunoproliférative).
→ Setters irlandais.
→ Soft coated wheaten terriers (hypoalbuminémie digestive et rénale).
→ Aliment complet.
→ Riche en protéines (ratio protido-calorique élevé).
→ Pauvre en matières grasses.
→ Pauvre en amidon.
→ Aliment hyperdigestible.
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