Du chat ancestral au chat domestique : les aliments industriels sont-ils des proies ? - Le Point Vétérinaire n° 329 du 01/10/2012
Le Point Vétérinaire n° 329 du 01/10/2012

COMPORTEMENT ET ALIMENTATION DES CHATS

Dossier

Auteur(s) : Emmanuelle Titeux

Fonctions : Consultante en médecine
du comportement
ENV d’Alfort
etiteux@hotmail.fr

Même domestiqué, le chat a conservé un comportement alimentaire de carnivore strict. Ses proies sont remplacées par de la nourriture industrielle. Les aliments humides sembleraient mieux correspondre à ses besoins que les aliments secs.

Face aux défis que représentent les maladies humaines induites ou aggravées par l’alimentation (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et articulaires), la médecine humaine s’est tournée vers les origines du comportement alimentaire de l’homme avant sa sédentarisation. L’étude de l’alimentation au paléolithique et la connaissance de sa composition initiale pourraient fournir des indications utiles pour mieux nourrir les générations futures [8].

Les vétérinaires ne seraient-ils pas confrontés aux mêmes types de questions ? L’industrialisation de l’alimentation des animaux a profondément modifié la nature et la composition de leurs rations (photo 1). Il est donc légitime de se demander si les besoins fondamentaux du chat domestique sont toujours correctement satisfaits.

1 Origines du chat domestique

Origines de Felis catus

Les premières théories avaient estimé que le chat domestique (Felis catus) descendait du chat sauvage européen (Felis sylvestris sylvestris). Les dernières découvertes en génétique reconsidèrent cette hypothèse : Felis catus serait issu de Felis sylvestris lybica, chat sauvage du Moyen-Orient [5]. Cet animal vit encore à l’état sauvage (autour du bassin méditerranéen et en Afrique) et se caractérise par un comportement d’affinité pour l’homme (propension à venir spontanément vers lui) [3]. Cette capacité à être facilement apprivoisé ne se retrouve pas chez le chat sauvage européen (felis sylvestris sylvestris) [13].

Histoire de la domestication de Felis catus

Concomitamment au développement de l’agriculture au Moyen-Orient et profitant de la prolifération des rongeurs, le chat local s’est rapproché de l’homme 8 000 ans av. J.-C. [5]. Des découvertes archéologiques récentes ont révélé que la présence de chats autour de campements humains est très ancienne. Bien qu’à cette période, les hommes consommaient des chiens, des chats et des renards, certains se faisaient enterrer avec leur chat. Cela signe, pour les archéozoologues, le début de la domestication de ce félin [14].

La population mondiale de chats est estimée à environ un milliard d’individus dont seulement 3 % proviendraient de la sélection humaine [6].

Bien que nommé “chat domestique”, Felis catus a peu subi les contraintes liées à la domestication (contrôle de la reproduction, de l’alimentation et du logement d’un animal). Le chat a vécu pendant des siècles auprès de l’homme sans répondre à un seul de ces critères. Il n’en constitue pas moins une espèce domestiquée puisqu’il partage la même niche écologique que lui [4].

1 Influence de la domestication sur le comportement alimentaire

Comportement alimentaire

Contrairement au chien chez lequel le processus de domestication a entraîné de nombreuses modifications comportementales et physiologiques (digestives notamment), le chat a continué à vivre et à se nourrir comme son ancêtre. Il est resté, métaboliquement parlant, un carnivore strict [15].

Les études antérieures estimaient que trois éléments clés expliquaient l’appétence d’un aliment : l’animal (espèce, individu), l’environnement (propriétaire, lieu, mode de vie) et l’aliment lui-même (odeur, forme, texture, goût, composition, etc.). L’importance donnée à l’espèce était très faible et les nutritionnistes se contentaient de définir le chat comme un carnivore strict, mangeur régulier, consommant 10 à 20 repas par jour, avec une séparation de prise alimentaire et de la prédation [1].

Or, la séquenciation (l’ensemble des unités comportementales) du comportement alimentaire du chat s’est pérennisée et la prédation appartient toujours à ce répertoire [2, 9]. À défaut de connaître exactement le comportement alimentaire du chat ancestral, cette persistance permet d’envisager qu’il devait être proche de celui des chats féraux actuels (chats domestiques retournés à l’état sauvage et qui vivent sans interactions avec l’homme).

Profil nutritionnel du chat féral : ce que mangent les chats quand ils s’alimentent par eux-mêmes

Pour connaître le mode d’alimentation spontané du chat, Plantiga et coll., de l’équipe de Wouter Hendriks à Wageningen (Pays-Bas), ont pratiqué une méta-analyse des données recensées sur la composition des proies capturées par les chats féraux [12].

PROTOCOLE

Cinquante-cinq études étaient éligibles.

Des critères de sélection stricts ont été appliqués :

– seuls des chats féraux (aucun chat sauvage) étaient concernés ;

– devait y figurer l’examen d’au minimum 94 prélèvements de selles ou 30 prélèvements du contenu d’estomacs ou d’intestins (nombres déterminés pour être des minimaux dans des publications antérieurs).

– aucun chat ayant eu accès à des déchets provenant de l’alimentation humaine ne devait y figurer.

Finalement, 27 études ont été retenues et ont porté au total sur 6 666 observations de contenus digestifs ou fécaux.

Résultats

La nature des proies identifiées dans les échantillons de chaque étude a été compilée (tableau 1).

Les mammifères (souris, campagnols, lapins) constituent la grande majorité des proies. Les reptiles, les poissons et les invertébrés restent occasionnels.

La composition et la valeur alimentaires de ces proies ont été extraites de plusieurs publications antérieures (tableau 2).

Leur composition est relativement stable. Seuls les reptiles constituent une ressource moins énergétique que les autres.

RÉSULTATS RAPPORTÉS À LA MATIÈRE SÈCHE

D’après cette compilation, l’ingéré type des chats féraux présenterait un taux d’humidité de 69,5 % et la composition moyenne suivante, sur la base de la matière sèche :

– 62,7 % de protéines ;

– 22,8 % de lipides ;

– 11,8 % de cendres ;

– 2,8 % de glucides ;

– une valeur énergétique de 423 kcal (énergie métabolisable [EM]).

Nouveaux calculs rapportés à l’apport énergétique

FONDEMENTS

Afin de pouvoir comparer le comportement alimentaire dans les différentes espèces, les chercheurs en nutrition ont cherché à décrire l’ingéré non plus par son contenu en différents nutriments, mais avec la part de chaque groupe de nutriments dans l’apport énergétique. Ils ont ainsi mis en évidence, d’abord chez les omnivores et les herbivores, que le choix de l’aliment s’effectue en fonction d’un certain équilibre entre l’apport énergétique des trois groupes de macronutriments (protéines, lipides, glucides). Cette répartition définit le profil nutritionnel en macronutriments (MNP) [7, 10].

Pour les chats féraux, nous avons calculé le MNP à partir des données de Plantiga et coll. En utilisant les coefficients d’Atwater (4 kcal EM/g de protéines ou de glucides, 9 kcal EM/g de lipides).

RÉSULTATS

Avec ce mode de calcul, le MNP de la ration moyenne des chats féraux serait :

– énergie apportée par les protéines : 54 % ;

– énergie apportée par les lipides : 44 % ;

– énergie apportée par les glucides : 2 %.

Cette conclusion n’est pas loin d’un des principaux résultats de l’étude de Hewson-Hughes et coll.(1)[10]. Dans cette étude, les chercheurs ont montré que la ration “cible” des chats se caractérise par une structure proche de la suivante :

– énergie apportées par les protéines : 52 % ;

– énergie apportée par les lipides : 36 % ;

– énergie apportée par les glucides : 12 %.

3 Quels sont les types d’aliments proposés aux chats ?

Une comparaison de ces résultats avec les caractéristiques d’aliments industriels destinés aux chats nous a paru intéressante.

La dernière étude comparative a été réalisée par l’Institut national de la consommation (INC) en 2004 [7]. Elle incluait 19 aliments humides et 10 secs destinés aux chats adultes, âgés de 1 à 10 ans. Ce panel représentait à peu près l’éventail de qualité du marché, des premiers prix jusqu’aux premium. L’INC nous a autorisés à réutiliser les résultats obtenus. Ils ont été convertis pour comparaison sur la base de la contribution des trois groupes de macronutriments à la valeur énergétique (encadré).

Les deux groupes d’aliments se distinguent nettement par leur structure énergétique. Les glucides contribuent davantage à celle des aliments secs. L’amidon est en effet nécessaire à la fabrication des croquettes. Cependant, il n’est pas sûr que le chat en ait besoin autant.

Un constat s’impose : les aliments humides sont en moyenne plus proches du MNP du chat féral que ne le sont les aliments secs (figure). Certains aliments humides, à base de viandes et de sous-produits animaux, en seraient évidemment encore plus proches (photo 2).

4 Discussion

Comparer l’alimentation du chat domestique avec celle de son ancêtre permet de revenir aux fondamentaux. En effet, contrairement au chien, la domestication du chat a peu modifié son comportement alimentaire. Ses caractéristiques de chasseur solitaire ont persisté malgré sa cohabitation avec l’homme. Le chat moderne semble continuer à choisir ses macronutriments (protéines, glucides, lipides) de manière similaire à son ancêtre. Que ce soit le produit de sa chasse ou les aliments fournis par son propriétaire, il a une certaine capacité à détecter la composition de sa ration (les mécanismes impliqués sont encore inconnus).

Les aliments humides se rapprochant du profil nutritionnel en macronutriments du chat féral, comme des préférences qu’il a pu exprimer dans l’étude de Hewson-Hughes et coll., il pourrait sembler opportun de considérer que leur part est trop réduite dans l’alimentation actuelle [11]. Il serait même intéressant de mettre en œuvre des protocoles d’évaluation destinés à préciser l’utilité, voire la nécessité de ce type d’aliments, au minimum pour certaines affections(2).

Les aliments secs présentent eux aussi des avantages : lutte contre les affections bucco-dentaires, coût moindre, respect d’une consommation alimentaire en petites quantités réparties sur la journée. Le mixed-feeding (mélange alimentation sèche et humide) constituerait peut-être un bon compromis pour l’obtention d’une alimentation optimale du chat.

Conclusion

L’industrialisation a modifié radicalement l’aspect, la composition et la distribution des aliments du chat domestique.

Resté proche de son ancêtre, ce félin doit s’adapter en quelques générations à ces nouvelles “proies” et aux modifications induites dans son comportement alimentaire.

Revenir à des aliments plus proches de la composition des proies pourrait avoir une influence bénéfique sur sa santé et son bien-être.

  • (1) Voir l’article “Synthèse de l’étude Hewson-Hugues sur les choix alimentaires des chats” de C. Daumas, dans ce dossier.

  • (2) Voir l’article “Aliments humides et hygiène urinaire : retour sur une évidence” de B.-M. Paragon, dans ce dossier.

ENCADRÉ 1
Contribution des trois groupes de macronutriments à la valeur énergétique

→ Aliments humides

Énergie apportée :

– par les protéines : 40 % ;

– par les lipides : 47 % ;

– par les glucides : 13 %.

Aliments secs

Énergie apportée :

– par les protéines : 37 % ;

– par les lipides : 30 % ;

– par les glucides : 33 %.

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